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« Le football : métaphore et outil»

Par H. Raphael de Carvalho

Source : Carta Maior – 31/05/2007

Traduction : Jean Jacques Roubion pour Autres Brésils

Je crains qu’à l’avenir, les grands clubs brésiliens – dont le plus grand patrimoine se résume à leurs supporters – ne finissent par perdre ces derniers au profit des clubs européens et que les supporters ne soient plus intéressés par la fréquentation des stades car ils seront désormais des supporters du Barça et du Real.

Dans mon article précédent intitulé « Le footbal en tant que métaphore et outil », j’ai évoqué le livre du journaliste américain Franklin Foer. Selon lui, ce que les anciens commentateurs radio surnommaient le « violent sport breton » s’avère être beaucoup plus qu’un sport, ou même qu'un mode de vie : il s’agit d’une métaphore du nouvel ordre mondial dans toute sa complexité. Il affirme également que les clubs de football reflètent les classes sociales et les idéologies politiques et inspirent fréquemment une dévotion plus intense que les religions. Selon lui, le football est un sport avec des intérêts réels, capable de renverser des régimes politiques et de déclencher des mouvements de libération.

J’ai également commenté l’article de Marcelo Damato, paru dans la dernière édition 2006 du quotidien sportif Lance, et dans lequel il insiste sur la nécessité des clubs brésiliens de disposer d’un homme d’affaires en tant que président.

J’ai également rappelé que de nos jours il existe un quasi consensus sur l’inconscient collectif des masses populaires, occupé fondamentalement par les manifestations de la culture populaire.

A ce sujet, j’ai attribué au football, ainsi qu’à la samba, une importance fondamentale dans la construction d’un sentiment de nation. J’ai également affirmé que la remise du carnaval de Rio (par les administrations « de tendance néolibérale »), espace le plus visible de la manifestation de la culture de la samba, au crime organisé (par des organisation de tendance néolibérale) et ce, sous la direction d’un tortionnaire de la dictature, n’est pas le fruit du hasard, de même que la continuité établie au sein de la CBF, dirigée comme un entreprise privée par le beau-fils de Havelange, l’un des barons de la transformation des idéaux olympiques en marketing, avec toutes les séquelles qui en découlent.

Naissance de la passion

Les débats déclenchés par mon article soulèvent d’autres questions qui doivent nécessairement être abordées, telles que la passion du supporter, fondamentale pour le football depuis toujours. Elle se construit durant l’enfance au travers des stars du football.

De nos jours, les idoles sont Ronaldinho de Barcelone, Kaká du Milan AC, Juninho de l’OL, etc. Dans un documentaire diffusé sur Sport TV, les indigènes d’une communauté reculée entonnent avec émotion l’hymne national lors des matches de l’équipe nationale brésilienne, jusqu’alors considérée comme étant la patrie du football. Dans ce même documentaire, on apprend que des enfants des rues qui vivent sous un viaduc de l’Avenida Brasil, dans la Zone Nord de Rio, décorent leur refuge avec des lambeaux de tissus jaunes et verts. Pendant ce temps, à l’occasion des matches de l’équipe nationale, les commentateurs sportifs prononcent avec beaucoup de zèle « Robinho du Real Madrid », « Gilberto Silva d’Arsenal » et « Dida du Milan AC », comme si l’enjeu majeur, ou ce qui marque la singularité de ces athlètes, n’était pas le fait de vêtir le maillot jaune tels que Garrincha, Pélé, Zizinho, Leônidas da Silva, Domingos da Guia, Didi, Nilton Santos, Zico, Tostão, Gérson, Rivelino, et tant d’autres, mais bel et bien le fait d’être sous contrat avec un grand club européen. La « seleção » s’identifie profondément au sentiment national populaire. Mais l’association croissante entre l’idole d’enfance et populaire et les clubs étrangers (un tel est un grand joueur car il joue dans un club européen et non pas parce qu’il joue au sein de l’équipe nationale brésilienne où, selon les croyances nationales, se trouveraient les meilleurs joueurs du monde), est préoccupante.

En d’autres termes, les Brésiliens ne sont plus les meilleurs footballeurs du monde. Les meilleurs sont ceux du Real Madrid, du Barça, du Milan AC, de Manchester, d’Arsenal, de l’OL, etc.

Carlos Alberto Pareira lui-même a dit avant la dernière Coupe du Monde que le nombre décroissant de joueurs de clubs brésiliens convoqués pour l’équipe nationale ‘la seleção’ serait un signe de l’évolution de notre football.

Je crains qu’à l’avenir les grands clubs brésiliens, dont les supporters sont le plus grand patrimoine, ne finissent par les perdre au profit des clubs européens et que nos supporters ne soient plus intéressés par la fréquentation de nos stades, ni par l'achat par pay per view des matchs de nos championnats ainsi que des maillots de nos clubs car ils seront désormais des supporters du Barça, du Real, etc. C'est déjà le cas dans les domaines du cinéma, des téléfilms et même, à une moindre échelle, de la musique.

Le luxe est-il un besoin ?

Pourquoi nos athlètes doivent-ils obligatoirement partir vers le dénommé « premier monde » alors qu’ils pourraient devenir bel et bien riches, voire même très riches, en jouant dans nos grands clubs ? Pourquoi le gardien de but Marcos, le meilleur de la coupe du monde de 2002, a-t-il préféré rester au Palmeiras au lieu de joindre Manchester United ? Pourquoi l’excellent Oscar, le basketteur, a préféré ne pas joindre la NBA, où il serait devenu multimillionnaire, pour pouvoir continuer à évoluer dans l’équipe nationale ?

Le gardien de but du Flamengo, Diego, qui malheureusement ne se révèle pas être un aussi grand gardien que prévu, a accordé une interview, à l’époque où il semblait être le remplaçant potentiel de Júlio Cesar (vendu à l’Inter de Milan), dans laquelle il affirmait avoir l’intention de faire carrière au Flamengo, devenir champion de la Coupe « Libertadores » et qu’ainsi il pourrait garantir une vie confortable pour lui et pour sa famille sans avoir besoin de quitter le Brésil. Pour quelles raisons certains prennent-ils de telles décisions alors que la plupart des joueurs optent pour la vie des « pauvres enfants riches » en Europe tels que Ronaldo « le phénomène » et la plupart des joueurs sélectionnés lors de la dernière coupe du monde, dans une seleção complètement déracinée ? Comment peut-on comparer cette situation avec celle de certains grands noms du monde sportif cubain, tels que Theófilo Stevenson, Alberto Juantorena et Javier Sotomayor, qui ont refusé les fortunes qui leur ont été proposées afin qu’ils rejoignent des pays « privilégiés » et ont préféré recevoir la gratitude et la tendresse de leurs compatriotes ?

Une autre interrogation porte sur la dénommée notion de « premier monde ». Récemment, un documentaire sur le football uruguayen, diffusé également sur la chaîne Sport TV, faisait état de la décadence que traverse ce football qui a été jadis l’un des meilleurs du monde. Parmi l’un des nombreux exemples qui y ont été cités, les centres d’entraînement du duo Peñarol et Nacional. Ces deux sites étaient simples, sympathiques, avec de bons terrains de football, mais il est vrai que l’on n’y trouvait pas le luxe qui est aujourd’hui associé à l’excellence. Je me souviens également d’un autre documentaire sur le sport à Cuba qui montrait qu’avec des équipements anciens, certains même obsolètes, des adaptations et beaucoup de créativité et de dévouement, les athlètes cubains demeuraient compétitifs. Nous devrions évoquer ces questions de manière comparative avec le football brésilien.

Et le rôle des médias ?

Et qu’en est-il de la dénommée valeur intangible ? Le Barça ne vend pas d’espaces publicitaires sur ses maillots. La NBA, summum en matière de marketing sportif, ne vend aucun espace publicitaire sur ses maillots. Quelles en sont les raisons ?

Nous devrions également évoquer le rôle des médias dans ce phénomène. A titre d’exemple, le silence quasi total sur des personnalités telles que le mafieux russe du Chelsea ainsi que Silvio Berlusconi du Milan AC. À ce sujet, l’ex joueur Leonardo, malgré ses airs politiquement correct et le fait d’être présenté comme une solution possible pour le futur du Flamengo, travaille pour le Milan AC et donc, pour Berlusconi. Personne n’a jamais évoqué cette question avec lui.

Enfin, en employant le langage footballistique, le ballon roule. Le match commence à peine et celles et ceux qui rêvent d’une société nouvelle doivent en faire partie afin de pouvoir faire changer le score.

GLOSSAIRE/LEXIQUE

CBF : Confédération brésilienne de football

João Havelange : Président de la CBF de 1958 à 1974 et de la FIFA de 1974 à 1998

Leônidas da Silva : Footballeur brésilien surnommé "le diamant noir"

Didi : Valdir Pereira, footballeur brésilien qui a occupé le poste de milieu offensif.

Nilton Santos, footballeur brésilien qui a occupé le poste de défenseur.

Zico : Arthur Antunes Coimbra, footballeur brésilien

Tostão : Eduardo Gonçalves de Andrade, footballeur brésilien qui a occupé le poste d’attaquant.

Gérson : Gérson de Oliveira Nunes, footballeur brésilien qui a occupé le milieu de terrain.

Rivelino: Roberto Rivelino, footballeur brésilien.

Coupe Libertadores : La Copa Santander Libertadores, Copa Libertadores da América est une compétition de football opposant tous les ans les meilleurs clubs d'Amérique du Sud.

Flamengo : Club de football de la ville de Rio de Janeiro

Source : Carta Maior – 31/05/2007

Traduction : Jean Jacques Roubion pour Autres Brésils

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