L’économie haïtienne et sa voie de développement.



Gérard PIERRE-CHARLES(1993)L’économie ha?tienneet sa voie dedéveloppementLES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALESCHICOUTIMI, QU?BEC Les Classiques des sciences sociales est une bibliothèque numérique en libre accès développée en partenariat avec l’Université du Québec à Chicoutimi (UQ?C) depuis 2000. En 2018, Les Classiques des sciences sociales fêteront leur 25e anniversaire de fondation. Une belle initiative citoyenne.Politique d'utilisationde la bibliothèque des ClassiquesToute reproduction et rediffusion de nos fichiers est interdite, même avec la mention de leur provenance, sans l’autorisation formelle, écrite, du fondateur des Classiques des sciences sociales, Jean-Marie Tremblay, sociologue.Les fichiers des Classiques des sciences sociales ne peuvent sans autorisation formelle:- être hébergés (en fichier ou page web, en totalité ou en partie) sur un serveur autre que celui des Classiques.- servir de base de travail à un autre fichier modifié ensuite par tout autre moyen (couleur, police, mise en page, extraits, support, etc...),Les fichiers (.html, .doc, .pdf, .rtf, .jpg, .gif) disponibles sur le site Les Classiques des sciences sociales sont la propriété des Classiques des sciences sociales, un organisme à but non lucratif composé exclusivement de bénévoles.Ils sont disponibles pour une utilisation intellectuelle et personnelle et, en aucun cas, commerciale. Toute utilisation à des fins commerciales des fichiers sur ce site est strictement interdite et toute rediffusion est également strictement interdite.L'accès à notre travail est libre et gratuit à tous les utilisateurs. C'est notre mission.Jean-Marie Tremblay, sociologueFondateur et Président-directeur général,LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.Cette édition électronique a été réalisée par Rency Inson Michel, bénévole, étudiant en sociologie à la Faculté des sciences humaines à l’Université d’?tat d’Ha?ti et fondateur du Réseau des jeunes bénévoles des Classiques des sciences sociales en Ha?t, Page web. Courriel: rencyinson@ à partir de?:Gérard PIERRE-CHARLESL’économie ha?tienne et sa voie de développement.Port-au-Prince, Ha?ti?: Les ?ditions Henri Deschamps, 1993, 272 pp.[Autorisation formelle accordée par la directrice du CRESFED, Madame Suzie Castor, de diffuser ce mémoire, en accès libre dans Les Classiques des sciences sociales.] Courriels?: Dr Suzy Castor?: sucastor@Directrice du Centre de Recherche et de Formation ?conomique et Sociale pour le DéveloppementPolices de caractères utilisée?:Pour le texte: Times New Roman, 14 points.Pour les notes de bas de page?: Times New Roman, 12 points.?dition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2008 pour Macintosh.Mise en page sur papier format?: LETTRE US, 8.5’’ x 11’’.?dition numérique réalisée le 14 janvier 2020 à Chicoutimi, Québec.3023235254000Cet ouvrage est diffusé en libre accès à tous gr?ce à une entente de partenariat entre le REJEBECSS-Ha?ti (Le Réseau des jeunes bénévoles des Classiques des sciences sociales en Ha?ti) et le CRESFED (Centre de Recherche et de Formation ?conomique et Sociale pour le Développement), entente entérinée le 11 juillet 2019. Courriels?: Dr Suzy Castor?: sucastor@Directrice du Centre de Recherche et de Formation ?conomique et Sociale pour le DéveloppementRency Inson Michel?: rencyinson@coordonnateur du REJEBECSS-Ha?ti?Tania Pierre-Charles?: tanpicha04@.mx Lunie Yvrose Jules?: lunijyrfa@ Elise Golay?: elisegolay@de gauche a droite: Tania Pierre-Charles, responsable de projet au CRESFED; Wood-Mark Pierre, responsable relations publiques REJEBECSS; Suzy Castor, directrice du CRESFED; Lunie Jules, Officier de projet au CRESFED.Merci aux universitaires bénévolesregroupés en association sous le nom de:302323553403500Réseau des jeunes bénévolesdes Classiques des sciences socialesen Ha?ti.Un organisme communautaire ?uvrant à la diffusion en libre accès du patrimoine intellectuel ha?tien, animé par Rency Inson Michel et Anderson Layann Pierre.Page Facebook?:éseau-des-jeunes-bénévoles-des-Classiques-de-sc-soc-en-Ha?ti-990201527728211/?fref=ts-628657620000Courriels?: Rency Inson Michel?: rencyinson@ Wood-Mark PIERRE?: pierrewoodmark@ Ci-contre?: la photo de Rency Inson MICHEL.Gérard PIERRE-CHARLESL’économie ha?tienneet sa voie de développementPort-au-Prince, Ha?ti?: Les ?ditions Henri Deschamps, 1993, 272 pp.Note pour la version numérique?: La numérotation entre crochets [] correspond à la pagination, en début de page, de l'édition d'origine numérisée. JMT.Par exemple, [1] correspond au début de la page 1 de l’édition papier numérisée.[269]L’économie ha?tienne et sa voie de développementTable des matièresRétrospective de l’auteur et perspective de l’économie. Préface à l’édition ha?tienne.L’économie ha?tienneet sa voie de développementIntroduction [7]Avant-propos [11]Chapitre I. ?volution historique de l’?conomie ha?tienne [15]I.Fondements Historiques [15]A.Le grand développement du mode de production [16]B.Gestation de la société féodale [18]C.La réforme agraire de Dessalines [23]D.Indépendance intégrale et politique commerciale [26]E.Consolidation du féodalisme [39]II.Les racines du sous-développement [34]A.Le règne du féodalisme [36]B.La pénétration étrangère [40]C.Asphyxie de la paysannerie et de la bourgeoisie libérale [43]D.La crise du régime ? Ancien Ha?tien ? [47]Chapitre II. La structure économique [51]Première Partie : L’activité agricole [52]I.L’agriculture dans la vie nationale [52]A.Secteur agricole et sous-développement [52]B.Importance du secteur agricole [53]C.Pisciculture et élevage [55]D.Débilité fondamentale [57]II.Les facteurs physiques et humains [59]A)Le milieu physique [59]a)Caractéristiques topographiques [59]b)Qualité des sols et conditions climatiques [60]c)Le déboisement et l'érosion [61]B)Les ressources humaines [63]a)Richesse potentielle [63]b)Le coefficient Terre-Homme [63]c)Surpopulation par rapport à la structure économique [65]III.La tenure de la terre [67]A.Traits généraux [68]B.La paysannerie sans terre [70]C.Le minifundisme [71]D.Le latifundisme [75]a)Le latifundisme d’?tat [76]b)Le latifundisme privé [78]E.Plantations de type capitaliste [80]IV.Politique Agraire de l’?tat [82]A.Le cadre institutionnel [82]B.L’assistance technique [84]C.Le Crédit Agricole [86]D.Les travaux d’infrastructure [89]E.Les expériences de développement régional [90]a)Les colonies agricoles [90]b)La S.H.A.D.A. [91]c)Le projet de Marbial [92]d)L’expérience bilatérale [93]V.La production agricole [95]A.Production de subsistance [96]B.Production pour l’exportation [99]C.Relation Exportation/Population [100]Deuxième Partie : Le secteur industriel [102]A.Extraction minière [102]B.L’industrie manufacturière [103]C.L'industrie agricole d’exportation [104]D.Les industries destinées au marché local [105]a)L'industrie électrique [105]b)Industrie du ciment [106]c)Biens de consommation [106]E.Participation du secteur manufacturier au produit national brut (en millions de dollars) [108]F.La classe ouvrière [108]Conclusion [109]Chapitre III. Le commerce de l’exportation. Axe de l’économie [111]I.Les exportations comme déterminant du revenu national [112]II.Exportations, Importations et dépenses publiques [115]III.De quoi dépend la valeur globale des exportations ? [117]IV.Les Mécanismes de l’exportation [121]A.La monoculture [121]B.Le phénomène des intermédiaires [122]C.Les grandes maisons import-export [124]V.Les importations et leur signification Economique [126]merce extérieur et Développement [131]Chapitre IV. L’Impact du capital étranger [137]I.La perpétuelle dette extérieure [138]a)La dette de l’indépendance [138]b)Emprunts Domingue [139]c)La dette à la veille de l’occupation [140]II.Occupations et capital Nord-américains [142]a)l’emprunt de 1922 [143]b)Les investissements directs [145]c)Bilan des résultats [147]III.La formule des contrats de concession [151]a)Contrat J.G. White [151]b)La SHADA [152]c)Péligre ODVA [153]IV.Capital étranger et structure économique [156]a)Le Profit, facteur primordial [157]b)Ha?ti peut-elle offrir des profits maxima ? [159]c)?troitesse du marché local [161]d)Les vrais bénéficiaires [164]V.La réalité de l’assistance économique [167]a)Le bilan de l’aide de l’ONU [170]b)L'assistance dite bilatérale [172]Chapitre V. Secteur public et développement économique [175]I.Le système monétaire [176]A)La Banque Nationale de la République d’Ha?ti [176]a)En premier lieu, il s’agit d’un institut d'émission [177]b)La Banque Nationale est une banque commerciale [179]c)La fonction de Trésorerie [180]d)Les activités de gestion d'organismes et d'entreprises publics [181]B)La Monnaie [183]a)la sujétion au dollar [183]b)Manque de dynamisme [186]II.Le système fiscal [188]A) Le Budget [189]a)Sa sensibilité cyclique et saisonnière [189]b)Le déséquilibre [190]B.Les ressources de l’?tat [191]a) Plus on importe, plus le fisc per?oit [193]C.Les Dépenses [195]a)Distribution départementale [196]b)Contenu réel [198]III.L’état comme secteur économique [200]A.Frais de personnel [200]B.Administrateur d’entreprises [201]Chapitre VI. La crise générale de l’économie [203]I.Crise de structure [204]II.Le poids de la conjoncture [208]A.Facteurs liés à la valeur des exportations [209]B.Facteurs liés à l'actualité politique [210]III.Détresse de la communauté ha?tienne [210]IV.Crise de la politique économique [215]V.L’imprécision des perspectives [220]Chapitre VII. Une stratégie du développement [225]I.Une solution néo-colonialiste?? [225]II.Une théorie du développement [228]III.Le cadre institutionnel [229]IV.La planification du développement [232]V.La réforme agraire intégrale [234]anisation rurale et coopérative [241]VII.Contr?le du commerce extérieur [246]VIII.Une politique fiscale et monétaire cohérente [248]IX.Le financement d’origine externe [251]X.La création d’une industrie nationale [253]XI.Continuité dans l’effort et imagination créatrice [255]Conclusion [259]Bibliographie [263][1]L’économie ha?tienne et sa voie de développementPréface à l’édition ha?tienneRetour à la table des matièresCette vision de l’économie ha?tienne remonte pour l’essentiel à la période 1961-65. ?tudes et militance fiévreuses en Ha?ti. Départ forcené pour l’étranger... Découverte passionnante et furtive de Cuba, puis Mexico - Premières approches humaines et scientifiques à la réalité de l’Amérique latine qui nous ouvrent de part en part les portes du Monde et contribuent à redimensionner pour nous Ha?ti, dans sa géohistoire. Cette vision rétrospective, comparative, éclaire le pays que nous avions laissé, avec de profondes déchirures, emportés dans cet exode, des débuts des années 60, exode qui fit t?che d’huile sous la poussée des cagoulards, de la persécution systématique contre les opposants connus, les suspects, les clandestins... contre tout un peuple.Années de la Révolution Cubaine, de la rentrée sur la scène du Monde de Fidel Castro et de Che Guevara, de la guerre d’Algérie, de Frantz Fanon, des indépendances africaines. Cette conjoncture exaltante marqua les hommes de notre génération, surtout ceux du Tiers Monde, doués de sensibilité et de conscience, et davantage ceux d’entre nous, étudiants, intellectuels, travailleurs éclairés qui étions dans la vingtaine.Le monde bougeait... Une période de particulière effervescence et de remise en question.. Et en Ha?ti, en même temps que s’imposait “ le cataplasme de la peur et sa tiédeur gluante”, la lutte montait, faible, plaintive et dissimulée, comme un S.O.S. au monde sur la catastrophe qui s’était déjà installée.Le peuple, dans ses diverses expressions, résistait au fascisme rampant?; des groupes politiques naissaient, la résistance s’organisait?; le Parti d’Entente Populaire, fondé en 1959, par Jacques Stéphen [2] Alexis et un groupe de jeunes militants, grandissait dans la clandestinité?: la grève des étudiants éclatait, avec la colère de toute une jeunesse.Il fallait apprendre à militer dans l’exil, assumer les contacts avec l’intérieur, promouvoir la dénonciation du régime, assurer la solidarité internationale, écrire des articles, publier Ralliement, expression, dans l’exil de la pensée démocratique, faire conna?tre la réalité du pays. Pour cela, il fallait mieux comprendre Ha?ti. Recueillir de la mémoire collective ou du vécu, des informations ou des réflexions, tisser de nouveau les thèmes qui hantaient notre inquiétude quotidienne dans le pays, reconstruire les discussions avec Jacques Alexis, Gérald Brisson autour du Manifeste du Parti d’Entente Populaire, pour la nouvelle indépendance.Ces éléments devaient constituer, à la fois, les lignes d’analyse et les matériaux qui aidaient à reconstituer et comprendre le réel ha?tien. Ils nous permettaient, de nous ouvrir, telle une éponge, au monde universitaire et à la culture latino-américaines. En même temps, nous commencions à monter des cercles d’études avec d’autres étudiants ha?tiens se retrouvant au Mexique.La découverte de ce continent à travers son histoire, sa littérature, ses hommes et ses femmes fut en elle-même toute une aventure intellectuelle. Nous p?mes en même temps mesurer les bornes de l’enseignement classique en Ha?ti qui présentent l’histoire universelle et le monde à travers des prismes néocoloniaux et élitaires. L’intérêt qui commen?ait à percer en nous pour l’Afrique et le Tiers-Monde, dans cette quête de savoir, du coup se trouva élargi à un univers jusque-là insoup?onné. Ha?ti, en même temps per?ait, selon notre entendement, dans sa dimension afro-latino-américaine, afro-cara?béenne...En faisant le tour des bibliothèques de Mexico, des ouvrages d’une richesse extraordinaire s’offrirent à nous?; ceux de Louis Joseph Janvier, Anténor Firmin, Edmond Paul, Louis Marcelin, à l’époque introuvables. Ils nous aidèrent à mieux capter le XIXe siècle ha?tien, les grands traits de l’évolution économique et sociale du pays. Nous f?mes la connaissance d’une pensée sociale, qui tranchait avec l’enseignement des sciences économiques à la Fac de Droit, lequel évitait de mentionner les questions économiques ha?tiennes. Notre vision s’enrichit aussi, énormément par l’accès aux textes en Sciences Humaines sur l’Amérique latine, combien suggestifs dans le contexte historique et social de cette époque de bouillonnement des idées.Entre-temps un accident tragique bouleversa notre vie. Cette épreuve peu commune raffermit notre trajectoire de lutte sous-tendant nos efforts et nos rêves de chaque jour, pour survivre physiquement, fonctionner normalement et garder notre intégrité [3] psychologique. Nous d?mes pénétrer dans cet espace imprévu, de combat individuel, où rien n’est donné, rien n’est facile, tout est laborieusement à conquérir. Dans ce contexte, il fallut mettre la dernière main à cet ouvrage, qui était terminé dans ses lignes fondamentales dès l’automne 1962 - nous avions alors 26 ans - Cette t?che, partie intégrante de notre engagement en tant qu’intellectuel militant, nous aida à contrer l’adversité et à nous sentir utiles, bien que notre corps devenait inutile pour la lutte qui s’annon?ait et à laquelle nous étions disposés à tout donner.* * *L’ouvrage parut, en 1965 en espagnol. Des camarades et amis du Mexique, de l’Amérique du Nord, et d’Europe souscrivirent généreusement à la publication de l’édition fran?aise, qui vit le jour en 1967.C’était un moment où le drame de notre pays était connu à partir des seuls stéréotypes d’une presse occidentale, qui se référait presqu’exclusivement aux horreurs des tontons macoutes et de Papa Doc. Le livre fut accueilli dans les milieux académiques de l’Amérique latine, de l’Amérique du Nord, de France et des pays socialistes, comme une contribution à la connaissance d’Ha?ti. De nombreuses publications scientifiques en Amérique latine en firent écho. Le célèbre démographe fran?ais, Alfred Sauvy, dans sa chronique de lecture de livres dans “le Monde” lui consacre un élogieux commentaire?; de même la revue Amérique latine de l’Académie des Sciences de l’URSS.... Le livre devint une référence obligée pour tous ceux, de toutes idéologies ou de toutes positions politiques, qui se penchaient, avec sérieux, sur la réalité de notre société.Dans les universités étrangères, fréquentées par les ha?tiens, dans les cercles intellectuels et politiques, dans le pays même, malgré les risques qu’impliquait la simple mention du nom de l’auteur, le livre circula largement sous le boisseau et sensibilisa toute une génération à la réflexion sur l’économie du pays, dans son évolution, ses structures, et son panorama du moment.La revue Conjonction de l’institut Fran?ais, publia un long résumé du livre. Selon une information qui nous fut communiquée des années après, par le Directeur de l’institut, le Professeur Jacques Barros, qui avait eu le courage de publier ce texte, le numéro de la revue contenant l’article disparaissait systématiquement des rayons de la bibliothèque, subtilisé par quelque étudiant désireux de le faire lire par d’autres. Quel meilleur hommage pourrait mériter cette ?uvre, en ce temps d’obscurantisme, où l’on poursuivait les écrivains et même les détenteurs de livres, où l’on jetait les ouvrages dans les [4] latrines, où l’on essayait de bannir les noms des opposants et de gommer la conscience critique de la société.Le livre marquait donc une date dans la connaissance scientifique d’Ha?ti et dans la fa?on de voir, d’analyser, de présenter et de proposer des solutions aux grands problèmes nationaux, problèmes qui n’ont fait que s’aggraver depuis. De là l’intérêt, l’actualité de cet ouvrage....Faute d’un présentateur, un a?né, un collègue, un jeune spécialiste, qui pourrait évaluer ce livre, dans toute sa mesure, nous le présentons au lecteur ha?tien d’aujourd’hui... Nous le faisons sereinement, sans vaine gloriole mais sans fausse modestie, laissant à ceux qui étudieront l’histoire des idées économiques et sociales en Ha?ti le soin de situer à sa juste valeur, ce livre, dans son temps.Déjà, dans un article critique, publié par la Revue Nouvelle Optique, de Montréal, et qui fit date dans l’émigration, Claude Mo?se tenta un examen critique du premier chapitre du livre. Il projetait de fa?on déductive et implicite la critique à la conception globale de l’ouvrage. Cet article parut sous le titre “ Notes de recherche. Les théoriciens du mouvement révolutionnaire ha?tien et la formation sociale ha?tienne?: étude d’un cas”.En nous référant à cette polémique, nous voulons admettre publiquement le bien-fondé de certaines critiques que Mo?se nous adressait à l’époque, et que nous n’avions pas captées dans toute leur profondeur. Nous voulons surtout contribuer à poser et à reposer certaines questions qui demeurent pertinentes et même indispensables pour une compréhension des problèmes de développement de notre société.En préambule à son long article critique, Mo?se fait remarquer?: “une étude attentive de tout ce qui a été produit par les marxistes dans le domaine historico-social depuis Jacques Roumain jusqu’à Gérard Pierre-Charles, en passant par les analyses des organisations révolutionnaires ha?tiennes, ne peut que nous renforcer dans la conviction qu’un réexamen fondamental de la réalité historico-sociale demeure une des t?ches urgentes des intellectuels progressistes ha?tiens. Ce n’est pas amoindrir les mérites des pionniers du mouvement révolutionnaire ha?tien que de souligner les limites de leur action à la fois sur le plan idéologique et sur le plan politique... “...Dans l’ensemble, continue Mo?se, les principaux auteurs du courant marxiste ha?tien procèdent du même schéma. Certes aucun d’eux (à l’exception de Charlier) n’a entrepris une véritable étude historique, mais chacun s’est senti obligé (ce qui est légitime) de faire précéder ses analyses économiques ou sociologiques d’un bref mais significatif aper?u historique. C’est à Gérard Pierre-Charles que nous devons la tentative la plus nette d’embrasser l’évolution historique [5] d’un coup d’?il panoramique. Dans l’introduction historique à son étude sur l’économie ha?tienne, il a systématisé ce que nous appelons la vision commune des théoriciens marxistes ha?tiens de l’histoire d’Ha?ti. On peut certes, faire valoir que le préambule de son livre ne constitue pas une analyse historique en soi, mais il n’en reste pas moins qu’il met en évidence l’interprétation que l’auteur va donner du présent, c’est-à-dire, du régime économique et social actuel...”? partir de cette introduction, les observations de Claude Mo?se mirent l’accent sur les aspects suivants?:1)La définition du mode de production esclavagiste à Saint Domingue. La caractérisation qu’en fait l’ouvrage, selon lui, ne tient pas compte de l’insertion de l’esclavage comme source et moyen d’accumulation dans la dynamique du capitalisme mondial. 2)La transition du régime esclavagiste colonial au régime socio- économique postérieur. Il s’élève contre la thèse selon laquelle ce nouveau régime accuserait des traits féodaux et que la politique des principaux acteurs, surtout de celle de Toussaint - et Christophe (règlements de culture, système nobiliaire) correspondrait à la transition au féodalisme. Il récuse l’appréciation (que nous qualifions de progressiste) de la politique agraire de Dessalines, à partir d’une valorisation de son projet de réforme agraire et de nationalisation. 3)L’interprétation globale que fait l’ouvrage de l’évolution historique sociale ha?tienne?; il ne partage pas notre vision sur la nature et le r?le de l’?tat, des grands propriétaires fonciers et du militarisme, facteurs du maintien des rapports féodaux. Non plus, notre thèse sur l’existence d’un secteur libéral de la bourgeoisie dont le développement aurait été compromis par les structures internes de domination, et entravé par toute la politique de l’?tat oligarchique vis-à-vis de l’étranger.Ainsi, au centre de ces désaccords se situait le débat autour de la définition de la formation économique et sociale ha?tienne du 19e siècle.? ce sujet, nous devrions rappeler que ce débat fut initié en Amérique latine durant des années 60. Jusqu’alors, la science sociale d’inspiration marxiste, caractérisait comme féodale la société coloniale et celle du 19e siècle des pays du sous-continent. Au début des années 70, tout un courant néo-marxiste latino-américain entreprit une révision critique enrichissante des thèses en cours. Cette révision donna lieu aux théories de la dépendance lesquelles allaient élargir la compréhension scientifique des formations sociales latino-américaines.[6]L’Institut d’investigation économique de l’UNAM, avec Alonso Aquilar, Andres Gunder Frank, Fernando Carmona et la Revue Problemas del Desarrollo fut un des hauts lieux d’élaboration de ces thèses. Aussi, dès l’époque de leur gestation, nous e?mes à les discuter, à remonter dans l’histoire économique de l’Amérique latine, ce qui nous permit de différencier l’évolution historique ha?tienne de celle des pays de l’Amérique espagnole.En effet, pour toute cette école, qui a développé les thèses de la dépendance, l’insertion précoce des pays de l’Amérique latine^ à l’économie mercantiliste capitaliste mondiale, a configuré très t?t, dans ses sociétés, une structure à dominance capitaliste?; même lorsque celles-ci accusaient dans leur mode de production et les relations sociales des traits pré-capitalistes.Tout en partageant ces théories, à l’élaboration desquelles nous apport?mes notre contribution personnelle, nous estimions cependant que les traits de l’évolution ha?tienne ne correspondaient pas à la réalité latino-américain de l’époque coloniale et du 19e siècle...La polémique ouverte par Mo?se fut suivie par d’autres collègues. En particulier Jean Jacques Doubout, dans une brochure intitulée Capitalisme ou Féodalisme s’appliqua à démontrer que le capitalisme avait surgi avec les noyaux de travailleurs salariés qui se retrouvaient dans les premiers ateliers et plantations installés après l’indépendance.Cependant, au-delà de ces critiques ou divergences, notre interprétation de l’évolution historique devait inspirer ou influencer bien des collègues et disciples. En particulier, Beno?t Joachin, dans la conception de son livre les Racines du sous-développement Ha?tien. Pour cela, en plus de faire montre de fa?on magistrale de son métier d’historien, il pouvait utiliser toute la documentation de source primaire disponible à la bibliothèque Nationale de France. En empruntant, pour le titre de ce livre (sa thèse de doctorat de l’Université de Paris) un des sous-titres de notre livre, il rendait tribut, avec toute la rigoureuse honnêteté qui le caractérisait, à l’apport de cet ouvrage à sa compréhension de l’évolution historique ha?tienne.L’année 1968 fut celle de la recherche autour de la problématique politique ha?tienne, qui conduisit à la rédaction de Radiographie d'une dictature, ouvrage paru en espagnol au début de 1969. Jamais travail ne fut réalisé avec tant de responsabilité. Nous sentions que c’était la contribution publique la plus significative à apporter à la résistance en Ha?ti qui paraissait rentrer dans une phase décisive.Depuis notre arrivée au Mexique, nous accumulions de fa?on systématique tout ce qui était publié sur Ha?ti, sur Duvalier?: livres, brochures et journaux, que les amis du pays nous faisaient parvenir?; littérature de l’opposition à l’étranger, articles de la presse internationale. [7] Cette base documentaire et les données résultant des conversations et enquêtes avec les militants vivant au pays, rencontrés périodiquement, nous aidèrent à comprendre le phénomène Duvalier dans son insertion à la société globale ha?tienne et son contexte international.Dans le cadre de cette étude, sous le titre de “ à la recherche des causes premières” nous entrepr?mes de comprendre l’articulation entre le duvaliérisme et la base économique, le mode de production et les relations sociales. Un tel propos nous conduisit à approfondir, à nuancer nos analyses et à prendre conscience plus nettement de la complexité de la formation sociale ha?tienne, dans laquelle se trouvent imbriqués tant d’éléments contradictoires. Cela nous amena à comprendre qu’il convenait dans toute tentative de définition de cette formation, de ne pas simplifier l’interprétation à partir de catégories données, de modèles re?us, ou de schémas classiques?; il fallait interroger sans rel?che le réel pour mieux comprendre, au-delà des lois générales auxquelles nous n’échappons pas, les spécificités, les lois particulières, qui gouvernent l’évolution de notre société, dans sa géohistoire et sa personnalité culturelle. Il fallait voir et comprendre Ha?ti avec notre tête et nos yeux de marxistes ha?tiens, avec une sensibilité socioculturelle et une créativité scientifique. Cette démarche désormais a servi de guide à toutes nos réflexions et apports à l’étude de la réalité ha?tienne.* * *Le début des années 70 marqua une nouvelle période de notre vie professionnelle, avec notre intégration comme chercheur à plein temps à l’institut de Recherches Sociales de l’Université Autonome de Mexico. Désormais nous pouvions nous alléger des obligations, combien passionnantes et formatrices dans le domaine de l’enseignement de l’?conomie Politique, ou de la Méthodologie des Sciences Sociales, pour consacrer plus de temps à la recherche et à l’écriture. L’Institut offrait un champ de travail scientifique ouvrant sur l’Amérique latine. A partir de cette expérience cumulative, il nous fut donné de capter comment, dans l’analyse et l’interprétation du fait historique social ha?tien, les spécificités de notre histoire, de notre culture, de notre évolution socio-économique, devaient se comprendre dans le cadre global de l’économie mondiale.L’Institut, comme cadre de travail nous permit de lier connaissance et amitié avec de nombreux et éminents collègues latino-américains. Parmi eux, Pablo Gonzalez Casanova, dont la rigueur, l’intégrité intellectuelle et son culte “à l’imagination sociologique” nous a singulièrement marqué. Une collaboration à un ouvrage collectif, dirigé par le sociologue guatémaltèque Mario Monteforte Toledo?: [8] Amérique Centrale, Sous-Développement et Dépendance, nous permit de pénétrer dans l’évolution et les structures économiques et sociales de ces pays petits et retardés, si proches du n?tre et de mieux comprendre la dynamique du sous-développement et de la dépendance d’Ha?ti.Ce nouvel espace d’intérêts nous porta à nous interroger quant aux possibilités de coopération avec la République Dominicaine et bien entendu à rechercher, au plan de la connaissance, les prémisses d’une telle coopération. De là, l’initiative d’organiser en 1971, sous le patronage de l’UNAM, un colloque dominicano-ha?tien de Sciences Sociales qui mit face à face, une vingtaine de chercheurs, des deux pays. De fructueux échanges sur les thèmes liés à l’histoire et la société de l’une ou l’autre république ouvrirent la voie à toute une ligne d’apports sur cette épineuse et combien riche problématique. Cette rencontre renfor?a la connaissance et l’intérêt pour Ha?ti de chercheurs dominicains tels qu’Hugo Tolentino, Emilio Cordero Michel, stimula la vocation sur le thème d’André Corten, et initia de nombreux intellectuels ha?tiens à la réflexion sur cette question. Elle fut pour nous le point de départ de toute une série d’études sur la société dominicaine, dans son passé et son présent. Elle nous permit de nous lier sur le plan professionnel et humain à des collègues dominicains.Dans ce contexte, nous avons été amenés à mieux conna?tre Juan Bosch en tant qu’intellectuel. Il avait préfacé notre Radiographie d'une dictature. Nous nous rencontr?mes à Paris en 1971, à l’h?tel Danube avec sa femme Carmen. Il nous fit part de sa décision de mettre fin à son exil, pour aller récupérer le Parti qu’il avait fondé, le P.R.D., qui fonctionnait au pays sous le leadership de Pena Gomez et dont le contr?le lui échappait. Nos conversations avec Bosch nous encouragèrent dans la voie de l’étude des Cara?bes. Il venait alors de publier son ouvrage magistral de plus de 600 pages De Cristobal Colon à Fidel Castro, el Caribe frontera impérial. Curieusement, un livre parallèle, du point de vue thématique, devait sortir la même année sous le même titre, The Caribbean, From Columbus to Castro sous la plume de Eric Williams, leader historique et Premier Ministre de Trinidad Tobago.Ainsi l’approche de la réalité socio-politique, de la production scientifique et littéraire dominicaine nous conduisit à déboucher sur un champs d’étude inconnu, l’immensité de la mer Cara?be, des terres caraibéennes et de l’homme cara?béen.? cette époque, l’Université et le monde intellectuel mexicains bouillonnaient d’intérêt pour l’Amérique latine. Après les Jeux Olympiques de 1968, le Mondial de football de 1970, le pays, en pleine croissance, sous la présidence de Luis Echeverria se découvrait [9] une vocation latino-américaine et internationale. C’était l’époque du gouvernement de Salvador Allende au Chili, du régime progressiste du général Velasco Alvarado au Pérou, du retour de Péron en Argentine, du Général Nationaliste Omar Torrijos au Panama, de la chute d’Allende, et du bain de sang et d’horreur de Pinochet, de l’exode massif des exilés chiliens qui arrivèrent au Mexique, suivi de près des exilé uruguayens et argentins fuyant les dictatures fascistes...Les mexicains, quelle que soit leur formation intellectuelle ou idéologique, ont le sens de l’histoire. Sans doute parce qu’ils plongent leurs racines dans une grande culture millénaire, dans une conscience nationale particulièrement aiguisée. Ils surent comprendre le sens de la République espagnole et de la guerre civile en Espagne en 1936. Ils surent capter la signification de la révolution cubaine. Jamais ils n’acceptèrent le diktat des U.S.A. obligeant les gouvernements de l’Amérique latine à rompre leurs relations diplomatiques avec l’?le rebelle. Ils comprirent le sens de l’arrivée sur leur territoire de milliers de latino-américains, fuyant les dictatures... Les lettres, les sciences, la presse, les universités mexicaines s’ouvrirent à ces réfugiés, profitant de leur connaissance, exprimant ainsi leur solidarité avec l’Amérique latine et les Cara?bes.Nous consacr?mes près de 10 ans, clairsemés par les nombreuses autres t?ches académiques et politiques, à l’étude de la problématique sociale de la Cara?be. De cette démarche, surgit un livre, Genèse de la Révolution Cubaine, dans le cadre d’un travail de synthèse d’un demi siècle (1930-1980) d’évolution sociale économique et politique des nations caraibéennes. Cette recherche laborieuse, sous le nom de El Caribe a la Hora de Cuba, gagna en 1980 le Prix d’essai scientifique de la Casa de Las Americas et fut publié à Mexico sous le titre El Caribe Contemporaneo.Ha?ti, “étoile de mer sur la mer Cara?be” comme le dit Phelps, demeura au centre de nos recherches sur cet archipel merveilleux, microcosme de l’humanité opprimée, où se sont retrouvés toutes les formes, modalités, langues ou couleurs du colonialisme, du néocolonialisme et de l’impérialisme.Nous parcour?mes cet univers de long en large, dans des bibliothèques, dans les pages des ouvrages nombreux et divers, des revues, magazines, journaux, feuillets d’organisations politiques. Nous p?mes ainsi capter les mystères, les souffrances, les luttes et les espoirs de cette Cara?be fraternelle. Nos visites à plusieurs de ces ?les, nous permit de sucer, de chacune d’elle, la sève qui pouvait nous aider, par transposition, par analogie ou par opposition, à saisir et à comprendre ce monde global passionnant. En faisant le tour de l’archipel, nous f?mes frappés par la force et l’originalité de sa [10] culture. Nous f?mes aussi victimes des interdits discriminatoires qui frappent les esprits libres, dans les hauts lieux de l’intolérance ou de l’oppression implantées séculairement depuis l’arrivée des caravelles et les négriers. Jamais nous ne p?mes pénétrer, à cette époque pour les conna?tre du dedans, la citadelle de Puerto Rico, la place forte de Santo Domingo, ni bien entendu l’enceinte fortifiée des Tontons Macoutes.Ces interdits ne pouvaient empêcher la connaissance d’éclater et de filtrer au-delà des murs. Notre intérêt passionné pour l’humanité antillaise donna lieu à d’autres ouvrages, plusieurs articles, des rencontres scientifiques et à la fondation d’une chaire sur la thématique de la Cara?be à l’Université de Mexico. Recherches, écriture, conférences, dans un cadre de réflexions et d’expériences vécues, tout cela nous permit de nous imprégner de cet univers, dans sa variété historique, sa richesse culturelle, son unicité, la force de ses explosions sociales et la persévérance de son peuple dans cette séculaire marche vers la liberté. Cette marche nous conduisit à nouveau sur les rives ha?tiennes, le 30 avril 1986 après 26 ans d’exil.* * *La société, l’économie ha?tienne, un quart de siècle après garde les traits qui permettent de reconna?tre une silhouette ou un visage même réduit à son expression la plus dégradée...L’exil est comme une barque qui s’éloigne lentement, mais jour après jour, des rives où l’on est né. Celui qui s’est embarqué, du pays, en voit de moins en moins clair les contours... Il nous co?tait de plus en plus ces dernières années de capter les rides d’Ha?ti. Nous devinions ses charmes, de mémoire. Et nos analyses, nos ?uvres de synthèse gardant toute leur distance, devenaient plus pénétrantes.En 1978, un ouvrage intitulé La Crisis Ininterrumpida publié à Cuba, au Mexique et à Santo Domingo, essaya de situer la problématique de la crise ha?tienne dans ses dimensions historique et structurelle, mais les traits forts ne pouvaient nous échapper.En 1978, dans la revue Conjonction, et en 1980 dans El Caribe Contemporaneo, nous entrepr?mes d’analyser les tendances les plus récentes de l’évolution socio-économique. Les limites de la sous-traitance nous apparurent évidentes à un moment où le pouvoir et les économistes à son service parlaient de “ révolution économique”. Nous compr?mes qu’il s’agissait d’une fausse croissance, d’une industrialisation cosmétique, injectée de l’extérieur, qui n’allait point résister à la dynamique profonde des déformations structurelles.[11]En 1983, invité par le Hunter Collège de l’Université de New York à un colloque sur la problématique cara?béenne nous f?mes une rigoureuse critique du modèle de développement imposé à Ha?ti depuis 1915. Cette intervention, en collaboration avec Suzy Castor, soulignait la nécessité de la rupture permettant d’atteindre un développement national. Elle fut publiée sous le titre de Pouvoir oligarchique et alternative de changement en Haiti. Elle annon?ait le retour prochain au pays, qui nous ouvrit l’accès au livre des pulsations, des turbulences, de la température corporelle de notre société. La brochure, “ la crise sociale ha?tienne et la lutte pour les droits du peuple” essayera de capter cette nouvelle crise du système, qui se projette à un point tellement catastrophique, que son étude méritait une analyse approfondie pour en dégager les lignes de rupture.Dans cette perspective, et au risque d’une caractérisation trop sommaire, nous pouvons affirmer que l’état actuel de l’économie montre la continuité des traits de l’évolution structurelle, l’aggravation de ses distorsions et de son incapacité à promouvoir un quelconque processus de croissance soutenue. Cette réalité met en relief le fait que la “voie” adoptée durant ce dernier quart de siècle n’a pas été celle du développement sinon celle de l’anti-développement, de la dégradation de l’économie, des privilèges monopolistes, des contrastes sociaux les plus criards. Les traits de cette crise sont rendus combien évidents par la croissante baisse de la production agricole, la catastrophe écologique, l’impossible dynamisation de l’industrie, la corruption institutionnalisée, l’abandon des campagnes par des paysans. Conséquence de cette dégradation, 70% de la population d’Ha?ti vit dans la “misère absolue”, terme utilisé par les organismes internationaux pour se référer à une situation infra humaine de privation du droit à la vie, à la nourriture, à la santé, à l’éducation. Les records du sous-développement, détenus par Ha?ti durant les années 1960 se sont confirmés. Ils situent notre pays dans la catégorie des PMA (Pays Moins Avancés)?; cette sorte de 4e monde où se retrouvent les plus démunis du Sud...Cette dynamique de l’écart croissant entre Ha?ti et le monde contemporain a agrandi la brèche entre notre pays et ses plus proches voisins. Elle a eu pour corollaire une dépendance accrue vis-à-vis de l’étranger, une véritable condition de tutelle.La brèche est devenue tout aussi grandissante entre les 70% des ha?tiens qui ont moins de 10% du revenu national et les 5% qui en accaparent les 70%. Un véritable “ colonialisme interne” s’est installé, rendant de plus en plus flagrantes et insupportables l’injustice et l’oppression.La crise du système s’est approfondie à un point tel qu’elle est devenue évidente pour la majorité des ha?tiens. La prise de [12] conscience de cette réalité, la mise en question du système constitue un des éléments les plus marquants, au niveau des faits et de la pensée sociale des dernières années.Les concepts, les éléments de solution proposés à l’époque de la publication de l’?conomie ha?tienne et sa voie de développement paraissaient abstraits, audacieux, subversifs. Certains sont dépassés comme résultat de l’évolution historique ou de l’expérience internationale. Il n’est point question aujourd’hui, de “nationaliser le commerce extérieur”, comme nous les proposions il y a un quart de siècle. L’économie agraire d’exportation s’est effondrée, la structure économique est devenue plus complexe. Le capitalisme sauvage s’est renforcé, la crise de l’agriculture s’est aggravée. Le réaménagement du territoire se pose en des termes différents. Cependant, dans la mesure où les lignes de force de la structure économique et des mécanismes de fonctionnement du système demeurent, certaines idées ont fait leur chemin et gardent leur force. Aujourd’hui, les ma?tres mots de réforme agraire, restructuration du système fiscal, aménagement du territoire, redistribution plus équitable du revenu, politique anti-monopoliste et anti-corruption sont devenus parties intégrantes du vocabulaire des Sciences Sociales en Ha?ti, des revendications des secteurs démocratiques ainsi que des lignes programmatiques des organisations politiques les plus avancées.La pensée sociale et économique ha?tienne, à partir des interrogations et des apports de la génération des années 60 - Jacques Stephen Alexis, Gérald Brisson, Alix Lamaute - a été marquée sans doute par les technocrates-affairistes des années 70 ou ceux qui ont repris la réflexion dans le domaine économique sous l’influence des institutions internationales, AID, Banque Mondiale, F.M.I. Mais, ces influences se sont révélées peu productives en termes de paradigme de croissance, d’organisation sociale ou de rationalisation économique. Elles ne sont guère séparables de la faillite scandaleuse de ce qui paraissait constituer un projet développementiste d’une certaine portée, compte tenu des conditions favorables au plan international et de la longue période de “paix sociale” qu’a signifié le duvaliérisme. Faillite du projet commun, promu par l’?tat, l’élite économique, l’assistance étrangère.Aujourd’hui cette pensée socio-économique Ha?tienne, stimulée par le processus de prise de conscience d’une nouvelle intelligentsia, est partagée par d’amples secteurs de la population. Elle permet de comprendre la faillite du système et ses causes. Elle stimule la mise en question de ce système qui a conduit le pays à une dégradation croissante et le peuple à un niveau sans précédent de misère.Cette mise en question s’exprime sous des formes les plus diverses depuis 1986. Elle apparaissait d’une étonnante clarté pour les [13] cadres du mouvement démocratique et populaire, réunis en 1987 déjà, dans des séminaires de formation organisés par le CRESFED? et aussi chez nos étudiants de la Faculté des Sciences qui parvenaient, avec lucidité pratique, à identifier les grands problèmes nationaux et à mettre l’accent sur leurs causes. Ces mêmes débats se retrouvaient à d’autres niveaux de la critique sociale, à la radio, dans des réunions de base ou de groupes socio-professionnels. Ces idées commencèrent à se projeter, à partir d’une esquisse de projet de société, à la suite de l’accès au pouvoir en 1990 d’un gouvernement démocratiquement élu qui voulait assainir les finances, combattre la corruption, redéfinir le r?le de l’?tat, moderniser la gestion économique, augmenter la richesse sociale et la mieux partager.Le coup d’?tat du 30 septembre 91, en voulant balayer ce projet modernisateur et réformateur, devint le catalyseur de l’effondrement total du système, dans ses dimensions locales internationales, structurelles et fonctionnelles. Il frappa de plein fouet une économie nationale en préparation pour le décollage après une longue transition-dépression. Il provoqua des effets catastrophiques?: ajournement des réformes administratives de restructuration et d’assainissement de l’appareil d’?tat, décha?nement de la corruption, de la contrebande et de pires pratiques de pillage des caisses publiques, déstructuration des moyennes et petites entreprises par la concurrence déloyale et les privilèges monopolistiques, dislocation d’amples secteur du monde rural et de l’économie populaire par la répression dans les campagnes et les quartiers pauvres, qui a provoqué le déplacement massif des populations et l’émigration.? ces effets endogènes, se sont ajoutés les facteurs exogènes dérivés des sanctions économiques adoptées par la Communauté Internationale contre le régime issu du coup d’?tat?: suspension de l’aide étrangère bilatérale et multilatérale représentant jusque-là plusieurs centaines de millions de dollars, embargo, réduction des transactions internationales, fermeture de fabriques de la sous-traitance.Cet ensemble de conséquences du coup d’?tat a altéré le précaire fonctionnement du système, dégradé le tissu productif industriel et agricole, affecté la capacité financière de l’?tat et des institutions monétaires, menacé l’équilibre de l’offre et de la demande, contribuant à augmenter le co?t de la vie, à diminuer les revenus des [14] populations. Ainsi, toutes les instances de production, de circulation, de distribution, de rapports internationaux, de change de la monnaie en sont sorties affectées et l’économie nationale s’est enfoncée davantage dans le développement du sous-développement.Dans ce contexte, la faillite de ce système économique et social, diagnostiquée dans ce livre il y a 30 ans, se révèle plus évidente que jamais. Ce système archa?que, mélange d’un féodalisme suranné et d’un capitalisme b?tard, montre des signes de dégénérescence et d’agonie sans avoir jamais connu la vigueur de la jeunesse.Toutes les mesures prises depuis, pour réparer ses structures, refaire l’édifice économique ou sa fa?ade, se sont révélées inopérantes. Toutes les formules ou lignes pragmatiques de caractère développementiste, autoritaire, technocratique, interventionniste, néolibérale, se sont révélées inefficientes?: que ce soit le régime totalitaire comme cadre d’accumulation de capitaux et de concentration de richesses?; que ce soit l’aide publique étrangère infusée à profusion sous des concepts divers et qui atteignit 1 milliard de dollars de 1971 à 1986?; que ce soit la promotion d’un secteur moderne d’industries d’assemblage inspiré du modèle Taiwan devant remplacer d’agro-exportation (café, sucre) en déclin et créer des effets d’entra?nement pour l’ensemble de l’économie?: que ce soit la thérapeutique du F.M.I. omnipotent dans toutes les décisions de politique économique depuis quelques décennies et qui prétendit atteindre son expression néo-libérale sous le C.N.G.??; que ce soit l’émigration systématique comme politique économique de dépréssuration démographique et d’injection de devises.L’économie ha?tienne des années 90 est la projection de toutes les déformations structurelles, des dynamiques fonctionnelles de déstructuration propres à l’économie de marché ainsi que des privilèges monopolistes inséparables du système. Elle est le produit des maladies de carences aussi bien que des effets d’expulsion, d’explosion et d’attraction propres des déséquilibres régionaux, capital-province, monde rural - monde urbain, conservatisme et modernité qui naissent entres autres de la confrontation à un environnement nord américain surdéveloppée. Une économie qui ne parvient pas à la reproduction de sa capacité de générer des biens et services, ni au nécessaire renouvellement de ses structures pour faire face aux nouvelles impulsions et demandes du marché international.[15]En effet, face aux impératifs de reconversion et de modernisation, l’insertion du pays à l’économie mondiale reste conditionnée aux effets déjà profonds de la décomposition organique de certaines de ses structures et institutions. Dans ce cadre, les phénomènes obligés et spontanés d’adaptation fonctionnelle, s’accompagnent de mécanismes à la fois de déstructuration, de survie végétative, d’autodestruction, d’écartèlement, de pourrissement rendent encore plus problématique cette insertion et alimentent des processus devenus incontr?lables tels que la dégradation environnementale, la surpopulation, la prolifération de l’économie informelle, la bidonvillisation, l’émigration massive, la baisse de la production agricole d’exportation, le déclin des disponibilités alimentaires du pays, la dégradation des conditions d’existence des majorités qui se situent en-dessous de tous les seuils connus de pauvreté et de précarité.Le développement économique d’Ha?ti exige de la part de son peuple, de ses gouvernants, des élites économiques, des techniciens à tous les niveaux, une volonté et un don d’invention sans pareil pour une utilisation optimale des ressources du pays.Il faudra réduire les mécanismes de spéculation, de dépenses somptuaires, de bénéfices monopolistiques, reconvertir à des fins d’augmentation du produit social, les ressources financières, procéder à une efficace réorientation productive du capital national. Il faudra optimiser les revenus de l’?tat et les utiliser selon la plus sévère rationalité honnêteté?; mobiliser, canaliser, encourager, encadrer, rationaliser davantage, maximaliser dans ses rendements l’économie populaire tellement vitale et dynamique dans l’emploi, dans la production de biens et de services, dans l’agriculture et l’artisanat. Promouvoir la production et la mise en valeur des produits culturels, les plus variés, qui constituent notre domaine d’excellence, de performance, de potentialités et “d’avantages comparatifs”.On devra pouvoir capter des ressources de capital en provenance de l’extérieur par tous les moyens et rationaliser au maximum l’usage des ressources humaines techniques, ainsi que l’investissement préférentiel de l’émigration qui constitue une réserve extraordinaire. Il faudra créer des emplois dans tous les domaines, utiliser au maximum les ressources en main-d’oeuvre, trouver comment amener tout le monde à mettre la main à la p?te, inventer de nouveaux créneaux de production pour la consommation locale et aussi pour l’exportation, promouvoir des vocations touristiques, maximaliser les sources de financement provenant des institutions non gouvernementales, combiner de fa?on intelligente pour la construction des infrastructures, le financement externe et l’organisation du travail communautaire, l’utilisation intensive de la main-d’oeuvre et des technologies appropriées.[16]On aura à concevoir le développement national en dehors de toute orthodoxie néo-libérale, économiciste ou populiste, de tout mimétisme, de tout rêve impossible?: vivre le développement à partir des réalités, contraintes et limites qu’exige une situation tellement catastrophique que celle de notre pays et faire l’option consciente, comme étape obligée d’une économie de la simplicité devant passer globalement “de la misère abjecte à la pauvreté digne”. Réaliser le “développement dans l’équité”, assurer l’augmentation de la richesse nationale et son meilleur partage par la multiplication et l’élargissement à toute la population des services de base en matière de santé, d’éducation, de logement, indispensables à tout projet de développement humain, à tout effort de construction nationale Les problèmes de 1993 sont ceux de 1963 augmentés, multipliés, avec moins de ressources disponibles sans aucun doute, mais aussi avec plus de ressources humaines, et avec une volonté collective.Hier, nous étions une poignée à partager la grande utopie de pouvoir changer ce pays, aujourd’hui nous sommes beaucoup plus nombreux à y croire et à nous battre ensemble pour y parvenir.Port-au-Prince, le 22 juin 1993[3]Gérard Pierre CharlesAncien Professeur au Doctorat de la Faculté des Sciences Politiques et Sociales de l'Université Nationale Autonome de Mexico (UNAM) Ex-Membre du Système National de la Recherche Scientifique de Mexique.Professeur à la faculté des Sciences Humaines de l'Université d'?tat d'Ha?ti Directeur du Centre de Recherche et de Formation ?conomique et Sociale pour le Développement (CRESFED), Port-au-Prince.? Les ?ditions Henri Deschamps[4]Après l’?conomie Ha?tienne et sa voie de Développement, Maisonneuve et Larose, Paris 1967, l’auteur a publié de nombreux ouvrages sur Ha?ti, les Cara?bes et l’Amérique Latine, parmi lesquels?:Ha?ti?: Radiographie d'une dictature, Mexico 1969, Montréal 1971 - Port-au-Prince 1986.Sociologie de l'Oppression, Quimantu, Santiago de Chili 1973.Genésis de la Revolución Cubana, Mexico, siglo XXI, 7ème édition 1987.El Caribe Contemporáneo, Mexico, siglo XXI, 3ème édition 1988.El pensamiento socio-politico moderno en el Caribe, Fondo de Cultura Economica, Mexico 1986.Université et Démocratie, CRESFED, Port-au-Prince 1990.Le Système ?conomique Ha?tien, CRESFED, Port-au-Prince 1991.Vision Contemporaine de Toussaint Louverture, CRESFED 1993Ha?ti?: Pese a todo, la Utopia, Universidad de Puerto Rico, Rio Piedras, Puerto Rico 1997.[5]L’?CONOMIEHA?TIENNEET SA VOIE DED?VELOPPEMENT[6][7]L’économie ha?tienneet sa voie de développementINTRODUCTIONEN MANI?RE D’INTRODUCTIONRetour à la table des matièresL’étude analytique de L'?conomie des pays sous-développés présente, le plus souvent, des généralités et des abstractions techniques, éclairées ?à et là de données statistiques minutieusement recueillies. Retrouver du réel, en définir les contours, voilà une entreprise hardie, Jamais aisée pour le chercheur voire pour le non initié. D’ailleurs, l’instrumental d’investigation académique, dans la plupart des cas se relève adapté aux exigences et à la nature exclusives du capitalisme contemporain En abordant l’étude de l’?conomie ha?tienne, nous n’avons, malheureusement, pas eu à portée de la main dans la mesure où nous le désirions, de nombreux modèles d’analyse objective de la réalité des pays sous-développés. Cette insuffisance a été en partie comblée, par notre passage à l’Université Nationale Autonome de Mexico. ? la Faculté d’?conomie, un effort constant se poursuit pour associer, à l’?conomie Politique traditionnelle, les instruments d’analyse marxistes, en vue de faciliter la compréhension des phénomènes socio-politiques des pays dépendants ou semi-dépendants. Un tel enseignement a orienté notre recherche d’une méthode d’analyse applicable à l’?conomie de notre pays.Nous sommes redevables du Centre d’?tudes Supérieures Latino-Américaines d’acquisitions non moins précieuses. Les problèmes économiques, socio-politiques et culturels de l’Amérique Latine y sont exposés avec réalisme par d’éminentes personnalités universitaires. Notamment le sociologue argentin Ezéquiel Martinez Estrada, l’historien costaricain Vicente Saenz, récemment décédé, le docteur Edmundo Flores, le professeur Guillermo Garcès Contreras de l’Université de Mexico. L’étude des caractéristiques de cette “zone géographique de la faim ” a élargi notre vision de la situation ha?tienne.Un stage de quelques mois à la Banque de Développement du Mexique - La Nacional Financiera S.A. - nous a été fort profitable.Nous nous sommes efforcés de consulter une ample bibliographie sur le thème du sous-développement. Celle-ci nous est venue des organismes économiques des Nations-Unies, des cercles académiques des pays occidentaux, des ?tats-Unis surtout. [8] Nous avons patiemment fouillé la vaste littérature sociopolitique s’y référant Ces travaux d’approche devaient préparer, accompagner et étayer nos recherches et hypothèses sur la réalité économique d ’Ha?ti.? l’instant même où naissait l’idée de l’accomplissement de ce travail, nous nous sommes heurtés au défi que constituent, pour la recherche économique, l’insuffisance de données chiffrées, la quasi-inexistence d’investigation nous précédant dans plusieurs domaines que nous prétendions explorer. La principale difficulté consistait sans nul doute à recueillir - vivant hors du pays - les matériaux qui allaient servir de substance à nos hypothèses analytiques, permettre leur vérification et dessiner les projections dynamiques du développement économique de notre société.L’analyse patiente du passé et des études réalisées à différentes époques, sur divers aspects de la vie nationale, nous ont aidé à tracer le schéma de son évolution économique. L’épluchage systématique de nombreux documents et ouvrages laborieusement rassemblés a permis d’établir le “fait” économique ha?tien dans ses constantes et sa nudité.Mais - peut-on se demander - en dehors de tout bagage théorique et de l’étude des textes, l’auteur, pour entreprendre ce travail, possédait-il, du réel ha?tien, une connaissance suffisante, laquelle ne s'acquiert que par l’observation directe?? La préoccupation d’atteindre la rigueur scientifique n’a-t-elle pas été en partie compromise, faute d’examens des phénomènes économiques sur les lieux même de leur déroulement.Ce n’est pas sans perplexité que nous nous sommes parfois posé ces questions. Le “recul géographique” certes, facilite en certains cas la prise de conscience de bien des particularités du retard économique national. Ces particularités s’imposent au voyageur ha?tien dès son escale à Santo-Domingo, à Kingston ou à Miami Jamais cependant, cette “vision lointaine” qui suscite des réflexions sur la situation ha?tienne, ne peut suppléer à la connaissance des faits sociaux.Nos études en Sciences sociales et Administratives, à l’Université de Port-au-Prince, nous ont initié à l’analyse et à l’interprétation des problèmes de l’économie nationale. M. Fran?ois Latortue, professeur d’?conomie Rurale et d’Economie sociale, M. Alain Turnier dans sa chaire de Finances Publiques, M. Ernest Bonhomme, professeur de la Théorie de l'Organisation Administrative, ont, en plus de leur enseignement académique, consciencieusement mis à notre disposition leur grande connaissance des faits et pratiques économiques ha?tiennes.[9]L’expérience du vécu a porté sa contribution. Les ??découvertes?? de notre adolescence dans les quartiers pauvres de Jacmel, notre ville natale, nos longues randonnées à travers la paysannerie, le travail à l’usine et les activités syndicales, autant de contacts directs avec “L’économique”, qui à priori enlèvent tout caractère abstrait à notre effort d’analyse. Et puis, la propre condition d’homme appartenant à une communauté dynamique secouée par la crise de son évolution implique parfois l’obligation d’une compréhension correcte des faits. L’identification aux tendances les plus vitalement intéressées à la connaissance du réel ne suppose-t-elle davantage??Cette étude de l'?conomie ha?tienne et de sa voie de Développement?? peut susciter bien des controverses. Nous aurions en partie atteint notre objectif, si la discussion la plus large et la plus constructive permettait d’approfondir davantage les thèses soutenues. Maintes fois — nous le répétons — nous avons pénétré en terrain vierge. Il nous est arrivé de profaner de vieux mythes, des fétiches, des tabous. La recherche de la vérité objective - cette vérité pratique dont parle Eluard - nous a servi de boussole. Nous en avons suivi la route. Elle s’ouvre sur la perspective du devenir historique.Cet ouvrage n’est pas une photographie de l’économie nationale d’aujourd’hui. Nous avons cru plus important de rechercher et de montrer, partant d’une définition du mode de production, les rapports étroits et contradictoires, de caractère interne ou extérieur, qui gouvernent les phénomènes de distribution et circulation d’exploitation et de paupérisation. Ces rapports constituent les lignes de force de la situation socio-économique et politique, telle qu’elle s’est présentée en permanence dans notre pays, et se manifeste encore dans sa phase critique actuelle.Nous avons pu apprécier combien nombreux et riches demeurent les champs d’investigations encore inexplorés, bien qu’ils renferment les éléments indispensables à toute formulation de politique économique.L’ouvrage a considéré, dans leur Juste valeur, les idées, enseignements et opinions des représentants clairvoyants de notre peuple, qui, dans le passé, se sont prononcés sur les questions économiques et financières ha?tiennes, ou ont exprimé des vérités et des nécessités remarquables encore aujourd’hui Dans tous les cas, il a tenu compte des vraies valeurs appelées à s’intégrer dans une transformation de notre société.Nous nous sommes efforcés de rendre ce travail accessible au plus grand nombre, en veillant à ne pas sacrifier son caractère technique. L’amplitude et la profondeur du drame ha?tien sont incompatibles avec les euphémismes ou les tendances à considérer les domaines économique et financier comme la [10] chasse gardée d’un petit groupe de spécialistes employant un langage ésotérique.Nous remercions en tout premier lieu, notre épouse et compagne, qui par son dévouement nous a permis d’offrir cette ?uvre au public. Elle y a collaboré à plus d’un titre?: soit en nous prodiguant ses conseils, soit en participant aux recherches, retardant ainsi la présentation de sa thèse de doctorat en Histoire.Le Docteur Rémy Bastien, la Dra Maria Teresa Taral, les professeurs Benjamin Recthkiman et Félix Espejel de l’Université de Mexico ont accepté de nous prêter leur entière collaboration.? tous nos compatriotes résidant à Mexico, qui ont manifesté à notre égard un intérêt fraternel, en particulier au Docteur Guy Duval dont le concours généreux, en un moment difficile, a contribué à la parution de cette ?uvre, nous renouvelons l'expression de notre gratitude. Des amis d’Ha?ti et de l’étranger ont porté à la publication de ce travail une attention effective. Nous ne saurions oublier leur aide désintéressée.En cette heure angoissante de la vie nationale, nous aurions la satisfaction d’avoir servi le pays, si ce livre pouvait aider à une meilleure compréhension des problèmes fondamentaux de l’?conomie ha?tienne.Gérard Pierre-CharlesMexico, janvier 1964[11]L’économie ha?tienneet sa voie de développementAVANT-PROPOSRetour à la table des matièresUn aspect sociologique du sous-développement, cumulatif du retard des communautés pauvres est l’impossibilité matérielle à laquelle elles se heurtent à s’interroger sur elles-mêmes ou à faire conna?tre leurs problèmes.Les majorités démographiques, objectivement intéressés à conna?tre la cause de leurs maux, n’accèdent guère, trop souvent à l’alphabet. Quand elles veulent manifester leur droit à la culture, cette aspiration est contenue... Les élites traditionnelles sont trop attachées au statut quo pour se poser des questions, ou mettre en question quoi que ce soit?!Le public cultivé et progressiste des pays avancés, pris dans l’engrenage de la civilisation technique se voit bousculé dans sa recherche d’information sur les problèmes contemporains, par la multiplicité des options. Rarement il dispose du temps suffisant pour regarder loin dans l’espace et le temps...*Le “calcul économique” au niveau de l’éditeur appréhende tout de suite cette réalité. Le variable “marché du livre” s’interpose donc à la recherche scientifique. Et parce qu’ils sont sous-développés nos pays ne disposent ni d’institutions de recherches ni de fonds de financement à la recherche scientifique...La bibliographie en Sciences Sociales, quand elle n’émane pas de cercles académiques ou politiques étrangers, demeure exclusivement au stade de manuscrits inédits, de thèses universitaires qui gisent dans les tiroirs.Nos pays sont donc connus pour leur exotisme “best seller”, exotisme naturel ou politique... Et leurs drames demeurent ignorés?!En ce qui concerne Ha?ti, n’était la plume, à la fois pinceau d’artiste et bistouri d’anatomiste des écrivains nationaux tels jacques Roumain et Jacques Alexis?; ou les études du professeur fran?ais Paul Moral, notre réel social et humain eut été encore une totale inconnue?! Même pour les Ha?tiens...*[12]Une version en langue espagnole du présent ouvrage a vu le Jour à Mexico en 1965. Elle a suscité un accueil favorable en Amérique Latine plus réceptif au drame ha?tien, modèle réduit avec ombres fortes de la tragédie d’un continent pris dans l’alternative?: domination - rachitisme - soumission ou rébellion - croissance économique - progrès social.Le public ha?tien a eu écho de l’ouvrage par un résumé publié dans la Revue Conjonction de l’institut Fran?ais d’Ha?ti (ao?t 1966). Cet écho traversant l’opacité de la distance laisse présager que le livre sera bien re?u. L’atteste déjà, l’intérêt manifesté par de nombreux compatriotes qui ont généreusement coopéré à la présente édition et auxquels nous renouvelons notre remerciement.*? deux ans de la parution du texte espagnol, il a fallu réviser la version originale con?ue à la vérité dès 1961-62. Le souci de ne rien sacrifier du contenu a guidé ces retouches, que nous avons accompagné de l’ajustement des chiffres aux nouvelles données statistiques disponibles. D’ailleurs le sujet économique étudié n’a expérimenté aucun changement substantiel. A bien des égards son évolution a permis de vérifier certaines hypothèses qui s’imposaient à l’analyse...Cependant, remontant le chemin parcouru, nous avons découvert bien des insuffisances.L’approche de la question agraire en particulier n’a pas assez approfondi la réalité économique et sociale du féodalisme dans son dynamisme. Et le bilan descriptif du secteur capitaliste n’a guère embrassé dans toute sa complexité le phénomène du capitalisme à la campagne.Peut-être fallait-il aussi pousser l’analyse de la “Crise Générale de l’?conomie” jusqu’à détacher davantage les répercussions et manifestations de crise au sein des institutions socio- politiques?!Même les contours de l’objectif visé par notre Stratégie de Développement - L’?tat de Démocratie Nationale - devraient être sans doute précisés, rectifiés, en fonction même de l’évolution récente du Tiers Monde, marquée par l’expérience Ghana-Indonésie?!★Nous ne nous sommes pas empressés de relever ce qui pourrait être considéré comme faiblesses dans l’analyse, imprécisions dans les projections...”Un livre sans ombre, signale Aragon, est un non sens et ne mérite pas d’être ouvert”... Et dans l’état présent de la vie scientifique, de la vie tout court en [13] Ha?ti, prétendre faire reculer les ombres et les ténèbres est déjà toute une entreprise, combien audacieuse?!Notre effort constant pour mieux comprendre les fondements de la réalité agraire ha?tienne, nous a conduit en collaboration avec notre collègue, le brillant économiste Gérald Brisson, à consacrer une étude spéciale à cette question cardinale du développement socio-économique ha?tien. Sous peu donc para?tra la brochure “Les Relations Agraires dans l'Ha?ti contemporaine” qui viendra approfondir, corriger, amplifier les thèses du présent ouvrage autour de la question agraire.★Nous espérons que d’autres jeunes chercheurs nous suivront dans cette voie difficile. Nous les exhortons même. C’est tout un édifice à construire?![14][15]L’économie ha?tienneet sa voie de développementChapitre I?volution historiquede l’économie ha?tienneLe mode d'appropriation des terres qui s'est maintenu en Ha?ti, durant trop longtemps, tel qu’il était il y a un siècle, a causé de tels préjudices, porté de telles entraves au travail agricole, qu’on peut dire que des raisons sociales et non politiques, des idées économiques et non constitutionnelles, ont paralysé jusqu’ici l’essor du pays en paralysant le libre essor de l’agriculture.Louis Joseph Janvier, 1883?I. FONDEMENTS HISTORIQUESRetour à la table des matièresHa?ti a conquis son indépendance après une terrible lutte révolutionnaire qui dura de 1789 à 1804. Contrairement à ce qui s’est passé dans presque tous les pays du continent américain, ce ne furent pas les grands colons créoles qui menèrent la bataille, dans le but de se libérer du pouvoir de la métropole et d’obtenir ainsi le contr?le absolu des richesses accumulées par la colonisation. Les forces motrices de la révolution furent les esclaves, soulevés contre leurs ennemis de classe, décidés à éliminer une fois pour toutes le système esclavagiste et aussi à mettre fin à la dépendance politique et économique de l’ancienne Saint-Domingue?* vis-à-vis de la métropole fran?aise.La révolution ha?tienne surgit de l'énorme développement des forces productives accumulées durant les trois cents ans de vie de la colonie. Les installations primitives d’exploitation coloniale établies par les Espagnols à la fin du XVe siècle et par les aventuriers fran?ais à partir du milieu du XVIe, s’étaient multipliées et transformées, gr?ce au travail des esclaves, en de vraies “entreprises industrielles” dont la technique de production [16] s’améliorait de jour en jour. Le mode de production esclavagiste avait permis aux colons venus de la France précapitaliste du XVIIe siècle, de réaliser de grands bénéfices qui servirent à amplifier et à améliorer l’équipement de “l’industrie coloniale”. La bourgeoisie commerciale de la Métropole, gr?ce au Pacte colonial accumulait le capital devant financer la manufacture fran?aise naissante.A. Le grand développementdu mode de production esclavagiste.Retour à la table des matièresDurant tout le processus de développement du mode de production esclavagiste, les forces productives augmentèrent considérablement. En 1789, on comptait dans la colonie 452.000 esclaves, répartis sur 8.512 plantations et ateliers industriels dédiés à la fabrication du sucre, de l’alcool et à la culture du coton et du café. Au cours de la période 1783 à 1789, la production de Saint-Domingue s’était doublée, gr?ce aux importants investissements des financiers fran?ais?: la ville de Bordeaux y investit 1 milliard de francs à elle seule?. Il existait déjà en 1789, 792 usines sucrières alimentées par 74.323 hectares plantés en canne à sucre?; les plantations d’indigo couvraient 82.174 hectares, celles de coton 20.321 et celles de cacao 2.802 hectares?. Compte tenu de l’époque et des dimensions territoriales de la colonie, on se demande si en quelque autre part dans le monde on eut pu rencontrer une telle richesse.Ces grands investissements et les progrès techniques, comme l’introduction du moulin à eau pour le traitement de la canne dans la fabrication du sucre et des alcools, apportèrent un élément nouveau dans les relations de production?: la concentration de milliers d’esclaves dans les plantations et les ateliers. La lutte acerbe entre les classes, expression permanente des relations de production de la société esclavagiste, à laquelle s’était ajouté avec tout son poids l’antagoniste racial, entra dans une nouvelle étape, au sein de laquelle les idées de la révolution fran?aise purent prospérer. Les contradictions entre les intérêts des colons et ceux de la bourgeoisie fran?aise naissante, soucieuse de tirer le maximum de la colonie, devaient être le catalyseur de l’explosion.? cause de ces facteurs, beaucoup d'intérêts créés d’un c?té, et des conditions inhumaines de vie matérielle de l’autre, la Révolution ha?tienne prit un caractère destructeur et on vit les exploiteurs et les exploités rivaliser en violence et cruauté. [17] Cette particularité de la Révolution ha?tienne ne doit pas être sous-estimée?; elle a marqué l’évolution ultérieure du pays et a constitué un lourd héritage dont la majorité des nations américaines se sont vues libérées.Au moment de l’indépendance, il ne restait absolument rien de cette richesse matérielle qui valut autrefois à Saint-Domingue le nom de “Perle des Antilles”. La tactique de la terre br?lée, appliquée par les Ha?tiens à l’époque finale de la lutte, détruisit tous les ateliers, plantations et villes.Cette étude ne prétend pas aborder les étapes de la lutte de libération nationale, non plus considérer les facteurs politiques, ethniques et internationaux qui marquèrent son cours. Cependant, il para?t indispensable d’essayer de capter les formes selon lesquelles s’opéra la transition entre le mode de production esclavagiste et le suivant?; il convient aussi de définir les nouvelles relations de production engendrées par le passage de la société esclavagiste à la postérieure. Il est intéressant de souligner que la guerre d’indépendance dura quinze ans, mais qu’en même temps, sous l’action vigoureuse des forces alors existantes, l’économie enregistre de nombreux changements violents qui modifièrent profondément la structure du pays, en agissant sur le régime de propriété de la terre, sur les autres formes de propriété et sur tout le système économique en son ensemble.Quelle était la caractéristique du mode de production basé sur l’esclavage?? Elle consistait essentiellement dans la concentration de la propriété agraire en quelques mains?: en 1789, la population blanche s’élevait à 40.000 habitants, la plupart étant des fonctionnaires de la bureaucratie coloniale, soldats et artisans. Une minorité de grands planteurs possédait les 8.512 plantations de la colonie. “Certains colons possédaient des concessions si considérables qu’elles atteignaient 4,5 ou 10 lieues de long avec une largeur proportionnelle, dans un territoire aussi réduit que celui d’Ha?ti?.” La grande propriété représentait le type classique de la tenance agraire et la possession de centaines d’esclaves, le complément obligé de cette structure. De plus, une nouvelle classe intermédiaire avait apparu?: les libres, mul?tres et noirs?; parfois propriétaires de plantations et d’esclaves, mais souffrant de toutes les vicissitudes d’une société coloniale.La partie nord, centre économique du pays, avait été par excellence une zone de culture intensive de produits tropicaux, tels la canne à sucre, le café, lesquels réclament une nombreuse main-d’oeuvre servile. Ceci détermina en grande mesure [18] qu’elle f?t le berceau de l’insurrection générale déclenchée le 22 ao?t 1791. Sous la pression de celle-ci, les dispositions légales d’abolition de l’esclavage, furent dictées, le 29 ao?t 1793. Ces décrets consacraient un moment de crise dans les relations de production. Ils ne pouvaient d’un coup détruire la structure économique en vigueur?; les immenses plantations esclavagistes même endommagées, demeuraient propriété des colons, les masses même circulant librement par champs et vallées demeuraient toujours des esclaves potentiels qu’une disposition coercitive ou légale pourrait ramener sous le joug.B. Gestation de la société féodale.Retour à la table des matièresL’infrastructure esclavagiste commen?a à se démanteler quand l’insurrection permanente amena une autre classe sociale au contr?le du pouvoir politique. La classe intermédiaire des libres joua un r?le important dans le processus de transformation. Par la dualité de sa position, elle était intéressée à impulser ce changement tout en s’opposant aux revendications radicales des esclaves. Elle manifeste vis-à-vis du colon un antagonisme profond, motivé par sa situation économique et sociale inférieure?; d’autre part, sa condition privilégiée, comparée à celle de l’esclave, et la volonté de conserver ses propriétés contre toute menace de la masse aveugle de vengeance, lui dictent une attitude plus réaliste.La ligne de conduite de cette “classe moyenne” influencée par les antagonismes propres à cette formation sociologique, s’est forgée en fonction de ce dualisme des conditions matérielles et des aspirations qui en résultaient. Toussaint Louverture, son représentant d’alors?*, eut le génie d’associer à sa gloire de grand stratège militaire, une parfaite compréhension du r?le qu’exigeait de lui la nécessité de concilier, sur le plan économique et institutionnel, les revendications contradictoires de sa classe. Mais il restait à savoir si ces revendications antagoniques pourraient assurer le succès de la Révolution et satisfaire les masses avides de radicalisme.Après onze ans de luttes révolutionnaires dans la colonie, époque durant laquelle l’Espagne et l’Angleterre essayèrent de profiter des difficultés de la France dans “sa Perle des Antilles”, la physionomie de Saint-Domingue avait changé considérablement. Beaucoup de colons avaient émigré vers des terres plus clémentes, de nombreuses propriétés avaient été liquidées, en total ou en partie. Diverses réformes structurelles avaient été opérées dans le mode de production?:[19]1)Transformation dans la propriété privée de la terre?: beaucoup de plantations dont les propriétaires avaient émigré ou bien avaient été victimes de la révolution, étaient passées aux mains de gérants, affranchis, généralement militaires de l’armée révolutionnaire. Des 40.000 blancs que comptait la colonie en 1789, il en restait seulement 10.000 en 1800. 2)Changements dans le statut de droit et de fait de l’esclave?: les anciens esclaves qui n’étaient pas des soldats révolutionnaires permanents vivaient dans une plantation comme travailleurs temporaires et n’étaient plus soumis à la contrainte de type esclavagiste de la part des nouveaux ou des anciens propriétaires.Le choc provoqué par la Révolution avait presque détruit l’ancienne prospérité de la colonie. ? la fin de ces onze premières années, la personnalité de Toussaint Louverture couvrait déjà la scène politique et militaire de l’?le. Exploitant au maximum les contradictions “inter impérialistes”, Louverture s’était imposé à toutes les couches sociales de Saint-Domingue, à l’Espagne, la France et l’Angleterre comme l’unique homme capable de pacifier l’?le.Sur le terrain interne, Louverture essaya de concilier les inconciliables intérêts des exploités et des anciens exploiteurs, de l’esclave et de son ma?tre, de la classe affranchie et de celle des colons, des affranchis et des esclaves. Sur le plan international, il essaya de concilier les intérêts d’une ancienne colonie, orgueil du génie marchand fran?ais, “volée à la métropole par une bande de noirs”, avec ceux de la France, dont le chef d’alors. Napoléon, était intimement lié à la bourgeoisie fran?aise des Antilles? et se croyait ma?tre absolu de la vie et des biens de cette poignée de nègres amenés d’Afrique. La Constitution de 1801 fut la manifestation de cet effort illusoire de conciliation, dans un monde combien différent de celui d’aujourd’hui qui a vu pourtant s'effriter la Communauté Fran?aise des Nations.La Constitution de 1801, quant à son contenu idéologique, peut être considérée comme un document Juridique typique d’une société où sévit le mode de production féodale. Elle essaie de maintenir et de fortifier le régime en vigueur, contre toute tendance radicale des masses à introduire de nouvelles relations entre les propriétaires de la terre et ceux qui la travaillent.Les conceptions économiques sur lesquelles se basait cet effort institutionnel obéissaient à la loi de la correspondance entre les relations de production et le mode de production. Elles reflétaient l’obligation pour la classe des affranchis de remplir le vide laissé dans le “droit de propriété coloniale” par l’émigration [20] des anciens colons. Ainsi ce concept économique ne peut être qualifié de conservateur??: parmi toutes les idées prédominantes à cette époque, c’était un progrès notable et une conséquence du bouleversement du monde esclavagiste provoqué par la révolution en marche.Quel était donc, du point de vue économique, le contenu de la Constitution de 1801??Le premier élément qui attire l’attention est la disposition relative à la structure agraire?: interdiction formelle aux propriétaires de morceler leurs domaines en dessous de 50 hectares?; le principe de la grande propriété était donc consacré. ? ce point de vue, on peut dire que la transition de l’esclavage au féodalisme fut relativement suave, sans choc?; les terres des colons émigrés se conservèrent dans leur intégrité et la position économique des anciens libres se fortifia sensiblement. Nègres libres et mul?tres, fils de colons s’installèrent sur les terres vacantes, avec ou sans droit réel. La tenance de la terre définissait déjà le mode de production.Le deuxième élément, les relations de travail. La Constitution de 1801 maintenait les règlements de culture proposés par les autorités fran?aises comme concessions aux esclaves insurgés en 1791. Les paysans étaient obligés de travailler sur la plantation de 6 heures du matin à 5 heures du soir, et il leur était absolument défendu d’en sortir. L’unique innovation était l’introduction d’un “esprit nouveau”, l’esprit paternaliste qui a marqué si longtemps les relations de travail en Ha?ti?. L’article 15 établit que “chaque plantation est l’asile tranquille d’une active et constante famille dont le propriétaire de la terre ou son représentant est nécessairement le père”.En troisième lieu, la forme de distribution des produits du travail?: un système de champart, très semblable à celui existant dans certains pays d’Europe durant le Moyen Age, est introduit par la Constitution. Les produits de la terre se divisent en quatre parties?: une pour les cultivateurs, une pour l’?tat et deux pour le propriétaire.Le progrès de ce nouveau système économique sur le précédent est indiscutable. Il met clairement en relief, le vrai bond qu’a réalisé en si peu de temps la société de Saint-Domingue en passant du mode de production esclavagiste au mode féodal et aux relations de production correspondantes. La loi fondamentale de cette société, comme de toute société féodale, résidait dans la production d’un excédent devant satisfaire les nécessités du seigneur féodal?; cet excédent s’obtenait en exploitant les [21] paysans dépendants -les anciens esclaves- sur la base de la propriété du foncier sur la terre et d’une propriété limitée sur les travailleurs. Par ailleurs, la petite propriété individuelle faisait son apparition, timide, réduite?. Comme il est naturel, les caractéristiques de cette étape de l’évolution économique ha?tienne se sont formés dans le contexte d’une situation nationale, ethnique et historique différente de celles qui dominaient dans d’autres pays à cette même époque. Cependant, les fondements de cette étape historique sont ceux qui définissent le féodalisme comme système économique dont la survivance n’a pas disparu de l’actuelle société ha?tienne.? propos des relations économiques du régime de Louverture sur le plan international, on observe des nouveautés structurelles importantes. Tout le système esclavagiste était orienté vers le maintien et le développement d’un commerce exclusif avec la métropole suivant les clauses du Pacte Colonial?*. “En 1788, le commerce extérieur de Saint-Domingue, évalué à 214 millions de francs, soit donc 42 millions de dollars au taux de conversion de l’époque, dépassait celui des ?tats-Unis?. Les deux tiers de tout le commerce extérieur fran?ais correspondaient à Saint-Domingue. Elle alimentait aussi un trafic de contrebande avec l’Angleterre et les ?tats-Unis, dont l’importance a appelé l’attention des autorités fran?aises au point que chaque année de nouvelles prohibitions essayèrent de le freiner.Les rivalités entre les puissances colonialistes culmineront à partir de 1793 dans la guerre entre l’Angleterre et la France. Les ?tats-Unis surent profiter de cette situation en gardant une position neutre, ce qui leur permit d’alimenter les colonies anglaises et fran?aises en produits manufacturés. La conjoncture révolutionnaire existant à Saint-Domingue, la colonie la plus désirée à cause de ses richesses, fut utilisée au maximum par les Américains jusqu’à ce que les circonstances les obligèrent à interrompre ce fructueux négoce.L’apparition de Toussaint Louverture comme figure dominante de la politique de Saint-Domingue, excita la convoitise des autres puissances. Le leader noir, de son c?té, comprit tous les avantages que sa politique d’émancipation pourrait tirer d’un renforcement des liens commerciaux avec les ?tats-Unis. Ses conversations avec le représentant du Secrétaire d’?tat Pickering aboutirent à la signature de la convention du 13 juin [22] 1799, suivant laquelle était concédé l’accès des ports de l’?le aux bateaux américains. En plus, par son traité secret avec l’anglais Maltland?, et les dispositions ultérieures prises en faveur des agents commerciaux des ?tats-Unis, Toussaint sut mener une intelligente politique de diversification du commerce extérieur de Saint-Domingue. Il rompit le Pacte Colonial, ce qui lui permit d’obtenir les armes et les munitions devant assurer la consolidation de son contr?le sur l’?le enlevée à Bonaparte. Il put ainsi se procurer des biens de consommation les plus divers.Dans ces circonstances, Saint-Domingue pouvait prétendre n’être plus un appendice de la France. Ainsi libérée des attaches du Pacte Colonial, Saint-Domingue se transformait en une semi-colonie de la France.Cette politique commerciale était en flagrante contradiction avec le système économique érigé par le Gouverneur Général?: tandis que la première lésait les intérêts les plus vitaux de la bourgeoisie marchande fran?aise, ce dernier, en fait, servait les intérêts des colons ex-émigrés en leur assurant un régime de conciliation gr?ce auquel leurs intérêts étaient protégés, au préjudice même des anciens esclaves. (Mo?se Louverture, neveu de Toussaint, fut fusillé pour avoir critiqué cette politique). Ces nouveaux serfs ne se trouvant pas dans le régime implanté, la forme de vie sociale et politique pour laquelle ils avaient combattu, se montrèrent réticents dans leur appui à Louverture quand arrivèrent les forces expéditionnaires (20.000 hommes, janvier 1802) pour rétablir l’ancien régime.La rapide défaite de l’illustre guerrier, en une guerre de trois mois, fut la manifestation la plus s?re des contradictions existant au sein de sa classe et de l’échec de sa politique économique.Tenant compte, au cours de cette analyse, du développement naturel des modes de production et des relations qui en découlent, le régime féodal de Louverture a été considéré, sur le plan économique comme une évolution naturelle du système esclavagiste et une étape également naturelle du développement historique. Les faits démontrèrent clairement que sur le plan politique et celui de la stratégie révolutionnaire, le système établi par Toussaint était peu viable et illusoire?: les masses ne purent s’identifier à un régime qui ne s’était pas soucié de défendre leurs intérêts, sinon, au contraire, avait pris le parti de la classe des affranchis et des colons. Sous la pression des redoutables forces extérieures, des menaces d’une puissance colonialiste de l’importance de la France du XVIIIe siècle, le processus historique ha?tien parut s’écarter, en un moment déterminé, [23] du développement naturel et enregistrer un effort pour mitiger l’étape féodale inconciliable avec la lutte anticoloniale. L’histoire ha?tienne offre à cet égard une originalité surprenante. Dessalines, le successeur de Toussaint, posa pour la première fois dans notre histoire et celle de l’Amérique, la question de la distribution de la terre à ceux qui la travaillent.C. La réforme agraire de Dessalines.Retour à la table des matièresLa dernière étape de la guerre d’indépendance, qui culmina par la déclaration de l’indépendance le 1er Janvier 1804, se caractérisa par une tension extrême dans les relations économiques, sociales et politiques à Saint-Domingue. La lutte des classes s’était aggravée plus que jamais à cause de l’antagonisme racial entre les Noirs et les Blancs?; et les deux classes. Esclaves et Affranchis, de race noire, avaient oublié leurs propres contradictions économiques, pour s’unir dans la lutte de libération nationale. Jean-Jacques Dessalines, ancien esclave, dont le radicalisme s’intégrait et se confondait avec les revendications les plus profondes des masses populaires, Alexandre Pétion, Henri Christophe, les deux authentiques représentants de la classe intermédiaire des affranchis et de ses deux ailes, mul?tre et noire, se mirent à la tête du front national contre l’ordre colonialiste, jusqu’à l’obtention de la victoire totale.Le jeune ?tat naquit au milieu des ruines?; la destruction systématique des plantations, des ateliers, de toute la richesse matérielle accumulée par trois siècles de colonisation, la perte de milliers de vies humaines?: tel fut le prix payé pour l’indépendance.Deux t?ches essentielles se posèrent à la nouvelle nation?: la consolidation et la protection militaire de l’indépendance conquise et le formidable travail de reconstruction et d’organisation économique.Pour réaliser la première, il fut indispensable, sur le plan institutionnel, de maintenir l’armée populaire qui avait créé la nation. Les forces ha?tiennes de terre comptaient 49.500 hommes et celles de mer 3.000?; soit donc un total de 52.000 hommes, sur une population de 825.000 ?mes?. Les achats d’armes et de munitions aux commer?ants de Philadelphie, la construction de nombreuses forteresses, comme la Citadelle du Roi Christophe, la nécessité de conquérir la partie orientale de l’?le afin d’enlever aux contre-révolutionnaires fran?ais une tête de pont contre la jeune république, toutes ces obligations, intimement liées aux conditions objectives du moment, furent une lourde charge pour le pays et dévièrent vers des fins non productives, [24] une bonne part des ressources financières et humaines qui normalement auraient servi à l’impulsion du développement économique.Quant à l’?uvre de reconstruction, elle commen?a au lendemain de la Déclaration de l’indépendance. Elle s’orienta comme il est naturel, vers la terre qui avait été la base de la richesse de Saint-Domingue et constituait le facteur primordial de l’évolution historique d’Ha?ti?: vers la question agraire dans ses divers aspects de propriété et d’administration. Le système de fermage des plantations abandonnées avait été con?u en 1796 quand les colons laissèrent le pays. Leurs biens furent séquestrés, affermés. Celui qui revenait, l’ancien émigré regagnant Saint-Domingue, était remis en possession de son ancien domaine. Sous le gouvernement de Dessalines, ces biens furent nationalisées?, et un organisme spécial appelé ??Administration des Domaines de l’?tat?? fut chargé d’administrer, de contr?ler la culture des biens agricoles et la mise en valeur des domaines, de centraliser la production de sucre, etc., et également de réaliser la politique économique tracée par le fondateur. ??La proclamation de l’indépendance a eu comme effet Juridique immédiat la disparition de la propriété coloniale.??? Le décret du 2 janvier 1804, supprime les formes déguisées et évoluées de ladite propriété. La Constitution de 1805 confirme le transfert au patrimoine national de tous les biens fonciers ayant appartenu aux colons. La constitution de 1805 arrive jusqu’à proclamer?: ??La propriété appartient à la Nation Ha?tienne.??La volonté de réunir entre les mains de l’?tat toutes les richesses des anciennes classes possédantes, entra en choc avec les revendications des généraux de l’ancienne classe des affranchis, noirs et mul?tres qui désiraient s’approprier des biens des colons ou l’avaient déjà fait avant l’indépendance. La fameuse question de la vérification des titres de propriétés est un épisode parmi tant d'autres de la résistance des composants de l’ancienne classe Intermédiaire au plan de Dessalines?; elle fut la manifestation évidente de l’opposition de cette classe à la politique de constitution d’un patrimoine national, préconisée par le libérateur. Elle peut être considérée comme une expression de la lutte de classe entre les deux tendances qui partageaient les dirigeants du mouvement. “Dessalines se plaignait de ce que les biens qui avaient appartenu aux Blancs et qui auraient d? rentrer dans le patrimoine de l’?tat, devinssent propriété de nombreux particuliers qui déjà avant la révolution avaient un “bien-être”. “On trouve, disait Dessalines, des protecteurs, des [25] complaisants, pour se faire mettre en possession de ces biens. N’est-ce pas voler impunément?? Eh bien?! De même que je fais fusiller ceux qui volent des poules, des denrées et des bestiaux, je ferai mourir ceux qui permettent par complaisance qu’on se mette en possession des biens de l’?tat. Qu’on ne pense pas que je parle un vain langage, car sur ma foi de Jean Jacques, c’est ce que je ferai?.” La tendance fondamentale de la politique agraire de Dessalines fut, d’une part, de mettre les richesses agraires nationalisées sous le contr?le de l’Administration des domaines afin d’enrichir le patrimoine national du nouvel ?tat?; d’autre part, de rendre propriétaires les anciens esclaves combattants, au moyen d’une distribution plus équitable d’une partie des propriétés coloniales. “Nous avons fait la guerre pour les autres. Avant notre soulèvement, les hommes de couleur, fils de Blancs, ne recueillaient point l’héritage de leurs pères. Comment se fait-il qu’après avoir expulsé les colons, leurs fils réclament leurs biens?? Et les pauvres nègres dont les pères sont en Afrique, ils n’auront donc rien?? Attention, nègres et mul?tres, nous avons tous combattu contre les Blancs?: les biens que nous avons conquis en répandant notre sang appartiennent à tous et je veux qu’ils soient distribués en toute équité.?” Il est certain que Dessalines n’a pu réaliser cette distribution effective des terres à tous. Mais, si on considère l’époque à laquelle furent exprimées ces conceptions économiques, il faut louer le génie intuitif et pratique de ce révolutionnaire. Le r?le assigné à l’organisme d’Administration des Domaines constituait la forme la plus avancée d’intervention de l’?tat dans la vie économique, concevable à l’époque. Cependant, le développement des forces productrices et des relations de production n’avait pas évolué en accord avec cette superstructure légale qu’essayait de construire Dessalines. Les ressources financières du jeune ?tat étaient réduites, orientées vers la défense de la révolution?: les instruments de production et les fabriques avaient été détériorés ou détruits?: l’ancienne main-d’?uvre servile n’avait pas de connaissances techniques.Précisément à cause du manque de correspondance entre les dispositions institutionnelles et le mode de production existant, la nationalisation des biens n’amena pas les bénéfices qu’on pouvait escompter. Ces biens de l’?tat furent plus tard accaparés de différentes manières par les fonctionnaires civils et militaires. Leur existence introduisit dans l’économie rurale ha?tienne une caractéristique très spéciale?: le latifundisme d’?tat. Cette particularité qu’est la possession par l’?tat de [26] grandes propriétés territoriales, généralement désoccupées ou affermées, montre précisément les limitations des nationalisations entreprises par Dessalines. Ce serait une erreur de voir en même temps dans celles-ci une manifestation du caporalisme agraire? ou de les juger selon les idées et pratiques économiques contemporaines en matière de nationalisation. L’atavisme du régime esclavagiste et colonial, de même la conjoncture historique, empêchèrent à cette politique de nationalisation d’être autre chose qu’une expérience peu commune dans l’évolution économique mondiale?*.D. Indépendance intégrale et politique commercialeRetour à la table des matièresSur le plan de sa politique économique générale, à l’aube de l’indépendance, en même temps que le droit de propriété était refusé aux Blancs dans le but de protéger l’intégrité nationale, Dessalines s’effor?a d’orienter le commerce extérieur d’Ha?ti vers les marchés les plus divers. L’héro?que bataille menée par cette petite collectivité de Noirs et gagnée contre l’orgueilleuse France, avait ouvert à l’Angleterre, séculaire ennemie de la France, la possibilité d’un commerce sans restriction avec Ha?ti, ce pays de richesses fameuses?; elle suscita aussi, chez cette autre puissance colonialiste, la crainte de voir l’exemple de cette ?le des Antilles devenir contagieux pour les colonies anglaises des Cara?bes. Afin d’éviter ce danger et en même temps de continuer son commerce avec le nouvel ?tat, depuis janvier 1804, le Gouverneur de la Jama?que proposa à Dessalines un traité commercial. Celui-ci ouvrirait les ports ha?tiens aux bateaux anglais, dans une sorte de commerce de monopole, mais sans la possibilité pour les bateaux ha?tiens d’aller à la Jama?que?. Dessalines préféra rejeter ce traité et répondit aux offres des Nord-Américains d’établir avec eux des relations commerciales très étroites.Un commerce intense entre Ha?ti et les ?tats-Unis assura le ravitaillement de l’?le en objets manufacturés, armes, aliments, et ceci malgré les pressions officielles de la France. Durant deux ans, de grandes fortunes se réalisèrent aux U.S.A, gr?ce à ce trafic. Les exportations de sucre, de coton et de café, qui obligatoirement devaient se faire à parts égales, stimulèrent l’agriculture ha?tienne en même temps qu’elles alimentèrent les [27] ressources fiscales?.La décision prise plus tard par le gouvernement américain de cesser ses relations avec Ha?ti, obéissait aux pressions de Napoléon en vue d’établir un “cordon sanitaire” autour des “rebelles” qui l’avaient dérouté. Heureusement les rivalités entre ces puissances à la recherche de marchés pour leurs produits manufacturés, et le réalisme commercial de l’Angleterre permirent à Ha?ti de ne pas être étranglée et de suivre sa marche de nation économiquement et politiquement libre.Dessalines tomba, victime de la conspiration conjuguée des deux composants, noirs et mul?tres, “de la classe d’hommes qui avant la révolution avaient tout le “bien-être”, ou voulaient consolider leurs grandes propriétés récemment acquises”. ? sa mort, les deux leaders de cette classe, Christophe et Pétion, dans leur lutte pour le pouvoir, divisèrent le pays en deux ?tats?: le Sud et le Nord.La politique commerciale que chacun adopta rappelle le désir du fondateur, de diversifier le commerce extérieur. Par ailleurs, Christophe dans le Nord, entreprit un notable effort pour organiser et amplifier le commerce avec l’étranger?; il promulgua, le 24 novembre 1806, c’est-à-dire un mois après avoir pris le pouvoir, une loi imprégnée d’un libéralisme très semblable à la doctrine proclamée par Adams Smith et les membres de l'?cole Libérale. “Quel que soit le pavillon qu’enseigne un bateau, le gouvernement se compromet à veiller soigneusement sur sa sécurité et ses intérêts... Le gouvernement a déjà ordonné la suppression des représentations exclusives, de l’imp?t sur le prix des marchandises, des privilèges accordés pour la vente du café, et de l’interdiction de charger du sucre. Chacun sera libre de vendre et d’acheter dans les conditions qui lui paraissent les plus avantageuses?.” Pétion, de son c?té, prit des mesures similaires en libérant de tous droits d’exportation, le sucre, le sirop de canne, le tafia, le rhum, etc., en supprimant l’obligation du chargement combiné de café, coton et sucre, établi par Dessalines.Pendant ce temps, l’Angleterre profitant de l’embargo américain du 28 janvier 1806, était arrivée à monopoliser presque tout le commerce extérieur des deux ?tats qui intégraient la Nation, bénéficiant durant de nombreuses années du statut de la Nation la plus favorisée. De plus, Pétion et Christophe avaient accordé des exonérations partielles de droits de douane aux marchandises anglaises. A partir du 14 décembre 1808, le gouvernement anglais autorisa officiellement le commerce entre Ha?ti et l’Angleterre, ce qui constituait une reconnaissance de [28] fait de l’indépendance de la nation noire des Cara?bes. On vit des bateaux ha?tiens, avec une stipulation ha?tienne, vendant leurs produits tropicaux à Londres et dans d’autres ports anglais.Malgré la prohibition officielle frappant le commerce avec Ha?ti, les U.S.A continuaient d’être attirés par les grands bénéfices réalisés dans le passé. Ils protestèrent contre le traité de faveur concédé aux produits anglais et essayèrent de renouer officiellement le trafic. La diplomatie ha?tienne profita de ce désir pour essayer d’obtenir la reconnaissance officielle de l’indépendance d’Ha?ti par ce pays. Dans le gouvernement américain, l’influence des fabricants de Philadelphie et des commer?ants du Nord inclinait en faveur des relations commerciales avec Ha?ti. Cependant, les représentants des féodo-esclavagistes du Sud, même quand ils reconnaissaient que l’argent n’a pas de couleur, travaillèrent vigoureusement contre tout ce qui pourrait constituer une consécration formelle du droit à l’existence de cet ?tat Nègre?*. Peu à peu, gr?ce à une activité chaque jour plus importante des agents commerciaux nord-américains accrédités dans l’?tat du Nord et la République de l’Ouest, les U.S.A. commencèrent à dépasser l’Angleterre dans le commerce avec Ha?ti. En juin 1822, les importations, à travers le port de la capitale ha?tienne, provenaient de divers pays dans l’ordre suivant??:Pays Valeurs en dollarsPoids (tonnes)?tats-Unis410,2929,935Allemagne et Hollande 203,1631,467Angleterre 200,1921,196France 136,5581,218Par ailleurs, Ha?ti occupait le septième rang dans les exportations américaines, après l’Angleterre, la France, Cuba, la Hollande, la Chine, l’Allemagne?.De son c?té, la France n’avait pas perdu l’espoir de reconquérir sa domination économique, en partie ou totalement, sur sa vieille et riche colonie. Dans cette lutte avec les autres puissances marchandes et contre l’“Indépendance intégrale” d’Ha?ti, la puissante arme qu’utilisait la France était la question en suspens, de la reconnaissance officielle de l’indépendance ha?tienne. Durant toute la période postérieure à la douloureuse gestation de la nation, le commerce extérieur d’Ha?ti fut profondément influencé par la concurrence aigu? entre les grandes [29] puissances pour la conquête du marché ha?tien. Tous recherchaient le bénéfice de trafics de faveur, soit par la voie consulaire directe, ou au moyen du Jeu des influences individuelles auprès des membres des gouvernements. “L’indépendance intégrale” de la petite et noble nation nègre était quand même un fait. Le Pacte Colonial avait été détruit pour de bon et aucun statut anti-colonial ne s’était encore imposé à la souveraineté économique du pays. La nouvelle classe dirigeante, formée par les deux courants, noir et mul?tre, de l’ancienne classe des affranchis suivait encore la politique de non compromission du Libérateur. Un patriotisme intransigeant dictait encore la conduite des hommes au pouvoir pour ce qui avait rapport aux relations économiques internationales.Un fait cependant paraissait compromettre l’avenir économique de la Nation?: la stagnation de la production. Malgré vingt années de reconstruction et d’efforts, celle-ci restait très inférieure au niveau de la production de l’époque esclavagiste. Les différents produits agricoles avaient évolué vers la baisse, comme l’indique le tableau suivant, des chiffres d’exportation??:Produits (livres)178918011820Sucre raffiné 47,576,531 16,540 787Sucre brut 93,500,500 18,500,000 2,500,000Café 76,000,000 43,000,000 35,100,000Ces chiffres donnent une idée très en dessous de la réalité du niveau de la production. On doit considérer le nouveau type d’économie impérant alors en Ha?ti. L’économie de la société esclavagiste était orientée essentiellement vers le marché extérieur?: seuls les colons et les affranchis, c’est-à-dire la huitième partie de la population, avaient un niveau de consommation “humain”. En fait, la capacité de consommation de l’immense armée servile était pratiquement nulle. D’ailleurs, les coutumes d’alimentation de la colonie et également les prescriptions du “Code Noir”, faisaient dépendre l’alimentation de l’esclave de produits non exportables comme le ma?s, le manioc et les patates. Dans l’ordre nouveau, au contraire, la libération de l’esclave, en améliorant ses conditions de vie, amena aussi une amélioration substantielle de son alimentation, créant ainsi dans le pays un marché intérieur?. “Les vivres abondèrent dans les marchés intérieurs et permirent à la population de se nourrir avec avantage, après les temps de dures privations?”, signale un historien en se référant aux temps postérieurs à l’indépendance. [30]Cependant, même en laissant une ample marge à l’augmentation globale de la consommation, on doit reconna?tre que le mode de production impérant ne put utiliser au maximum les ressources humaines et matérielles pour la création des biens et services, capables de stimuler le développement économique de la jeune nation.E. Consolidation du féodalismeRetour à la table des matièresAprès l’échec de la réforme agraire, comme la concevait et la voulait réaliser Dessalines, ses deux successeurs, Christophe et Pétion, sentent la nécessité de donner le coup de gr?ce à la structure agraire correspondant à l’esclavage. Ils posèrent l'un et l’autre ce problème dans le sens de leurs conceptions et de leurs intérêts de classe. Dessalines avait disparu avant de pouvoir mettre en pratique les généreuses dispositions qu’il affichait en faveur de ses “pauvres nègres”. Son unique réalisation avait été de réunir dans le patrimoine national une bonne partie des terres des colons. Pétion et Christophe, en arrivant au pouvoir, se trouvèrent en face de revendications de nombreux éléments de l’administration civile et militaire, frustrés par les dispositions de Dessalines ou qui, simplement, voulaient satisfaire leurs désirs de participer au banquet agraire selon leur grade ou les “services rendus à la République”.Le 9 février 1807, à peine quatre mois après l’assassinat du Libérateur, c’est-à-dire avant la fin de la lutte pour le pouvoir entre les deux leaders de l’ancienne classe des affranchis, le Sénat de la République de l’Ouest, contr?lé par Pétion, promulgua un décret très significatif, selon lequel, toutes personnes qui avaient été frustrées par le gouvernement antérieur, au bénéfice de “l’Administration des domaines de l’?tat”, pourraient reconquérir leur droit de propriété selon une procédure à la charge des autorités compétentes?.Quelque temps après, le président Pétion, dans une proclamation au Sénat, se référa aux “concessions immenses" de terre faites par son ennemi Christophe, dans le Nord, aux militaires. Il promit à chacun des généraux une plantation de canne à sucre. En fait, une loi au Sénat (22 septembre 1811) vient ratifier cette promesse présidentielle, étendant plus tard ces mesures en faveur du président lui-même et de l’administrateur général des Finances (loi du 21 octobre 1811)?. “Toutes ces concessions mesuraient à peu près 100 carreaux”?. [31] peu après, le Sénat autorisa la mise en vente de vingt et une grandes plantations appartenant au patrimoine national. Ces biens et beaucoup d’autres encore, furent vendus. Ils vinrent fortifier la position économique de ceux qui avaient assez d’argent pour les acheter?”, c’est-à-dire, les fonctionnaires, les militaires, les grands domaniers. ? la même époque, le gouvernement obligeait les soldats, les cultivateurs à travailler sur les terres de ces généraux et fonctionnaires, “les citoyens astreints au travail de la terre en étaient généralement appelés propriétaires, mais en réalité ils continuaient d’être les vassaux de l’?tat?”.Cette forme d’appropriation de la terre domina dans le Nord, contr?lé par Christophe, proclamé roi en 1811. La transformation de la bureaucratie civile et militaire en une noblesse imposante, composée de princes, ducs, comtes, barons et chevaliers eut pour corollaire logique la création systématisée d’un régime féodal?: “Un domaine rural était accordé aux nobles à titre de fief, en plus des concessions, dotations particulières accordées antérieurement aux membres du Royaume, ou que le Roi se réservait de régaler aux nouveaux dignitaires qu’il allait Installer. Ces derniers biens fonciers pouvaient être vendus ou hypothéqués, tandis que les fiefs étaient inaliénables et leurs produits non séquestrables. Le droit de propriété devait se perpétuer, à travers leurs enfants m?les légitimes par droit de primogéniture?." L’imp?t territorial était touché sur les fiefs à l’égal des autres biens fonciers. Selon le premier Edit Royal du 8 avril 1811, soixante nouveaux nobles re?urent en même temps que leur titre, leur portion? du patrimoine national, avec droit de propriété perpétuelle. Cette forme d’appropriation de la terre impliquait l’attachement correspondant du paysan, sujet du roi, au fief remis par celui-ci. Le code sur l’agriculture venait fortifier sur le plan juridique cette situation de fait commune à tous les régimes féodaux de tous les temps et de tous les pays. “L’homme restait attaché à la glèbe comme sous le régime de Louverture?.” Comme on le voit, à cette nouvelle phase de l’histoire ha?tienne, dominée par la présence au pouvoir des représentants de l’ancienne classe des affranchis, le mode d’appropriation de la terre est singulièrement différent de la “recherche d’une nouvelle [32] formule nationalisée ou parcellaire” du régime de Dessalines. Le mode de production est mieux caractérisé qu’à l’époque antérieure?: la terre appartient à un latifundiste qui possède un droit de propriété limité sur le paysan attaché à la terre. La technique et les instruments de production n’avaient pas évolué, au contraire, ils se trouvaient à un niveau inférieur. Les investissements dans la production et tendant à améliorer les instruments de travail faisaient défaut, à cause de l’état de guerre permanent, et des go?ts de luxe introduits dans les coutumes de cette classe de grands propriétaires. Cette nouvelle étape de l’évolution économique, une fois révolue la brève période de la Révolution intégrale de Dessalines, se soude au régime de Louverture. Elle se définit par elle-même en toute clarté comme le règne du féodalisme. Ce n'est nullement par hasard que les formes de métayage et de “deux moitiés” aient surgi précisément à cette époque?.Les relations de production correspondaient aussi au mode de production féodal. Le quart de subvention, l’imp?t territorial, les imp?ts sur la production, etc., constituaient les diverses formes d’accaparement des produits du travail du cultivateur, soit par le propre domanier, soit par l’?tat républicain ou monarchique, constitué et soutenu par les féodaux.Dans ces conditions, la situation économique de l’ancien esclave ne s’améliorait pas proportionnellement aux grandes fortunes foncières, chaque jour plus importantes. L’?tat féodal se préoccupait essentiellement de monter des fabriques de poudre. Le libéralisme au niveau des relations commerciales avec l’extérieur était précisément la manifestation de ce manque de préoccupation en contraste avec les dispositions de Dessalines. Celui-ci prohibait l’exportation des produits forestiers et ceux de la récollection, afin d’animer les industries productives?. En plus, l’?tat féodal, à cause du mode de production qui prévalait dans son sein, n’était pas capable de faire fleurir l’agriculture. Les généraux en service furent dotés de terre au même titre que les dignitaires royaux ou les fonctionnaires républicains, préoccupés surtout de Jouir du pouvoir.Pendant ce temps, la nécessité d’une distribution plus large de la terre se manifeste. Cette nécessité appara?t avec plus de clarté dans la République de Pétion que dans la Monarchie de Christophe, plus rigide dans sa discipline, plus confinée à la vie fastueuse de la cour. La sourde revendication des cadres moyens de l’ancienne armée de libération amena Pétion à constater enfin “que dans les ?tats naissants, en augmentant le nombre de propriétaires de la terre, on donne une existence solide [33] et réelle à la Patrie?.” Ainsi fut initiée une Réforme agraire plus ample. Elle atteignit certains officiers, anciens esclaves et de vieux soldats de la guerre nationale. Cette distribution de la terre avait pour objectif de satisfaire les cadres en activité de service depuis les colonels jusqu’aux lieutenants et sergents. Cependant, vu le nombre réduit de ceux qui bénéficièrent de cette mesure, il n’en résulta pas une modification profonde dans la tenure féodale de la terre. En effet, selon la loi du 25 avril 1814, des concessions de terre furent accordées aux militaires de la fa?on suivante??:Chef d’escadron ou de bataillon35 carreaux (45 ha 15)Capitaine30 carreaux (38 ha 20)Lieutenant 25 carreaux (32 ha 25)Sergent20 carreaux (25 ha 80)Cette disposition, en contraste avec les mesures antérieures du même Pétion et les concessions ou donations de Christophe, introduisit dans le régime d’appropriation de la terre, la petite propriété. Elle eut de grandes conséquences dans le développement ultérieur de la question agraire. Elle constitua une nouvelle pratique dans le droit agraire ha?tien et une mesure révolutionnaire sur le plan continental?: aucun autre pays de l’Amérique latine ne put implanter de pareilles dispositions dans leur régime agraire sinon beaucoup plus tard, jusqu’à la Révolution mexicaine de 1910.Cette nouvelle tendance de la politique agraire de Pétion eut une portée assez limitée, puisqu’elle fut appliquée seulement dans une partie du pays et pour un temps très bref. Avec la disparition de Pétion, son successeur vint restaurer dans tout le pays les conceptions et pratiques d’une classe féodale déjà fortifiée, par l’accaparement antérieur de la terre et du pouvoir politique. Le président Boyer, en unifiant la Nation sous son pouvoir “ordonna l’arrêt des lois promulguées par son prédécesseur qui concédait des terres aux fonctionnaires civils et militaires?.”Le régime féodal se révéla alors dans toute sa splendeur. Les années d’effort pour organiser le pays, entrepris par les gouvernements antérieurs furent totalement perdus. L’agriculture atteignait son point le plus bas, la misère des masses s’aggrava. Et l’on vit se désintégrer l’indépendance intégrale conquise en 1804. Un statut nouveau de semi-colonie de la France fut imposé à la Nation, liée à l’ancienne métropole par [34] les tentacules d’une dette extérieure.II. LES RACINESDU SOUS-D?VELOPPEMENTRetour à la table des matièresLes bases structurelles de l’économie nationale se constituèrent au cours de cette première étape de la Révolution ha?tienne. A la différence de la situation qui exista durant l’esclavage, un marché interne se constitua faiblement. ? tous les niveaux, les bénéficiaires de la réforme agraire, voient leurs revenus augmenter, en comparaison à l’époque antérieure. Les grands propriétaires s’accaparent du produit du travail du paysan. Ce dernier, pour la première fois a des revenus propres. Une économie monétaire est en gestation. La nécessité s’impose de résoudre d’une fa?on urgente le manque de devises qui gênait sérieusement les phénomènes économiques ordinaires. On s’explique alors difficilement que, dans des conditions pareilles et à la faveur de l’indépendance Intégrale dont jouissait le pays, ne soit apparu un secteur de bourgeoisie marchande locale, qui en accumulant un capital aurait pu stimuler le développement de la société post-coloniale.La première cause, est la limitation de l’époque elle-même. Une société féodale peut difficilement arriver en vingt ans au degré de maturité lui permettant de mettre à nu ses contradictions et de détruire ses bases d’existence. Dans les années postérieures, ce processus fut compromis par l’impact de l’intervention économique des nations capitalistes.La deuxième cause, essentielle pour la jeune Ha?ti, fut le libéralisme insouciant qui présida les relations entre l’?tat féodal et les nations déjà industrialisées du monde. L’Angleterre, les ?tats-Unis, l’Allemagne, trouvèrent en Ha?ti un marché idéal pour leurs produits manufacturés. La force de leur pénétration tua dans le germe toute possibilité d’apparition et de développement d’une bourgeoisie industrielle locale.Les premiers commer?ants à s’installer en Ha?ti furent des étrangers. Ils ne vinrent pas accumuler les capitaux pour développer la société féodale et établir les prémisses pour la transition vers une forme de production plus avancée. Ils visaient avant tout à réunir des millions pour les emporter ensuite et les transformer en capital dans leurs propres pays. Il n’est point surprenant que malgré la négation du droit de propriété aux étrangers, décrétée par Dessalines et maintenue légalement durant plus d’un siècle, beaucoup de commer?ants, américains, anglais, soient venus s’établir en Ha?ti?, durant cette première étape historique et réaliser d’énormes profits.[35]Cette réalité permanente du r?le du capital commercial, de l’industrie étrangère, dans l’évolution économique a une grande importance comme facteur exogène influant sur la structure de l’économie ha?tienne. Ce phénomène sera étudié plus avant. Il est essentiel d’analyser d’abord l’influence déterminante des facteurs endogènes, liés aux modes d’appropriation de la terre et aux particularités historiques, sur l’évolution de l’économie nationale.? partir des années 1820, l’obscurantisme féodal le plus complet vint charger le pays d’une lourde dette extérieure restée pendante jusqu’en 1922. Analysant cette période, on peut, au risque d’une simplification excessive, distinguer les suivantes caractéristiques de l’évolution économique, étroitement inter-relationnées et liées à des processus sociaux et politiques.En premier lieu, les bases de l'économie nationale, constituées dans la période postérieure à la libération ont évolué avec le temps. Elles ont déterminé un cadre institutionnel, dont les traits essentiels correspondaient à ceux d’une société féodale?: développement excessif du militarisme, création de “caciques” locaux omnipotents, lutte constante pour le pouvoir entre chefs de caste militaire ou seigneurs féodaux, manque de consistance du sentiment national et tendance à la scission politique, aux luttes civiles, aux destructions.En deuxième lieu, à cause même de la superstructure politique existante appara?t une complaisance très marquée face à la pénétration de l’influence économique et politique étrangère. Profitant des divisions et luttes entre caciques de tendance ou de régions différentes, les hommes de négoce étrangers, et les grandes puissances essaient de fortifier leurs positions économiques et leur influence politique. Ceci a valu à Ha?ti les perpétuelles interventions, les pressions et les coercitions des puissances navales dans ses luttes intestines et ses affaires intéme réaction contre la politique économique des dirigeants politiques et aussi contre les abus commis par ceux-ci dans leur désir de s’approprier des biens immeubles, les masses paysannes essaient de participer à la vie politique. Elles se laissent très souvent entra?ner par les caciques à des luttes stériles, mais aussi dans un effort d’affirmation systématisé, elles arrivent à s’opposer de fa?on déclarée au féodalisme. La bourgeoisie marchande, de son c?té, tout à fait réduite numériquement, mais douée d’un pouvoir économique notable, très liée à l’étranger et à la structure latifundiste, participe dans la lutte pour la domination du pouvoir de l’?tat. ?A l’opposé de l’aile conservatrice, se manifeste l’aile libérale de la bourgeoisie locale. Elle se prononce contre les avantages accordés aux commer?ants étrangers et contre les luttes féodales qui nuisent [36] à la formation du capital.Enfin, toutes ces contradictions, structure féodale, influence étrangère, luttes de classes et luttes de castes, accentuées par un facteur technique inséparable des particularités coloniales et raciales des origines de la nation devaient se polariser dans une violente crise politique. ? la faveur de cette dernière, l’intervention militaire directe d’une grande puissance économique et militaire devient possible et permanente.Il est nécessaire d’analyser avec plus d’emphase ces traits généraux de l’évolution économique ha?tienne. Ils sont les lignes de force qui ont stimulé ou freiné le processus historique du pays. Ils constituent des éléments historiques fondamentaux, sans la valorisation desquels on peut comprendre la réalité économique ha?tienne.A. Le règne du féodalismeRetour à la table des matières“Le mode d’appropriation des terres qui s’est maintenu en Ha?ti durant trop longtemps, comme il était il y a un siècle, a causé de tels préjudices, a présenté tant d’obstacles au travail agricole, qu'on peut dire que des raisons sociales et non politiques ont paralysé jusqu’ici l’essor du pays en paralysant le libre essor de l’agriculture?.” Il est superflu d’insister ici sur les effets de la possession de la terre sur le développement de l’agriculture et sur l’économie puisque le chapitre correspondant à la question agraire considère ce problème avec toute l’attention requise. Il suffit de rappeler que le mode de propriété féodale est loin de constituer le cadre structurel propre au progrès économique. Tous les pays aujourd’hui développés ont d? rompre avec le mode d’appropriation féodale de la terre. Celui-ci est demeuré le dénominateur commun de tous les pays actuellement reconnus comme sous-développés. Dans le cas d’Ha?ti, on peut signaler en plus, que durant toute la période, allant du début du siècle passé à l’époque actuelle, le mode d’appropriation de la terre, les formes d’exploitation et les instruments agricoles n’ont pas amélioré ou évolué sensiblement, les techniques de culture non plus. Le cultivateur continue à utiliser des méthodes primitives de travail, l’économie dans son ensemble n’a expérimenté aucun changement qualitatif ni même une transformation quantitative notable.Les influences du mode d’appropriation de la terre sur le processus de développement de la société ha?tienne sont si essentielles qu’il convient de les considérer soigneusement. Les inter relations des facteurs structuraux et institutionnels dans [37] le développement économique sont un fait indiscutable. On ne prétendra pas faire de l’“économie pure” en étudiant l’évolution économique d’une nation. Les facteurs économiques ont engendré certains processus sociaux et politiques et ces derniers ont influencé ou prolongé le fait économique.La structure agraire ha?tienne née des mesures agraires d’après l’indépendance, a fait de la partie nord du pays le berceau du féodalisme ha?tien, étant depuis toujours la zone des grandes propriétés?: les fiefs constitués dans le passé ont continué d’être de grandes propriétés peuplées par de nombreux paysans sans terre, des métayers ou des prolétaires ruraux. Les grands dignitaires devinrent généraux, commandants de districts, fonctionnaires importants, politiciens candidats à la direction de l’?tat. ? cause de ces conditions objectives, le Nord est devenu le foyer de nombreuses guerres civiles entre les aspirants au pouvoir et il a joué un r?le politique considérable dans l’Histoire de la Nation. Le grand nombre de gouvernements formés de généraux venus du Nord, et le r?le saillant joué par les “cacaos” dans la vie politico-militaire de la nation, sont inséparables de la survivance dans le Nord de la grande propriété du type féodal.La partie Sud-Ouest a conservé aussi les mêmes caractéristiques structurelles que le Nord, puisque les distributions faites par Pétion ne suffirent point à rompre le régime de la grande propriété. L’élite dirigeante provenant de cette région constituée par les représentants des grands propriétaires et du commerce portuaire a lutté elle aussi activement pour la conquête du pouvoir. Cependant, la tendance au minifundisme, introduite par l’accession de certains paysans à de petites parcelles, a consolidé le sens de la propriété dans la paysannerie. Cela a laissé une empreinte sérieuse sur l’évolution économique.Durant toute la période considérée, les gouvernants ha?tiens. selon leur tendance conservatrice ou libérale, ou selon leurs intérêts de classe, ont édifié la superstructure légale qui devrait, selon eux, soutenir le mode d’appropriation de la terre existant ou en libéraliser la possession par l’augmentation du nombre des propriétaires. Les mesures législatives ont été généralement inspirées par des crises dans la production. Presque toujours elles ont été marquées du fait que l’?tat continue d’être le plus grand domanier du pays.En juin 1821?, le président Boyer suspend les donations de terres, freinant ainsi la tendance au morcellement de l’agro stimulant au contraire la constitution d’immenses plantations?: la situation de la paysannerie empire. “Attaché à la glèbe par le Code rural, le paysan préfère abandonner la plantation au lieu [38] de travailler pour le grand propriétaire?.” La tendance au regroupement des petites propriétés lui fit perdre l’espoir de se convertir en propriétaire. La production diminue à un degré considérable.Quand en 1843-1844, arrivent au pouvoir les représentants des commer?ants et des cercles libéraux, qui succèdent à Boyer, les dispositions restrictives concernant l’aliénation des biens du patrimoine national sont dérogées?. Cette nouvelle situation se maintien jusqu’en 1877, sous le gouvernement de Salomon.Pendant ce temps, des réformes de tout type furent introduites dans la législation agraire par les gouvernements qui se succédaient au pouvoir. En lieu et place des donations aux paysans, les ventes et affermage à des notables enlevèrent à de larges couches d’individus la possibilité d’acquérir une parcelle. Fonctionnaires, militaires, commer?ants, c’est-à-dire la classe privilégiée, jouissait largement de la possibilité de raffermir son monopole des terres de l’?tat. Uniquement les dispositions spéciales de Geffrard, en 1862 limitant à cinq hectares les concessions possibles sous forme de vente ou de louage, se détachent par leur caractère libéral. Le désir de Salomon de “mettre fin aux revendications illégales et sans fondements de certains prétendus propriétaires des biens de l’?tat?” et de freiner l’accaparement anarchique des terres de l’?tat, en honneur depuis Boyer, se reflète dans la création en 1877, de l’“administration centrale des fermes de l’?tat”. Sous l’action des mêmes forces féodales qui constituaient le gouvernement de Salomon, cette noble prétention ne tarda pas à se plier aux Intérêts des domaniers et à des nécessités immédiates de caractère politique. L’administration centrale fut dissoute trois ans après?: les mêmes pratiques des années antérieures furent renouées?: concession par vente ou affermage aux classes privilégiées?: donations au président Salomon pour “services rendus à la Patrie?”, toutes pareilles à celles dont bénéficia le général Domingue en 1870?; donations aux militaires tombés pour la défense du régime au cours des dures luttes menées contre le Parti Libéral.Quel était le cadre institutionnel, né également du mode d’appropriation de la terre, qui avait créé et maintenu ces mesures légales qu’on vient de brosser?? Un régime républicain consacré par une constitution, chaque fois plus libérale, cachant [39] cependant une réalité permanente?: la domination du militarisme?. Celui-ci demeura l’expression la plus authentique des grands privilèges concédés aux militaires ou accaparés par eux, dans l’appropriation de la terre depuis Pétion, Christophe, etc.De 1804 à 1915, seuls des militaires gouvernèrent le pays?; noirs ou mul?tres, cultes ou illettrés, les militants ont Joué un r?le très important dans l’évolution politique ha?tienne. Eux aussi ont maintenu le pouvoir économique de type agraire. Ils ont été à la base, ont favorisé les nombreuses insurrections et rébellions dont est jalonnée l’histoire d’Ha?ti. Selon un historien des conspirations, de 1804 à 1845, vingt-cinq des vingt-neuf insurrections enregistrées dans le pays avaient été organisées par des militaires? qui essayaient de renverser du pouvoir un général pour en mettre un autre. Cette pratique militariste insurrectionnelle a eu son influence sur le maintien de l’ordre féodal. Ce bref exposé de la balance d’une des nombreuses guerres civiles ha?tiennes (1867-1869) est éloquent?: ??Que de ruines accumulées en 18 mois... Les palais édifiés avec la sueur du peuple, br?lés. L’Espagne nationale, fruit de 50 années de labeur et de travaux patients, dilapidée?: les plus riches convertis en misérables. La dette nationale augmentée, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Le champ envahissant la ville, le paysan armé contre les gens de la ville. Au moins cent millions de dépense en plus des pertes matérielles de tout type qui peuvent s’évaluer à 200 millions?.????De son c?té, la guerre civile de la bourgeoisie libérale contre l’ordre établi (1883-1884) cause des dég?ts de 800 à 900 millions de piastres?.?? Une même quantité de capitaux déjà créés qui ont été déviés de leur finalité, la création de nouveaux capitaux ha?tiens?. Le budget prévoyait pour les années 1878-1879 des entrées de 26 millions de piastres. On peut se faire une idée de la magnitude des dég?ts causés par les luttes intestines?.Rien de surprenant qu’aient fleuri tant de guerres, vu la [40] structure féodo-militariste de l’appareil dirigeant?: en 1878, alors qu’aucun danger de guerre ne mena?ait la République (un million d’?mes, environ), le budget national maintenait 187 généraux... en plus d’un nombre beaucoup plus élevé de généraux par courtoisie?. Une armée de 30 à 50.000 hommes, conscrits obligatoires dans la plupart des cas, servait les intérêts des caciques militaires?.B. La pénétration étrangère.Retour à la table des matièresLes deux forces dominantes de la société ha?tienne, très liées entre elles, furent “l’élite” civile, formée de bourgeois, commer?ants principalement, et “l’élite militaire”, des généraux et commandants d’arrondissement, par excellence féodaux fonciers. Dans leurs luttes continuelles pour le pouvoir, ces deux “élites” acceptèrent, favorisèrent la pénétration étrangère dans l’économie et la politique nationales. Cette attitude contrastait, de fa?on catégorique, avec la politique d’indépendance intégrale de Pères de la patrie.L’abdication des intérêts ha?tiens en faveur parfois de simples sourires étrangers fut initiée par Boyer. Les pressions diplomatiques fran?aises lui firent courber honteusement le front. Il accepta de payer une indemnisation de 150 millions de francs aux colons victimes de pertes matérielles à conséquence de la guerre de l’indépendance. Cette hypothèse sur l’avenir de la Nation dans le but d’obtenir la reconnaissance officielle de l’indépendance par Charles?X fut une vraie catastrophe. Elle donna origine à des transactions sans limites des agioteurs fran?ais. Elle dévia, pour longtemps, toutes les ressources économiques vers le paiement d’obligations stériles, au détriment des ?uvres d’infrastructure qui devraient assurer le progrès du pays.??Le pire de toute cette affaire, dit Anténor Firmin, ce furent les mesures qu’on adopta pour acquitter cette lourde indemnité qui pesa comme une charge de plomb sur la pauvre petite république. Reconnue en faveur des colons fran?ais, afin de les dédommager de leurs propriétés abandonnées à St. Domingue, c’était, en toute justice, sur ces propriétés vendues à des prix dérisoires, qu’on devait établir un imp?t destiné à couvrir ces annuités. Eh bien, pour payer la dette fran?aise, les masses composant la population noire et travaillant la terre furent les seules surchargées d’une taxe indirecte sous forme de droit d’exportation [41] sur 1e café, empirée par une émission de papier monnaie qui empêchait le cultivateur de savoir au Juste quelle est la contre-valeur qu’on lui offrait pour le produit de ses travaux???.Bénéficiant au maximum de cette nouvelle situation de dépendance d’Ha?ti à la France, les commer?ants et aventuriers étrangers activèrent leur effort de pénétration. Dès le lendemain de 1804, l’Angleterre et les ?tats-Unis avaient tenté de remplir le vide laissé par la France dans la “Perle des Antilles”. Dessalines, Christophe et Pétion étaient déterminés à ne transgresser en rien sur le concept fondamental d’égalité de droits et réciprocité d’avantages en matière de commerce international. Aussi, marchands anglais et américains se limitaient à user de courtoisie et de respect dans leurs traitements avec ces farouches nègres. ? aucun moment, ils ne renon?aient, bien entendu, à leurs désirs de faire de “bonnes affaires”?.Avec Boyer, au contraire, les consignataires étrangers l?chèrent bride à leurs désirs de faire fortune rapide. La caste des féodaux-militaires qui dominait alors, s’était confinée à augmenter ses biens fonciers, excluant radicalement les grands propriétaires et la petite bourgeoisie intermédiaire noire de toute participation aux faveurs gouvernementales. Elle avait octroyé aux étrangers toutes classes de privilèges dans le commerce extérieur. Les commer?ants ha?tiens furent par contre totalement désavantagés?. La protection du commerce indigène avait inspiré les décrets du 23 avril 1807 et du 30 décembre 1809, qui prohibaient aux consignataires étrangers d’exercer en dehors des ports. La loi de consignation du 8 septembre 1828, expédiée sous la pression des commer?ants ha?tiens, reste lettre morte. Avec la complicité du régime se fortifiait le pouvoir économique des agents consignataires. (*) ? une escroquerie réalisée par la Maison von Kapff et Brune de Baltimore, Christophe répondit par les moyens forts. Cette firme avait re?u en effet 160.631 dollars du roi?, pour une commande de biens manufacturés. Elle n’exécuta pas la commande, et en gardait le montant. Christophe forma une commission, composée exclusivement d’étrangers, pour examiner [42] les livres de toutes les maisons américaines. Il fit défalquer de la valeur de leurs biens le montant de la somme escroquée par leur compatriote de Baltimore.Les commer?ants étrangers, appuyés par leur consulat, devinrent autant d'"?tats dans l’?tat”. Non sans raison, Alain Turnier écrit?:“Le protectionnisme ha?tien, confirmé d’année en année, enfreint, trompé avec go?t, parfois sous les yeux complaisants des Pouvoirs, ne constituait qu’une vaine gesticulation, destinée peut-être à flatter l’orgueil national par l’affirmation, en faveur de l’Ha?tien, du principe des privilèges et des zones réservées?.”D’autre part, à chaque insurrection ou pillage, les commer?ants nationaux étaient victimes de la soldatesque. L’élément étranger, sous le drapeau de son consulat, jouissait de la sécurité la plus absolue. Il trouvait le moyen d’exploiter le moindre incident pour recourir aux forces navales de son gouvernement et exiger des indemnisations énormes. Après avoir fait fortune en Ha?ti, il retournait dans son pays avec les valises pleines. Ils sont innombrables, les cas d’aventuriers de tous poils, de faux monnayeurs, de contrebandiers qui firent fortune “sur la tête des Ha?tiens”. Au cours de l’histoire ha?tienne, toutes les grandes puissances, colonialistes ou impérialistes, envoyèrent au moins une flotte pour exiger, sous la menace des canons, leur part du butin??: la France d’abord, pour exiger le paiement de l’indemnisation en faveur des colons expulsés?; en 1850, les ?tats-Unis expédièrent trois bateaux de guerre pour exiger une indemnisation d’un demi million de dollars.Le kaiser allemand suivit peu après l’exemple?: le 11 juin 1872, deux frégates vinrent imposer le paiement de dédommagement (15.000 marks) en faveur de deux commer?ants, prétendus victimes de dommages dans leur propriété.En 1877, c’est le tour de l’Angleterre?; réclamation de 682.000 dollars en faveur des concessionnaires Hauder. En 1874-1884, l’affaire Lauzanne et Pelletier soulève, en faveur de deux aventuriers, les exigences de la France?: 174.750 dollars à payer. Le 6 décembre 1897, les navires de guerre allemands reviennent, pour ramasser 20.000 dollars au nom d’un nommé Luders?...Le 17 décembre 1914, ce sont les “Marines” qui débarquent [43] en ordre de combat du navire de guerre américain “Machias”, sous l’instigation d’un vice-président de la National City Bank, Mr Farhan, qui avait des négoces en Ha?ti. Les marines pénètrent “manu militari” à la Banque Nationale et transfèrent à destination de la City Bank les valeurs en or et dollars qui s’y trouvaient?.Peu de mois après, le 28 juillet 1915, les marines reviennent... et assurent le contr?le des vies et des biens ha?tiens durant dix-neuf ans.La liste pourrait s’allonger d’autres interventions, sinon de canonnières, mais tout aussi significatives. L’action conjuguée d’un appareil d’?tat favorable au possible à l’élément étranger, des guerres civiles désastreuses pour les commer?ants ha?tiens, permit au capital étranger d’asphyxier la naissante bourgeoisie locale. Déjà, dans la décade des années 1880-1890, Port-au-Prince ne comptait pas un seul commer?ant ha?tien?. Au début du siècle, et avec l’“invasion” des Levantins, même le commerce de détail avait échappé des mains nationales. L’unique activité de l’“élite” était la politique, le fonctionnarisme, la lutte entre les factions des fonciers noirs et mul?tres pour la conquête du pouvoir. En un mot, “l’opposition des positions à faire contre celles déjà acquises”.C. Asphyxie de la paysannerieet de la bourgeoisie libérale.Retour à la table des matièresLes pratiques politiques et l’ordre économique existant dans l’ancienne Ha?ti suscitèrent une vigoureuse prise de position chez deux classes différentes. Ces classes posèrent leurs revendications de fa?on inéquivoque, chacune dans le sens de ses propres intérêts économiques. Ces manifestations de réprobation contre l’ordre en vigueur eurent lieu à différentes époques historiques. Leur signification économique n’en demeure pas moins grande?: ce furent deux périodes d’éclatement d’une crise permanente, celle de la société féodale ha?tienne.Le premier de ces mouvements révolutionnaires vint de la paysannerie pauvre du Sud, dirigée par Jean-Jacques Acaau durant les années 1843-1848. Le second, de l’aile libérale de la bourgeoisie qui prit les armes en 1883-1884.L’année 1843 marqua la fin du régime présidentiel de Boyer le plus long qu'Ha?ti e?t connu. Cette chute de président ne se différencierait en rien des dizaines de “révolutions victorieuses” qui balayèrent du pouvoir des dizaines de chefs d’?tat, si elle n’avait été accompagnée et suivie de grands mouvements de revendications [44] populaires. De là vient que la crise de 1843-1848 figure parmi les dates les plus importantes de l’histoire nationale. Elle marque un moment de la conscience et de la lutte des masses qui prolonge les luttes populaires de libération consommées en 1804.Alors que les féodaux noirs du Sud, groupés autour des Salomon, réclamaient de leurs concurrents militaires le pouvoir politique, les paysans pauvres du Sud entrent de leur coté en lice, avec lucidité et détermination?. Ils ne manquent pas de motifs?: la politique de Boyer visant à reconstruire les grandes propriétés par l'expropriation des parcelles déjà existantes?: l'avilissement des prix du café et la cherté croissante des biens manufacturés, l'exploitation accentuée des masses par des douaniers qui, longtemps écartés du pouvoir politique, n'ont pas renoncé à leur train de vie, etc. Jean Jacques Acaau, cristallise le mécontentement populaire. Il se fit proclamer ??chef de l'Armée souffrante et des réclamations populaires.?? Les revendications des ??Piquets?? d'Acaau ne s'adressaient pas seulement au pouvoir établi. Elles étaient la manifestation de la lutte des classes, dans une phase aigu?. ??Inauguration de la guerre à la grande propriété??, dit Madiou, c'est-à-dire lutte du petit cultivateur contre la tyrannie des représentants de la loi, contre les gros habitants??, lutte des paysans sans terre pour un lopin de terre. Forte de ce contenu économique et révolutionnaire, l'insurrection des ??Piquets?? résista aux assauts répétés de l'armée. Les gouvernements éphémères qui suivirent Boyer, la bourgeoisie et les domaniers du Sud, terrorisés, voulurent étouffer à tout prix ce mouvement. ??Le Royaume de la Hotte??, défendu par les paysans sans terre et les cultivateurs pauvres, survécut quatre ans. Cet ample mouvement révolutionnaire de la paysannerie, se limita aux années 1840. Elle constitue cependant la manifestation momentanée d'un phénomène qui domina l'histoire d'Ha?ti, le mécontentement de l'??habitant??. Le régime d'appropriation de la terre et l'ordre politique ne furent réellement pas à son avantage. Louis Joseph Janvier signalait la conscience claire des Piquets, qui ??par une sorte d'inspiration économique?? réclamaient la terre aux paysans, ce que seulement des années plus tard, en 1848, on allait réclamer en France, en Belgique, Angleterre et Allemagne?. En fait, cette tentative de révolution rurale allait plus loin, dépassait l'inspiration. Elle s'intégrait dans la nécessité. Janvier lui-même reconna?t?:??En Ha?ti, de 1821 à nos jours, le paysan avait été le [45] sacrifié. Surtout dans les plaines, sur les anciennes habitations sucrières, cotonnières et indigotières, le paysan eut à subir les conséquences d'un véritable régime féodal. La terre avait été un instrument de domination entre les mains des grands propriétaires, militaires ou fils de militaires, comme il en fut en Europe au Moyen Age?.?? Quarante ans après la paysannerie pauvre, la bourgeoisie libérale, défendant ses intérêts de classe, se dressait en armes. Les contradictions entre elle et la classe féodale, manifestées depuis déjà longtemps, avaient atteint leur paroxysme. Boyer Bazelais et le Parti libéral dirigeaient le mouvement, qui prétendait, entre autres, à la libéralisation des institutions de l'ancienne Ha?ti. Dans son essence, cet épisode sanglant, fut l'expression de profonds antagonismes économiques. Bien avant le débarquement de Mirago?ne (27 mars 1883), bien avant Salomon, l'aile libérale de la bourgeoisie commer?ante, souffrait de l'état de guerre féodale permanent créé par les prises d'armes de ??commandants de la Place??. Elle se plaignait des avantages conférés à son propre détriment aux commer?ants étrangers. L'analyse antérieure de la traditionnelle politique ha?tienne permet de bien comprendre la nature de ces revendications. Un autre facteur secondaire, mais de grande importance dans le contexte ha?tien, vint exacerber cette contradiction, les préjugés de castes, ??la question de couleur?? particulièrement. Elle devint même un élément de confusion, largement utilisé, pour faire dispara?tre les racines, le contenu économique de cette opposition et le présenter comme une affaire exclusivement de rivalité entre noirs et mul?tres. Quels étaient les desiderata du secteur bourgeois constituant le Parti libéral?? Les opinions d'Edmond Paul, économiste de ce parti, sont nettement significatives. En premier lieu, la bourgeoisie ha?tienne voulait que ce fut elle, et non les commer?ants étrangers qui bénéfici?t de la protection gouvernementale. Elle réclamait la faculté d'exploiter la masse des consommateurs et producteurs de café?: non pas le consignataire étranger à qui les présidents féodaux ouvraient toutes les portes. ??Tous les avantages de la finalité criminelle, écrivait E. Paul sécurité, silence, le mépris le plus décidé du pays, tout servit à créer une position privilégiée au marchand venu d'outre-mer, aux c?tés duquel on ne vit ?il, bouche, c?ur d'Ha?tien dont on put craindre d’indiscrets, involontaires [46] ou patriotiques révélations. Les ailes coupées, le commerce indigène, en conséquence, trama sous l'étranger.???En second lieu, elle voulait un changement de la politique économique et financière?: accumuler du capital, prétendre à une promotion industrielle, ne plus voir les fruits de ses efforts se consumer dans le pillage et l'incendie. Depuis Longtemps, le bourgeois ha?tien était menacé de ruine, par l'anarchie financière régnante, les dévaluations constantes du papier monnaie. Avec la guerre civile contre Salnave, ce chaos financier avait pris des proportions inimaginables. L'installation de la Banque Nationale en 1880 n'avait apporté aucune amélioration aux conditions du crédit. Là encore l'étranger Jouissait de toutes les préférences.??Les petits commer?ants, faisait remarquer E. Paul, se plaignaient d'être exploités sans merci par les banquiers de la place qui leur font payer 21% d'intérêts l'an, ou même leur extorquent 10 à 15% d'intérêt le mois.??? ??Les incendies, avec le papier monnaie et la révolution, forment notre trinité nationale??, écrivait un peu plus tard Frédéric Marcelin.C'est contre cette politique économique et financière que se rebellait le Parti libéral. Est-ce dire que les libéraux voulaient changer la face de la politique ha?tienne?? Loin de là. Louis Joseph Janvier reconnaissait?:??Du point de vue de la politique économique, en relation avec la politique financière, les deux groupes (le parti libéral et celui du gouvernement) ne pouvaient être qu'en divergence d'opinion, mais leur programme de politique pure... était très peu dissemblable.??? En dernier lieu, et comme le moyen de satisfaire toutes les revendications de classe, la bourgeoisie libérale prétendait à la conquête du pouvoir politique. Elle se heurta au gouvernement de Salomon, qui sous le nom de Parti National, groupait les [47] grands domaniers, les généraux féodaux, et la naissante classe intermédiaire et bureaucratique noire. L’armée déploya toute sa force à écraser le mouvement armé de la bourgeoisie libérale. Le haut commerce étranger, rapporte Louis Joseph Janvier, mit un million d'espèces sonnantes et trébuchantes à la disposition des ??forces de l'ordre?? et lui en prêta cinquante.?D. La crise du régime ??Ancien Ha?tien??.Retour à la table des matièresLa fin du XIXe et le début du XXe siècle marquent un carrefour d'importance dans l'évolution économico-sociale de la Nation. La structure féodale de l'économie montre des signes de vieillissement de plus en plus accentués. L’?tat féodal est secoué par une succession de luttes intestines, entre généraux commandants d'arrondissements??. Les paysans sans terre et ??les deux moitiés?? du Nord et de l'Artibonite occupent sous le nom de ??cacos?? une place chaque jour importante dans la vie politique. Non comme classe sociale ayant une conscience et des intérêts définis, mais comme mercenaires au service des prétendants au pouvoir, satrapes ambitieux, qui ??vêtus de bleu denin, coiffés de leur chapeau gouane, le fusil en bandoulière, prennent les armes et marchent sur Port-au-Prince.?? Une nouvelle phase de la lutte de la bourgeoisie libérale se consomme avec la défaite d'Anténor Firmin en 1902. La célébration des fêtes du centenaire de l'indépendance semble annoncer une nouvelle époque, après un siècle durant lequel le féodalisme, le militarisme ont brillé dans toute leur splendeur, semant la destruction et l'incendie. La pénétration du capital étranger prend des contours plus définis. Les étrangers dominent totalement le commerce. Le gouvernement d'Antoine Simon signe, en 1910, le fameux contrat MacDonald, de concessions de chemins de fer et de plantations de canne à sucre, qui ouvre la porte aux capitalistes américains. Durant tout ce siècle d'indépendance formelle, entre deux périodes de luttes civiles, d'élections, de coups d'?tat, le secteur politique au pouvoir a pu maintenir un certain équilibre. Soit par la terreur, soit par démagogie ou habileté politique, il a joui d'une accalmie relative?: à la faveur de cette paix retrouvée, l'administration a réalisé certains travaux publics?: elle a créé certaines institutions pouvant fortifier son autorité. Parmi ces efforts ou ?uvres durables qui ont aidé, en fonction de conceptions de l'époque et les nécessités politiques à enrichir le patrimoine, le cadre institutionnel ou l'élément humain, il convient de citer?:a)La construction par Christophe d'un réseau de chemins départementaux et vicinaux. L'édification de la fameuse [48] Citadelle du Roi Henri, considérée comme une des merveilles du monde. b)La création du Papier Monnaie en 1815 par Pétion, qui s'efforce de développer l’enseignement public obligatoire et gratuit. c)L'effort entrepris par Pétion fut continué par le Président Geffrard en 1860. Il signa avec le Vatican un concordat pour que des religieux catholiques viennent répartir l'enseignement en Ha?ti. d)Geffrard, à la même époque, installa une Fonderie Nationale, dans le but de jeter les bases d'une industrie locale et d'initier les ouvriers ha?tiens à la pratique de professions manufacturières. e)La création par le Président Salomon de la Banque Nationale, dans le but de ??stabiliser la monnaie, d'assurer le crédit au commerce et à l'industrie??. f)L'inauguration de la politique de construction de grands édifices publics, dans les années 1890. Marchés en fer, édifices de douanes, portent Jusqu'à ce jour, en lettres de fer, le nom du Président Hypollite. g)?clairage à l'électricité des villes de Jacmel et de Port-au-Prince, à la même époque. Installation des premiers chemins de fer urbains et interurbains.De ces réalisations, très peu ont gagné l'épreuve du temps. Le manque de continuité administrative et l'inefficience d'une bureaucratie, chaque jour plus nombreuse, ont parfait l'?uvre de destruction des ??prises d’armes??.En fait, les efforts de tous les gouvernements se sont circonscrits aux mêmes formules, ressassées, corrigées ou déformées. Développer le commerce d'exportation, sans prendre aucune mesure d'impulsion de la production agricole. ?quilibrer le budget, afin de payer les employés publics. Rembourser une dette extérieure qui ne finit jamais. ?craser les conspirations nombreuses. Se préparer à un exil plus ou moins doré.Dès le début du XXe siècle, l'antagonisme entre les diverses castes s'exacerbe. Le régionalisme se manifeste avec une crudité inou?e. Les insurrections éclatent simultanément ou se succèdent à un rythme effrayant. Des forces économiques, sociales et politiques choquent avec violence. Le précaire équilibre de la terreur que réalisaient ordinairement les chefs d'?tat, pour maintenir l'ordre durant un temps, est rompu après chaque ??révolution victorieuse??.La crise qui s'ouvre en 1907 charrie un contenu économique trop souvent méconnu. C'est la crise du régime féodal, ancien ha?tien. Derrière les généraux en armes, se cachent les ??grands dons?? aspirant au pouvoir?; se trouve la structure économique qui permet aux ??grands dons?? de disposer à gré de [49] leur ??deux moitiés??. Se cachent aussi, les négociants et le capital étrangers toujours prêts à fournir armes et munitions à tout prétendant au pouvoir. Derrière les exactions des ??cacos??, les ??courts?? presqu’hebdomadaires, se cache le drame de ces paysans sans terre, prêts à donner leur vie à tout général qui leur offre, en retour, un coup de clairin et carte blanche pour piller. Se cache aussi la révolte de toute une classe d’hommes déshérités et exploités, et qui voudraient vaguement, sans trop savoir comment, changer l'ordre des choses. Le ??cacos??, c'est la conscience paysanne abrutie et déformée, cherchant un chemin, un guide, une cause. La preuve en fut donnée quelques années plus tard. Ces mêmes paysans, dirigés par le patriote Charlemagne Péralte, se dressèrent contre l'envahisseur étranger, les ??Marines?? nord-américains, comme l'expression la plus héro?que, la plus achevée de la conscience nationale.Des forces économiques puissantes se débattent donc derrière le rideau de la scène politique. Autant de tiraillements, de chocs d’intérêts, de secousses sociales, qui traduisent, au sein de la structure économique, la recherche d'un nouvel équilibre. Il n'est pas imprudent d'affirmer que cette violente crise de croissance, par le jeu des forces endogènes devait aboutir inéluctablement à ce nouvel équilibre?: un pouvoir fort, une consolidation du régime Féodal comme ce fut le cas pour le Venezuela avec la dictature de Vicente Gomez, ou pour le Mexique avec Porfirio Diaz?? Un pouvoir démocratique bourgeois, tel que le rêvait peut-être Boyer Bazelais?? Un régime à forte tendance populaire, où la paysannerie émergerait comme force politico-sociale consciente?? Le processus historique n'eut pas le temps de se consumer. Les ?tats Unis étaient déjà entrés dans l'ère de l'expansionnisme. Le ??Destin Manifeste?? condamnait les pays du Golfe du Mexique à recevoir les marines, ou les capitaux américains, ou les deux ensemble.Depuis trente ans, les ?tats-Unis avaient man?uvré en vue de l'occupation militaire d'Ha?ti, en partie (Le M?le Saint-Nicolas) ou en totalité. Les capitalistes américains, Installés en Ha?ti, demandaient avec insistance le contr?le de la Banque et des Finances par les ??marines??. Ils exigeaient des garanties pour leur business. Les ??marines?? débarquèrent donc comme ils le firent à Cuba, en République Dominicaine. Ils prétendaient, selon le mot de Samuel Flagg Bemis, faire aux Ha?tiens ??du bien malgré eux.??? Une nouvelle étape de l'évolution économique nationale commen?ait, qui dure encore malgré le départ des ??marines??...[50][51]L’économie ha?tienneet sa voie de développementChapitre IILa structure économiqueUn trait caractéristique du retard économique, bien que pas toujours synonyme de celui-ci, est que la majorité de la population dépend de l'agriculture et que celle-ci représente une part très grande de la production totale des pays sous-développés?.Paul BARAN.??Par structures économiques, on désigne les données relativement stables en opposition aux variations occasionnelles — d'un ensemble économico-social, pour une période et un espace déterminés?.?? Retour à la table des matièresNous définissons ainsi les limites de ce chapitre. Il se propose d'étudier les différents secteurs de l'économie dans leurs conditions actuelles de production et en fonction des facteurs prévisibles à long terme, qui peuvent, gr?ce aux inter-relations des différentes parties, modifier la structure dans son ensemble et réaliser des changements d'équilibre entre les secteurs structuraux.Puisque l'agriculture constitue l'activité la plus représentative de l'économie ha?tienne, qui sert d'assise à toutes les autres, il est nécessaire d'étudier d'une fa?on détaillée la structure agraire conditionnée par les facteurs historiques, économiques, géographiques, démographiques et politiques. Cette étude permettra de définir la valeur exacte de l'agriculture dans l'ensemble de l'économie et les dispositifs de distribution de l’économie agraire?; elle fournira les éléments permettant d'apprécier les richesses accumulées par le dynamisme propre du secteur?; et les bases permettant la valorisation des investissements effectués en fonction de ce dynamisme dans le secteur capitaliste, industriel. Les activités intermédiaires seront analysées postérieurement dans la mesure où par leur structure et leurs finalités elles constituent des mécanismes de connexions entre [52] l'économie interne et les fluctuations du commerce mondial, u en sera de même des activités de financement de type externe ou gouvernemental, liées au développement économique.★PREMI?RE PARTIEL’ACTIVIT? AGRICOLEI. L'AGRICULTUREDANS LA VIE NATIONALEA. Secteur agricole et sous-développement.Retour à la table des matières??Un trait caractéristique du retard économique, bien que pas toujours synonyme de celui-ci, est que la majorité de la population dépend de l'agriculture?; celle-ci représentant une part très grande de la production totale des pays sous-développés. Cette relation diffère de pays à pays, cependant, presque invariablement une part importante de la production agricole provient des paysans qui se trouvent à des niveaux de subsistance, lesquels constituent le gros de la population rurale. Leurs propriétés sont en règle générale petites et leur productivité (par homme et par hectare) extrêmement basse. De fait, dans la majorité des pays sous-développés, la productivité des paysans est si basse que même en séparant du travail une partie importante de la population rurale ceci ne provoque aucune réduction du produit agricole total. Même dans le cas où ces parcelles paysannes seraient propriété absolue de ceux qui les travaillent, la production qu'on en tirerait pourrait à peine assurer à la famille rurale un niveau minimum de subsistance, dans beaucoup de pays elle n'atteindrait même pas ce niveau. Mais, dans presque tous les pays sous-développés, un grand nombre des petites propriétés n’appartiennent pas en propre aux paysans, sinon sont loués par des grands propriétaires terriens et en occasion par l'?tat. Dans l'un ou l'autre cas, ces parcelles non seulement doivent soutenir les familles paysannes, mais aussi assurer le paiement du fermage, des imp?ts et parfois des deux. En plus, dans de nombreux cas, elles doivent encore fournir les moyens nécessaires pour assurer le paiement des intérêts de dettes contractées par les paysans au moment de l'acquisition de ces parcelles [53] ou bien à des fins de consommation durant les années de sécheresse ou dans des cas d'urgence. Les obligations de ces paysans qui se trouvent à des niveaux de subsistance, si nous tenons compte du paiement du louage, des intérêts des imp?ts, sont très élevées dans les pays sous-développés. Fréquemment elles absorbent plus de la moitié de leur production nette. Une exaction additionnelle à leurs revenus est représentée par la relation d’échange hautement défavorable suivant laquelle ils se voient généralement contraints de travailler. Exploités par des intermédiaires de toutes sortes, ils obtiennent de bas prix pour le peu qu'ils peuvent vendre et paient très cher les rares produits industriels qu'ils peuvent acheter. Ainsi, l'excédent économique tiré du secteur paysan est accaparé par les grands propriétaires les usuriers et les commer?ants, et dans une proportion moindre par l’?tat?.??Ces particularités, signalées par l'économiste américain Paul BARAN, en essayant de définir une ??morphologie du retard?? pouvant caractériser les pays sous-développés, se rapprochent étonnamment de la situation ha?tienne?: elles semblent même avoir été tirées d'une excellente analyse de la structure agraire du pays. Il convient seulement d’insister sur certains aspects particuliers de la situation agraire en Ha?ti pour avoir un tableau fidèle des conditions agricoles, de leurs conséquences et des moyens permettant d'y remédier.B. Importance du secteur agricole.Retour à la table des matièresHa?ti, pays essentiellement agricole?: ainsi le définissent les manuels de géographie destinés aux écoles primaires?; et jusqu'à présent, la réalité nous force à qualifier ainsi le pays?; comme si un certain déterminisme semblait le condamner à un destin purement agricole. Ha?ti a demandé à sa terre toutes les richesses auxquelles elle pouvait prétendre. ??Il est prouvé que les 97% du peuple ha?tien vit directement ou indirectement de l’agriculture?.?? La Population rurale qui constitue les 92% de la population totale, a comme unique moyen de subsistance et seule source de revenu, la culture de la terre. Par son travail, elle nourrit le reste de la population. Selon la CEPAL, d'un total de 3500000 individus en 1954, la population économiquement active atteignait 1.298.000 personnes, dont 1.005.000 se dédiaient à l'agriculture?: soit donc un pourcentage de 77,4 de la [54] population économiquement active, le taux le plus élevé de l’Amérique latine?.Ceci illustre la basse productivité du travail agricole. De fait, presque toute la population active dépend dans une certaine mesure du secteur agricole.En Ha?ti, comme dans tout pays sous-développé, les exportations sont spécialement importantes. Contrairement à ce qui se passe dans les pays industrialisés, elles le sont beaucoup plus que l'épargne et l'investissement. Toute la vie économique repose sur les épaules du paysan?; ce dernier est celui qui Jouit le moins des fruits de son travail. Toutes les activités, du ni- veau commercial au professionnel, sont affectées par les cycles de la récolte et de la morte-saison?; il suffit d'une bonne récolte et des prix favorables sur le marché international pour que toute la nation connaisse une euphorie qui dispara?t violemment l'année suivante à cause de la sécheresse ou de la baisse des prix des produits primaires. La participation de ce secteur et des mécanismes en dérivant dans le produit national peut être évaluée à près de 90% du total.Dans le cas particulier de l'?tat, les deux tiers de ses revenus proviennent des recettes de douane?; quand on sait que les importations dépendent étroitement des niveaux d'exportation, on se rend compte combien le budget national dépend encore du travail paysan.Cette importance du secteur agricole dans l'ensemble des mécanismes et structures de l'économie nationale, peut être mise en évidence par le tableau suivant?:EXPORTATIONS HA?TIENNES PAR SECTEURSD’ACTIVIT?S AGRICOLES (EN %)?Années Productionagricole?levagePêcheProduitsforestiersArtisanatProductionindustrielle1946-47 83,7 1,3 0.3 3,0 11.71947-4882,2 1.4 0,06,0 10,41948-4987,5 1.4 0,1 4,3 6,71949-5086,6 1.1 0,0 2,3 10,01950-5185,3 0.7 0,0 2,1 11,91951-5287,4 0.4 0,0 2,4 9,71952-6086,0 0,7 0.04,4 8,9En réunissant les trois premières colonnes sous la rubrique ??activités primaires??, le pourcentage atteint 86,7% pour les périodes [55] considérées. L'artisanat, de son c?té, s'alimente essentiellement des produits agricoles. La majeure partie de l'artisanatpopulaire a un r?le important dans les phénomènes d'échange ruraux?: paniers, chaises, chapeaux, accessoires en cuir pour chevaux, nattes, etc. Le bois est utilisé dans la petite industrie touristique pour la préparation de ??souvenirs?? en acajou?; on use également les fibres tropicales. De plus, la presque totalité des produits industriels exportés dérivent de l'agriculture comme c'est le cas des huiles essentielles, du sucre, etc.C. Pisciculture et élevage.Retour à la table des matièresMême en tenant compte de la consommation interne, les chiffres antérieurs ne s'altèrent pas beaucoup. La pêche et l'élevage constituent des activités productives mineures à c?té de l'agriculture. Malgré ses 1450 kilomètres de c?tes, Ha?ti n'a pas su développer la pêche?: 4.000 hommes s'adonnent à cette activité et, parmi eux, seulement 600 d'une fa?on exclusive. Le nombre de jours de travail qu'on lui consacre varie entre 250 et 300 par an. Précisément à cause de l'outillage primitif et le manque absolu d'organisation de cette activité, le total de la production de la pêche en Ha?ti atteint près de 5.000.000 livres par an, selon une évaluation faite pour les années 1949-1950 (Voir Nations-Unies?: Mission en Ha?ti, pp. 163-169). Ces chiffres n'ont pas varié, puisqu'il n'y a eu aucun changement notable ni dans les méthodes ni dans l'expansion de cette activité. Le contrat de concession accordé en 1958 à une entreprise japonaise pour exploiter rationnellement les ressources marines n'a pas modifié la situation de ce secteur en son ensemble.Quant à l'élevage, cette activité a un caractère totalement anarchique, tant par son manque d'organisation que par son attachement presque généralisé à une économie de subsistance?; sa signification économique se confond avec celle des activités purement agricoles. Sur le plan national, les exploitations exclusivement dédiées à l'élevage sont très limitées, peut-être à cause de la configuration topographique du pays, du manque de p?turages et, parallèlement, la grande pression démographique dans les zones non montagneuses pouvant convenir à l'élevage, mais où l'homme a préféré s'installer. Ainsi donc de la population économique active, la fraction dédiée uniquement à l'élevage est infime.Les bêtes de somme, les oiseaux de basse-cour, une vache et quelques cabris rarement coexistent au sein d'une exploitation moyenne. Quand la récolte diminue, quand un besoin urgent d'argent se présente au paysan, besoin de type personnel (Frais d'enterrement d'un parent) ou de type économique (achat de semences) un élément de ??cet élevage de subsistance?? sort de l'économie familiale pour être vendu. Dans ces conditions, l'élevage [56] comme activité économique en soi, a une importance très réduite comme le montre le tableau suivant de la répartition cheptel en Ha?ti?.Chevaux?nes-MulesBovinsMoutonsCabrisPorcsTOTAL?:250.000200.000640.00050.000830.0001.000.000% exportation 45361149148643? cette déficience quantitative, il faut ajouter la mauvaise qualité du bétail. Les deux espèces bovines et porcines croissent dans ces conditions qui caractérisent la production agricole?: technique très ancienne et empirique, alimentation insuffisante, terres de p?turage très peu nombreuses. Ainsi la productivité des vaches laitières est très basse?; dans les zones proches des marchés urbains, une vache donne à peine deux ??quarts???* par Jour, ce qui est inférieur à la quantité fournie par une vache de plaine. Le porc, qui constitue une fraction considérable du bétail national est nourri dans les pires conditions. Vers l'?ge de deux ou deux ans et demi il atteint à peine 200 livres?. Le caractère Inadéquat de l'alimentation et des mesures d'hygiène explique un taux de mortalité de plus de 75%.Le marché pour le bétail d'abattoir est très anarchique dans les champs?: dans les villes, la demande d'animaux d'abattoir se heurte au manque d'organisation de l'élevage dans les zones environnantes. Dans le cas de la capitale, principal centre de consommation, les b?ufs destinés à l'abattoir sont amenés de bien loin, parfois d'une distance de 200 kilomètres?; à cause du manque de Transport adéquat, ils sont tra?nés au licou durant ce trajet, perdant ainsi une fraction considérable de leur poids.L'élevage ne représente donc pas une activité économique Importante, du point de vue de la production et de l’emploi. ??D'une fa?on générale, il participe au même titre que l'association des ??vivres?? et des “denrées ” de la culture et de la cueillette à l'équilibre de l'exploitation domestique, sans aboutir à une activité différenciée sur le plan national notamment?.?? ? partir des années 1963-64 s'est installée en Ha?ti la Haytian American Méat and Provisions co., (HAMPCO) qui s'adonne à l'abattage moderne du bétail, et à l'exportation, en quantité industrielle, de la viande vers Porto Rico, les U.S.A.[57]D. Débilité fondamentale.Retour à la table des matièresSi la prédominance de l'agriculture est aussi marquée, on doit supposer que cette activité est l'objet d'une attention spéciale de la part de tous les secteurs sociaux. Cet intérêt devrait se traduire par un effort constant et systématique d'organisation scientifique de l'agriculture afin de développer, d'améliorer, de perfectionner le plus possible, le travail de la terre.Cependant, on arrive à ce paradoxe?: malgré son importance, ou peut-être à cause même de celle-ci, elle ne s'est caractérisée ni par sa productivité ni par son dynamisme ni par une tendance à se dépasser. Au contraire, la stagnation permanente de la production agricole depuis des dizaines d'années, la tendance marquée à la baisse durant les derniers temps, paraissent indiquer que l'agriculture, loin d'être l'objet d'un quelconque programme de développement, a été abandonnée totalement au libre jeu des forces de la nature. Cela se traduit par une production incontr?lée, avec de nombreux hauts et bas, pour tout dire, en fonction des ??conditions naturelles??, en fonction de la pluie et du beau temps. On ne peut nier l'effort constant et admirable du travailleur de la terre pour faire prospérer chaque jour son lopin?; cet effort s'est malheureusement heurté à des obstacles insurmontables, dans l'état actuel et traditionnel des choses, qui ont condamné cette ?uvre à rester infructueuse, et ont imprimé à l'économie ha?tienne la marque du piétinement.En 1952, un expert des Nations-Unies soulignait la situation suivante?: ??Quand on considère la nécessité de développement économique d'Ha?ti, on observe qu’il n'a été enregistré aucun progrès. Pire encore, on est obligé de constater que, dans certains secteurs, les plus importants, l'économie va de l'arrière au lieu de se développer. Les forêts de l’?le ont continué de dispara?tre, l'érosion a augmenté, la fertilité du sol n'a pas cessé de décro?tre, le nombre de sans travail a augmenté... Les exportations de café, d'une moyenne annuelle de 31 millions de kilos en 1917-1936, sont tombées durant la période 1946-1950 à 25,1 millions de kilogrammes. Pour les mêmes périodes, les exportations de coton ont baissé de 4,2 à 2,4 millions de kilos?; celles de semences de coton, de 3,6 à 2,4 millions de kilos?; celles de miel de 0,6 à 0,2 millions de kilos?; celles de bois de teinture, de 3,1 à 2,3 millions de kilos. Les exportations de figues-bananes sont passées de 5,9 millions d'unités durant l'année fiscale 1945-1946 à 1,8 millions d'unités en 1952. Au cours du même intervalle, les exportations de cire d'abeille sont tombées de 31.313 kilos à 32 et celles de rhum de 13.373 litres à 4.254?.??[58]? dix ans de distance, la situation, au lieu de s'améliorer, s'est aggravée de fa?on sensible. En plus, l'accentuation de la tendance à la baisse de la production a augmenté considérablement la misère des masses paysannes?; elle a rendu encore plus précaire l'économie nationale, approfondissant un processus d'effondrement qui se manifeste dans la structure même de l'économie, et dans tous les mécanismes ordinaires d'échange, de distribution, et de politique économique. Les caractéristiques et les projections de cette vraie ??crise générale??, de la société ha?tienne, seront analysées en temps opportun?; cependant, il importe de rechercher les facteurs structuraux qui l'ont provoqué.Pourquoi l'économie agraire, qui constitue la base de la vie matérielle et institutionnelle du pays, n'a-t-elle pu déclencher un processus de croissance qui pousserait vers le progrès et libérerait Ha?ti du sous-développement chronique?? Il est bien connu que durant tout le développement historique, les généraux et présidents se sont préoccupés surtout de conserver le pouvoir et de défendre leurs intérêts de classe, facilitant dans une grande mesure la pénétration du capital étranger. Qu'est-ce qui explique donc, que malgré la longue politique de développement économique annoncée officiellement par l'occupation et poursuivie formellement avec tambours et trompettes par les gouvernements postérieurs, l'économie agraire, et donc l'économie dans son ensemble, n'ait enregistré aucun progrès?? En un mot, quels sont les facteurs déterminants et dans quelle mesure intervient chacun dans la situation de prostration économique et sociale qui se manifeste encore si durement dans le secteur rural??II. LES FACTEURSPHYSIQUES ET HUMAINSA. Le milieu physique.Retour à la table des matièresLe milieu physique dans lequel l'homme mène son activité économique et vitale influe considérablement sur les conditions de son existence. ??La conjonction des caractéristiques physiques d'un espace, avec ses particularités économiques, provoque des influences réciproques entre les divers usages de cet espace dans une hiérarchisation fonctionnelle selon laquelle certains usages exercent un r?le dominant et font cristalliser autour d'eux un ordre prévisible d'usages secondaires et complémentaires?.???tymologiquement, Ha?ti veut dire?: Terre montagneuse. La [59] topographie a imprimé ainsi son sceau non seulement sur la dénomination du pays, mais encore, sur beaucoup de traits de es conditions de vie matérielle. Le milieu géographique constitue un des facteurs objectifs et permanents qui agissent sur le processus de production des biens matériels et la subséquente division du travail.a) Caractéristiques topographiques.Avec une superficie totale de 27.750 km2, la République d'Ha?ti est couverte par une superficie montagneuse de 21.000 lnn2 d'extension dont la hauteur varie entre 200 et 2.715 mètres. Il est important de faire noter la grande dissémination de cette structure montagneuse constituée par un nombre interminable de mornes, de cha?nes de montagnes isolées et de deux grandes cordillères, de direction ONE-ESE au Nord et OE au Sud. Cette dissémination occasionne un aspect orographique très désavantageux du point de vue agricole, et différent de celui des Immenses plateaux du Mexique ou du nord de l'Amérique du Sud où l'altitude moyenne est de 2.000 mètres. Cette dispersion topographique se présente de la manière suivante pour l’ensemble du territoire?. moins de 200 m, environ 21%?; de 200 à 500 m. environ 39%?; de 500 à 800 m, environ 19%?; de plus de 800 m, environ 21%.Dans certaines zones, le relief se présente parfois avec plus ou moins d'uniformité et dans d'autres, au contraire, avec une complexité extraordinaire, intercalant des plaines, des pics et des plateaux minuscules, dans des cha?nes de montagnes désarticulées, coupées de torrents. Il en résulte une discontinuité des terres agricoles, des conditions climatiques qui influent essentiellement sur les conditions d'utilisation des ressources et les caractéristiques de la tenance de la terre. Cela tend à créer un certain particularisme régional qui s'intègre dans le cadre naturel de telle ou telle zone géographique.Les plaines et les plateaux, généralement entourés et traversés de montagnes, constituent rarement des ensembles structuraux pouvant être le centre d'un développement agricole plus ou moins intense. En total, on peut en compter 25, dont les plus importants sont le Plateau Central de 200.000 ha, la plaine du Nord (93.500 ha), celle de l'Artibonite (125.000 ha), celle du Cul-de-Sac (62.000 ha), la plaine des Cayes (36.000 ha) et celle de l'Arbre (32.000 ha)?. Les autres, de superficie variable, [60] arrivent jusqu'aux limites incroyables de la ??parcellation naturelle??. En total, ces plaines et plateaux occupent une superficie d'environ 675.000 ha.b) Qualité des sols et conditions climatiques.Les caractéristiques géographiques et les particularités géologiques liées à la conformation des terrains tropicaux, ont influencé en grande mesure l'agriculture ha?tienne.Ha?ti jouit d'un climat sub-tropical modifié dans presque tout le territoire, par la proximité de la mer et les brises marines. A cet élément géographique, il faut ajouter la répartition des montagnes qu'on vient de mentionner. Les zones hautes, au-dessus de 1.200 mètres, jouissent de climats tempérés, 16,50 c. en moyenne, ce qui facilite la culture des légumes, et même des plantes de climat tempéré.On peut considérer sur le territoire quatre zones climatiques plus ou moins définies, en fonction de la distribution géographique et la direction des vents?: le Sud-Est, le Sud-Ouest, le Centre et le Nord. Dans chacune de ces zones, le régime des saisons a ses caractéristiques propres?; le Centre est le lieu aride par excellence, mais les autres régions soumises aux influences de la mer ont un régime pluvieux très variable.A cause de cette diversité climatique, les possibilités agricoles sont grandes et la variété de la production est notable. On a évalué à trois cents les espèces de plantes comestibles, fruits tropicaux et de zone tempérée cultivés en Ha?ti.La qualité des sols est influencée par la physionomie montagneuse du pays. Les montagnes, en général, sont recouvertes d'argile latéritique, riche en silice et en oxyde de fer?: ce sont ??les terres rouges??.Les plaines sont recouvertes de ??terre noire?? très riche en calcium et de grande fertilité, auxquelles sont venus s'ajouter les alluvions entra?nés par l'érosion. Terres de montagnes ou de plaines, les sols ha?tiens sont encore considérés comme très fertiles. Dans les régions montagneuses on cultive depuis des siècles sans engrais et on obtient malgré tout des récoltes de café et de cacao encore intéressantes. Le grand problème cependant, lié à la topographie, est la discontinuité des sols, qui rend problématique la culture d'un seul produit sur de grandes étendues. Ajoutée à cette variation climatique régionale mentionnée plus haut, elle contribue à pulvériser les superficies cultivées et à multiplier les cultures.Bref, diversification climatique dans un cadre géographique réduit, variété notable des sols, conditions d'exploitation compromises par les accidents topographiques?; tel est le milieu naturel dans lequel opère l'agriculture.[61]c) Le déboisement et l'érosion.L'union des facteurs topographiques et climatiques et l'inéluctable besoin de combustible pour une population en continuelle augmentation sur un territoire où aucune source de combustible minéral n'a été encore exploitée, ont déterminé une saignée constante et catastrophique des richesses végétales. Le problème de l’érosion a pris une importance réellement grande dans l'économie agraire, et forte est son influence sur l’état stationnaire de la production agricole.Cette saignée est le fait d'un long processus historique, étroitement lié aux conditions primitives de vie, à la place de la récollection dans la subsistance paysanne, aux mécanismes traditionnels d'une économie nationale ??anarchique?? qui a essayé de vendre à l'étranger ses bois précieux après avoir détruit ses forets pour la culture du café, du caoutchouc?; en plus, l'exploitation des bois de construction, la fabrication de la chaux et du charbon, le défrichement incontr?lé, les ??boucans?? et incendies, les ??dents de chèvres??, tous ces facteurs évidents et accumulatifs ont dévasté la presque totalité des ressources forestières?. Selon une évaluation de l'institut Ha?tien de Statistiques?, seulement la consommation du bois, sous sa forme naturelle ou comme charbon végétal, n'atteint pas moins de 9 millions de mètres cubes par année. Considérant que la superficie des forêts accessibles est de 600.000 ha?, ce volume atteint une moyenne annuelle de déforestation de 15 m3 par ha pour l'usage domestique et industriel, alors qu'il n'existe pas et n'a jamais existé un plan national de reforestation. De plus, une des espèces les plus nombreuses du bétail est celle des chèvres, 830?000 têtes, qui se nourrissent essentiellement de végétaux.Il en résulte, à la saison des pluies, un vrai lessivage des terres arables.Déjà en 1948, on calculait que ??près de 7?000?000 de tonnes de terres superficielles sont annuellement entra?nées vers la mer par les torrents, les rivières, soit donc 4?000 tonnes d'éléments fertilisants?.La situation a empiré sensiblement ces dernières années et les réserves d'eau de la nation tendent à diminuer à un rythme effroyable. En quinze ans, les trois sources qui alimentent en eau potable la capitale ont diminué de 2.971.000 gallons par jour.?? Le dép?t annuel de sédiments de 10.000 acres-pieds qui [62] s'accumule dans le lac artificiel du fleuve Artibonite n'est pas moins significatif?.Le cadre physique de l'activité agricole est très loin de constituer un facteur idéal pour l'expansion de l'agriculture. Cependant, les conditions physiques d'une société ne jouent pas un r?le déterminant dans le développement social. La main de l'homme, dominant et modifiant la nature, a constitué l'élément déterminant de l'évolution de l'humanité. Les Incas du Pérou utilisaient les méthodes de terrasserie pour la culture en terrains escarpés et avaient une agriculture florissante. Les terres les plus fertiles des Pays-Bas ont été arrachées à la mer...Le caractère précaire des conditions physiques se compense d'ailleurs par certains aspects très positifs. Notamment par?: La reconstruction rapide du sol arable dans les terrains calcaires ou basaltiques, suffisamment arrosés, et la fertilité généreuse des sols dédiés à la culture des fruits, verdures tropicales et à l'activité agricole en général.Les causes réelles du freinage de la production agricole sont autres. Pour les découvrir, il convient d’analyser dans quelle mesure le facteur humain a agi sur le développement de l'agriculture, matrice du développement général de la nation, et de considérer aussi comment l'augmentation continuelle de la population dans une société dont la technique ne s'est pas développée, influe sur le développement social.B. Les ressources humaines.a) Richesse potentielle.Retour à la table des matièresLa tendance est très marquée chez les observateurs ha?tiens ou étrangers de présenter le facteur démographique comme un des plus grands obstacles auquel s'est heurtée l'économie nationale dans son développement historique?; et aussi comme la cause déterminante de la situation de prostration de l'économie.On ne peut nier que le facteur démographique constitue un élément de grande valeur dans le développement économique?; mais ce serait un malthusianisme que d'attribuer à la pression démographique le r?le de ??l'?ne de la fable??. La ??théorie fonctionnelle des ressources??? montre que dans une société où l'élément humain est sous-utilisé, un excès de population en fonction du degré de développement atteint, peut constituer, à un moment donné, un élément accumulatif du sous-développement?; il constitue cependant un facteur positif de grand dynamisme, [63] une fois lancé le processus de développement?; il s’améliore avec le temps et l'entra?nement pour se convertir en source de capital humain qui peut encore augmenter avantageusement dans des circonstances données, les sources de capital. De même que le pétrole constituait, il y a à peine un demi-siècle, un élément minéral sous-utilisé et est devenu le sang du monde moderne, ce qui s'appelle excès de population dans un pays sous-développé peut constituer le moteur même de son expansion, les forces productives une fois libérées. b) Le coefficient Terre-Homme.La population ha?tienne définie comme population rurale comprenait en 1950, selon le critère purement administratif adopté, un total de 2.705.667 personnes??; soit donc 87,4% de la population totale. Si on considère le chiffre de la population directement liée au secteur agricole par son type de travail et de subsistance, cette proportion atteint 92%. Ce taux comparé à la population de 1962 qui, selon une estimation du Service de Population?, était de 4 330 619 individus, donne un chiffre de 3.974.170 pour la population agricole actuelle.La densité démographique actuelle s'élève donc à 156 habitants par km2. Dans les campagnes, cette densité varie dans des limites très amples atteignant un maximum de 500 dans les zones rurales du Sud-Ouest et un minimum de 40 dans les zones du Plateau Central. Ces variations sont en étroite relation avec le développement historique et les particularités de l'économie régionale. Le nombre d'habitants par kilomètre carré de terre cultivée atteint près de 600. Ce coefficient Terre-Homme montre la grande pression qu'a exercé la population sur l'économie agraire. Cependant, toutes les terres cultivables sont loin d’être cultivées, et la pression démographique ne s’est pas traduite par une certaine expansion de la population sur de nouvelles superficies comme les propriétés non exploitées ou les ?les adjacentes. Il para?t donc clair qu'un facteur extra-démographique a constitué une barrière à cette tendance naturelle vers l'espace vital. Ce facteur a déterminé également les caractéristiques de la distribution démographique comme elle appara?t maintenant. Un développement parallèle des forces productives aurait orienté l'expansion de la population dans le sens de la colonisation des terres vierges, dans un effort pour profiter des terres inutilisées, ce qui ne s'est jamais manifesté en Ha?ti?*.[64]Précisément parce que la population a augmenté dans une proportion énorme, près de six fois depuis la consolidation du régime féodal, de 1820 à nos jours, alors que les forces de production n'ont pas augmenté considérablement ni en productivité, ni en technologie, on est arrivé au point où l'économie nationale n'a pas été capable d'absorber l'accroissement de population. L'économie urbaine, essentiellement spéculative, n'a pas créé une demande de main-d'?uvre qui pourrait décongestionner l'expansion démographique et donner lieu au processus d'urbanisation de la population qui accompagne tout progrès technologique au sein d'une économie.Ainsi, l'excès de population dans les champs appara?t avec toute son acuité à cause de la production réduite par homme, à cause du ch?mage déguisé ou total. Un expert des Nations-Unies pour l'organisation des Communautés, a évalué, en 1952, qu'il existait en Ha?ti un potentiel inutilisé de près de 120.000.000 de jours de travail par an. Ce qui représente en chiffres correspondant à l'actuelle population, une moyenne de désoccupés de près de 450.000, desquels près des 9/10 correspondent au secteur rural. Ce chiffre semble encore très loin de la réalité si on considère que selon le recensement de 1950, seulement 277 547 familles paysannes occupent la terre à titres divers, les autres travailleurs étant dépendants, des sans emplois, etc.Si quelqu'un observe la vie rurale, il se rend compte du peu d'utilisation des forces de travail?: le paysan est un rude travailleur, et même les femmes paysannes s'adonnent aux travaux agricoles les plus durs. Cependant, dans les campagnes abondent des oisifs de toutes sortes qui travaillent deux ou trois jours à la semaine, des ??ch?meurs déguisés?? qui se dédient à des activités indéfinies et sont toujours en quête d'un travail. De plus, le peu d'organisation des marchés ruraux, parfois situés à des dizaines de kilomètres de certaines exploitations rurales, et vers lesquels le transport des produits doit se faire à dos d'hommes, contribue à diminuer les jours de travail productifs. Il suffit de rappeler d'ailleurs, qu'à l'époque où l'on recrutait des ??braceros?? pour les champs de canne à sucre de Cuba au cours des années 1915-1930, et pour la République Dominicaine récemment, des dizaines de milliers d'hommes se présentaient prêts à partir. Et l'émigration annuelle de quarante [65] à cinquante mille braceros ne signifiait aucune baisse spécifique dans la production, sinon une aération du ??marché du travail?? à la campagne. Si toutes les personnes économiquement actives, 77% de la population active totale? travaillent dans des conditions optima de productivité, l'excédent économique qu’ils auraient ainsi engendré signifierait un changement radical dans la physionomie du pays. La sous-utilisation de ce potentiel humain a provoqué des migrations constantes d'hommes qui viennent se dédier ??à des activités non définies?? et de femmes qui tombent finalement dans le travail domestique ou la prostitution.c) Surpopulation par rapport à la structure économique.Le taux de croissance démographique dans le pays est de 2%?; dans la campagne, il atteint 1,8 actuellement, après avoir été de 1,2 dans le passé?. Ce taux n'est nullement élevé dans une nation qui ne pratique pas le contr?le de la natalité?; mais les sources humaines sont réduites par une mortalité infantile qui atteint plus de 300 pour mille et par des conditions de vie qui abaissent à 32,4 ans.? L'espérance de vie à la naissance. Ainsi, le mouvement séculaire de la population dans les conditions actuelles n'est pas ce qui freine le processus de développement. Si l'économie fait marche arrière, on ne peut accuser le facteur démographique, surtout quand les niveaux de consommation de cette population sont si bas. Au contraire, si la population vit en marge du bien-être, c'est précisément parce que la structure économique et le présent degré de développement des forces productives n'ont pas été et ne sont pas encore capables de mettre en route l’économie?*.??C'est une élucubration de dire que la pauvreté d'un pays est provoquée par la pression de sa population?; c'est également une pure fantaisie de vouloir lui attribuer l'impossibilité physique de pourvoir une population croissante [66] en aliments suffisants.??La surpopulation, telle qu'elle existe dans la présente étape du développement historique, n'est pas une surpopulation par rapport aux ressources naturelles, sinon par rapport aux instruments de la production, par rapport à la structure économique.?Cette affirmation se vérifie pleinement dans le cas d’Ha?ti Des 195.000 ha de terres irrigables que possède le pays, seulement près de 70.000 sont irriguées?. Il n'a jamais été réalisé dans le pays un programme scientifique de colonisation, d'amélioration des sols. La superficie cultivable est de loin supérieure à la superficie cultivée. Les 200.000 ha du Plateau Central, employés comme p?turages de moyenne qualité, pourraient être récupérés pour la culture avec des moyens techniques suffisants?; et de même pour beaucoup d'autres sols, marécageux, boisés ou de qualité inférieure. L'improductivité ou la sous productivité de nombreuses terres dont les propriétaires sont absents, ou de parcelles antiéconomiques, engendrent un gaspillage à grande échelle. Autant de ressources qui, si elles étaient récupérées par une organisation adéquate des forces productives, augmenteraient favorablement la relation produit/ travail.III. LA TENURE DE LA TERRERetour à la table des matièresLa distribution de la propriété agraire, dont le r?le décisif est pleinement confirmé par le développement historique de tous les pays du monde, occupe une place importante comme facteur économique et social qui influe profondément sur l'agriculture?.L'importance de ce facteur a été clairement prouvée tout au cours de la formation de la nation ha?tienne. Il a déterminé le développement économique jusqu’à l'actualité. Le mépris ou le silence traditionnel qui ont entouré l'importante question de la relation entre les hommes et les moyens de production en usage dans l'agriculture, ont caché dans une grande mesure la clef du retard de la société ha?tienne. La preuve la plus évidente?: en cent soixante ans d'indépendance on n'a jamais entrepris le cadastre national, malgré l'importance d'une telle entreprise et la faible extension du territoire.La forme de la propriété agraire, a fondamentalement déterminé [67] le caractère de la production en qualité et en quantité, la tendance à l'expansion ou à la dépression, les formes de distribution des produits, et aussi les relations entre les différents groupes sociaux. Tous les autres facteurs ci-dessus mentionnés ont évolué autour de celui-ci, accentuant une série d'interrelations qui sont arrivées à cacher le n?ud du problème, en laissant au grand jour seulement les obstacles et contradictions superficielles C'est précisément parce que la forme de la propriété agraire toujours été inadéquate ou sans dynamisme, que les facteurs naturels n'ont pu être améliorés ou contr?lés?; l'intégration de l'homme à la terre est devenue impossible, l'agriculture n'a pas nu évoluer, le processus de développement de la vie économique a été négatif, en un mot, le démarrage n'a jamais pu s'accomplir. ??C'est un fait notoire que tout progrès agricole dépend fondamentalement de la structure agraire, et ceci est vrai tant pour le progrès technique que pour le progrès humain, qui va depuis l'efficience de l'homme des champs jusqu’au progrès de l'agriculture elle-même?.?? Maintenant, après avoir trouvé a priori les causes de la situation de stagnation de l’agriculture dans l’actuel régime, il convient de commencer avec soin l'examen de cette structure et d'en étudier les principaux composants.A. Traits généraux.Retour à la table des matièresLa structure agraire, du point de vue de la distribution de la terre, peut être caractérisée comme un mélange hybride de quatre formes de propriété précisément limitative d'un développement économique équilibré?: 1)Le latifundisme d'?tat provenant des origines de la nation?; 2)le latifundisme privé, étroitement lié à un cadre politique de favoritisme?; 3)le minifundisme né de contradictions à la fois économiques, démographiques et juridiques en vigueur depuis un siècle et demi?; 4)l'économie de plantation?? introduite par le capital étranger, spécialement dans des buts de lucre et en fonction des nécessités du commerce international.De même que le cadastre du pays n'a jamais été effectué, il n'existe pas non plus d'enquêtes rurales pouvant définir la réalité actuelle de la tenure de la terre. La statistique officielle s'est attachée à jeter la confusion dans la matière, dans son désir de présenter une image merveilleuse de la structure agraire. Comme [68] illustration du caractère trompeur de cette statistique, et aussi comme preuve de l'hybridation de cette structure, il convient de présenter le tableau considéré généralement représentatif de la propriété agraire en Ha?ti.Distribution des exploitations agricolesselon le statut économique des exploitants?DépartementPropriétaires Fermiers de l’état Fermiers departiculiersGérants??De moitié?? Tenure inconnueTotalNord 41.140 1.022 1.475 1.730 1.938 832 48.182N-O.12.060 709 276 484 556 241 14.326Sud 66.143 594 1.653 2.281 2.207 4.058 76.938Art. 44.718 1.850 1.391 1.375 1.128 2.416 51.878Ouest 71.617 2.086 3.487 2.172 3.754 3.108 86.224Total 235.678 5.261 8.282 8.042 9.628 10.655 277.546%84.91 1.90 2.90 2.90 3.47 3.83 100%Les éléments constitutifs de ce tableau sont significatifs. Seul le secteur ??plantation?? n'a pas été mis en relief parce que le recensement s'est fait à partir d'enquêtes sur les foyers paysans. En considérant la section ??propriété inconnue?? on fait généralement référence à des terres dont les occupants actuels se croient autorisés à jouir de la ??prescription légale??, mais qui originellement, de fait ou potentiellement, appartiennent à l'?tat?; si on ajoute ce pourcentage à celui des fermiers des terres de l'?tat, la proportion des occupants qui travaillent les terres de l'?tat atteint 5,73%. Les fermiers, gérants et métayers travaillant les terres de propriétaires absents atteint 9,27%, Tandis que le nombre d'occupants propriétaires se chiffre à 84,91% du total.On pourrait penser, à première vue, que dans l'agriculture ha?tienne, la terre appartient d’une fa?on prédominante à ceux qui la travaillent. Une tradition déjà acceptée par beaucoup laisse croire que chaque paysan a son propre lopin. L'orientation même de recensement a été décidée en fonction de cette tradition orale. Et on s'explique pourquoi les résultats semblent confirmer cette opinion. Cependant, comme l'a signalé le professeur Moral, ces données sont en contradiction avec les résultats de certaines enquêtes régionales (Sud-Est et Région Centrale du pays). La proportion des propriétaires, dans ces deux régions, tombe à 54% et 51,22% successivement?, en faveur des fermiers de l'?tat ou des terres de particuliers. [69]D'un autre c?té, les données du recensement manquent d'un élément essentiel, pour la valorisation scientifique du mode de propriété de la terre. ?tablir que près des 85% des exploitants agricoles sont propriétaires de leur lopin, n'éclaire nullement sur la tenure de la terre si on ne définit pas la proportion de la superficie totale contr?lée par ces propriétaires. Il y a des propriétés rurales appartenant à des paysans pauvres, qui couvrent un quart ou un dixième d’hectare?. Même en supposant que ces 85% seraient réellement propriétaires de lopins d'une superficie moyenne de 0,5 ha, tandis que les 15% restants occuperaient des exploitations de 5 ha, la superficie totale contr?lée par ces 15% serait encore très supérieure à celle des propriétaires. Cela signifierait un régime de propriété dans lequel la terre appartiendrait principalement à une minorité de rentiers ou de latifundistes.Si on considère le grand nombre de propriétés de plus de 100 ha, on peut encore mieux parler d'une forte tendance à la concentration. Il faut espérer que d'autres investigations viendront déterminer plus s?rement le mode d'appropriation du sol, en fonction de la superficie contr?lée par chacun des types d'exploitants mentionnés ci-dessus. Une donnée intéressante doit être signalée?: près de 170.000 ha des 600 à 700 mille actuellement cultivés, sont occupés par des fermiers. Il conviendrait d'ajouter à cette extension qui constitue près de 25% des terres cultivées en Ha?ti, celle occupée par les métayers et les occupants sans titre de propriété bien défini, afin d'avoir une idée de la surface totale contr?lée par les non propriétaires.B. La paysannerie sans terre.Retour à la table des matièresMalgré le caractère ambigu de la structure agraire, il appara?t clairement que le latifundisme, soit dans sa forme authentique privée, soit déguisée sous le manteau de l'?tat, constitue la forme de propriété agraire prédominante. Un appendice organique du latifundisme para?t cependant constituer la manifestation la plus typique de cette structure agraire?: il s'agit du manque absolu d'exploitation agricole chez une fraction importante de la population rurale. Une énorme proportion de paysans adultes, de chefs de famille ne sont ni propriétaires, ni fermiers, ni métayers, ni exploitants de ??terres à tenure inconnue??.Le professeur Paul Moral, interprétant ou répétant les données du recensement de 1950, présente une évaluation selon [70] laquelle il existerait 560 mille exploitations rurales. Cette affirmation part d'un calcul mécanique consistant à diviser la population rurale — 2.800.000 — par le nombre de membres moyens de chaque famille paysanne (cinq). Elle ignore l'existence en Ha?ti de paysans qui ne disposent d'aucune sorte d'exploitation et sont obligés de vendre leur force de travail ou de vivre d'activités non définies. Partant du fait que la famille paysanne compte en moyenne cinq membres, le nombre de chefs de famille atteint, selon le recensement de 1950, 560 mille. Le nombre de familles travaillant une exploitation propre est sensiblement différent. Le tableau no 1 donne un total de 277. 546 familles occupant des terres à des titres divers. Il en résulte un total de 282 454 pères de famille qui n'ont pas de terre à travailler à titre de chef d'exploitation. Une population de 1.412.210 personnes, soit 49,71% de la population rurale de 1950 s'en trouve affectée. Cette proportion a augmenté considérablement, à cause de l'augmentation de la population et la paupérisation qui depuis 1955 a atteint un haut degré. De plus, au cours des années 1950-1956, des changements importants dans la propriété terrienne ont été introduits avec l'établissement de certaines entreprises étrangères. Les nécessités de leurs exploitations, ou le désir de spéculations sur le futur les ont porté à s'approprier de grandes superficies, ce qui a contribué à troubler encore plus la définition actuelle de la tenure agraire. Il convient de noter que des entreprises comme le Ciment d'Ha?ti S.A., la Caribbean Mills co., contr?lent des centaines d'hectares. La SEDREN, compagnie d'extraction du cuivre, a une concession de 115.000 ha et la Reynold's Mining co. 150.000 ha?.C. Le minifundisme.Retour à la table des matières??Dans beaucoup de pays sous-développés, il est moins important de déterminer la superficie minimum d'une petite exploitation économique permettant la pleine utilisation par le paysan de ses instruments de travail, que de fixer l'extension capable de fournir le minimum lui permettant de subsister, soit directement, moyennant la culture de produits alimentaires ou indirectement par les revenus dérivés de la récolte. Donc la norme ne doit pas s'interpréter en fonction de l'échelle d'exploitation nécessaire, sinon en fonction du niveau minimum de la consommation d'aliments. Sur cette base, le critère de la superficie [71] ne suffit pas seul, car il existe de grandes différences entre l'intensité de la culture et le rendement. ??Et même quand on prévoit une marge, tenant compte des différences dans l'intensité de la culture, on peut affirmer que dans beaucoup de pays, un grand nombre d’exploitations agricoles sont trop petites pour fournir à l'agriculteur et sa famille la quantité minimum pouvant assurer sa subsistance ou l'occuper totalement et également trop petites pour permettre une amélioration des méthodes de culture?.?? ??La faible extension des exploitations agricoles constitue le centre du problème agraire en Ha?ti.??? ??On peut affirmer que l'extension réduite d'une grande partie des exploitations agricoles est le caractère essentiel de la structure du pays.??? Loin de nous de voir dans le morcellement exagéré le centre du problème agraire d'Ha?ti... Ces opinions, cependant, donnent une idée de l'importance du problème?!Le minifundium en Ha?ti est né, dans une certaine mesure, des distributions de petites quantités de terres, opérées par Pétion peu avant sa mort, par Salomon en 1883 et sporadiquement par beaucoup de présidents?; cependant, vu le nombre de ces donations et leur faible extension à l'échelle nationale, elles n'auraient pu marquer à un si haut degré le terroir ha?tien.En plus des survivances féodales, un facteur important a été la pression démographique qui pendant plus d'un siècle s'est fait sentir exclusivement dans le secteur primaire. De plus, la nécessité de survivre, le désir de tout laboureur d'avoir son propre lopin, celui de pouvoir donner un terrain à son fils qui se marie, le haut co?t de la terre en relation avec le pouvoir d'achat du paysan et qui l'amène à acheter de petits terrains à la mesure de ses épargnes, tous ces facteurs économiques, liés à l'expansion d'une population à la recherche d’un bien-être minimum, ont trouvé une voie d’échappement, dans les dispositions légales inspirées du Code Napoléon. Code, considéré par Frédérique Leplay comme une machine à pulvériser le sol?.Ce code, qui a eu des effets funestes dans d'autres pays — notamment le Portugal, pays présentant des traits de similitude très frappants avec Ha?ti en matière agricole — a été analysé [72] par le professeur Henrique de Barros, de l'institut d'Agronomie de Lisbonne?:??La distribution égalitaire de l'héritage de la propriété foncière est sans aucun doute la cause la plus importante du fractionnement de la terre. Elle s'appuie sur le Code Napoléon dont les principes fondamentaux sont les suivants?: ??La division peut se faire en espèces, pas seulement en valeurs, du moment que les héritiers aient obtenu le droit d'exiger leur participation, sous la forme des biens fonciers compris dans l’héritage. ??La division ou la répartition doit se faire dès qu'un héritier l'exige sans nécessiter d'autre Justification...?? ??Cette Législation établit de fait des principes qui correspondent aux préférences personnelles des agriculteurs et son application extrêmement rigoureuse a mené plus loin que ne le voulaient les législateurs. Le préjugé en faveur des portions égales de la propriété foncière a été conduit à de telles extrémités, qu'il mène à la division de toute la terre, de n'importe quel type de culture ou de production, par suite d'héritages successifs il a abouti à une plus grande dissémination des terrains, qui atteignit dans beaucoup de cas des records de fragmentation?.??La grande similitude entre les dispositions légales qui ont influencé la Situation agraire dans ces deux pays, Portugal et Ha?ti, révèle que ce n'est pas par hasard que ces deux régions soient précisément sous-développées la Première étant la nation la plus pauvre d'Europe et l'autre la plus retardée d'Amérique.Le maintien de ce régime juridique depuis plus d'un siècle est d? à l'existence même du régime politico-économique semi-féodal. Les défenseurs et bénéficiaires de ce régime, avocats, notaires tirent un grand profit des expropriations légales réalisées à l’occasion des conflits pour héritage provoqué par l'application du code.L'importance du nombre de propriétaires en relation avec celui des occupants des exploitations agricoles a été déjà soulignée??: Quant à la Petitesse des lopins, on la signalait déjà en 1943 pour les terrains tributaires des grands systèmes d'irrigation des plaines contr?lées par l'?tat?: des 12.006 étudiés, 589 occupaient moins d'un quart d'hectare, 9 536 (79,45%) moins de 2 hectares et 93,71% moins de 5 hectares?: Par ailleurs, plus [73] de la moitié des 11.086 fermiers de l'?tat, possédaient au plus i 29 ha e n 1938?. La situation actuelle peut être appréciée dans le tableau suivant, où la superficie des exploitations agricoles appara?t avec le pourcentage du nombre d'exploitations.Répartition des exploitations selon leur superficie?*Superficie en hectares?**PourcentageJusqu'à 0.32 3.1%de 0.32 à 0.97 28%de 0.97 à 3.77 52%de 3.77 à 12.30 15%de plus de 12.30 1.2%On découvre des différences régionales. Les deux tiers des familles comprises dans la zone du ??pote cole?? (nord) ont moins de 3.8 ha. Les paysans de la région de Marbial ont des propriétés de 1/10 d'hectare ou moins. Dans ces conditions, il est difficile de retrouver une moyenne qui ne soit purement théorique et qui reflète réellement le morcellement des exploitations. Le chiffre de 2 hectares pourrait représenter une moyenne plus ou moins juste, mais il convient de souligner que les établissement disposant d'un tiers d'hectare (3,1%) en conditions de fertilité moyenne, peuvent difficilement assurer l'existence d'une famille au niveau moyen de subsistance. De toute fa?on, la culture intensive qui pourrait s'entreprendre dans ces conditions, engendre immédiatement un rendement non proportionnel aux dépenses nécessaires?; surtout quand se maintient l'usage d'instruments primitifs de travail, les seuls possibles d'ailleurs au milieu d'une telle pulvérisation. La faible extension de l'exploitation en rend la culture anti-économique. On ne peut employer les animaux de trait et on arrive à la situation incroyable ??d'arbres encavés???; cette situation a été engendrée par les divisions et les achats successifs qui ont séparé la propriété de la terre de celle des arbres?: la terre appartient à l'un et les arbres plantés à un autre.Une situation très souvent similaire s'observe dans presque toutes les parcelles de moins d'un hectare (31% des exploitations agricoles).Que la terre soit aux mains de ses propriétaires, ou de petits fermiers de l'?tat, ou de particuliers, son caractère anti-économique se met encore plus en relief par les conditions mêmes du travail et de la vie agricole. Cet état de choses s'aggrave [74] quand un grand nombre de parents ou de voisins sans exploitation propre viennent pressionner la parcelle dans le but d'assurer leur subsistance. Dans le département du Nord, par exemple, sur 27.785 familles qui occupent des propriétés de moins d'un hectare, 4.690 sont composées de plus de cinq membres en moyenne?.Par ailleurs, la propriété est bien souvent disséminée sur divers terrains, ce qui en rend difficile l'exploitation. En effet, seulement 33,5% des exploitations agricoles sont groupées en un seul terrain autour de la maison?; 20% ont des terres loin de la maison et 46,5% sont représentées par des parcelles disséminées?.Ainsi, la tenure de la terre se caractérise par un grand nombre de petites fermes de subsistance?. Une bonne partie de la subdivision de la terre s'opère sans considération de dimension?; sans le contr?le préalable du registre des titres. Tout ceci produit un sentiment d'insécurité dans la possession de la terre chez les petits paysans. De fait, la propriété, pour eux, est des plus fragile.Toutes ces particularités du mode d'appropriation minifundiste ne correspondent nullement à une forme d'exploitation optimum. Au contraire, tout le monde conna?t les désavantages d'une structure agraire qui se caractérise par la dissémination des terres, surtout quand elle arrive au niveau de la fragmentation. Ces désavantages vont depuis les difficultés d'accès, la disposition illogique des sentiers, l'obligation de tenir compte des droits de passage, ce qui donne lieu à des disputes?; à des procédures légales, conduit à la rotation obligée des cultures, au maintien des anciennes méthodes de labourage, à l'impossibilité d'introduire la mécanisation et aussi d'appliquer les mesures d'hygiène pour les plantes à une échelle adéquate.D. Le latifundisme.Retour à la table des matièresEn définissant le latifundisme, on doit établir une relation fonctionnelle entre l'extension considérée comme ??grande propriété?? et la faible superficie d'un territoire national fortement peuplé, morcelé et traversé par des montagnes abruptes nullement propres au labourage. ? Mexico ou au Pérou, et même à Cuba, une grande propriété suppose un minimum de 100 ha et peut atteindre des superficies allant de 1.000 à 150.000 ou plus. En Ha?ti, si on tient compte des particularités de la géographie [75] économique, on peut qualifier de grande propriété toute extension de terre qui dépasse sensiblement la moyenne de la propriété individuelle, économiquement exploitable par une seule famille dans les conditions actuelles de la technique agricole. En règle générale, chez nous le grand propriétaire est un absentéiste qui exploite sa propriété à travers des fermiers, des gérants, desquels il tire un surprofit sous concept de rente, de fermage, de métayage ou autres.On ne peut définir rigoureusement la grande propriété en des termes quantitatifs, en proportion avec son étendue. Si on considère la moyenne propriété rurale, on peut risquer l'affirmation que toute extension continue de plus de 12,30 ha est une grande propriété rurale. Une propriété plus réduite peut également constituer un domaine féodal, qu'elle appartienne à l'?tat ou à un particulier absentéiste. En général y prédominent les rapports féodaux de production?; le salaire n'intervient pas dans les relations de travail.Une opinion jalousement défendue par les Ha?tiens des villes nie l'existence de la grande propriété dans le pays. L’opinion courante des paysans diffère sensiblement. N'importe quel observateur qui a visité les campagnes dans des buts de recherche, se rend compte de l'existence de propriétés dépassant parfois 300 ha. Le professeur Mintz, durant un bref séjour effectué à fins d'enquête rurale, a évalué à un millier les grandes propriétés de 300 à 1000 acres, soit de 97 à 317 ha?.Dans les zones proches des villes, d'immenses propriétés appartiennent à des citadins, commer?ants, spéculateurs, politiciens ou anciens politiciens. ? l'intérieur du pays, les gros paysans vivant dans de grandes maisons couvertes ??de t?les??, contr?lent de très grandes étendues de terre sur lesquelles vivent généralement toute une armée servile. L'?tat contr?le d'immenses espaces parfois abandonnés ou affermés à des paysans. Ces terres sont toujours d'une productivité inférieure à celle qui pourrait être obtenue avec des moyens modernes de culture. L'examen des différents aspects de la structure latifundiste, selon leur importance, permet d'offrir les données suivantes?:a) Le latifundisme d'?tatLa nationalisation des propriétés coloniales avait été une des conquêtes de la révolution agraire et politique de 1804. Malgré l’accaparement massif des terres par les généraux et fonctionnaires civils du nouveau régime, les distributions faites aux nobles à partir de 1805 et aux soldats et officiers à partir de 1815. (concessions évaluées dans leur ensemble à 180.132 [76] hectares)?, l’?tat est demeuré le plus grand propriétaire de biens fonciers en Ha?ti.L’extension du domaine public, cependant, n’est pas connue, malgré les cadastres prescrits par les nombreuses lois de 1835-1862-1870-1908-1922. Récemment, en 1961 cette extension a été estimée à 30% de la superficie de la République? En 1928, Arthur Millspaugh l’évaluait à près de la moitié du territoire national?. En théorie, cette extension cro?t de Jour en Jour?; la vente de ces terres est pratiquement stoppée, les concessions se font lentement et par des étendues très réduites (Excepté pour les compagnies étrangères.) En plus, l'?tat peut occuper les terrains abandonnés et prescrire légalement contre les particuliers après un délai de dix ans, alors que depuis 1862 la prescription contre l’?tat a été abolie?.Ce domaine couvre de plus les ?les adjacentes. C'est le type de l’économie féodale. L’absentéisme est la règle. En 1939, les fermiers de l’?tat se chiffraient à 11.086. Selon le recensement de 1950, ce nombre était descendu à 5.261. Si on considère les terres de propriété inconnue (10.655) comme appartenant à l’?tat, ce chiffre atteint donc 15.916 exploitations agricoles dont l’extension est très variable et dont l’administration retombe en partie sur des organismes publics ou semi-gouvernementaux?. Ces derniers, par ailleurs se caractérisent dans le cadre de la superstructure en vigueur, par leur inefficience et leur faible productivité. La manifestation la plus indiscutable de ce latifundisme d'?tat réside dans le fait suivant?: Le trésor, comme n’importe quel particulier ou seigneur féodal, per?oit une rente annuelle pour les terrains de l’?tat. Cette rente atteignit en 1961 la valeur de 210.000 dollars?.Légalement, la concession d’une terre en fermage se fait sur la simple sollicitude du particulier. Le montant de la rente annuelle est fixé à 6% de la valeur marchande de cette propriété, selon la loi du 26 juillet 1927. ? partir de Janvier 1934, on fixe une limitation à l’extension maximum qui peut être concédée pour la constitution du “bien rural de famille”. Le service des contributions est chargé de la concession et de la supervision des opérations y relatives.La réalité de l’appropriation de ces terres est beaucoup plus complexe et extralégale. Le latifundisme d'?tat demeure en [77] grande mesure la mère du latifundisme privé. Des donations, des ventes arrangées, des concessions scandaleuses sont venues augmenter le patrimoine agraire de la minorité qui forme le pouvoir politique ou est protégée par celui--ci. Toutes les fraudes se réalisent aux dépens de l’?tat ou des petits fermiers. C'est là une réalité politico-permanente?; les concessions opérées dans la vallée de l’Artibonite l’ont mis récemment en relief. N’importe quelle amélioration infrastructurelle réalisée dans une zone géographique donnée (ouverture de routes, construction de ponts, travaux d’irrigation) déclenche automatiquement la ruée des classes dominantes sur les propriétés de l’?tat avoisinantes. La diminution du nombre des fermiers de l’?tat, est un corollaire de la concentration des terres de celui-ci en peu de mains. Ce processus se manifeste pour de nombreux travaux d’infrastructure entrepris depuis 1940.Le cadastre aurait mis à jour une situation que gouvernants et élite n’ont pas intérêt à révéler?: leur degré de contr?le sur les terres de l’?tat et des paysans. Une investigation réalisée dans la région de l’Artibonite, dans la plus grande plaine du pays, a révélé que les 5/6 des terres n’appartiennent pas aux paysans?.b) Le latifundisme privéLe deuxième aspect, le latifundisme privé, en plus de ses origines liées au favoritisme politique, surgit également d’un processus d’expropriation élégante, honnête, légale ou brutale, mais dans tous les cas moins apparent et plus continu. Il s’agit de l’accaparement des terres paysannes, usé par les représentants de la loi, les avocats, les notaires, les arpenteurs, les spéculateurs.Dans un pays où les disputes légales sur la propriété entre parents, voisins, etc., sont monnaie courante, il est naturel que les principaux bénéficiaires de cette situation soient les membres de l’appareil légal opérant au niveau de la section rurale ou de la commune. Ainsi, à titre d’honoraires, ou par un jeu d’attitudes illégales très variées, ces agents de la loi forment leurs latifundia, grands ou petits, à partir des parcelles en litige. Le même phénomène se reproduit quand le paysan, à cause du manque d’organismes de crédit rural, se voit obligé de recourir au notable de la ville, au spéculateur, à l’avocat, au commer?ant, au notaire afin d’obtenir les prêts devant couvrir ses dépenses personnelles et les frais de la production. L’impossibilité de correspondre à cette obligation le condamne bien souvent à perdre ses titres et il se transforme ainsi en fermier [78] de la parcelle qu’avant il travaillait en propriétaire?; il est même fréquent que quelques notables prêtent à des taux usuraires avec un clair esprit de vol?.Ces man?uvres louches, fortement enracinés dans la tradition ha?tienne, n’excluent pas le fait que des particuliers, absolument étrangers à ces pratiques, essaient d’investir leurs économies dans des entreprises agricoles exploitées par des fermiers ou des métayers. Ceci se vérifie surtout dans les villes situées dans les zones dédiées à la production de vivres et où l’absentéisme du propriétaire peut facilement se compenser par des visites fréquentes qui permettent un certain contr?le de l’exploitation.Cependant, il convient de souligner que le latifundisme ha?tien est loin d’être semblable à celui qui existait au Mexique avant la Révolution, ou existe actuellement au Pérou. A ce propos?:??La situation est différente du modèle courant en Amérique Latine et est de grande signification pour le développement agricole d’Ha?ti. L’élite possède peu de terres en relation avec les autres pays?.?? Le troisième aspect de ce latifundisme, le moins définissable, se manifeste dans le cas des grands domaniers ruraux. Ils vivent sur leur extension propre, laquelle est cependant administrée par des métayers ou des travailleurs agricoles permanents, généralement payés en aliments et logement. Le processus d’accaparement de ces terres se réalise essentiellement par l’achat des parcelles voisines. Les relations de production ont la particularité d’évoluer dans une ambiance de paternalisme rigoureux et exploiteur, typique du féodalisme. Il n’est pas rare de rencontrer des paysans adultes travaillant de fa?on permanente sur la plantation, sans d’autre statut que celui de ??restavec??, c’est-à-dire celui d’un domestique attaché à la production en qualité de serf. Les assemblées de travail, les ??corvées?? organisées par le propriétaire, les achats de journée sont la manifestation claire de l’incapacité des méthodes d’exploitation à assurer les travaux de labourage, de récolte et des autres labeurs saisonniers.Ces différentes formes du féodalisme ha?tien présentent certes des particularités propres quant à son mode d’appropriation, mais le mode de production ne change pas. Celui-ci se caractérise [79] par la création d’un surproduit par le travailleur, surproduit accaparé par les propriétaires privés ou par l’?tat. Les règles de fermage sont excessives?; les métayers donnent en paiement la moitié de la récolte et se voient chargés de redevances exorbitantes?; de plus, la loi ne garantit pas la sécurité de ces opérations. L’absentéisme est, en règle générale, le dénominateur commun de cette forme d’exploitation. Le retard des techniques et des méthodes de production est permanent. Les grands propriétaires ne sentent pas la nécessité d’investir dans les travaux d’amélioration de la terre puisqu’ils savent que le javeau de vie désespérément bas du paysan ne lui permet pas de payer une rente plus élevée. Bien souvent, la faible productivité de la terre n’assure pas au grand propriétaire les entrées suffisantes, à titres de fermage. Le peu d’argent ainsi obtenu se dédie à des buts spécifiques, pour sa consommation privée ou pour maintenir son statut social. Même l’?tat ne se préoccupe pas d’investir dans ses terres louées et les produits de la rente servent plut?t aux dépenses courantes du maintien de l’appareil bureaucratique des services publics, etc. Donc, la plus grande partie de l’excédent économique ainsi produit, au lieu d’être utilisée à de nouveaux investissements, se dédie de préférence à la consommation et à des dépenses improductives.Le caractère anti-économique de cette forme d’exploitation est durement ressenti par l’agriculteur. Ses répercussions se prolongent sur le plan de la production agricole et de toute l’économie nationale?; elle n’engendre ni l’épargne ni des investissements capables d’assurer un processus de développement économique, ni une augmentation substantielle du pouvoir d’achat de la population. Elle constitue, au contraire, essentiellement une survivance très enracinée du féodalisme, parasitaire et contraire au progrès.E. Plantations de type capitaliste.Retour à la table des matièresLe secteur économique de type capitaliste est le dernier venu et revêt une grande importance à cause de son extension territoriale. Les différences entre ce type d’économie et le mode d’exploitation latifundiste traditionnelle sont importantes. Le salaire intervient comme terme de rétribution et la production se réalise en forme systématique.Deux grandes entreprises étrangères dominent ce secteur?: La Haytian American Development Company (exploitation du sisal) et la H.A.S.C.O. (culture de la canne à sucre et production du sucre). Ces deux entreprises nord-américaines ne forment qu’un même monopole. ?tablies depuis l’occupation, elles contr?lent un peu plus de 30.000 hectares?; la H.A.S.C.O. cultive 11.000 ha et la H.A.D.C. (Plantation Dauphin) 16.598.38 [80] ha. Cette dernière contr?le en plus la Haytian Agriculture corporation de 4.056 ha?. Donc, toute la production de sucre dépend de la H.A.S.C.O. et également les 60% de l’exportation du sisal. Le mode de production et les techniques employées différent nettement de ceux des secteurs cités plus haut. Leur efficacité productrice est notoire?; les rapports de production engendrés sont de nature capitaliste. Dans cette catégorie capita. liste, on peut également faire entrer un grand nombre de plantations cultivant le sisal, dans la plaine du Cul-de-Sac, la citronnelle ou le vétiver dans le Sud, à l’?le-à-Vache et dans le Plateau Central. Un grand nombre de plantations de sisal appartiennent à des nationaux, mais elles sont essentiellement orientées vers les marchés extérieurs. Ces plantations se sont multipliées lors de ??L’euphorie du sisal?? qui accompagna la Guerre de Corée. Elles entrent pour 20% dans l’exportation de ce produit. Elles rivalisent avec la plantation Dauphin par des conditions inhumaines de travail réservées à la main-d’?uvre. Celle-ci travaille de douze à quatorze heures par jour, se voyant bien souvent privée du salaire minimum de 70 centimes de dollar prévu par la loi.En résumé, le mode de propriété de la terre et la forme de distribution des terres cultivées ont déterminé la faiblesse de la structure agraire, anarchique et inadéquate à un processus d’équilibre, voire de développement de l’économie nationale. Les traits suivants synthétisent la situation qui en découle. 1)La production agricole a toujours connu un état de stagnation ou de régression d? aux variations des conditions naturelles. L’agriculture reste soumise aux caprices du climat, des conditions naturelles du sol et des forces biologiques qui gouvernent la vie animale et végétale. L’offre du produit agricole n’augmente pas. La demande n’est nullement en corrélation avec l’augmentation de la population. 2)Les facteurs de la production sont à un niveau de sous-utilisation. Les terres abandonnées ou exploitées partiellement ne bénéficient d’aucun programme efficient d’extension de culture ou de colonisation, malgré la pression démographique. La main-d’?uvre abondante est sujette à la sous-occupation, au ch?mage déguisé et à un rendement très bas par homme. L’économie marchande au sein du secteur agricole est singulièrement rachitique.[81]3)La capitalisation à partir de l’agriculture n’a pas pu se faire. Les bénéfices réalisés n’ont pas été destinés à des fins d’investissement sinon orientées vers la consommation, soit de subsistance au niveau primaire, soit de luxe au niveau des propriétaires fonciers l’investissement, en actif fixe ou circulant, n’augmente pas au même rythme que la population. Les instruments de labour sont encore la houe, la faucille, le sabre court (machette), le pic?; on ne conna?t même pas en Ha?ti la charrue, non plus les engrais. Les méthodes et facilités d’arrosage sont inadéquates. 4)Les conditions de la vie rurale atteignent des niveaux infra-humains. L’endettement de l’habitant est irréversible. Selon une enquête réalisée pour une superficie de 3.250 km2 et peuplée par 96.275 familles, le montant de la dette contractée à des fins de consommation se chiffrait à 955.445 dollars?. Si on prend ce niveau d’endettement comme moyenne, on peut calculer, pour l’ensemble du pays, un chiffre global de 7 millions de dollars, représentant la dette paysanne. 5)Le secteur agraire étant le moteur du développement national, toute déficience de ce c?té freine l’économie générale. L’excédent économique produit par l’activité agricole est absorbé par le secteur commercial et par l’?tat, mais non à des fins d’investissement. La stagnation et le déséquilibre économique sont les résultats directs de ces déficiences.IV. POLITIQUE AGRAIRE DE L’?TAT.Retour à la table des matièresL’?tat ha?tien est toujours intervenu dans l’économie agricole. Il a cherché les moyens de fortifier l’agriculture, sa presque unique source de recettes. Le nombre Imposant de lois, décrets, dispositions constitutionnelles et administratives, en matière agraire en est la preuve. Il va sans dire, que ces préoccupations permanentes ont été con?ues et appliquées en fonction des intérêts des grands propriétaires terriens et des politiciens intégrant les successifs gouvernements. La ??philosophie?? de ces classes s’y reflète. Le plus souvent, ces mesures n’ont pas correspondu aux besoins de la nation.En analysant les institutions publiques tournées vers l’agriculture, les ?uvres d’infrastructure et les divers essais de développement agricole, on aura le bilan de la politique agraire.[82]A. Le cadre institutionnelRetour à la table des matièresToute l’activité économique et humaine de la sphère maire se réalise au sein d’un cadre institutionnel, né des traditions historiques et administratives en cours depuis près d’un siècle et demi.Le ??lacou?? qui représentait hier encore la cellule économique et ethnique de la vie paysanne, avec sa hiérarchisation, son culte du passé, a disparu presque complètement sous le coup de l’aggravation de la crise agraire. Il n’en reste que des débris Le paternalisme du ??chef lacou?? a diminué avec le temps. Il a reculé face au renforcement de l’autorité des ??grands dons??.Un cadre administratif s’est imposé de plus en plus?: la section rurale, une cellule politique au sein de laquelle se trouve le niveau le plus bas de la coercition militaire. ??Sans fondements géographiques précis, sans justification économique, cette institution s’est imposée par son r?le policier.? L’autorité du commandant de section, agent des forces armées qui accumule les fonctions de conseiller social, et éventuellement de ??chef bouquement?? aux périodes électorales, est la clef ma?tresse de ??l’organisation?? rurale, la personnification du pouvoir de l’?tat et le point de liaison entre le monde des campagnes et l’appareil dirigeant?.??La charte de la vie rurale demeure le code rural de Boyer.?? Le récent Code publié en 1962 n’est en fait que le prolongement du premier, malgré les belles théories qui semblent l’imprégner. A l’un et l’autre il faut ajouter les constantes arbitrariétés des représentants de la loi ou du commerce?: avocats, arpenteurs, percepteurs d’imp?ts, spéculateurs, usuriers. Agissant le plus souvent à l'échelle de la commune, ils constituent autant ??d'?tat??, investi d’un omnipotent droit d'exploitation. Le respect, la soumission et la peur qu’ils suscitent n’ont d’égal que les sentiments de vénération provoqués par les ??loas?? de la religion populaire. Les uns et les autres peuvent enlever au paysan sa liberté, sa terre, sa vie, sous la haute protection de la justice.Une institution où n’intervient aucun de ces aspects coercitifs, suscitant la méfiance de ??l’habitant??, est l’Ecole Rurale. Hélas?! en nombre infime, elle ne permet pas à la majorité des paysans de jouir des bénéfices de l’Enseignement. Seulement 11% des enfants d’?ge scolaire peuvent fréquenter les 750 écoles, mal loties, destinées à la population rurale, analphabète dans les 97%.Le prêtre catholique ou le pasteur protestant, qui touche de [83] loin de près les gens des mornes, souvent s'identifie aux étiques d’exploitation de la misère ou de l’ignorance paysannes. Les exemples de dévouement individuel ne compensent nullement les failles, les déformations de l’institution religieuse dans le milieu rural. Même la contribution qu’elle aurait pu apporter à l’enseignement se trouve compromise et limitée à des Niveaux très faibles.Les superstructures qui dominent le monde des campagnes et des mornes sont donc notablement débiles. Elles sont imprégnées des rapports d’exploitations en honneur au sein de la structure agraire. La paysannerie pauvre demeure sans défense, sans association de type revendicatif, sans organisation politique. Sa conscience de classe ne s’est pas encore manifestée?: aussi, nombreux sont-ils ceux qui parlent de la résignation des ??habitants??.B. L’assistance technique.Retour à la table des matièresDepuis 1920, le Ministère de l’Agriculture a vu le jour, dans le but déclaré de prêter assistance technique à l’agriculture, d’augmenter la production, en particulier pour l’exportation, d’améliorer les conditions de vie rurale... etc., etc. En 1949, ce Ministère comptait?:??plusieurs stations expérimentales, une école professionnelle d’agriculture, un centre de formation de professeurs ruraux, un service d’extension agricole, un autre chargé du contr?le de la qualité des produits techniques. De bons résultats avaient été obtenus en ce qui concerne l’implantation d'espèces améliorées de plantes et d’animaux, la reproduction de jeunes pousses, de greffes, d’arbres fruitiers et de plantes destinées au reboisement, l’introduction de méthodes perfectionnées de culture?.?? De nombreux agronomes, formés en Ha?ti, y travaillaient, plusieurs se signalant par leur compétence, ou par les brillantes études de spécialisation effectuées à l’étranger. Des agents du Service d’Extension Agricole se livraient avec patience à la dure t?che d’entra?ner des paysans aux méthodes nouvelles.Ce tableau de l’activité du Ministère de l’Agriculture, dressé par la commission Rosenberg, n’a pas changé tellement. Avec plus ou moins de continuité, plus ou moins de compétence technique, ce Département suit depuis des années une patiente [84] ??politique de développement agraire??, qui laisse pourtant voir ses fruits à une échelle microscopique en comparaison des besoins nationaux.L’assistance technique, malgré ses déficiences, son caractère limité, son traditionalisme, pourrait donner de notables résultats. Elle pourrait se traduire par une amélioration constante des espèces agricoles et du bétail, une augmentation de la production, des effets statistiques honorables, si ces activités ne s’exer?aient dans le cadre d’une structure réfractaire au progrès.Le problème agraire ha?tien ne se pose pas tellement en termes de compétence des agents administratifs, de dévouement individuel d’un ou de plusieurs agronomes, travaillant dans de dures conditions. Souvent, on semble vouloir rejeter sur ??l’inefficience de Damiens??, bien des maux. Il faut admettre, cependant, que les organismes spécialisés auraient pu accomplir une ?uvre fructueuse s'ils ne se heurtaient à de sérieuses limitations structurelles. Le problème agraire n'est point de nature agronomique, il est essentiellement économique. Le ??suivisme?? et la faiblesse organique de l'action administrative, l'insouciance de l'?tat à financer l'agriculture, une ambiance institutionnelle peu favorable à l'éveil de la conscience professionnelle, autant de facteurs qui sont venus s'ajouter au facteur essentiel sans toutefois le déplacer.Il faut dire aussi que l'action gouvernementale n’a jamais dépassé les limites de l’expérimental, malgré la grosse caisse trop souvent battue autour de tel ou tel projet. Le budget nominal affecté à l'agriculture a varié de 1949 à 1962 entre 748.375.00 et 2.158.105 dollars. Représentant les pourcentages suivants du Budget national?: 1949-1950?: 3,4%?; 1951-1953?: 2,1%?; 1954-1956?: 1,6%?; 1957- 1960?: 2,3%.Les sommes annuellement investies dans les programmes concrets d'extension ou d'amélioration agricoles sont difficilement calculables. Elles représentent une fraction très peu considérable du Budget départemental, lequel est absorbé en grande mesure par des frais bureaucratiques.Dans les districts agricoles actuellement au nombre de dix, le Département de l'Agriculture réalise à une série de travaux de routine aux résultats les plus aléatoires.L’?cole Nationale d'Agriculture assure la préparation des agronomes et lance à la circulation près de quarante dipl?més chaque quatre ans. Ainsi, la moyenne annuelle de formation de techniciens est de huit à neuf. Il en faudrait des dizaines. La formation des agents agricoles demeure sporadique et irrégulière.L'assistance technique enseigne aux paysans la conservation [85] du sol, l'amélioration des semences, la préparation de dép?ts, etc. Mais pour des t?ches de cette ampleur les moyens utilisés sont faibles et inefficients. ??Les problèmes d'augmentation de la production et de la conservation du sol ont atteint un tel degré d'acuité, qu'ils sont actuellement un caractère national et leur solution requiert de fa?on imminente une planification bien intégrée, et une action de force et d'urgence, liée à une vraie croisade nationale?.??C. Le Crédit AgricoleRetour à la table des matièresDans les pays sous-développés où la productivité est généralement basse, le processus d’accumulation Inexistant ou très lent, et les conditions de reproduction élargie très défavorables, le recours au crédit s’impose au cultivateur. Pour des travaux d’irrigation, pour l’achat ou l’amélioration des méthodes de culture, des semences, pour l’achat d’instruments, le crédit est essentiel, dans toute économie dominée par l’individualisme.Il y a à peine quelques années, sous la recommandation des Nations-Unies, l’?tat a créé un organisme de crédit. Depuis toujours, le paysan ha?tien a cultivé ses terres en appliquant ses propres techniques, en usant son propre capital, ou bien des emprunts à des taux usuraires (jusqu’à 50% par quinzaine), essayant de satisfaire ses besoins de production et de consommateur.La Banque Nationale d’Ha?ti, malgré un siècle d’existence, n’avait Jamais pu, ni même pensé, à mettre un service de crédit à la disposition de l’agriculture. Ses opérations s’orientaient principalement au financement du commerce dirigé vers l’étranger. L’Institut de Crédit agricole et Industriel essaya de combler cette lacune. La loi du 12 septembre 1951 s’effor?a d’orienter ses activités vers?: a)L’augmentation de la production des produits alimentaires. b)L’expansion des cultures avantageuses. c)L’introduction de techniques modernes dans la production agricole. d)La concession de crédits aux petits producteurs.?“Bien intentionné”, parfaitement structuré, cet Institut devait commencer ses opérations, avec un capital de 2 millions de [86] dollars. Elle était appelée ensuite à fonctionner avec un fonds de 5 millions obtenus de la Banque Nationale et d’un imp?t spécial sur les produits d’exportation (café, cacao). L’Institut concédait des crédits à long terme (5 à 15 ans) avec fidéicommis?; à moyen terme (9 mois à 5 ans) avec garantie, selon l’appréciation de ses experts. Pour les petites exploitations, la loi dispose que 90% des prêts doivent être à court terme (moins de 9 mois). Les résultats des sept premières années de fonctionnement peuvent se résumer comme suit?: D’un total de 1064 sollicitations de crédit, seulement 331 furent satisfaites. En moyenne, 47 par an, à l’industrie et l’agriculture. L’ensemble de ses prêts, pour les cinq premières années, se chiffrait à 2.786 434,13 dollars. L’industrie absorbait à elle seule 89,90% de cette valeur.? Des 276 608,17 restant, nominalement destinés à l’agro, une fraction réduite atteignit le secteur de la production proprement dite. Les interférences politiques en dévièrent la grosse part vers des activités plus hétérogènes. Il est hasardeux de retrouver l’utilisation réelle de ses emprunts derrière les rubriques statistiques telles que?: achats de matériaux, acquisition de terre, ?uvres d’amélioration foncière, fonds d’exploitation.Le crédit officiel n’est donc pas à la portée des agriculteurs. Ils continuent aujourd’hui à s’adresser aux notables du bourg, aux officiels de la commune. Mais à quel taux ces crédits sont accordés?? ? quel prix??Il est digne d’intérêt de signaler que pour une même période de cinq ans, 58 Mutuelles Paysannes ont octroyé à 7 mille sollicitants, 800 mille dollars, soit trois fois le chiffre global des opérations créditrices de l’I.H.C.A.I. Ne vaut-il pas la peine de tirer de ces faits la le?on que seule la mutualité paysanne, largement compris, peut modifier le sort de “l’habitant”??D’autres efforts de cet Institut ont été dédiés à l’intensification de la culture de la figue-banane, à l’administration d’une société régionale de développement antérieurement privée (la SHADA), et à l’acquisition d’une usine sucrière, dont la gestion par une compagnie privée s’était révélée désastreuse. Ces initiatives ont montré jusqu’ici des résultats trop incertains pour figurer comme des réalisations à l’actif de l’institution.Un second centre de crédit a vu le jour en 1956?: le Bureau de Crédit Agricole Supervisé, fondé sous l’initiative du Conseil Mixte Ha?tiano-Américain d’Aide économique et de la Secrétairerie de l’Agriculture?. Il se proposait, selon sa loi organique, d'accorder des prêts à court et à moyen terme aux agriculteurs ayant un ??potentiel de ressources suffisant, une attitude psychologique [87] positive en face de la vie et de leur niveau de vie?? (sic)?? L'action du Bureau s’orientait à augmenter la production par unité de superficie, à guider les paysans vers l'obtention de meilleurs rendements, par l'amélioration de leur technique de culture.?Des fonds de cette institution (176.400.00 dollars fournis par le gouvernement américain) 34,46% servirent à couvrir des frais de personnel?: 15,3% allèrent à la culture du café et 37% à l’achat de machinerie. Le gouvernement ha?tien se chargea des dépenses générales.Les prêts octroyés à court terme (un an) et à moyen terme (un an à cinq ans), au taux de 6%, totalisèrent 30 mille dollars après les treize premiers mois d'activité. ? la fermeture du B.C.R.S., en 1959, le total des opérations atteignait 35 521,50 dollars distribués entre cent treize bénéficiaires du Nord, de l'Artibonite et du Sud?.Jusqu’à l'actualité, aucune modification structurelle ou Quantitative ne s'est enregistrée dans l'organisation et la distribution du crédit à l'agriculture. La grave crise dont souffre l’économie a blessé sérieusement l'IHCAI, dont les fonds provenaient en partie d'une taxe spéciale sur chaque sac de café exporté.Un autre organisme, le Bureau de Crédit Agricole, est venu remplacer en juin 1959 le Bureau de Crédit Rural Supervisé. Ayant commencé ses opérations et activités en septembre 1959, il disposait alors de 300 mille dollars. Les prêts sont orientés vers des activités liées à la production du café, du cacao. Les opérations du B.C.A. sont surtout concentrées sur la zone du ??pote cole?? dans le Département du Nord où un projet de développement régional fut lancé en 1958?: ce dernier a bénéficié des 73,44% des crédits, durant les deux premières années de vie du Bureau. Le Sud et l’Ouest suivent avec une participation de 11,5% chacun et enfin l'ODVA avec 3,25%?.? part des crédits concédés à des particuliers, de préférence de gros paysans capables d'améliorer leur équipement, et offrant des garanties financières suffisantes, le B.C.A. a prêté d'importantes sommes à certaines coopératives. Celle du Dondon re?ut 20 mille dollars pour la construction d'une usine de préparation du café. Celle de Petit-Bourg, la même somme. La fabrique de beurre des Cayes a re?u un crédit considérable.Il est prématuré d'émettre un jugement sur le résultat global de ce nouveau programme?; de même sur le travail que peut [88] réaliser l'institut de Développement, création beaucoup plus récente (3 Juillet 1961).La loi organique de cet organisme, fixe des terrains d'action très importants comme, par exemple, le développement des entreprises agricoles et industrielles, des coopératives, l'octroi de crédits à des secteurs variés de la production dans un effort pour toucher le petit paysan. Il cherche à impulser la production de certains articles aujourd’hui importés. La loi fixe à 10 millions de dollars son capital social et autorise l’institut à constituer un fonds de réserve englobant Jusqu'à 50% du capital autorisé. La supervision comptable est à la charge de la Banque Nationale d'Ha?ti ainsi que toutes les opérations, comme les emprunts antérieurs ou extérieurs et même les concessions de crédit aux producteurs. Le montant d'un crédit ne peut en aucun cas dépasser 20 mille dollars, à moins que l'institut participe, comme actionnaire majoritaire (51%) à la constitution d'une entreprise?.La Justesse de ces dispositions légales saute aux yeux. Dans quelle mesure elles seront mises en pratique?? Quelle sera leu?: efficacité?? L'Institut de Développement dispose de plus de fonds que l'ex I.H.C.A.I et, en principe, de l'expérience, même négative, de ce dernier. Son désir d'aider les coopératives de fa?on active semble traduire — théoriquement du moins — une approche plus réaliste des voies de financement agricole mieux adaptées au pays. Mais, considérant l'effondrement de la structure agraire, et les conditions actuellement en vigueur dans l'économie et la société ha?tienne, il est fort douteux que l'institut de Développement malgré l’aide probable des organismes étrangers tels la Banque Interaméricaine de Développement, qui ont été les vrais créateurs, connaisse un sort plus brillant que ses prédécesseurs.D. Les travaux d'infrastructure.Retour à la table des matièresEn matière d'?uvres d'infrastructure, le bilan de la politique agricole demeure lumineusement significatif. La construction et l'existence de routes et chemins vicinaux devant faciliter le transport des produits agricoles aux marchés sont loin d'atteindre le minimum indispensable. La longueur du réseau routier atteignait en 1959, 3 065 km. De ce total, à peine 500 sont asphaltés et utilisables en toutes saisons. La majeure partie des voies de communication, coupées de rivières et de torrents sont de véritables casse-cou et font la ruine des camionneurs.Les voies ferrées couvrent une longueur de 254 km, chiffre qui reste stationnaire depuis les années 1930. Une bonne partie [89] de ce réseau dessert exclusivement les plantations sucrières de la H.A.S.C.O.Même le transport à traction animale souffre de la précarité réseau routier. Peu de régions connaissent l'usage des charrettes à b?ufs. Le développement notable du camionnage dans l’après-guerre, n'a pas pu remédier à la déficience des moyens de communications.Le cabotage reste au niveau le plus primitif et n'a pu nullement évoluer comme le commanderait la longueur exceptionnelle des c?tes ha?tiennes.Les travaux d’irrigation permettant d'élever la productivité des sols n'ont jamais bénéficié d'un plan rationnel de développement. Pas question de ceux destinés à augmenter la superficie cultivable. Depuis toujours, les principaux districts arrosés correspondent aux plaines, les plus faciles à Irriguer.On a utilisé les anciennes installations coloniales d'irrigations ou bien des canaux construits par les paysans à titre collectif ou individuel, utilisant pour ce faire les méthodes traditionnelles. Les puits artésiens sont peu nombreux. Jusqu’à ces derniers temps, seulement la H.A.S.C.O. et quelques entreprises privées avaient organisé l'arrosage de quelques milliers d'hectares, dans les alentours de la capitale. En 1950, et au cours des années suivantes, un effort pour augmenter les terres arrosées fournit à l'agriculture quelque 1836 hectares à Saint-Rapha?l dans le Nord et 897 autres dans la plaine des Moustiques?. Un projet de grande importance, con?u en 1949, fut lancé en 1953-1954 dans le but de capter les eaux du fleuve Artibonite pour assurer l'arrosage de la vallée du même nom et toutes les plaines environnantes. Ce projet devait permettre donc l'irrigation de 33 mille hectares et rendre possible la mise en culture de toute la vallée. Cet Investissement n'eut Jamais la rentabilité escomptée à cause de la faillite du plan d'ensemble prévu. Le développement de l’irrigation ne correspond à aucun effort équilibré. Actuellement, pour tout le pays, on estime à 70.000 hectares la superficie plus ou moins arrosée.E. Les expériences de développement régional.Retour à la table des matièresLa situation permanente de retard dans la technique, la productivité et l'organisation de la production agricole, a provoqué chez certains cercles ha?tiens et étrangers des doutes sur la capacité intrinsèque de l’élément paysan d'augmenter spontanément la production gr?ce aux moyens et méthodes traditionnels. Des essais officiels d'organisation rurale régionale ont été entrepris au cours des deux dernières décades.[90]a) Les colonies agricoles.??En 1938, le gouvernement ha?tien organisa une expérience de colonisation intérieure avec les ouvriers agricoles, qui avaient échappé aux tueries organisées par Trujillo sur la zone frontière?. Comme partie de ce programme, cinq grandes colonies, d'une superficie totale de 4 408 hectares, furent organisées avec le premier versement de l'indemnisation payée par le gouvernement dominicain en réparation du massacre des 15.000 Ha?tiens. 6 mille personnes (1425 familles) furent engagées pour la culture de ces terres situées dans diverses régions du pays.Chaque famille re?ut une propriété de 2,50 ha à 3 ha. Dans trois de ces colonies, des maisons particulières furent construites séparément sur chaque lopin. Dans une quatrième, une partie des constructions conservaient ce caractère isolé et le reste était groupé en village. Dans la dernière, elles furent toutes réunies dans un village. On érigea dans chacune également une église, une clinique, une école pour les gar?ons, une autre pour les filles, un marché et une station expérimentale de 18 à 44 hectares.??Chaque parcelle devait produire à la fois des vivres alimentaires et des articles d'exportation. Les colons re?urent, dans la première étape, les instruments agricoles courants, en même temps que des semences et de Jeunes pousses. Ils furent employés dans des travaux de labour et de construction.???L'expérience, malgré son caractère progressiste et son aspect apparent très réaliste, connut une faillite complète. A sa base, dans sa conception et son exécution, il n’y avait aucune idée de développement continu, aucun plan économique. Elle constitua une mesure politique, dictée par une situation embarrassante et pour laquelle le gouvernement devait trouver une solution immédiate. Quelques années plus tard, il ne restait de ces colonies que le souvenir d’une aventure cruelle inhumaine, celle de ces prolétaires ruraux abandonnés dans des régions inhospitalières, une fois la crise politique passée?: le cadre institutionnel condamnait d'avance cette expérience trop désarticulée.b) La S.H.A.D.A.Une deuxième tentative d'un type nouveau fut entreprise à [91] partir de 1941. Cette fois avec l'aide économique et l'assistance technique des ?tats-Unis.Suivant les termes d'un contrat de concession entre le Gouvernent et la Société Ha?tienne Américaine de Développement Agricole, la Banque Import-Export accorde un emprunt à Ha?ti pour la réalisation d'un programme de plantation de caoutchouc et de sisal, produits fort demandés sur le marché guerre nord-américain. La S.H.A.D.A. re?ut le monopole de importation du caoutchouc en plus de la concession de 150 Lille ha destinés à la culture de l'hévéa et d'arbres forestiers. Ce fut le drame des dépossessions. Et des milliers de familles paysannes virent leurs plantations de café ou de vivres alimentaires rasées par la compagnie. Celle-ci cessa, une fois la guerre Unie, d'utiliser les terres plantées.Cet impact brutal de la grande économie capitaliste agissant à travers des organismes publics sur la structure agraire ha?tienne représenta un désastre pour les paysans dépossédés, et, bien entendu, pour le trésor public.c) Le projet de Marbial.En 1949-1950, l’U.N.E.S.C.O. organisa un projet régional intitulé ??Expérience Pilote de Marbial??, dans le but de promouvoir le développement communautaire, d'aider les gens à élever leur niveau culturel, et à améliorer leurs conditions de vie. Tout l'appareil technique de l’U.N.E.S.C.O. fut mis à la disposition de ce programme qui envisageait l'éducation de base, l’éducation technique, domestique, l'apprentissage de nouvelles méthodes de culture, etc. D'après l’U.N.E.S.C.O. elle-même, ??le Projet Pilote de Marbial?? se concevait comme un essai intense et systématique de mettre à l'épreuve, par la pratique, la valeur des méthodes techniques les plus modernes en matière d'éducation fondamentale et visant aussi à démontrer que gr?ce à l'emploi efficace de ces moyens d'enseignement, on peut élever le niveau économique et social d'une société insuffisamment développée. ??L'expérience voulait montrer comment une équipe de spécialistes pouvait rompre le cercle vicieux qui emprisonne ces régions retardées... Rayonnant autour du centre d'activité éducative, située dans la vallée de Marbial, ce projet pilote s’étendrait progressivement à travers toute la République d'Ha?ti?.?? Ce plan, semblable dans sa conception à celui de Patzcuaro (Mich. Mexico) connut très peu de succès, après trois ans d’activité. [92] Une série de problèmes internes, administratifs et fonctionnels, et le manque d'enthousiasme des gens en approfondirent l’échec. La démonstration fut faite, encore une fois, de l'impossibilité de réaliser un travail effectif et efficient, même par un organisme des Nations-Unies, au sein d'une ambiance général défavorable, avec des institutions délabrées et donc sans les in dispensables réformes globales et structurelles. Ces dernières seules, peuvent garantir la confiance des masses rurales. Seules, elles permettent la liquidation des influences nocives, des intérêts égo?stes, enracinés dans la tradition.d) L'expérience bilatérale.Après l'échec total de chacun des programmes plus haut signalés, les organismes internationaux et le gouvernement ha?tien ont essayé de soulager les faiblesses de l'économie paysanne, par la mise en marche de ??plans de développement?? régional et même national sous la direction ou avec la collaboration d'organismes techniques nord-américains comme la SCIPA le Sact, Point IV, STRACH, ICA, TECHNINT, et enfin la HADO.Les résultats de cette coopération technique ne se sont nullement faits sentir sur le plan national depuis quatorze ans, si ce n’est dans le sens du renforcement de la domination impérialiste. Aucune modification de la tendance séculaire de la production. Aucun changement des conditions de vie des paysans. Le pays est entré dans une des crises les plus profondes de son histoire. Les bases de l'économie semblent s'affaisser.Des succès locaux et passagers de l'un ou l'autre de ces programmes ont été enregistrés en matière d'organisation de quelques caisses populaires, d'élevage de quelques espèces porcines, ou de réalisation technique d'une station expérimentale. Ils n'arrivent à cacher la souveraine inefficacité de ces plans, du point de vue macro-économique. La dernière, en date, des créations de cette coopération technique a été le “Programme pote cole", menée et dirigée par la HADO (Haytian American Development Organlzation).Le ??Pote Cole Programme?? fut, sans aucun doute, le plus grand projet d'organisation régionale con?u en Ha?ti. Son succès aurait signifié une exception inattendue à l'échec habituel et obligé de ces expériences entreprises au sein d'une structure agraire anti-économique. Mais, hélas?! en matière de sciences économiques et sociales, il est illusoire de s'appuyer sur des exceptions.? la différence de l'O.D.V.A. (Organisation de Développement de la Vallée de l'Artibonite), dont les t?ches se limitaient à la supervision des travaux d'irrigation et à l'augmentation de la production de riz, le ??pote cole Programme?? se présenta comme [93] un ensemble diversifié et coordonné prétendant intégrer l’économie paysanne dans un effort d'amélioration de la production agricole.??La superficie contr?lée est à peu près de 3.250 km2? soit donc 325.000 ha des meilleurs terres du pays. La population rurale comprise dans ce projet est de 503.048 individus, soit donc les 70% de toute la population du Département du Nord. 12% de la population du pays et une force de travail disponible de 246.660 individus?.??Cette zone fut divisée en quatre parties, où l’on essaya d'adopter le mieux possible les cultures les plus adéquates, d’améliorer les semences, de fournir l'assistance technique la plus large, de développer l'élevage et la pêche, d'améliorer les conditions de logement... Elle comptait une usine sucrière ??The Larue Sugar Plantation?? capable de transformer seize à dix-neuf tonnes de canne à sucre par jour, soit une production annuelle de 22 mille sacs de sucre (3.870 ha). De plus, deux fermes pilotes à Dosmond et à Grand-Bassin, de mille hectares, se trouvaient dans l'aire du ??pote cole??, y collaborant étroitement.Dans le but de financer les recherches en matière agricole, une valeur de 149.872,00 dollars fut investie?; près d'un quart de million fut destiné à l'extension agricole et un montant égal aux dépenses courantes. Au total, 750 mille dollars environ. Ceci, mis à part les frais d'administration et d'autres, non définis, inséparables d'une entreprise de ce genre.Précisément, pour mener à bien ce programme, et sans doute, d'autres, avaient été fusionnés, en 1961, les organismes nord-américains orientés vers l'agriculture. Ils vinrent former, avec la collaboration du Ministère de l'Agriculture, ??La Haytian American Development Organization, (HADO), dont les objectifs, définis par convention constitutive étaient?: 1)Augmenter la production des articles alimentaires et d'exportation ainsi que l'élevage. 2)Construire un moderne Ministère d'Agriculture et une ?cole nationale d'Agriculture. 3)Concentrer les efforts sur le développement agraire dans la zone du “pote cole”. ??Ces objectifs devaient intégrer un programme d'ensemble visant à solutionner les problèmes de santé, d'éducation, de communication, de transports et d'administration publique.?? Cependant, malgré ses formulations si prometteuses, l'expérience [94] de la HADO et la concrétisation de son ?uvre dans le programme ??pote cole?? se traduisirent par un échec retentissant. Certes, on enregistra un succès notable dans l'intensification de la culture de la tomate. Une usine de mise en bo?tes fut lancée par une filiale de la Hunds Foods inc. de Californie. La production de riz aussi augmenta sensiblement. En matière de développement communautaire et d'impulsion coopérativiste, des Jalons remarquables furent posés. Mais comme projet global, la montagne accoucha d'une souris...? cause des problèmes diplomatiques et politiques surgis en 1962-1963 entre le gouvernement ha?tien et celui de Washington, ce dernier procéda à l'interruption des programmes d'Assistance Technique. Ce fut le coup de gr?ce pour le projet “pote cole” qui connut une fin sans gloire.D'ailleurs, partie intégrante de la stratégie de pénétration impérialiste dans les pays sous-développés, ces sortes de programmes de ??développement régional??, par leur conception même, sont condamnés à ne pas prospérer. Vouloir constituer au milieu de conditions fondamentales contraires au progrès des ???les de développement??, c'est là une politique tout à fait aberrante. Sans attaquer et éliminer les défauts structurels, et fermant les yeux sur l'inefficience du cadre institutionnel, il est vain et même trompeur de prétendre améliorer les conditions économiques et rompre même partiellement le ??cercle vicieux??.L'expérience ha?tienne, comme celle de tous les pays sous-développés, a montré l'existence de facteurs limitatifs au progrès, de caractère objectif et subjectif. Et parmi ces facteurs figurent d'importantes contradictions que ??l'assistance?? du capital étranger ne saurait toucher si ce n'est dans le sens de leur renforcement. Ni l'aide technique, ni les injections massives de dollars ne peuvent stimuler une économie dont les structures demeurent anti-économiques et pourries et où les masses elles-mêmes, et les cercles dirigeants, en tout premier lieu, ne remplissent pas les conditions de mobilisation indispensables au démarrage.V. LA PRODUCTION AGRICOLERetour à la table des matièresAu cours de cet exposé sur la question agraire, référence a été faite avec insistance à la stagnation, à la tendance à s'affaiblir que manifeste l'économie agricole. Ce problème a constitué le thème à partir duquel a été étudié le problème économique, dans son ensemble, et le problème agraire en particulier. ? quelle réalité répond-il??On peut considérer cette réalité en terme absolu et en terme relatif.[95]Le concept relatif est lié au temps et considère l’augmentation de la population en regard des canons de consommation et de production considérés comme normaux. Le concept absolu, je son c?té, éclaire la signification réelle, actuelle, des chiffres de la production. Cette distinction méthodologique conduit à analyser?: d'abord la production de subsistance dans l'économie interne d'aujourd'hui, c'est-à-dire le volume du grappillage. Le manque de données empêche de faire la relation avec d'autres étapes de l’évolution économique, donc d'établir les divers niveaux de subsistance et de revenus qu'a enregistré une population en augmentation constante. En deuxième lieu, les produits d'exportation pour lesquels on dispose d’une base de comparaison avec d'autres moments historiques. Cette analyse se limitera à considérer des chiffres d'exportation comme manifestation de la tendance séculaire de la production à diverses étapes historiques.A. Production de subsistance.La production de subsistance se réalise au sein de la petite exploitation rurale dans le but d'assurer la consommation immédiate des produits agricoles et la réalisation d'un minimum de vente au marché local. L'argent per?u pour ces ventes est utilisé essentiellement pour l'achat d'autres biens de consommation indispensables. La règle est que la campagne qui vend au marché rural ou urbain sa provision de patates, de manioc, de ma?s, de mangues, d'oranges, etc., ne rentre pas chez elle avec l'argent. Elle y apporte d'autres produits agricoles qui n'existent pas dans la zone, ou bien du savon, du pain et très rarement le nécessaire à la confection d'un vêtement.Il est vrai que certains articles d'exportation entrent aussi dans l'économie familiale. C'est le cas du café et du cacao. Mais ils ne peuvent constituer la base de l’économie de subsistance étant en général des produits saisonniers.La vraie économie de subsistance repose essentiellement sur la polyculture et groupe des produits comme le ma?s, les pois, la patate et d'autres articles complémentaires de faible valeur marchande, comme les légumes et les fruits. L'élevage passager de quelques poulets ou de quelques cabris y figure parfois.Dans la majorité des cas, la dissémination des parcelles qui forment la propriété familiale s'accompagne d'une distribution minutieuse et compliquée de la culture?: selon les conditions naturelles locales et les nécessités de l'exploitation domestique existent divers ??jardins??, pour des cultures spéciales et d'ailleurs changeantes?: jardins de légumes, jardins de ma?s. Jardins de petit-mil, “jardins de terre froide”, “jardins de terre chaude". [96] etc. Il aurait fallu multiplier des enquêtes locales pour arriver à caractériser cette morphologie pulvérisée?. Elle est d'ailleurs très liée au rythme des saisons, aux fluctuations rapides des prix et aux qualités intuitives du paysan.Le caractère anarchique de cette production, sa dissémination et sa variabilité, le manque de données aidant à la mesurer, ne permettent pas d’établir une balance exacte de son volume et de la superficie occupée par ces divers produits. Une approximation assez édifiante serait celle proposée par le professeur Moral??: superficie cultivée?: production estimée?: rendement moyen?: Ma?s?: 335.000 ha?;230.000 tonnes?:680 kg par hectare.Mil?: 215 ha?; 150.000 tonnes?;690 kg par ha.Riz?: 65.000 ha?; 42.000 tonnes?; 640 kg par ha. Pois?: 100 000 ha?; 41.000 tonnes?; 410 kg par ha. Bananes?: 145.000 ha.Patates?: 95.000 ha.Il existe des différences très marquées en relations aux superficies cultivées par individu et les niveaux des revenus et des capitaux des divers producteurs. La figue-banane et plus encore le riz se cultivent le plus souvent dans des terrains arrosés appartenant en général à des propriétaires citadins ou à des gros paysans. L'excédent économique engendré par leur vente accentue bien souvent la tendance à l'épargne et renforce l'inégalité entre les paysans pauvres et les gros habitants. Le ma?s constitue l'élément de base de l’économie de subsistance et de l'alimentation nationale. Avec le mil, le pois, la banane, les fruits et légumes, il permet une alternance des produits du grappillage suivant les saisons. Cependant, l'apport de ces divers articles dans l'économie de subsistance est très difficilement définissable. Il convient d'insister sur l'importance de ce secteur de la production, dans la vie paysanne. Il représente l'unique activité permanente capable d'engendrer un revenu quelle que soit la situation économique individuelle. Au point de vue de la consommation, on peut établir avec les chiffres de population de l'année 1960 les coefficients suivants per capita?: ma?s?: 65,00 kg?; petit mil?: 42,70 kg?; pois?: 12 kg?; patates?: 17,70 kg.La désorganisation de ce secteur, l'absence d’un niveau suffisant de commercialisation sont symptomatiques du caractère précapitaliste de l'?conomie. La mauvaise organisation du système des marchés retentit défavorablement sur l'activité paysanne, sur la création des revenus. Elle renforce le gaspillage "en énergie humaine", et les bas niveaux de vie des paysans.[97]Malgré l'importance du facteur ??marché??, dans l'intégration dynamique du Paysan aux relations monétaires, ce facteur a toujours été négligé par les cercles dirigeants. Uniquement, les études du Dr. Sydney Mintz, du Département d'Anthropologie de Yale University, ont attiré l'attention sur la grande déficience usée au sein de l'économie nationale par la mauvaise organisation des marchés.On compte en Ha?ti, 200 marchés ordinaires et 100 mariés urbains? qui assurent la rencontre de l'offre et de la demande et dirigent le mécanisme des prix. Presque tous les marchés ruraux fonctionnent seulement un jour par semaine. De plus, les difficultés du transport, les grandes distances et la mobilité réduite des facteurs de marché, occasionnent de fortes variations régionales et temporelles des prix. Ce phénomène est démontré par le tableau suivant des prix en gourdes (unité monétaire 1/5 de dollar U.S.) dans les principales villes du pays en mars 1957.VARIATIONS DES PRIX ALIMENTAIRES DANSLES PRINCIPALES VILLES? (EN GOURDES)VillesAuberginesBananesLaitMaisPoisPoissonPouletGona?ves 0.07 4.50 0.30 1.60 2.80 0.60 2.50Jacmel 0.66 3.44 0.38 1.21 3.50 1.50 3.06Jérémie 0.14 1.83 0.37 1.18 2.17 1.75 4.17Petit-Go?ve0.251.253.502.003.00Port-au-Prince 0.08 3.84 - 1.24 3.40- 3.11St-Marc 007 3.00 0.33 1.45 3.25 1.31 2.88Cap0.17 3.67 0.50 150 3.25 1.26 1.85L'amplitude du champ de variation de chacun des articles considérés donne une idée de la fluidité réduite des échanges régionales et des risques qu'encourt le producteur de voir sa récolte baisser brusquement de valeur marchande à cause d'une chute des prix. L'insécurité des méthodes de ??stockage?? s'ajoute à ces difficultés de distribution. Le producteur primaire écoule sa marchandise au petit bonheur. La production se réalise à des niveaux marginaux ou infra marginaux et souffre des difficultés de commercialisation déjà signalées. Ces particularités [98] altèrent substantiellement le régime de la concurrence pure qui répond aux conditions classiques de l'économie agricole. La paupérisation des petits paysans se fait sentir de fa?on atroce. Les producteurs vivant loin des centres de marché sont condamnés pratiquement à la famine. Les problèmes détermina par le caractère même de la production de polyculture et q??subsistance exercent une influence adverse sur la productive et freinent tout effort d'augmentation de la production.Cette production de ??grappillage?? englobe une multitude de produits secondaires, de ??vivres?? qui rentrent dans l'alimentation familiale, ou sont vendus au marché rural ou urbain. Parfois même, elle alimente un commerce d'exportation indéfinissable?: ricin, écorce d'oranges, citronnelle, tabac. Le ma?s, les pois les patates, ignames, légumes n'ont cessé d'enregistrer un?? hausse de prix désordonnée et en dents de scie, il est vrai, mais notable. Ce phénomène, si on le lie à la fixité des niveaux de consommation, c'est-à-dire à l'élasticité réduite de la demande, traduit le manque de dynamisme de l'offre globale et partant la tendance à la baisse de la production de grappillage. Les niveaux de vie du monde rural, en l'occurrence du petit et moyen paysan s'amenuisent à un degré incroyable.B. Production pour l'exportation.Retour à la table des matières1. Les conditions de culture des denrées destinées à l'extérieur ne sont guère différentes de celles décrites plus haut. On doit admettre certaines réserves pour la pite qui est un produit de grandes plantations. Elle a connu durant la dernière décade une hausse fulgurante déclenchée par les hauts prix du marché mondial, et sa production est particulièrement sensible aux facteurs extra-nationaux. Jusqu'en 1949, Ha?ti était le troisième producteur mondial, après le Kenya et le Tanganiyka et fournissait 12% de la production mondiale. 2. De 1950 à 1960 inclusivement, la moyenne de la production de sisal s’est élevée à 30 624 tonnes avec une tendance à la stagnation. 3. La figue-banane, après l'euphorie des années 1940, est redescendue à son r?le traditionnel, mi-subsistance, mi-plantation. On calcule que sa production en 1950 était encore à 18.608 tonnes. Pour les cinq années 1955-1960, ce chiffre est descendu à 16.600 tonnes. La canne à sucre, dans la culture de laquelle intervient le type de production capitaliste, est passée de 4.185.000 tonnes en 1950 à 4.952.000 tonnes en 1960. C'est le seul produit agricole à manifester un mouvement de hausse. Elle montre une dualité assez typique du ??placage??, du concubinage entre le capital étranger et les modes de production féodal ou semi-féodal opérant dans l'économie agraire?: la Hasco et les ??grands dons de la plaine??...[99]4. Le café, le cacao et le coton, les denrées traditionnelles excellence, proviennent de l'agriculture de grappillage, bien que leur valeur marchande soit généralement élevée et leur rythme saisonnier très marqué. 5. En acceptant l'hypothèse que les chiffres de consommation de ces denrées n'a pas sensiblement varié, leur volume d’exportation depuis le début du siècle constitue un baromètre fidèle de la capacité productrice de l'économie agricole.Exportations des trois produits traditionnels? (en tonnes)Décades CaféCoton.Cacao1900-190929.870 1.590 2.3001910-191929.870 2.100 2.2601920-192931.530 3.970 1.8301930-193927.570 5.140 1.3201940-194924.520 2.430 1.5501950-1959 23.350 1.210 1.8501960-1961 22.450 1.097 1.463C. Relation Exportation/Population.Retour à la table des matièresEn plus de la tendance à la diminution reflétée par la réduction continuelle des exportations, il y a lieu d’évoquer ou mieux d'établir la relation entre exportation et population à diverses époques historiques. Alors que le volume d’exportation décro?t, la population se multiplie. Le marasme économique prend des proportions chaque Jour plus dramatiques. Le niveau d'exportation, indicateur du produit national, diminue constamment en terme per capita.On peut objecter que l'augmentation de la population a fait baisser les exportations, en niveau absolu. Cette ??raison?? est un facteur accessoire, et vouloir l'enfler au niveau d'une cause première est retomber dans le malthusianisme. La relation de ces deux phénomènes, quand la population augmente, peut provoquer une compression accentuée des niveaux de consommation. Le paysan préfère sacrifier sa tasse de café, vu la valeur marchande de ce produit. Et c'est surtout dans le secteur agricole [100] que se manifeste la pression démographique...L’évolution du commerce extérieur n'accuse pratiquement pas dans le passé de problèmes d'excédents des produits d'exportation. L'offre ha?tienne des trois denrées considérées n'a été qu'exceptionnellement inférieure à la demande. L’importance vitale du commerce d'exportation pour l'économie national renforce la signification de cette comparaison exportation/population.Pour la période antérieure à l'indépendance, la nature esclavagiste et coloniale de l’économie crée des niveaux infra-humains de consommation pour la population. Il n'est pas besoin d’en tenir compte. Les transformations structurelles et l'augmentation explosive de la consommation qui accompagnent la naissance de la nation, perturbèrent aussi cette relation. Les chiffres disponibles permettent d'établir celle-ci à différentes périodes et pour la durée d'un siècle.RELATION EXPORTATION/POPULATION? DIFF?RENTES ?POQUESCafé?**CotonCacaoAnnée Population?*Moyen. 10 ans (Tonnes)Per capita fer)Moyen. 10 ans (Tonnes)Per capita fer)Moyen. 10 ans (Tonnes)Per capita (gr)1843880.136 20.180 22.900 640 727 200 22018871.366.000 36.910 27.000 560 409 1.390 1.01719181.631.250 29.210 11.800 2.430 1.489 2.090 1.28119352.600.000 27.570 10.600 5.140 1.976 1.420 5461955?***3.500.000 23.350 6.670 1.210 345 1.850 529Le caractère approximatif des données considérées ne leur enlève nullement leur sens. La baisse en volume absolu des exportations reste démontrée. L'?ge d'or du café, à la fin du XIXe siècle, a été suivi d'un fléchissement continu. Le coton dégringole depuis 1930?; le cacao de son c?té n'a pas pu retrouver la splendeur de la décade 1913-1922. La chute a été très sensible pour chacune de ces denrées.Le coefficient exportation/population montre une courbe en dépression profonde. Pour le café surtout, le sérum de vie de la [101] nation, la baisse est de 3 à 1 durant les dernières décades. Le cacao n'a enregistré de diminution dans son exportation que dans les dernières années. Pour le coton, le mouvement est visible à partir de 1925-1935. Dès 1950, les chiffres d’exportation sont modifiés par l'installation d'une fabrique de cotonnades et de matières grasses. Sur la base de ces données, il appara?t de fa?on lumineuse l'augmentation de la production ne peut dépendre des dégrafions pompeuses ou des programmes passagers, con?us dans le cadre de la ??traditionnelle politique de développement économique?? des successifs gouvernements. Que de fois n'a-t-on pas déclaré que la stimulation de la production destinée à la vente à l'étranger était l’objet de la plus sérieuse préoccupation du gouvernement de la République?? Les faits ont prouvé suffisamment qu'une structure agraire anti-économique, intégrée d'éléments impropres à une organisation scientifique de la culture de la terre, et où prédominent les relations semi-féodales de production, ne peut que compromettre l'expansion de l'agriculture, et de l'économie en son ensemble. Elle gêne l'accumulation du capital à partir de l'économie agricole et pose des obstacles au progrès des masses travailleuses. Elle engendre et fortifie des institutions qui elles-mêmes perturbent et empêchent le développement harmonieux des forces productrices.*DEUXI?ME PARTIELE SECTEUR INDUSTRIELIl convient maintenant de définir l'importance des activités productrices non primaires. Ceci conduit à l’étude du secteur industriel, de sa capacité installée de son influence sur le revenu national et la structure de l'emploi. De plus, étant essentiellement représentatif du secteur capitaliste et se confondant presque avec ce dernier, il exprime, par sa faiblesse, l'ensemble des contradictions entre la base féodale et la croissance du capitalisme ha?tien.A. Extraction minière.La typologie académique range l'exploitation minière dans le secteur primaire. Cependant, par son mode de production capitaliste, [102] la provenance de ses capitaux et les relations de production qui y impèrent, cette activité a sa place dans le secteur industriel. La valeur de l’activité minière dans la distribution du produit interne brut était de 0,09% jusqu'en 1955. En 1958, en avait atteint 0,15 et en 1958, son niveau maximum, 1,22% soit un montant de 3,6 millions de dollars au prix de 1955?Cette brusque hausse se doit à ce qu'une mine d'aluminium, commen?a à produire en 1955-1956. Peu après, en 1961, s'ouvrit une exploitation de cuivre dans le Plateau Central. Ces deux entreprises, aux mains de monopoles étrangers, contr?lent de fait la production minière.La part générale dans le P.N.B. par la Reynolds Mining Corporation, dans son exploitation de bauxite a évolué en valeur de la fa?on suivante?: 1.930.000 dollars en 1957?; 2.550.000 en 58 2.142.000 en 1959?; 3.200.000 en 1960?; 2.702.000 en 1961?.De ce produit brut, soit 12.924.000 dollars en cinq ans, l'?tat re?u en concept d'imp?ts quelque 100 mille dollars?. Quant à la valeur payée à la main-d'?uvre, elle ne fut nullement considérable, si on considère le nombre des ouvriers (335) et les bas salaires de l'entreprise. Une bonne fraction du personnel, les ??journaliers?? re?oivent 0,80 dollar par jour?.La production du minerai de cuivre, pour sa part (teneur?: 30 à 35%), augmentait pour la première année d'exploitation à une valeur estimée à 660 mille dollars. ? partir d'un investissement de 5 millions de dollars, un monopole anglo-américain, le SEDRENSA, réalisait cette exploitation en employant 400 ouvriers.En dernier lieu, dans le cadre de l'activité minière, il faut ajouter les carrières d’argile, de sable de calcaire, et pierre de taille et de sel, dont l'apport dans le produit national a été évalué à 200 mille dollars.B. L'industrie manufacturière.Le faible secteur industriel apparu en ces dernières années ne constitue pas ce qu'on pourrait appeler un embryon industriel. Les bases qui assureraient vie et croissance à un tel embryon [103] existant pas encore?: voies de communication, énergie électrique, niveau de revenu suffisant de la population, et conséquemment les stimulants que représente un marché local ou moins large.L'industrie ha?tienne est complètement inarticulée. Sa constitution n'a été objet d'aucune orientation qui tiendrait compte la priorité à donner à telle ou telle branche, encouragerait la constitution d'unités industrielles et ferait la démarcation entre industries favorables à l'économie nationale dans son étape duelle, et celles qui ne le sont pas. La fonction et la finalité première de cette industrie?: servir i s nécessités du commerce d'exportation et être un appendice de la domination étrangère.. Si on considère, en effet, le marché auquel se destinent les diverses branches productrices, et les tendances de l'emploi dans chacune d'elles, on se rend compte que le secteur manufacturier se divise en deux catégories?: les industries agricoles d'exportation et les entreprises destinées au marché interne.C. L'industrie agricole d'exportation.Il existe une ample classe d'entreprises destinées à la préparation de produits agricoles. Elles présentent des aspects variés selon l'espace géographique qu'elles contr?lent, leurs dimensions, leur degré de modernisme, la provenance de leurs capitaux. Leur importance peut se mesurer par le degré de contr?le qu'elles exercent sur l'économie nationale. Elles occupent le sommet du processus de production des denrées d'exportation telles le café, le sucre, le coton, les huiles essentielles.Cette catégorie industrielle se concentre à Port-au-Prince où aboutissent les volumes disponibles de la plupart des succursales et petites entreprises de la province. Ces ??Grandes maisons de la place?? sont peu nombreuses. Une vingtaine emploient un nombre important d'ouvriers. Le niveau dérisoire des salaires les pousse rarement à moderniser leur installation ou à augmenter leurs capitaux.Une enquête du Département du Travail fixe le nombre des établissements de travail des dix principales villes de province à 2.156 en 1961-1962. De ce total, 23 se destinent à l'exportation, employant 10% de la force de travail. Le reste du groupe des micro-entreprises hétérogènes, y compris boulangeries, ateliers d'ébénisterie, forges?.Le r?le déterminant de cette catégorie sur le volume de l'emploi s'exerce en province, où le caractère primitif de l'économie [104] appara?t dans toute sa splendeur. ? Port-au-Prince, où s'est esquissée une industrialisation élémentaire, cette prédominance est quelque peu moins visible. Le foisonnement des micro-entreprises de production d'aliments, boissons, cache cette réalité.Le caractère dépendant de ce type d'industrie, les variations du marché de la demande, les fluctuations périodiques des ??coites, les aléas des conditions atmosphériques mettent en relief la fragilité du secteur capitaliste de l'économie. ? Port-au-Prince, centre industriel du pays, les variations entre saison de récolte et ??morte saison?? atteint un indice de 87% dans l’effectif global de l’emploi.?Plus qu’aucune autre donnée, cet indice résume à quel point l'industrie nationale n'est point ??commandée?? par la structure interne. Elle n'est point nourrie par le marché local, et ne souffre qu’indirectement des mouvements d'offre et de demande de biens de consommation. Elle constitue le n?ud du capitalisme ha?tien??, lequel évolue au sein d'une économie semi-coloniale, fournisseuse de matières premières, débouché naturel des produits industriels des pays capitalistes.D. Les industries destinées au marché local.a) L'industrie électrique.Cette branche, base de tout développement industriel, dont l'importance sert de critère de développement économique, se caractérise par son insignifiance, la vétusté de son équipement, son incapacité à satisfaire les nécessités les plus élémentaires de la vie citadine.Durant la période 1955-1958, la génération d’énergie électrique est passée de 23.362.828 kw/h (90) à 47 307.160 kw/h. La génération globale pour l'année 1959 était de 90 millions de kw/h et pour l'année 1961 de 100 millions, ce qui représente une moyenne de 24 kw/h per capita, la plus basse de l'Amérique latine (la moyenne est de 282, et les ?tats-Unis 2.801).?? la rareté ou l'inexistence d’électricité dans de vastes extensions géo-démographiques, il convient d'ajouter l'irrégularité du service dans les communautés théoriquement éclairées à l'électricité. La capitale, par exemple, souffre constamment d'interruptions dans la distribution du courant. Le monopole américain ??Compagnie d’?clairage Electrique de Port-au-Prince et du Cap??, méprisant les termes de son contrat, fait payer le kilowatt de consommation extrêmement cher. En même temps, elle fournit un service des plus désastreux, qui détériore certaines [105] installations et appareils industriels ou domestiques. La situation de ville de Jacmel (de 15 mille ?mes et la cinquième du pays) appara?t encore plus typique. Une usine hydroélectrique y est installée depuis quelques décades, par concession exclusive à Boucard et Co, représentant en Ha?ti de Westinghouse. Cette usine, qui généra en 1956 86?412 kw/h n'arrive jamais à proportionner l’électricité avec efficience. En régime de pluies, les canaux d'alimentation sont affectés par les fluctuations en volume des eaux, ce qui perturbe le système de génération ou je distribution. ? la saison sèche, le voltage nominal de 220 enregistre des variations de puissance au point de ne pouvoir assurer l'éclairage des rues.En excluant quelques générateurs d'usage privé et les Diesel de quelques rares entreprises industrielles, l'équipement électrique compte 11 usines fonctionnant dans les principales villes et employant quelque 300 ouvriers.b) Industrie du ciment.Dans un pays comme Ha?ti où tout reste encore à construire, l'industrie du ciment revêt une grande importance. Seulement en 1955 commen?a à fonctionner une fabrique de ??Ciment Portland?? destiné au marché local. Les immenses nécessités en ce produit de base, l’excellente qualité des matières premières, l'emplacement stratégique de l'usine augmente l'importance de cette Industrie lourde, lui ouvrent de grandes perspectives d'amplification. La participation de cette usine dans l’emploi demeure faible?: quelque 150 ouvriers avec un salaire global annuel de 135 à 150 mille dollars?.c) Biens de consommation.Dans une publication du Service d’information du Gouvernement, éditée en 1954, on fixait à 37 le nombre de fabriques produisant des biens de consommation courante, installés en Ha?ti de 1950 à 1954?. Cette liste englobe les entreprises les plus diverses et hétérogènes, par leur importance et leur type de production (fabriques de vêtements, d'articles en aluminium ou en plastique, chaussures, cigarettes, etc.). Certains ont connu une vie éphémère et n'existent plus. Cependant cette époque correspond à une période de hausse de l'économie ha?tienne dans son ensemble. On enregistre alors des investissements locaux relativement élevés, et aussi étrangers, dans la branche des produits de consommation. En dressant l'inventaire des industries installées à cette époque et des rares autres surgies [106] après, on aura mentionné une partie considérable des unités industrielles Installées dans tout le pays.Ces unités peuvent se classer de manière suivante??:a) Entreprises produisant des biens de consommation grande diffusion, et utilisant la matière première locale?:Les fabriques de tissus de coton?; production moyenne 2.450.000 mètres durant les années 1951-1957. En I960 ce chiffre atteignait 3.800.000?.Les fabriques de matières grasses comme la mantègue, le saint-doux et l'huile dont la production est passée d'un minimum de 973.5 tonnes pour les années 1950-1956 à un maximum de 3.070.9 en 1959. (1960?: 3.230 tonnes.) Les usines sucrières. La HASCO est la plus importante du pays par le volume de sa production?; le nombre de ses ouvriers atteint 2.500 si on compte les employés permanents et 8.000 si on tient compte des ouvriers temporaires. Sa production de sucre est nettement dominante. La production nationale de sucre a varié comme suit?: 1955?: 56.000 tonnes?; 1959?: 45.500 tonnes?; 1960?: 60.000 tonnes. L’usine Larue et la Centrale Sucrière des Cayes figurent comme établissements de second ordre.b) les entreprises fabriquant des biens de consommation à large diffusion et usant une matière première importée. C'est le cas du moulin à blé ??Caribbean Mills Inc.?? qui a commencé à fonctionner en 1957 atteignant en 1959 25.600 tonnes?; en 1960?: 22.000 tonnes de farine.Dans ce groupe rentre la manufacture d'ustensiles en aluminium ??Ha?ti Métal?? qui a pu vendre sur le marché local en 1958, 193 278 pièces pour usage domestique de différentes catégories (pour la cuisine, la table, le nettoyage)?.c) Les entreprises qui produisent des biens de consommation à diffusion restreinte avec approvisionnement extérieur.La fabrique de produits pharmaceutiques ??Caribbean Canadian Chemical??.La fabrique d’objets en plastique ??Industries Nationales Réunies??. Sa production englobe les articles complémentaires des vêtements comme les ceintures, les boutons, les imperméables?; les ustensiles domestiques, verres, brosses à dents, jouets, etc. d) En dernier lieu, un grand nombre de moyens et petits établissements de production variée?: fabrique de chemises, de souliers, de mosa?ques et matériaux de construction, de meubles [107] et fer forgé, bougies, etc.L’apport de ces unités industrielles au volume de l'emploi est peu considérable. Dans le cas spécial de la zone de Port-au-Prince, elles constituent une fraction notable des 177 établissements qui y existaient en 1959. Beaucoup d'entre elles n'emploient que dix ouvriers et parfois moins. Rares sont celles qui le Caribbean Mills, les usines Brandt font figure d'établissements industriels authentiques et imposants. Dans les villes de province, les fabriques de biens de consommation existent seulement sous la forme d'ateliers “semi-artisanaux", dédiés à la production de matériaux de construction, de boissons gazeuses. Le nombre total des entreprises couvertes par l'institut d'Assurances Sociales s'est élevé à 1.508 à la fin de 1962.L'évaluation suivante de la part de, l'industrie manufacturière et de l'artisanat dans l'ensemble du produit national brut résume l'importance et la répartition des diverses branches industrielles?.E. Participation du secteur manufacturierau produit national brut (en millions de dollars)?:Retour à la table des matièresAliments 16,00Boissons 4,88Tabac 1,16Textiles 3,86Chaussures et vêtements 7,10Meubles 1,62Imprimeries 0,20Cuir et caoutchouc 0,40Industrie chimique 0,54Manufactures diverses 1,24Total 31,26Produit national Brut 260,50L'industrie manufacturière représente 12% du produit national brut et occupe environ 7% de la population économiquement active. La productivité de ce secteur est de beaucoup supérieure à celle de l'agriculture. Le caractère amplement approximatif de ces chiffres traduit cependant fidèlement leur sens. La structure économique ha?tienne demeure essentiellement agricole ou plus exactement pré-capitaliste et retardataire. Le secteur capitaliste de l'économie se signale par sa déficience et son faible dynamisme.[108]F. La classe ouvrièreL'importance numérique réduite des travailleurs salariés n'en est pas moins significative. Les statistiques de travail notablement incomplètes n’ont pas pu définir le nombre des ouvriers salariés, étant incapables de recenser le prolétariat rural et de différencier dans le foisonnement des micro-entreprises, les ateliers artisanaux et ceux qui font nettement figure d'entré prises capitalistes. En 1962, 28 334 travailleurs se trouvaient inscrits à l'IDASH (Institut d'Assurances Sociales. Ce chiffre représente à peu près la moitié ou le tiers du prolétariat urbain.Tenant compte de ces circonstances, on peut se permette d'estimer la classe ouvrière à quelque 180.000 personnes?; la moitié est environ constituée par des ouvriers agricoles plus ou moins permanents.La fraction syndicalement organisée de la classe ouvrière compte environ 25.000 prolétaires, réunis dans des syndicats plus ou moins autonomes. Dans ces dernières années la classe ouvrière marque un intérêt croissant à s'organiser en syndicats. Sa conscience prolétarienne se définit de plus en plus. L'Union Intersyndicale d'Ha?ti, fondée le 9 ao?t 1958 a beaucoup fait pour stimuler et canaliser ce processus. Elle est de loin la Centrale syndicale la plus forte, elle groupe les organisations les plus combatives et s'étend aux neuf départements géographiques. Elle est affiliée à la Fédération Syndicale Mondiale. Tout laisse croire qu'elle est appelée à polariser les tendances les plus conscientes et révolutionnaires de la classe ouvrière deux autres groupements, la Fédération des Travailleurs Chrétiens et Force Ouvrière et Paysanne s'efforcent de participer au travail d'organisation du prolétariat?.ConclusionLa débilité de l’industrie, l'absence d'une infrastructure capable d'en soutenir les bases, et de tout effort réel et soutenu de la part de la fraction nationale de la bourgeoisie, pour impulser l'industrialisation ont déterminé que le secteur capitaliste de l'économie soit de peu de valeur représentative dans une définition de la vie socio-économique ha?tienne.Les forces économiques externes, par le commerce extérieur, l'investisse ment de capitaux, la domination politique, n'ont pas permis la croissance autonome et continue de ce secteur. Par l'essence même de leur pénétration, elles se sont appliquées à amplifier en Ha?ti le marché extraterritorial indispensable [109] à leur propre industrie. Elles ont obstaculisé la croissance du capitalisme industriel ha?tien, en renfor?ant la domination du capitalisme mercantile local et l'action néfaste des survivances féodales. Cette réalité historico-économique a aidé au maintien des structures archa?ques et imprimé un déséquilibre chronique à l'économie nationale.[110][111]L’économie ha?tienneet sa voie de développementChapitre IIILe commerce de l’exportation.Axe de l’économie.Un pays comme Ha?ti se trouve dans l'obligation “d'exporter ou de mourir"?.Paul Olson et A. HichmanRetour à la table des matièresAu chapitre antérieur, on a vu comment les bases structurelles de l'économie ha?tienne sont faibles et incapables de déclencher un processus de développement continu. Ces bases sont constituées par une agriculture stationnaire et primitive, par l'absence d'?uvres d'infrastructure, par une industrie débutante incapable de se développer. Ces conditions ont déterminé que la part du revenu national fournie par l'agriculture sous forme d'intérêts, de profits, de rentes, de salaires soit extrêmement réduite en comparaison du volume de la population économiquement active occupée dans cette branche.Le commerce d'exportation est en fait la variable déterminante du niveau des revenus nationaux et des plus divers mécanismes économiques. Cette caractéristique est une manifestation du profond sous-développement du pays et de sa dépendance de l'extérieur?: ??L'économie des pays pauvres est, d'une fa?on typique, tournée vers l'extérieur... Une des manifestations de cet état de choses est la forte dépendance des secteurs commerciaux vis-à-vis de la production de quelques produits primaires, lesquels sont en général totalement exportés. La proportion de ces produits d'exportation dans le total de la production est généralement élevée?: la participation des exportations au revenu national dépasse habituellement celle des investissements privés ou même les dépenses gouvernementales?.En Ha?ti, plus que dans beaucoup d'autres pays sous-développés, le commerce d'exportation a un r?le déterminant dans la vie nationale. Si l'agriculture représente la base de l'économie, le commerce d'exportation, fortement enraciné dans la précédente, constitue l'axe autour duquel tournent les activités économiques de la nation, les finances publiques, les fluctuations de la distribution, les niveaux de consommation ou d'emploi, [112] la propension à investir, la notion de ??bon ou mauvais gouvernement?? et même les détails de la vie quotidienne. Cette situation n'est guère idéale?; et cette nature polyfonctionnelle du commerce d'exportation renforce les déformations structurelles déjà très marquées dans l'ensemble de l'économie. Cet état de choses est sensiblement différent de celui qui s'observe dans certains pays, même sous-développés, dont le commerce d'exportation à un r?le de multiplicateur de revenus, de grande importance, mais où l'investissement, l'épargne et l'emploi constituent également des facteurs conditionnants de l'économie globale. En Ha?ti, l'unique facteur déterminant de ceux-ci demeure encore le commerce extérieur, le signale avec emphase Paul R. OLSON dans son livre ??Economie Internacional, Latino-Americana???; c’est une caractéristique de l'économie ha?tienne ??que des changements brusques dans la demande des matières premières essentielles, ou des variations catastrophiques de prix signifient la prospérité ou la ruine, la solvabilité nationale ou l'effondrement fiscal?.??I. LES EXPORTATIONS COMMED?TERMINANT DU REVENU NATIONALRetour à la table des matièresDans une économie dépendant fondamentalement d'un secteur agricole dont la productivité et le dynamisme restent à un niveau très bas où le secteur industriel de type capitaliste est insignifiant, la valeur des exportations détermine directement ou indirectement le volume de l'épargne, le rythme de l'activité bancaire et des investissements locaux, le montant du revenu national, etc.Il n’y a pas encore de calcul tout à fait digne de foi du revenu national ha?tien non plus des données statistiques permettant d'établir mathématiquement le degré de dépendance entre ses diverses variables. Cependant, si on examine les secteurs d'activité quant à leur rendement, on se trouve en face de la situation suivante?: 1?. — Un ample secteur agricole recevant de maigres valeurs sous forme de services, de bénéfices pour les agriculteurs, de salaires aux ouvriers agricoles?; ou sous la forme de rentes, touchées par les latifundistes?; les dépenses de ces derniers à des fins de reconstitution du capital demeurent insignifiantes comparées à leur niveau de consommation. 2?. — Un secteur de services, relativement important, alimenté surtout par les activités commerciales et gouvernementales, et produisant des rentes, bénéfices et dividendes. [113]3?. — Un secteur industriel minuscule, où des ouvriers touchent des salaires et des patrons re?oivent des dividendes. Dans la composition du produit national, ces secteurs participent dans la proportion de 50% pour l'agriculture, 38% pour les services, 12% pour l’industrie?. La distribution des revenus per capita, par branche d'activité, révèle que les activités communément appelées les services, proportionnent des revenus extrêmement élevés. L'importance du commerce d'exportation comme source de distribution de revenus appara?t capitale, soit en considérant le secteur global, soit en tenant compte des revenus réels individuels.Les paysans forment les 92% de la population ha?tienne. Ils représentent les 77% de la population économiquement active. ? cause de toutes les conditions spécifiques signalées plus haut, la productivité de l'agriculture reste extrêmement basse et le rendement de la majorité des exploitations agricoles atteint des niveaux marginaux ou infra marginaux. Seulement une fraction du secteur latifundiste, surtout par la culture du café, et la totalité du secteur des plantations arrivent, gr?ce à la vente de produits spécialisés sur les marchés extérieurs, à produire des revenus substantiels.Le revenu du secteur agricole est gouverné par le commerce extérieur?; les 95% des exportations totales viennent directement de l'agriculture. Ce fait se reflète dans les mécanismes de la vie paysanne et nationale. Seulement, à la saison de récolte, principalement de café (septembre à Janvier), il se produit un phénomène d'animation de la demande des biens de consommation manufacturés et on enregistre même une augmentation de la demande des produits agricoles.D'autre part, la liaison des entreprises de transformation à l'agriculture soumet l'activité industrielle aux fluctuations saisonnières ou cycliques des produits primaires et influe sur le niveau de l’emploi et des revenus. Ceci, malgré l’insignifiance [114] du secteur industriel, modifie dans un sens ou dans l'autre montant global du revenu national. En outre, les forces productives employées dans les industries de transformation des produits exportés souffrent du ch?mage complet ou partiel à la morte saison. A l'époque des récoltes, ils voient leurs revenus augmenter. Le secteur gouvernemental est tributaire des recettes douanières pour les deux tiers de ses recettes fiscales. Une bonne partie du tiers restant provient indirectement des exportations, à travers le commerce (imp?ts mercantiles), et des activités de service en général (imp?t sur le revenu) engendrées par celles-ci. Vu l'importance de l'?tat comme déterminant du niveau de l'emploi, les ressources douanières et les entrées fournies directement ou indirectement par les exportations vont constituer la source des paiements du secteur administratif, bureaucratique et militaire. Celui-ci absorbe pratiquement tout le budget de la nation. Le mécanisme de distribution se prolonge jusqu'au niveau de l’emploi domestique.Le revenu national et les mécanismes économiques en général sont donc déterminés par le volume des exportations. La théorie du r?le multiplicateur du commerce extérieur appara?t comme un instrument précieux pour l'analyse théorique de la grandeur des ondes successives de revenus produites par les exportations. Il faut cependant noter que la faible mobilité des facteurs de la production, la faiblesse du secteur monétaire et le rachitisme de l'économie globale tendent à rendre le processus de multiplication extrêmement hétérogène et accidenté et bien souvent à le neutraliser dans certaines zones.La dépendance marquée du revenu national vis-à-vis de la vente à l'étranger tend à provoquer des déficits dans la balance des paiements, surtout durant les périodes postérieures à des augmentations brusques de la valeur des exportations. La croissance euphorique du montant des exportations entra?ne, en effet une élévation de celui des importations, ce phénomène neutralise les effets bénéfiques de l'augmentation des exportations et persiste même après la réduction de leur valeur. Il en résulte définitivement une balance déficitaire?. Pour faire dispara?tre cette tendance, il aurait fallu augmenter continuellement les exportations. Or, ceci est illusoire avec une agriculture si désorganisée, et où les prix dépendent des fluctuations cycliques du marché international. Il n'est donc pas surprenant que la hausse de la pite et du café, lors de la guerre de Corée (ces deux produits ayant atteint leur plus haut volume d'exportation à cette époque), après avoir provoqué une balance commerciale favorable à Ha?ti pour quelques années, ait été suivie d’un désélibre [115] constant à partir de 1955. Ce déficit atteignit durant années 1955-1960 le montant global de 32,2 millions de dollars?.L’étroite relation de dépendance du revenu national par rapport aux exportations souligne le r?le important de celles-ci. Elles déterminent la vie même de toute la population. OLSON et Hichman ont raison de dire?: ??Il existe peu de zones dans le monde entier qui aient porté la spécialisation territoriale si près de ses limites logiques. Il est peu de pays qui se soient contentés pendant si longtemps du r?le de fournisseurs de produits alimentaires des grandes puissances industrielles du monde... Un pays comme Ha?ti se trouve réellement dans la situation ??D'exporter ou de mourir. Malgré la densité élevée de sa population, il manque d'un marché local pouvant assurer l'écoulement de ses produits d'exportation?; il importe des aliments au même titre que des produits manufacturés et il a édifié sa structure fiscale sur le commerce extérieur?.??II. EXPORTATIONS, IMPORTATIONSET D?PENSES PUBLIQUES.Retour à la table des matièresCet aspect de la réalité économique a tellement d'importance pour l'ensemble de l'économie et pour les perspectives du développement futur, qu’il vaut la peine d'être étudié plus à fond.La corrélation existant entre la valeur des exportations et celle des importations est un fait constant de l'évolution économique ha?tienne. Elle est aussi la résultante de la dépendance entre le revenu global et les exportations. L'analyse de la balance des paiements pour la période postérieure à 1916, montre clairement l'étroite liaison entre ces deux variables?. ? chaque phase d'expansion des fluctuations cycliques des exportations, la valeur de celles-ci est sensiblement supérieure à celle des importations. Cette différence créditrice, s'incorporant sous la forme d'épargne à la capacité d'achat du pays, permet de soutenir le niveau de l'importation durant la phase de dépression du cycle des exportations. Cela se traduit en une fuite vers l’extérieur, d'une plus grande quantité de devises que celles re?ues [116] lors des exportations. Ce déficit de la balance commerciale varie selon les diverses Phases de dépression. Il résulte que les courbes d'exportations et d'importations ont une tendance identique?: mais dans leurs variations accidentelles elles se croisent périodiquement, la courbe d'importations étant la plus rigide à maintenir les mouvements d'expansion. De plus, elle monte en flèche à l'occasion de toutes fluctuations vers la hausse enregistrée dans la valeur combien élastique de la demande extérieure.Pour une meilleure démonstration du r?le déterminant des exportations sur les différentes variables de l'économie globale il convient de présenter en plus de la corrélation entre elles et les importations, les variations des recettes gouvernementales les variations des taxes douanières et des dépenses publiques.La balance commerciale ne souffre aucun changement notable durant la période de l'occupation américaine en Ha?ti, de 1916 à 1934. Le contr?le des douanes et des finances par les occupants, tend essentiellement à constituer des réserves destinées à faire face aux obligations contractées vis-à-vis de la National City Bank. Cette intervention de l’envahisseur dans la vie économique du pays et l'effort pour combler le profond déséquilibre de la balance de capitaux, conduisent à une stagnation de la tendance à importer et permettent, dans une certaine mesure, de maintenir la corrélation existant entre l'exportation et l'importation.Une fois terminée l'occupation, un second élément externe vint modifier les relations évolutives des deux phénomènes. Il s’agit de l'emprunt J. G. White de 5 millions de dollars, consenti par la Import-Export Bank en 1938. Ce flux de devises, en provoquant une certaine euphorie sur le marché de consommation, se traduisit par une forte propension à l'importation.L'époque de la 2e Guerre Mondiale a provoqué un bilan positif de la balance des paiements. La demande des produits stratégiques (surtout la pite) dépassa celle du café. En même temps, la demande en biens manufacturés ne put se satisfaire à cause des conditions de guerre. La balance commerciale fut affectée favorablement dans les conjonctures d'après-guerre. La tendance à l'augmentation des exportations se trouva encore accentuée durant la guerre de Corée, par des hauts prix de la pite sur le marché mondial. Une augmentation parallèle des importations se manifesta.La terrible chute des prix à la fin de ce dernier conflit ne fait qu'initier une phase de contraction, au cours de laquelle les importations dépendent très étroitement des exportations. Uniquement en 1953, à cette époque immédiatement postérieure à la bonance provoquée par la guerre de Corée, la somme des importations atteint un excédent, financé par les réserves accumulées [117] durant la période antérieure.Au cours de toute cette période allant de 1916 à 1956, malgré les hauts et bas des différences entre exportations et importations, il s'est manifesté un effort constant, soigneux et méticuleux pour ??équilibrer à rebours?? la balance commerciale, puisque pour acheter, il faut vendre??. Entre 1947 et 1957 en effet, le total des exportations atteignait 462 millions de dollars et le montant global des importations 458 millions.?Cependant, si on considère pour les années postérieures à 1955 le déséquilibre déjà signalé antérieurement (dont le montant atteignit entre 1955-1960 la valeur de 32.2 millions), on remarque que ce sont précisément les mouvements de capitaux sous forme d’emprunts, de donations, de subsides qui viennent alimenter le désajustement?. Les baisses considérables des réserves de la Banque Nationale, lesquelles passent de 11,6 millions à 4,4 millions de dollars pour la période 1954-1960, sont encore des manifestations du grand déséquilibre entre les exportations et les importations. Même l'aide étrangère au gouvernement ha?tien n’a permis de compenser ce déséquilibré, dans un système bancaire et monétaire ou la valeur de 1’unité monétaire serait déterminée par les mouvements du commerce international, ce déséquilibre constant aurait produit une dévaluation de la monnaie. ? ce propos Ha?ti jouit d’une situation spéciale puisque sa gourde est légalement et artificiellement liée au dollar.En définitive, le volume réduit des investissements destinés aux biens d'équipement, l'étroitesse du secteur monétaire de l'économie, la restriction du niveau de l'épargne, l'orientation même de l’économie contribuent à donner une importance fondamentale au commerce d'exportation dans la détermination du Revenu Nationale et de la capacité d'achat de la population sur le marché local et extérieur.III. DE QUOI D?PENDLA VALEUR GLOBALEDES EXPORTATIONS??Retour à la table des matièresCette valeur dépend tout d’abord de la quantité de produits vendus à l'étranger. Comme il a été déjà signalé, ce volume a [118] une forte tendance à la stagnation ou à la baisse. La prospérité enregistrée pour la figue-banane et le sisal, ces derniers temps, a été de courte durée, tandis que le coton, le cacao et le café ont vu leur chiffre d'exportation rester stationnaire, fa?on inquiétante. Ce volume d'exportation est déterminé par le niveau de la production agricole. Par contre, on n'a enregistré aucune limitation dans la demande des produits exportables. Le facteur ??volume?? n’a pas influencé la valeur globale des exportations durant les dernières années. Certes, son influence n'est pas égale à zéro, mais elle demeure très faible en comparaison de celle des prix des produits primaires sur le marché international.La variable ??prix des produits primaires?? est par définition totalement liée aux fluctuations mondiales provoquées soit par les variations de l'offre ou de la demande, soit par les dépressions cycliques de l’économie des grands pays capitalistes.Ce facteur extérieur est bien celui qui détermine en premier lieu la valeur des exportations et conséquemment celle des recettes de l'?tat et le niveau de vie de la population. C'est un fait que les prix de ces produits primaires enregistrent depuis longtemps une tendance dépressive à cause du déséquilibre croissant entre l'offre et la demande mondiales. Rien que pour les années 1956-1957 et 1958, le prix du café est tombé de 74 centimes or la livre en 1956 à 63,9 centimes en 1957 et 52,3 centimes en 1958. Celui du coton, pour la même époque, passait de 58,9 à 41,8 centimes la livre?. Durant les neuf dernières années, la cotisation du café est arrivée à son point le plus bas en 1958 et ceci malgré la cote limitative fixée à certains pays?.Pour les années 1957 et 1958, Ha?ti a exporté successivement 17.491 et 35 585 tonnes de café, en calculant la valeur de ces exportations sur la base des prix de l'année 1956, on se rend compte que le pays a perdu pour ces deux ans un total de 20.782.181,2 dollars sur le montant de ses ventes de café. Pour la pite, un calcul similaire avec comme référence les prix de 1952 ferait ressortir des pertes extraordinaires?; en effet, les prix F.O.B. étaient de 40 c. de dollars en 1952 et il tombait en 1953 à 24 c., à 17 en 1957, pendant que les volumes d'exportations passaient de 25.000 tonnes à 35.553 de 1952 à 1957?.Le danger d'une dépendance si étroite ne doit pas être sous-estimé. Tous les détails et mécanismes de la vie nationale sont marqués par un facteur ??extra-territorial?? dont les variations sont tout à fait incontr?lables, si ce n'est par les grands monopoles [119] qui dominent le marché des produits primaires. L'impuissance du pays en face de ??ces forces invisibles et maléfiques rend totalement impossible, dans les conditions actuelles, un programme de développement agricole en spéculant sur le commerce est arrivée à son point le plus bas en 1958 et ceci malgré la cote d'exportation. Le mécanisme de la détermination des prix de ces produits s'opère dans les marchés de New York ou de Londres, où les monopoles de café Santos ou Manisales, les grands producteurs de sisal du Kenya ou du Tanganyika ne se laissent pas émouvoir par la considération que deux ou cinq centimes en plus ou en moins peuvent perturber toute la vie d'un pays. Qu'importe si un producteur ha?tien de café puisse effectuer ou non l'achat annuel d'un pantalon?! La question des marchés est le troisième grand facteur qui loue dans la détermination de la valeur globale des exportations. Dans Quelle mesure les produits agricoles exportables trouvent des marchés à l'étranger, capables d'en assurer l'absorption?? Dans quelles conditions la répartition des marchés assure un minimum de garanties contre les variations des prix, ou au moins ne limite pas les quantités de produits disponibles pour la vente?? Ces considérations requièrent une analyse des marchés extérieurs vers lesquels se destine la production agricole d'Ha?ti. Il doit être noté avant tout, que?: ??L'expansion ou la contraction de la valeur des exportations dépend beaucoup plus des prix des produits exportés que de la quantité de ceux-ci, puisqu'il n'y a pas de ??goulot d'étranglement??, pour leur vente?.?? Ha?ti a dépendu dans le passé, et dépend de nos jours encore, des pays d'Europe quant à ses exportations. Ceci dérive d'une part de la consommation traditionnelle des produits ha?tiens, surtout le café en France, en Belgique et en Allemagne?; d'autre part, le marché nord-américain a plus d'intérêts dans le café brésilien et colombien dont la production est contr?lée par les monopoles étrangers que dans celui de Ha?ti, pays de producteurs individuels. Ainsi, les récentes barrières imposées par les pays du Marché Commun Européen, compromettent gravement le futur de l'écoulement du café ha?tien.En relation avec les quantités absorbées par le marché extérieur, tout para?t confirmer que celles-ci n'ont d'autres limites que la propre capacité productrice du pays. Faisant abstraction des situations de crise du marché mondial, Ha?ti n'a jamais connu le problème d'excédents de production de cacao ou de [120] sucre?: au contraire, dans bien des cas la quote-part fixée à Ha?ti n'a pu être couverte. Celle fixée par la dernière conférence du Café tenue sous la direction de l'O.N.U. en ao?t 1962, représente encore un niveau difficile à atteindre (30.240 tonnes). Ce fait est encore bien illustré dans le cas du sucre?: l'accord de Londres nous avait fixé une quotité de 32.500 tonnes en 1937?; ce chiffre fut abaissé à 31.000 tonnes pour l'année 1939-1943?: cause de l'impossibilité du pays de satisfaire cette demande. Une situation analogue se présenta lors de la Convention Internationale du Marché libre du Sucre quand Ha?ti dut renoncer en 1958 à son quota accepté antérieurement.En relation avec les divers acheteurs des produits ha?tiens on note historiquement quatre tendances dans la structure du marché extérieur?: a)Dans une première étape, qui s'étend du siècle passé au début de l'actuel, Ha?ti signe un accord commercial avec la majorité des pays d'Europe?: la France, l'Angleterre, la Belgique, la Perse, l'Italie, l'Allemagne?. Des concessions sont accordées à chacun en particulier pour les importations et, en retour, Ha?ti leur exporte ses produits. La France est de fait le plus grand acheteur des produits ha?tiens.b)Avec l'occupation américaine (1915-1934), les ?tats-Unis refoulent les marchandises européennes du marché ha?tien, mais les clients traditionnels continuent d'être de grands acheteurs de produits tropicaux ha?tiens. Jusqu'en 1936, la France absorbe plus de la moitié des exportations et les autres pays d'Europe, dans leur ensemble, près des 40%?. c)L'accord commercial ha?tano-nord-américain du 5 mars 1935 élimine la France pratiquement du marché et comme vendeur et même comme acheteur. La France conserve les 16% de la valeur globale des exportations en 1938. Avec la lié Guerre Mondiale, les ?tats-Unis demeurent les ma?tres incontestés?: ils contr?lent les 93% des exportations et les 98% des importations en 1943. d) Après la guerre, les pays d'Europe se tournent encore une fois vers les produits tropicaux ha?tiens, surtout le café. Quant aux ?tats-Unis, ils continuent d'être les fournisseurs d'Ha?ti en produits manufacturés. En 1957, ce pays achète les 35% des exportations et fournissent les 73,50% des importations?: la France et l'Europe dans son ensemble achètent les 62% des exportations et participent pour 24,5% dans les importations. En 1959, on pouvait [121] dire que le ??commerce?? ha?tien re?oit ses dollars d'Europe et les dépenses en Amérique du Nord.????*??La disproportion des échanges entre Ha?ti et l’Europe tend à créer une situation délicate pour le cas où les pays d'Europe essaient de réduire le déficit de leur balance commerciale vis-à-vis des fournisseurs de la zone dollar.??Ceci révèle à quel point tout effort ha?tien pour équilibrer la balance commerciale avec les pays d'Europe, par des achats d'articles européens manufacturés, peut intéresser grandement ces pays qui verront s'augmenter leur vente en Ha?ti.IV. Les mécanismes de l’exportation.A. La monoculture.Retour à la table des matièresLa dépendance totale de l'économie vis-à-vis de l'extérieur a engendré, dans la structure des exportations et même au niveau des activités tertiaires dérivées, une série de traits particuliers. Ils permettent de mieux comprendre comment les exportations constituent l'axe de l'économie nationale. Ils font mieux ressortir les déformations structurelles qui ont gêné la formation du capital, d'une part, et, de l'autre, ont privé les producteurs primaires d’un niveau de revenus de nature à élargir le marché local. La composition des exportations met en relief l'importance du café non tellement en volume, mais en valeur globale?; ensuite viennent le sisal et le sucre. Certains produits comme le coton, le cacao, la figue-banane occupent une place secondaire bien que leur participation assure des revenus à de larges couches de producteurs. Le tableau suivant signale le volume, le prix et le pourcentage sur la valeur totale, de chacun des trois produits les plus Importants.Ces trois produits partagent donc 84% des exportations. La prépondérance du café est notoire?: pour les années considérées, sa participation dans la valeur globale des ventes atteint 63,5%. Le sisal entre pour 14,75% et le sucre pour 6,2%. En 1958, année de reprise après la dépression de 1957, la valeur de ces trois produits atteint 93% de la valeur globale. Si on rapproche ces chiffres du r?le traditionnel du café dans le commerce [122] ha?tien, on est autorisé à parler de monoculture ou mieux de mono-exportation?; on peut affirmer aussi que la vie de la nation dépend pour ses deux tiers du café. La production du sucre relativement faible, est contr?lée presque totalement par une entreprise étrangère?; il en est de même du sisal. Le café garde donc une position centrale, influen?ant tous les mécanismes de spéculation ou de distribution alimentés par l'exportation. Les 9/10e de la récolte se préparent jusqu'à une forme achevée par l'habitant. Le reste se vend en cerises aux entreprises de transformation. Dans les deux cas, la présence d'un grand nombre d'intermédiaires agit de fa?on décisive sur la distribution des revenus, et réduit considérablement ceux du producteur. La nature et l'importance du r?le de ces intermédiaires nous imposent l'étude attentive des mécanismes y résultant.VOLUME ET VALEURDES PRINCIPAUX PRODUITS D’EXPORTATION?.Années 1955 1956 1957 1958 1959 1960Café Q. tonnes19.645 31.135 17.491 34.585 —— Millions $ 22.972 33.439 20.2621.40127.98 24/78 % des expo. 64% 71% 60% 75% 55% 52%SisalQ. tonnes 31.129 35.962 36.533 37502 — — Millions $ 5.409 6.323 5.823 5.764 5.18 3.92 % des expo. 15% 13% 17% 14% 15% 12%SucreQ. tonnes 31.952 53.68 47.417 22.479 — Millions $ 1.46 2.68 3.143 1.128 0.94 3.56% des expo. 4% 4% 9,%4% 3.30% 11%B. Le phénomène des intermédiaires.Il existe comme trait d'union entre l'économie agricole qui régit les champs et l'économie de ??type externe?? siégeant dans les villes une catégorie économique, intégrée par les "spéculateurs". Ceux-ci ont joué un r?le très important dans l'évolution économique d'Ha?ti et dans sa vie politique. Cette catégorie est née après l'indépendance, quand l'ancienne économie coloniale orientée vers la métropole a d? trouver de nouveaux marchés pour ses produits tropicaux et surtout, depuis que des agents consignataires du commerce anglais et américain se sont installés en Ha?ti. Le ??spéculateur en denrées?? s'est transformé depuis lors en intermédiaire entre les exportateurs et la masse paysanne. Il est difficile de définir avec précision les limites économiques [123] du r?le des spéculateurs, vue la grande diversité des formes de spéculation, les différents degrés de celle-ci. Cette activité consiste essentiellement à acheter au paysan directement les villages ou dans les zones proches de la ville, les produits destinés à l'exportation, pour les remettre ensuite à un plus élevé au grand spéculateur ou exportateur du poste le plus proche. La loi fixe formellement le prix à payer au producteur, en tenant compte des prix internationaux, laissant ainsi ne ??marge légale?? de bénéfices aux intermédiaires. Cependant, rite légalité, comme tant d'autres, est purement formelle. Les avantages de la spéculation résident dans les fluctuations consentes des prix sur le marché étranger et ainsi dans un système complexe d'exploitation du paysan. Dans un pays où la standardisation et le contr?le des poids et mesures n'existent pas, habitant illettré est une victime facile. La différence entre la Qualité payée au producteur et celle revendue à l'exportateur vient augmenter considérablement la ??marge légale?? des bénéfices calculés à partir des prix. Ceci rend illusoire toute évaluation des profits des intermédiaires à partir des dispositions légales.Le manque de mobilité dans l'offre de ces produits, prend ses racines dans la structure agraire anarchique et le manque de voies de communication. Il est encore déterminé par des facteurs subjectifs liés aux traditions, aux obligations du paysan vis-à-vis de tel ou tel spéculateur. Cette soumission de la clientèle est maintenue par un jeu compliqué d’avances sur la récolte, de pression, de contrats, et de dettes. Elle se trouve fortifiée par le respect qu'impose l'autorité. Actuellement, on compte près de 1100 spéculateurs déclarés, dont les revenus parasitaires ne servent nullement à des fins d'investissements sinon, au contraire alimentent une consommation urbaine improductive de biens manufacturés étrangers. Une évaluation réservée fixerait à 20 ou 25% du prix payé au producteur la fraction légale et extralégale des bénéfices réalisés par le spéculateur. On doit tenir compte du niveau de vie que procure au paysan l'agriculture de subsistance et de l'importance du produit de la vente des articles d'exportation, laquelle permet l'acquisition d'objets de consommation manufacturés ou d'instruments de travail. On voit alors que la part accaparée par le spéculateur constitue un fort pourcentage du revenu marginal à partir duquel les ??niveaux de subsistance?? de la vie paysanne pourraient s'améliorer considérablement. Ce r?le si important joué par le spéculateur dans la vie économique n'est pas sans répercussions sur les mécanismes politiques?. En plus de sa fonction [124] d'intermédiaire, le spéculateur est presque toujours usurier propriétaire de plus ou moins grandes étendues de terre, son influence dominante sur telle ou telle région, soit une ou plusieurs sections rurales, soit même une commune. Il est donc un ??chef bouquement?? d’une importance capitale dans les élections. L'ensemble constitué par les spéculateurs, s'ajoutant à la classe des latifundistes ruraux ou urbains, a formé la base du pouvoir économique de presque tous les gouvernements ha?tiens. L'orientation de l'économie nationale vers l'extérieur est Intimement liée aux caractéristiques déjà notées de la structure agraire?; elle fortifie et maintient la superstructure née de cette économie dualiste.C. Les grandes maisons import-export.Le r?le d'accapareur de l'excédent marginal du producteur est rempli à un degré encore plus élevé par les établissements import-export, installés dans les ports et héritiers directs des maisons de consignation établies dans le pays au début du siècle passé.? ce niveau des affaires, les ressources économiques et techniques sont nettement plus considérables. En plus, les possibilités commerciales, une meilleure connaissance du marché international, des facilités d'obtention de crédits bancaires permettent d'opérer sans user le capital propre. Il en résulte une plus facile adaptation aux fluctuations des prix pour l'accaparement presque scientifique des richesses engendrées par la production nationale.La part de ces revenus, accaparée par les intermédiaires du commerce extérieur, est certainement plus grande que celle des spéculateurs. Les exportations se font à travers les ports de la République, ouverts au commerce extérieur. Il existe plusieurs types d'exportateurs se distinguant par le volume de leurs affaires et par le degré de domination exercée sur l'économie. Le petit exportateur de Jacmel ou des Gona?ves, qui opère de fa?on individuelle, et les établissements de la capitale, ayant des succursales dans plusieurs villes de province, constituent les deux aspects d'une même catégorie d'intermédiaires opérant entre l'économie nationale et l'étranger. Alors que l’exportateur de province est, en général, un citoyen ha?tien, les grandes maisons qui opèrent à une échelle plus considérable et avec beaucoup plus de capital, sont généralement man?uvrées par des étrangers ou des “semi-étrangers”. Les établissements Reimbolt, Brandt, Wiener, Madsen, Dufort, Berne, dominent une fraction énorme du commerce du café. En 1955-56, des vingt-six exportateurs autorisés, les cinq principaux se partageaient [125] les 62% du volume total d’exportation du café?. En général, les mêmes entreprises et quelques autres, contr?lent le commerce d'importation. Elles jouissent d'avantages oligopolistes pour les principaux produits importés, tels les tissus, les biens de consommation. Les prix de ces articles sont décidés suivant le bon vouloir de ces maisons ou des agents distributeurs exclusifs qui contr?lent l'importation d'une grande variété de produits. Mais que le capitaliste soit ha?tien ou étranger, il s'adonne à l'exportation dans un seul but?: exporter et s'emparer de l'excédent économique qui pourrait s'accumuler au niveau du producteur. Pour exporter, il faut, bien s?r, préparer le produit que ce soit le café en cerises, ou déjà décortiqué par le paysan, le sisal brut ou à demi-préparé. Pour répondre à cette nécessité, il existe donc au sein du “secteur exportation”, cette industrie de transformation étudiée plus haut. Elle ne réclame pas de forts investissements en matériel ni une technique très développée. Pour le café, par exemple, on compte cent cinquante postes de transformation, petits et moyens, installés dans les zones rurales et lui assurent une première préparation, très insuffisante. Dans les villes, les maisons d'exportation entreprennent directement la préparation définitive de ce produit. La main d'?uvre féminine se prête avantageusement à ce travail, et elle est exploitée sans merci. L'usure de la machinerie est réduite. Donc, le co?t de cette préparation ne diminue pas grandement le produit brut des ventes à l'extérieur. La forte marge de bénéfices nets est thésaurisée, exportée, en forme de dividendes, placée dans les banques étrangères ou tournée à la consommation de luxe. Seule, la maison Brandt et Co., et à un degré moindre Madsen et Co. se sont efforcées d'accumuler des capitaux, lesquels sont investis dans des activités industrielles diverses. Ce sont des industries tournées vers le marché local et tendant à améliorer l'équilibre de la balance commerciale avec l'extérieur. On peut citer, comme exemples, la fabrique nationale de savon, celle de beurre, l'usine textile de Brandt, etc. Les autres établissements, mêmes plus anciens, se sont limités exclusivement à l'exportation et aux spéculations sur les variations des prix. Tout ceci dans le but d'amasser de grandes fortunes, de construire des résidences luxueuses. Quant à contribuer au développement économique, à la création de nouvelles sources d'emploi, à l'amélioration de la balance commerciale et à une meilleure distribution du revenu national, il n'en est point question. Les établissements d'exportation dominés par des Italiens, des Syriens ou des Américains, réservent le même sort à leurs bénéfices. Cette orientation totalement improductive du commerce d'exportation appara?t davantage [126] quand on considère le système de taxation et la nature du ha?tien. En effet, ce dernier, nourrit au niveau par le commerce extérieur, se dédie à alimenter un budget de dépenses d'entretien et de personnel, et n'a Jamais été orienté vers le développe, ment national. Le caractère même du commerce d'exportation et des mécanismes qu'il engendre, détermine non seulement le volume des importations, mais encore leur orientation et leur composition.V. LES IMPORTATIONSET LEUR SIGNIFICATION ?CONOMIQUE.Retour à la table des matièresLa contrepartie logique de cette orientation des exportations est la dépendance absolue de l'économie nationale vis-à-vis de l'étranger, pour son pourvoiement en biens manufacturés, en produits de première nécessité, et surtout en articles de luxe. L’analyse du r?le des importations dans la détermination des recettes de l'?tat, et des bénéfices des maisons d'importation, permet de mieux capter le sens de cette dépendance. Elle sera accompagnée de l'appréciation du volume des importations et de leur composition afin d’arriver à une meilleure compréhension de leur signification économique. Jusqu'aux années 1925, plus des 90% des recettes de l'?tat ha?tien dérivaient des droits de douane. 55 à 60% de ces droits étaient constitués par les taxes à l’importation. Actuellement, la situation continue d'être essentiellement la même, bien que quantitativement différente. La part du commerce extérieur dans les recettes de l'?tat a baissé de 90% en 1922-27 à 67,6% en 1952-57, les importations représentent 49,5% et les exportations 18,1%. Il fut appliqué une politique de réduction des taxes à l'exportation et d'augmentation des taxes internes. Pour les importations, le pourcentage reste gelé depuis 1920. Cette politique fiscale visait avant tout à ne pas décourager le producteur, ce dernier supportant, à la vérité, la totalité des taxes à l'exportation. Cette politique voulait encore protéger ??la vocation ha?tienne d'exportateur de matières premières??. En deuxième lieu, elle conservait jalousement les taxes à l'importation?; ceci non dans le but de restreindre les achats ou même d'essayer d'équilibrer la balance des paiements. Simplement, ces imp?ts forment une bonne part des recettes de l'?tat. La préoccupation de maintenir l'équilibre budgétaire supposa même une stimulation des importations d'articles de consommation. La caisse publique fait face à ses obligations gr?ce aux taxes grevant ces produits. Voici pourquoi on observe, depuis l'occupation américaine une importance relative croissante des droits à l'importation, par rapport au reste des recettes douanières. Dans certains pays de [127] l’Amérique latine s’est manifesté un processus de substitution à importation des articles de consommation courants par des biens d'équipement. Cette attitude fait partie d'un effort timide peut-être, d'une velléité d'industrialisation, d'amélioration de la balance des paiements, de diminution de la dépendance vis-à-vis du marché extérieur. En réduisant ou en modifiant le type des importations, l'?tat verrait diminuer ses revenus et se heurterait aux intérêts des grands importateurs, ce qui n'a Jamais été dans ses intentions. Persuadé de la ??nécessité?? de constituer toujours un appendice de l'étranger, satisfait des profits réalisés sur l'importation de meubles, de boutons, de brosses à dents, d'automobiles de luxe, etc., pourquoi de son c?té ce secteur commercial risquerait-il son capital en l'investissant dans la construction de fabriques locales?? Il préfère user je tout son pouvoir économique, de ses bonnes relations avec les gouvernements, des pressions diplomatiques au cas échéant pour briser toute velléité nationale à réduire les importations. Ainsi s'expliquent les multiples interventions des consulats étrangers en défense des intérêts de leurs nationaux au préjudice du pays?. Une loi votée au début de 1959 pour la protection de l'industrie locale et visant à corriger quelque peu le déséquilibre de la balance commerciale a suscité moins de quarante-huit heures après sa publication l'intervention fructueuse du consul américain. Elle portait trop atteinte aux intérêts nord-américains et elle fut condamnée à rester lettre morte. Importateurs et exportateurs, dans une grande proportion, représentent les éléments types du statut de dépendance totale, dans les deux sens, de l'économie ha?tienne vis-à-vis des grands marchés d'outre-mer. En plus, encore, comme le signale Alfred P. Thorne?:??Ces oligopoles essaient fréquemment d'étouffer de fa?on directe les entreprises manufacturières nationales. Par leur influence sur les gouvernements, et leur liaison aux intérêts des grands propriétaires fonciers ils font profiter leur secteur commercial, aux dépens de la réalisation des objectifs socio-économiques nationaux, les plus désirés?.??Les go?ts des consommateurs urbains ont évolué dans le même sens que le déséquilibre et la déformation de la structure des importations. La preuve en est la préférence donnée aux articles de luxe ou de consommation courante sur les biens d’équipement et la machinerie. Ici, également, tout effort pour [128] ?liminer ou renforcer certaines importations se heurtera à la résistance des mécanismes acquis. Ces “mécanismes” sont le produit de ??l'effet de démonstration??, de l'économie de prestige du ??fai ouê?? introduite dans les secteurs urbains sous l'impact du capital étranger. Infusé à doses massives durant dix-neuf ans d'occupation impérialiste, ce go?t de luxe et de confort s'est manifesté de mille et une fa?ons depuis. Dans les secteurs riches, l'amour excessif des marchandises importées a imposé l'usage des produits étrangers les plus chers. Il est intéressant de citer quelques annonces commerciales publiées dans les Journaux par l'un des plus grands super market du pays? pour des marchandises récemment re?ues de l'étranger?: saucisson de Lyon, champignons de Paris, saucisses de Francfort, vins de Bourgogne et d'Alsace, beurre de Copenhague, etc., etc. Ces produits alimentaires ont une place de choix dans les transactions avec l'étranger?; ils constituent cependant une faible partie des articles de luxe ou de ceux produits en Ha?ti même, qui viennent chaque année de l'étranger. L’usage des voitures de luxe est désormais devenu une tradition difficile à extirper et que, d'ailleurs, gouvernants et particuliers cultivent soigneusement. Il n'est pas étonnant de voir dans les rues de Port-au-Prince, des Plymouth, Chevrolet dernier modèle travaillant comme taxis. Un observateur étranger remarquait que, dans des pays comme la Hollande ou la France, l'usage de voitures luxueuses de type américain se considère comme un certain arrivisme, ou le propre des millionnaires, tandis qu'en Ha?ti et dans presque tous les pays d’Amérique latine, ces véhicules sont le symbole du “bien-être” auquel tout un chacun aspire, même celui dont les revenus ordinaires laissent très peu de possibilités, la vie durant, d’acquisition de voiture. L'économie de vanité se traduit par beaucoup de détails de la vie citadine de cette nation sous-développée et par l’introduction dans les go?ts des consommateurs de particularités incroyables. On a cité le cas de certains riches qui, au lieu d'investir dans une activité productrice et créatrice d'emploi, préfèrent construire un palais tropical dont les murs sont décorés de mosa?ques ou de céramique italienne. Au niveau du consommateur paysan se manifeste aussi cette disproportion organique des importations nationales. Dans un pays qui a un littoral maritime aussi long que celui de la France, la principale rubrique des importations de biens de consommation massive est occupée par les poissons, morues et harengs. Même en considérant le total des produits Importés destinés au secteur paysan (kérosène, textiles, poissons, instruments agricoles), sa valeur constitue une fraction minimum des importations globales?: [129]??Les 9/10 de la population qui intègrent le secteur primaire, fournissent les 9/10 des exportations, mais consomment seulement la dixième partie des importations, les secteurs secondaires et tertiaires d'autre part, en consomment les 9/10?.?? La paysannerie demeure la grande sacrifiée. Elle produit pour garantir les importations de luxe de la fraction riche des secteurs urbains improductifs parasitaires. Tant que la structure économique du pays demeure affaiblie par une tradition commerciale aussi anarchique, le développement économique géra une illusion ou un mensonge. Les membres de ce ??CLUB?? import-export et de l'?tat, gardien du statu quo, seront les seuls à “se développer”. Les mécanismes dérivant de l'orientation des importations renforcent la stagnation de l'économie. Un nombre considérable d'intermédiaires, à des niveaux divers gagnent leur vie ou s'enrichissent dans la distribution de ces biens importés.La composition et la tendance des importations traduisent aussi l'idéologie du commerce extérieur, malgré les difficultés d'une terminologie statistique douanière peu précise et claire. Les rubriques de biens de consommation, bien d'équipement sources d’énergie et importations diverses, cachent bien des confusions. Les biens de consommation réunissent à l’importation des objets hétérogènes, tels que la p?te dentifrice, le savon, les ?ufs, le riz, les meubles, les vêtements, les produits pharmaceutiques. On entend par bien d'équipement les voitures de luxe, les matériaux de construction, les articles pour décoration de somptueuses résidences. Georges Mouton signale quelques produits d'importation qui pourraient être facilement substitués ou obtenus en Ha?ti par une agriculture et un élevage efficient. (1) (chiffres, en millions de dollars)?195119521953Farine de blé 4.025.264.60Porc (lard) 0.981.61.12Poisson 1.381.741.30Lait évaporé 0.420.540.54Huiles comestibles 0.320.340.36Viande en conserve 0.140.160.18Beurre et dérivés 0.180.280.22Total 7.449.888.32[130]Malgré le manque de données actuelles, il n'est pas risqué d'affirmer que la tendance s'est renforcée. En 1957-58, dernières années pour lesquelles nous disposons de données, des importations de ces produits a dépassé 9 millions de dollars. Les produits agricoles représentent en règle générale entre le quart ou le tiers des importations. Parmi ces produits alimentaires, on peut noter?: les oiseaux de basse-cour et les viandes fra?ches ou en conserve, la graisse de porc, le lait (650.000 dollars par an), le beurre, les fromages, les ?ufs, le miel, les sirops, le riz, le ma?s, les fruits des légumes, le café, le cacao, le sucre, les cuirs, le tabac en feuilles, le bois brut, les poissons (1.500.000 dollars par an)?. On ne peut ignorer ce caractère irrationnel des importations dans un pays agricole et tropical n faut donc se demander pourquoi le secteur du haut commerce qui accumule des richesses depuis des années, à l'importation et l'exportation, ne s'est jamais préoccupé d'investir une partie de son capital dans la création de quelques-uns de ces produits, afin de réduire le déséquilibre constant de la balance de paiement et aussi de créer par là-même de nouvelles sources de travail?? Pourquoi l'?tat n'a-t-il pas investi dans ces mêmes buts?? La réponse est une?: ceci n'est pas la préoccupation première des groupes au pouvoir et, d'ailleurs, serait contraire aux intérêts créés.Les indices de variation de certains articles importés en 1956, comparés aux chiffres de 1952, révèlent clairement ce manque de préoccupation traduisant en même temps une ??échelle des valeurs??, des plus significatives.INDICE DES VALEURS? L’IMPORTATION DE CERTAINS ARTICLES (1952=100)?1955-561958-59Produits de base Fer et Acier 110,024.0Charbon, pétrole, combustible 95,1100.0Camions118,037,5Livres revues 72,273,7Produits chimiques et pharmaceutiques 119,288.0Produits de luxe Parfums183,5188,6Montres275,2247,7Automobiles 115,878.0Beurre115,2171,0Boissons182,2126,8[131]Il n'est point superflu d'expliquer pourquoi la politique formelle d'intensification du commerce extérieur, préconisée par tant d'hommes d'?tat et d'hommes d'affaires ha?tiens, conduite fa?on quasi religieuse depuis toujours et renforcée par l'occupation nord-américaine, n'a pas eu les effets escomptés. Il convient, donc, de vérifier dans quelle mesure les hypothèses de la théorie académique du Commerce International sont valables pour une économie aussi débile que celle d'Ha?ti, et si lies lui apportent des avantages comparables à ceux dont jouissent les pays industrialisés.VI. COMMERCE EXT?RIEURET D?VELOPPEMENTRetour à la table des matièresLa situation étudiée porte le sceau du libéralisme économique le plus anachronique. Elle prévaut depuis longtemps, à l'époque où le roi Christophe et le président Pétion ouvrirent les portes du pays au laisser-faire dans le plan des échanges internationaux. Aujourd'hui encore, ce ??laisser Grinnin, fleurit de son plus bel éclat, malgré les nombreuses et omnipotentes interventions de l'?tat dans l'économie. Le pays est livré à sa ??vocation agricole?? Comme le signale Paul BARAN?: ??Dans des conjonctures historiques, où le protectionnisme e?t été recommandé même par les partisans les plus fervents de la liberté de commerce, les pays qui en avaient le plus besoin, furent obligés d'entrer dans un régime, que nous pourrions qualifier d'infanticide industriel?.?? Ce libéralisme a déterminé qu'aucun processus de développement économique ait pu se déclencher à partir d'une accumulation des revenus issus du commerce extérieur. Il a porté préjudice au pays, par la détérioration produite dans les termes d'inter-échange?; aussi par le déséquilibre trop souvent négatif de la balance des paiements. La tradition ainsi établie est devenue tellement sacrée qu'on considère normale cette déformation structurelle du commerce ha?tien, et on propose d'en remédier uniquement par l'augmentation des exportations acceptant, comme un fait, la sujétion à l’étranger pour les biens de consommation courante.Consciemment ou non, on a appliqué au commerce international ha?tien, les doctrines et hypothèses héritées de la [132] théorie économique classique, ou, à mieux dire, les pratiques imposées par les nations impérialistes aux pays coloniaux ou sous-développés relations exclusives entre la colonie, source de matières premières et de produits alimentaires, et la métropole, fournisseuse de biens manufacturés. ??Ces théories et pratiques du commerce international Jamais évolutionnèrent dans les voies, qui leur e?t permis de comprendre la réalité des grandes et croissantes inégalités économiques et le processus dynamique du développement et du sous-développement???.Dominé par l'hypothèse de l'équilibre stable et des avantages comparatifs, le commerce extérieur, au lieu d'impulser l'économie ha?tienne à la suite de ses clients industriels, a eu un effet contraire. La détérioration des termes de l'échange a accentué ces désavantages. On sait, en effet, que dans la relation des indices des prix d'exportation et de ceux des prix à l'importation, toute hausse des prix?; à l'exportation, constitue un facteur qui influe favorablement sur le revenu global d’une nation. En Ha?ti, la tendance à la détérioration de ce rapport a été constante?; et encore faut-il se limiter à la simple considération de la balance commerciale.Cette réalité de la détérioration des termes d'échanges dont souffrent les producteurs de matières premières et agricoles, suscite bien des débats théoriques chez les économistes des pays industrialisés. Très souvent elle est mise en doute par certains porte-parole de l'impérialisme. Pourtant, elle s'intègre dans l'expérience quotidienne des paysans producteurs de campêche, de café, des régions dominées?: la valeur d'une récolte familiale dans les années 1920-1930 permettait à cette famille de se vêtir et d'acheter des biens manufacturés divers, ce qui n'est plus possible aujourd'hui. ? l'inauguration de la Réunion internationale du Comité de Produits Manufacturés de la F.A.O., tenue à Rome à partir du 21 mai 1963, le directeur de cette organisation informait que de 1955 à 1961 les prix des matières premières vendues par les pays sous-développés ont baissé de 8 milliards de dollars?. Les produits manufacturés, de leur part, ont augmenté de 12 milliards, au profit des pays vendeurs, soit donc une perte totale de 20 milliards pour les pays sous-développés. On voit donc, en toute clarté, que le commerce international traditionnel d'Ha?ti, en aucune fa?on a [133] servi les intérêts du bien-être économique de la Nation, en terme de revenu réel per capita, ou d’accumulation de capital. Il a terminé que la plus grande partie de l'excédent économique corresponde à une minorité parasitaire formée de commer?ants, d’usuriers, d'intermédiaires de toutes classes. Avec raison, Gunnar Myrdall souligne que?: ??Le principal effet positif du commerce international, sur les pays sous-développés a été de fait, impulser la production des biens primaires. Cette production qui emploie dans une grande mesure une main-d'?uvre non qualifiée, a constitué le n?ud de leurs exportations. Cependant, ils se trouvent parfois en face d'une demande inélastique sur les marchés d'exportation, et souvent d'une demande dont la tendance n'augmente pas rapidement. De plus, quand la population cro?t rapidement, alors que sa grande fraction vit tout près des niveaux de subsistance (ce qui se traduit par une abondante main-d'?uvre non qualifiée, tout avance technique dans la production destinée à l'exportation tend à transférer vers les pays importateurs les avantages de la baisse des prix de revient?.??D'autre part, Ragnar Nurkse, de l'Université de Colombia, se référant à l'influence du commerce international sur les économies sous-développées, en montre les conséquences désavantageuses.Il en résulte?: ??Un patron de développement tordu et unilatéral, selon lequel l'exportation des produits primaires se réalise avec l'aide de considérables investissements de capital étranger, alors que l'économie nationale demeure beaucoup moins développée, si ce n'est complètement primitive. Ce tableau, poursuit l'auteur, est applicable principalement aux régions tropicales?: c'est le tableau familier de l’??économie dualiste?? résultant du commerce et des investissements étrangers découlant du commerce...????Les régions qui étaient des ports avancés de l'investissement et qui produisaient pour des marchés extérieurs, ont manifesté souvent un manque total d'intégration intérieure tant sociale qu'économique?.??[134]Dans le cas concret de l’économie ha?tienne, les effets contraires au développement économique, mentionnés ci-dessus, se sont fortifiés par l'apport de forces extra économiques, internes, comme externes, nettement opposées à tout changement. ? la dépendance économique qu'implique entre autres la nature du commerce extérieur, s'ajoute la sujétion politique. Elle renforce, selon Charles Bettelheim, une division internationale a travail avantageuse au pays dominant, lequel se spécialise dam les activités les plus lucratives, alors que le dominé, générale ment, s'adonne à des activités de faible rendement économique comme l'agriculture et les industries extractives? L'importance disproportionnée des secteurs d'importation-exportation et autres intermédiaires, dans la vie économique, contribue à maintenir cette domination. Le transfert à la branche industrielle des capitaux et énergies affectées à des activités intermédiaires ne constitue aucunement une préoccupation pour les dits secteurs. ?tant donné leur attache avec le capital étranger ils ont intérêt à maintenir le statu quo. Il est évident que les capitalistes marchands du siècle passé ne pouvaient accumuler du capital à cause, notamment, de la situation de guerre permanente existant alors. Mais, durant ce dernier demi-siècle, le surgissement d'un secteur industriel cohérent et l'amplification du secteur capitaliste ont été entravés par la structure agraire et le statut semi-colonial de l’économie. Les relations et mode de production semi-féodaux, l'impact du capital étranger ont rendu impossibles la marche dynamique et équilibrée de l'économie ha?tienne. Cette situation ne peut étonner?:??Les pays aujourd'hui sous-développés, nous dit Paul Baran partagent cette caractéristique, particulière à la phase primitive du développement économique d'Europe Occidentale et du Japon durant laquelle des forces très puissantes s'appliquèrent à empêcher le transfert des capitaux des sphères de la circulation (aux sphères productrices). Malgré tout, le transfert dans l’usage du capital, put se réaliser avec le temps. Cependant, ce qui différencie radicalement la situation de ces pays sous-développés de celle que connurent dans le passé les pays capitalistes avancés, est la présence de formidables obstacles externes s’opposant à la transformation de l’accumulation marchande en capital industriel?.?? Pour toutes ces raisons, par sa structure, par son r?le, les [135] mécanismes qu'il a engendrés, la philosophie accréditée sur ses notions bénéfiques??, le secteur du commerce extérieur, malgré son importance dans l'économie globale, n'a pu constituer une sphère d'activités dotées du dynamisme suffisant à impulser le développement économique national. Il a constitué un obstacle à la croissance du capitalisme, à la constitution d'une bourgeoisie locale tant soit peu autonome. Il a été à la fois une voie de pénétration et un des instruments de domination de l’impérialisme en Ha?ti.[136][137]L’économie ha?tienneet sa voie de développementChapitre IVL’impact du capital étrangerOn a beau me parler d'emprunts, Je n'en veux pas... surtout à l’extérieur. Et puis, est-ce que le pays a Jamais profité de ses emprunts à l'étranger??...Nord Alexis? Président d'Ha?ti (1902-1908)Retour à la table des matièresL'impossibilité de voir s'amorcer un processus de développement économique, à partir du capital local, suggéra depuis longtemps déjà l’idée que seul le financement étranger, sous forme d'emprunts ou d'investissements directs dans la production peut servir de moteur à ce processus. Avec le temps, cette opinion a pris corps. La réalité de la pénétration du capital étranger est indiscutable?; et son r?le comme levier du progrès économique est considéré généralement comme déterminant et indispensable. Aussi, toute étude sur l'économie ha?tienne doit concéder une attention particulière à ce secteur, afin de délimiter sa place précise dans l’économie globale, son influence sur les autres structures et mécanismes économiques, et définir en même temps ses limitations en fonction des autres facteurs macro-économiques considérés dans le présent travail.Une étude exhaustive de l'impact du capital étranger sur l'économie ha?tienne impliquerait l'obligation de parcourir un long chemin historique. Elle devrait considérer les effets du capital mercantile espagnol qui fit du ??paradis Indien?? de Quisqueya un enfer?; du bien-être humain existant dans la communauté précoloniale, un régime d'exploitation qui massacra en cinquante ans plus d'un million d'indigènes. Elle devrait considérer également l'impact du capital pré-industriel fran?ais à Saint-Domingue, lequel fut le générateur de l’aventure humaine la plus barbare de tous les temps?; le transfert du ??bétail humain?? de race noire d'un continent à l'autre, l'arrachant à la liberté pour le soumettre à l'esclavage. Elle devrait enfin, considérer l'intervention des puissances expansionnistes?: la France, l'Allemagne, l'Angleterre, les ?tats-Unis, qui ont imprimé leurs [138] marques sur l’évolution économique d'Ha?ti.Le but de ce chapitre n'est pas d'étudier les diverses phases ou formes de l’impact causé par le capital étranger sur l'économie nationale. Cependant, pour faire une analyse profonde r?le actuel et futur des investissements d'origine externe, y convient d'établir une projection historique de l’expérience ha?tienne en la matière, et de capter l'idéologie du capital étranger dans ses rapports avec le pays, les conditions dans lesquelles y opère, la mesure dans laquelle les caractéristiques de l'économie nationale se prêtent à des opérations avantageuses pour Ha?ti. Cette projection historique se fera successivement à travers la perpétuelle dette extérieure et les investissements directs réalisés pendant et après l'occupation américaine d'Ha?ti.I. LA PERP?TUELLEDETTE EXT?RIEURE.a) La dette de l'indépendance.Retour à la table des matièresLe premier contact de la Nation ha?tienne avec le capital étranger eut lieu dans des circonstances historiques très spéciales?: en acceptant, en 1825, de payer une indemnisation de 150 millions de francs?* lourds aux anciens colons de Saint-Domingue, le président Boyer contracta une dette de 30 millions de francs pour faire face à la première échéance de l'indemnisation. Cette nouvelle obligation fut? contractée à des intérêts annuels de 6% avec la Maison Gandolphe et Cie dont le chef était le fameux banquier parisien Laffite. Elle procura en effectif, 24 millions de francs et constitua, avec l'indemnisation, ce que l’histoire ha?tienne appelle ??la double dette??, qui donna naissance à la ??perpétuelle dette extérieure??.D'une part, le Trésor public devait payer les annuités de 30 millions de francs chacune pendant quatre ans, correspondant aux conditions de l'indemnisation?; d'autre part, il devait faire face au service intérêt-capital de la dette contractée avec la Maison Gandolphe et Cie. N’ayant pas provoqué au préalable un flux de devises capables de stimuler l'économie, d'augmenter la production et les revenus et de créer en conséquence les disponibilités nécessaires à leurs rembours, ces obligations constitueront une barrière au développement du pays. Durant longtemps les ressources fiscales furent mobilisées vers une fin unique?: payer les arriérés d'une dette forcée.Le Trésor ne put faire face à ses obligations et payer les [139] tranches subséquentes, ce qui amena le gouvernement fran?ais à réduire à 60 millions la balance des 120 millions de francs. Ainsi, la dette extérieure s'élevait à 90 millions de francs.Dans un effort permanent et malgré les nombreuses guerres civiles et insurrections, le Trésor public paya, dans la période postérieure à 1838, la somme de 76.000.000 de francs à la France. Cela ramena la Dette extérieure à un peu plus de 13.750.000 de francs en 1875?.Cette première expérience avec le capital étranger, imposée des pressions de toutes natures exer?a une influence désastreuse sur l'évolution financière et économique de la Nation. Cependant, elle fut tout simplement une initiation aux pratiques d'exploitation et d'agiotisme qui caractérisent dorénavant les rapports entre le capital étranger et Ha?ti. Les emprunts postérieurs furent bien plus onéreux. La perpétuelle dette extérieure se trouva, précisément en cette période de 1875, à son niveau le plus bas.b) Emprunts Domingue.Après de nombreux marchandages et sous prétexte d'achat de biens d'équipement et d’établissement d'une banque en Ha?ti, le gouvernement Domingue contracta en septembre de 1874 un emprunt de 15 millions de francs, de la Maison Marcuard André et Cie de Paris, sur la base d'un décompte de l'ordre de 33%. Le produit net de cette opération atteignit la somme de 10 millions, lesquels devaient être payés en deux ans. Se rendant compte de l'impossibilité pour le Trésor de faire face à cette nouvelle obligation et d'assurer en même temps le paiement des 13 millions de la ??double dette, le gouvernement contracta, le 30 Juin 1875, un nouvel emprunt d'un montant nominal de 50 millions de francs, afin d'unifier la Dette extérieure. Ceci donna lieu à des transactions extraordinaires. ??Le titre de 500 francs, productif d'intérêts de 25% l'an, était offert au souscripteur fran?ais à 430 francs. De cette valeur 299?F?50 devraient être versés au Gouvernement Ha?tien et 130 F 50 retenus par le ??Crédit Général?? à titre de commission. Malgré une publicité ??éclatante??, 44% seulement des titres furent placés.?? Les souscripteurs payèrent 31 millions de francs des obligations [140] valant 36 millions de francs?; le ??Crédit Général?? s'adjugea 9.500.000 francs. Il porta seulement 21.800.000 francs à disposition du gouvernement ha?tien. Le rachat du premier emprunt de mars 1875 absorba immédiatement 14.528.935 francs?; l'apport d'argent frais au Trésor ha?tien fut de 7.313.300 francs?. Les 13.750.000 francs de la double dette restèrent impayés jusqu'en 1893.En 1896, un nouvel emprunt d'un montant nominal de 50 millions de francs contracté dans le but ??d'unifier la Dette extérieure??, origina de nouvelles spéculations usuraires des capitalistes fran?ais. ? l'intérieur, elle donna lieu à divers scandales favorisant à un haut degré les spéculations bancaires.En 1910, malgré les deux emprunts de 1875 et de 1896 encore non soldés, le Gouvernement en contracta un nouveau d’un montant nominal de 65.000.000 de francs, à un taux annuel de 5% et payable en cinquante ans. Cette affaire fut traitée avec la banque fran?aise de l'Union Parisienne, agissant au nom d'un consortium international de banquiers formé par des financiers allemands et américains. Compte tenu des commissions, décomptes et autres, l'Union Parisienne remit au Gouvernement la valeur de 40.345.892 francs, ce qui représentait 61,53% du montant nominal.Le but de cette nouvelle obligation était essentiellement de caractère monétaire et de trésorerie. Cependant, subsistait la vieille obsession d'unifier la Dette publique. Une partie des fonds fut destinée à payer les créanciers étrangers installés en Ha?ti?; particulièrement la Banque Nationale (de capital étranger) qui avait financé certaines dépenses de trésorerie. En fin de compte, le Trésor public re?ut 954.861.83 francs, c'est-à-dire 1,46% du montant total de l'emprunt. Avec les bénéfices obtenus de cette spéculation sans scrupules, les concessionnaires de l'Union Parisienne Installèrent en Ha?ti une nouvelle Banque Nationale au capital social de 20 millions de francs, contr?lée par le même consortium dans la proportion suivante?: capital fran?ais, 75%?; nord-américain, 20%?; allemand, 5%.c) La dette à la veille de l'occupation.Ainsi, de 1875 à 1910, la perpétuelle Dette extérieure ha?tienne fut périodiquement alimentée par des millions qui, en définitive, étaient empochés par les capitalistes étrangers et les gouvernants ha?tiens. Des 166 millions de francs, montant nominal de ces emprunts, plus de la moitié furent accaparés par les préteurs eux-mêmes sous les motifs spéculatifs les plus [141] divers?; une fraction considérable étant affectée à la sempiternelle unification de la dette. Malgré tout, au 14 février 1914 la dette extérieure présentait l'état suivant?:?TAT DE LA DETTE EXT?RIEURE, 1914FranceDate d’expirationde la detteEmprunt 1875 Balance à payer 10.799.580 1922—id—1897—id—37.988.500 1932—id—1910 —id— 64.368.5001961TOTAL113.156.580Soit?: 22.574.316 dollars au taux de conversion de l'époque?.On doit souligner que les spéculateurs étrangers trouvaient une alliée dans la corruption notoire régnant au sein de l'Administration publique. Non seulement les banquiers s'enrichirent, mais aussi de nombreux fonctionnaires arrivèrent à confondre les intérêts de l'?tat avec les leurs. Le cas le plus typique du climat de prévarication officielle demeure celui du vice-président Septimus Rameau, le négociateur du fameux emprunt de 1875. En abandonnant le pouvoir pour se réfugier dans une ambassade, il fut arrêté par la foule avec des valises pleines d'or?. Le caractère usuraire de tous ces emprunts fut généralement admis et ratifié par les Pouvoirs publics. Les gouvernants s'en servirent pour lutter contre les insurrections, équilibrer leur budget et faire face aux nécessités politiques du moment.Si l'on tient compte du montant global des sommes payées par l'?tat Ha?tien à ses créanciers fran?ais tout au long de la période 1825 à 1922, une constatation s'impose??: malgré la situation financière chaotique presque permanente et le gaspillage des ressources, malgré l'absence de toute préoccupation tendant à entreprendre des travaux d'infrastructure de nature à stimuler le développement économique, le Trésor public paya un total de 124 millions de francs, soit 29 millions de dollars, à titre de capital, en plus des intérêts de l'ordre de 5% à 14%. Cet effort permanent de payer les obligations envers l'étranger, s'explique?: le désir de se soustraire. ? la visite des bateaux de guerre des puissances navales appuyant les affaires de leurs ressortissants Les ressources financières furent soumises à de constantes [142] saignées, sous la succion du capital étranger. ??Par leur nature ces nouvelles charges étaient différentes de l'indemnisation de 1825. Cependant, si on tient compte des conditions de leur négociation, et de leur utilisation, de leur non rentabilité, on peut les considérer comme autant d'indemnisation, que la nation dut payer à des profiteurs étrangers ou locaux. Ajoutées à la dette payée comme tribut de la libération, elles eurent des effets violents sur l'économie compromettant pour longtemps le développement économique, déjà entravé par les luttes féodales.II. OCCUPATIONSET CAPITAL NORD-AM?RICAINS.Retour à la table des matièresAprès une longue compétition qui dura plus d'un siècle, l'intervention armée permit aux ?tats-Unis d'éliminer la France du marché financier et commercial d'Ha?ti. L'impact du capital américain fut encore plus brutal. Dans cette explosion de l'expansionnisme américain qui marqua le début du siècle, les investissements directs firent irruption dans l'économie ha?tienne avec l'appui des ba?onnettes et de la marine de guerre. ??Derrière l’Occupation, travaillant de concert avec le Département d'?tat, se trouve la National City Bank of New York. Ses alliés, les potentats de la finance, sont ceux qui profitent de l'embargo sur Ha?ti. La ??Marine Corps?? agit en réalité en faveur des grands intérêts financiers des ?tats-Unis???Les antécédents à cette action militaire du capital américain contre Ha?ti ne manquaient pas, comme le déclare sans ambages, le professeur américain Arthur Link, dans son livre ??La diplomatie des ?tats-Unis et l'Amérique latine???:Un groupe d'hommes d'affaires, ayant à leur tête Roger L. Far Ham, fonctionnaire de la National City Bank of New York, Vice-Président de la Banque Nationale d'Ha?ti et Président de la Compagnie Nationale des Chemins de Fer, de propriété également américaine exer?ait une forte pression sur le Département d'?tat en faveur de leurs propres objectifs, d'établir un contr?le américain des douanes en Ha?ti, semblable à celle qui avait existé pendant tant d'années en République Dominicaine. Ne pouvant [143] arriver à ces fins dans la forme totale qu'ils le désiraient, ces intérêts particuliers ne reculèrent pas devant l'emploi d’autres moyens?.L'intervention militaire des ?tats-Unis et l'occupation, fuient la conclusion logique ou mieux, la culmination d'un processus de pénétration économique systématique. L'accord du 15 septembre 1915, imposé par l'occupant, stipulait que le contr?le des Douanes se ferait exclusivement par un Contr?leur général et un Conseiller financier chargé des Finances publiques. Les entrées douanières seraient affectées au paiement du personnel d'occupation et de la police?: à payer la dette publique, et à couvrir les autres charges de l'?tat?.Une fois mis en place l'appareil militaire et bureaucratique, et vaincue la résistance armée de Charlemagne Péralte, la domination de l'économie et des finances devenait chose facile. b) l’emprunt de 1922.La Banque nationale fut l'instrument gr?ce auquel l'héritage de la Dette extérieure passa des mains fran?aises aux mains américaines.Il a été dit plus haut, qu'au mois de mars 1911, dans le consortium qui contr?lait la Banque nationale d'Ha?ti, le groupe nord-américain possédait 20% des actions émises. Cette participation de la National City Bank était le résultat de fortes pressions et interventions officielles, au moment de la conclusion de l'emprunt de 1910 concerté avec l'Union Parisienne. ??Une fois introduite dans ce circuit, la National City Bank s'effor?a d'en assurer le contr?le absolu au moyen de l'élimination systématique des autres associés. En 1916, elle détenait déjà les portions correspondantes aux associés allemands et américains. Et peu après, le premier avril 1920, elle avait éliminé le groupe fran?ais.??? Vinrent ratifier légalement une situation de fait, l'accord monétaire du 12 avril 1919, d'après lequel la Banque nationale d'Ha?ti obtenait le monopole de l'émission de la frappe de la monnaie, et le contrat de transfert des droits de l'Union Parisienne à la National City Bank.Filiale de la National City Bank, la Banque Nationale d'Ha?ti, [144] fut immédiatement chargée de négocier un nouvel emprunt extérieur. Celui-ci fut émis sur le marché de New York par la National City Company, filiale également de la National City Bank. Le montant nominal de cet emprunt, de 22.894.041,94 dollars américains, fut lancé par la Banque à 92,137% et offert au public à 96.50% avec intérêt de 6%.Suivant, dans son utilisation, le traditionnel destin des Dettes extérieures ha?tiennes, son montant fut affecté?: 1)au remboursement des emprunts fran?ais, lesquels avaient diminué de 21.410.617,99 francs en 1915 à 6 037 650 francs en 1922 en raison de la considérable dévaluation du franc 2)au paiement des obligations arriérées dues à la Compagnie des Chemins de Fer, propriété d'américains, et à l'achat des autres obligations détenues par le Gouvernement?; 3)au remboursement des avances de trésorerie consenties par la Banque Nationale d'Ha?ti?; 4)à l'amortissement de la dette intérieure?; 5)à l'extinction de réclamations diverses?; 6)au paiement de la première tranche de l'amortissement?. Une part considérable des fonds provenant de l'emprunt retournait donc à la National City Bank ou aux créanciers intimement liés à cette institution?; une autre allait satisfaire les sempiternelles plaintes des étrangers, prétendues victimes des guerres civiles. 2.411.736,95 dollars seulement, soit 11% de la valeur nominale de l'emprunt, rentreront dans les caisses publiques. Il s'agissait, ni plus ni moins, que d’une habile man?uvre financière, gr?ce à laquelle la National City Bank espérait ??l'étranglement économique de la Nation.???. Les diverses obligations ha?tiennes avaient été ainsi unifiées en une Dette amortissable en trente ans. Les occupants obtenaient ainsi, que leur domination soit légalement prorogée de dix ans sur les limites établies par l'accord du 15 septembre 1915, c'est-à-dire Jusqu'au 3 mars 1936.En opposition totale avec l'attitude adoptée face à la dette fran?aise, dont le paiement fut délibérément interrompu de 1915 à 1917, les autorités fiscales nord-américaines en Ha?ti menèrent une politique d'amortissement anticipée de la dette récemment contractée.Pour la seule année 1924-1925, le Trésor ha?tien paya d'avance un montant de 2.229.289.54 dollars?. Les sommes [145] payées pour intérêts et amortissements de la Dette extérieure et obligations représentaient respectivement une proportion de 29,78% et 28,09% du budget pour les années 1923 et 1924 respectivement. Au début de 1938, Ha?ti avait un excédent d'amortissement de l'ordre de 7 millions de dollars en avance sur les prévisions contractuelles?. ??La politique d'amortissement anticipée et des réserves inactives — souligne Alain Turnier — constitua un non sens, une hérésie coupable dans un pays ou le niveau de vie était à l'échelon le plus bas et qui avait besoin de toutes ses ressources pour les travaux de développement économique. Si elle s'inspirait de la crainte d’une chute verticale des revenus publics aléas constant d'une économie strictement agricole qui eut pu arrêter le service de la dette, le meilleur moyen de prévenir ces éventualités, et même de renforcer la garantie de la Dette, ne serait-il pas la diversification de l'économie à l'aide des fonds disponibles???Mais, les conséquences de l'impact produit par le capital nord-américain sur les finances publiques étaient totalement contraires à cette diversification. Précisément, dans le cadre de l'expansionnisme du capital nord-américain, l’occupation militaire était la camisole de force?: elle devait assurer le r?le de pourvoyeur de matières premières et d'acheteur de produits manufacturés pour toute la ??Zone du Destin Manifeste???; r?le vraiment avantageux dans une division internationale de la production établie au plus grand profit des puissances industrielles.c) Les investissements directs.Dans des conditions idéales de sécurité et de protection, le capital privé nord-américain s'effor?a de s'introduire dans l'économie ha?tienne. Le climat tropical, l'abondance de main-d’?uvre à bon marché, la nature même du capital étranger intéressé à s'investir, firent que la plupart des placements effectués sous l'aile protectrice de l'occupant s'orientèrent vers l'agriculture de plantation de type féodo-capitaliste. Ils obéissaient à cette loi, selon laquelle le capital étranger placé dans les pays sous-développés, s'enferme ??dans des juridictions économiques contr?lées de l'extérieur et occupées principalement [146] dans la production de produits primaires pour l'exportation??? Dans le but de s'approprier des terres nécessaires à l’organisation de ses plantations, le capital américain vint à bout d'une ??tradition constitutionnelle??, jalousement gardée depuis l'indépendance et considérée comme partie inaliénable de Droit public ha?tien?: la négation à l'étranger du droit de propriété immobilière.Dans son article V, la Constitution de 1918 votée sous l'occupation, abolit cette barrière de droit à la pénétration du capital étranger en Ha?ti. La loi du 21 décembre 1922 ouvrit le chemin, en autorisant les concessions à long terme jusqu'à trente ans, renouvelables ??à toutes les personnes ou compagnies pouvant justifier leur capacité financière???.Les acquisitions de biens immeubles, que les capitalistes américains avalent déjà faites indirectement, par le truchement de certains grands fonciers locaux, purent être opérées librement et furent légalisées par la loi du 28 juillet 1929. Cette loi autorisait la vente des terres agricoles aux compagnies américaines. Celles qui avaient déjà pris en fermage des propriétés appartenant à l'?tat étaient, de plus, assurées contre toute augmentation éventuelle des taux de fermage et des droits de douane à l'exportation de leurs produits.L'activité de ces entreprises qui commen?aient dans des conditions tellement avantageuses, fut au début très réduite. Mais vite, avec les bénéfices accumulés gr?ce à une exploitation aussi rentable de la terre et d'une force de travail rémunérée de fa?on dérisoire (0.20 dollar U.S. par jour), ces investissements s'enflèrent postérieurement, surtout dans l'agriculture. L'ensemble des investissements directs nord-américains atteignaient 5,1 millions de dollars en 1908 dans les chemins de fer?; en 1919, ce total était de 17,3 millions, desquels 10,1 millions dans les chemins de fer et 8 dans l'agriculture. En 1929, pour un total de 35,2 millions, l'agriculture comptait 8,7 millions de dollars, chiffre maximum pour cette branche pendant l'occupation. En 1935, ce chiffre s'était réduit à 6,5 millions?.En même temps, se multiplia le nombre des plantations. A la fin de 1929, quatre compagnies américaines avaient obtenu des concessions de terres appartenant à l'?tat?: la Haytian American Sugar Company, avec 254,89 hectares?: la Ha?tian Pineapple Co., avec environ 16 hectares?; la Ha?tian American Development Corporation, avec 5.600 hectares?; la Ha?tian Agricultural Corporation, avec 880 hectares. Peu après, une Société [147] ha?tien-Américaine réunit 400 hectares. En total. 7,148 hectares. En 1930, les domaines loués par sept compagnies américaines s'étendaient sur près de 10.000 hectares?; le total des concessions atteignait 28.000 hectares?. 520 hectares seulement avaient été achetés, le reste ayant été loué par l’?tat ou faisant l'objet de concessions spéciales. Ceci explique, en partie, la valeur relativement faible des investissements effectués dans l'agriculture.Aux compagnies déjà citées s'ajoutèrent bient?t la Société des Plantations de Saint-Marc, la Artibonite Development Company, la American Development Company, la American Development Company of Ha?ti, la Haytian Filer Corporation, la North Haytian Sugar Company, la Plantation Verrette Company, la Verrette Plantation Incorporations?. Toutes ces entreprises jouissaient des plus grandes facilités pour prospérer?; elles disposaient de la force de travail à bon marché des paysans, utilisant pour cela toute sorte de coercitions, et profitaient en même temps des terres acquises en des conditions idéales. Le nombre des aventuriers de la finance proliféra et, avec eux, celui des affaires louches.En ce qui concerne les ??services publics??, le capital nord-américain s'introduisit dans la branche des téléphones, dépla?ant le monopole de la Compagnie Fran?aise de C?bles?; dans les chemins de fer et l'électricité, également, il renfor?a ses positions. Mais, là non plus, il n'y eut pas de grands investissements, puisque en 1929 on comptait seulement 2,8 millions (chiffre maximum de cette période) investis dans des branches autres que l'agriculture et les affaires bancaires.d) Bilan des résultats.En tout premier lieu, il saute à la vue que cette balance fut avantageuse pour les financiers de la National City Bank et le groupe dominé par Farham. Ils firent de bonnes affaires avec l'emprunt de 1922 et les spéculations sur les finances ha?tiennes. Quant au gros des hommes d'affaires, attirés par les perspectives de gains rapides et intéressés à promouvoir les plantations capitalistes en Ha?ti, leur expérience ne fut pas aussi satisfaisante qu'ils l'espéraient. Moins de dix ans après le départ des troupes d'occupation, et bien que les gouvernements ha?tiens continuaient de manifester les mêmes dispositions de soumission et de capitulation envers le capital américain, la plupart des sociétés agricoles qui proliférèrent pendant l'occupation, disparurent du marché. Il en resta seulement deux ou [148] trois, parmi les plus importantes, telles la HASCO, la Ha?tian American Corporation. ? Cuba, pendant et après l'intervention, les investissements américains s'étalent multipliés dans l’agriculture (montant total en 1929, 919 millions), créant les grandes centrales sucrières et les plantations correspondantes. Dans la République Dominicaine, les placements privés pour la même année atteignaient la somme de 6,3 millions, de préférence dans l'agriculture on assista à la naissance de grandes entreprises comme les centrales Sucrières Romana et Barahona, au capital initial de dix millions chacune?. ? la différence des avantages rencontrés dans ces pays, le capital nord-américain ne trouva pas en Ha?ti les bases structurelles idéales capables de faire prospérer les plantations de type capitaliste et satisfaire par des dividendes élevées, la recherche de profits maxima. Tandis qu'à Cuba et en Amérique centrale, l'existence d'immenses latifundia, pouvait, moyennant l'apport de capital et de technique, donner facilement lieu à des plantations capitalistes, en Ha?ti, la prédominance de la petite exploitation agricole et d'autres caractéristiques structurelles constituaient et constituent encore un obstacle au développement de ce système.Cette situation est signalée par Millspaugh?: il se réfère au danger d'acheter des terres paysannes, étant donné que celles-ci ne sont pas garanties légalement par des titres de propriété. Ce même fait est rapporté par Edouard Kirkland dans son Histoire économique des ?tats-Unis?: ??Du point de vue économique, la République d'Ha?ti ne s'ajustait pas aussi bien (que les autres pays des cara?bes) au plan américain, ses nombreux agriculteurs propriétaires cultivaient le cacao... le café se cultivait dans de petites parcelles, ce qui ne requérait pas de capital provenant de l'étranger. La pénétration financière des Américains se trouvait très en retard. Les capitaux s'infiltrèrent à travers ces investissements et les banquiers nord américains concédèrent des prêts au Gouvernement?.?? De son c?té, le professeur Melvin Knight émet une opinion similaire?:??Le sucre n'a pas laissé de bénéfices en Ha?ti, parce que les paysans et les propriétaires non seulement se sont opposés à vendre leurs terres, mais encore, ils ont été contraires [149] au labourage et à la production sous contrat???.La structure agraire ha?tienne ne se prête pas, en effet, de fa?on idéale au développement du système de plantations??. La balance des investissements américains se révéla maigre, en comparaison des grandes dividendes que produisirent les incursions des marines et des capitaux dans d'autres pays. Cela signifie pas que le capital étranger direct n'ait obtenu des avantages considérables de l'économie ha?tienne. Loin de là. Sinon que la logique du profit capitaliste s’accommode uniquement aux conditions capables d'assurer les bénéfices maximums. Afin de briser la résistance des structures, ??gênantes???! la pénétration économique étrangère s’est appliquée à détruire en partie le cadre archa?que de l'économie féodale, usant pour cela de toutes sortes de violences. Elle est même arrivée, dans certains cas, à s'accoupler à lui. La HASCO, dans l'actualité, présente l'exemple typique de cet accouplement.La vague d'expropriations à laquelle donna lieu l'occupation est le reflet le plus significatif de cet impact qui secoua les bases mêmes de l'économie paysanne. Afin de constituer les grandes plantations nécessaires à l'exploitation capitaliste, les terres de l'?tat, habitées ou louées par les paysans, furent les premières à être remises en concessions. Les paysans qui se trouvaient aux alentours de ces propriétés ne tardèrent pas à être dépouillés de leurs terres. De là, les grandes migrations vers Cuba et la République Dominicaine, à travers lesquelles la force de travail expulsée de son cadre économique naturel allait constituer la main d'?uvre des entreprises américaines installées dans ces pays. Une considérable armée industrielle de réserve fut formée ainsi des paysans émigrés qui furent soumis à des conditions de vie infra humaines. Dans la seule année de 1930, plus de trente mille Ha?tiens arrivèrent à la province de Camaguey?. Le rythme de cette nouvelle Traite de Noirs, impulsée et organisée par l'??United Fruit?? et l'??Atlantic Fruit?? durant environ vingt ans, se maintint à la moyenne de vingt mille par an. La plupart des Ha?tiens victimes du massacre perpétré par Trujillo en 1937 étaient des paysans du Nord qui, dépossédés de leur lopin lors de la constitution des plantations Dauphin, ou fuyant la terreur ??anticaco?? émigrèrent vers la [150] République Dominicaine?.Cette pénétration s’est manifestée également par des dispositions légales. La loi du 14 ao?t 1928, créant un imp?t exorbitant sur l’alcool, ruina les petits producteurs de sirop A d’alcool, au grand bénéfice de la HASCO?. De 1918 à 1930 cent dix producteurs de la Plaine Centrale et quatre-vingt-dix de la vallée de l’Artibonite abandonnèrent le marché, incapable de s’opposer au monopole de fait établi au bénéfice de leur puissant compétiteur?.Sur le terrain commercial, la situation n’était guère différente?: sous l’impact du capital étranger, le commerce ha?tien restant dans sa totalité en des mains étrangères.En définitive, le capital étranger qui fit irruption à la faveur de l’occupation américaine n’apporta même pas une apparence de solution aux problèmes économiques du pays. Il ne fut pas capable de moderniser l’agriculture et, en conséquence, ne se préoccupa non plus de créer l’infrastructure correspondant aux plantations orientées vers le marché extérieur. Il ne créa pas un réseau de services efficaces ni, en fin de compte, un secteur capitaliste, même tributaire des investissements étrangers.La perpétuelle Dette extérieure poursuivit son destin improductif, en passant avantageusement aux mains de la National City Bank?; les mécanismes économiques de spéculation ou de domination se sont renforcés encore plus. Dans ses diverses couches, la Nation a ressenti tout le poids de cette intervention.Tout comme l’expérience séculaire de la dette extérieure, ce nouveau chapitre des rapports d’Ha?ti avec le capital étranger démontra l’incapacité de ce dernier à promouvoir un processus de développement économique et d’apporter le bien-être au peuple ha?tien. Dans le cadre d’une structure économique comme celle antérieurement étudiée, le capital étranger ne put provoquer un développement, même partiel, des forces productrices ni une augmentation de la production de biens et de services?; encore moins une florissante ??économie de plantation?? avec toutes les caractéristiques attachées à ce terme. Sans conteste, le résultat le plus patent de son action, se traduisit par les violences et les spoliations, par l’imposition à une petite nation de normes économiques étrangères à sa tradition historique et incompatibles avec sa structure. Il est intéressant de signaler à ce sujet le fait suivant?: la national City Bank, qui s’était intéressée au marché ha?tien, au point de promouvoir l’occupation, se retira en, 1934-35 de la Banque Nationale [151] après avoir obtenu le maximum de bénéfices possibles de sa domination sur les finances nationales. Pour assurer au capital étranger une pénétration qui comportait le minimum de risques, une nouvelle formule devait donc substituer l’insuccès des investissements directs?: la formule des contrats de concessions exécutés par des sociétés privées, financés par des institutions internationales de Crédit, mais endossés par l’?tat ha?tien par l’intermédiaire de sa perpétuelle dette extérieure.III. LA FORMULE DES CONTRATSDE CONCESSIONRetour à la table des matièresLa politique de bon voisinage annoncée par Roosevelt en 1933 fut accompagnée d’un rel?chement dans les méthodes de pénétration économique employées par l'expansionnisme américain dès le début du siècle. La Banque d'importation et Exportation (EXIMBANK) fut l'instrument au moyen duquel la nouvelle administration voulait ??réorienter?? ses relations économiques officielles avec l’Amérique latine, donnant en même temps à la politique économique des ?tats-Unis un nouvel aspect, adapté aux conditions créées par la Grande Crise. Ironie des choses?! Ha?ti, l'un des pays ayant le plus souffert de la politique du ??Big Stick??, fut le premier à recevoir un prêt de cette Institution, à des fins de développement économique?.a) Contrat J. G. White.Trois ans seulement après la fin de l'occupation, en 1937- 1938, une chute verticale des prix des produits agricoles et le rapatriement de milliers d'ouvriers agricoles des plantations de canne cubaines provoquèrent une grave crise dans l'économie ha?tienne. L'EXIMBANK accorda un crédit de 5 millions de dollars, au taux de 5%, pour le financement d'importants travaux publics en Ha?ti?.D'après l'accord passé entre le gouvernement d'Ha?ti et cet organisme, la société américaine ??J. G. White Engineering Corporation?? fut chargée de l'exécution de ces travaux. Les ?uvres projetées?: irrigation, drainage, construction de routes, etc., n'avaient pas été l’objet d'un plan préalable, coordonné et en relation directe avec le développement économique. Imprégné de l'esprit du ??New Deal?? et des idées keynésiennes, l'EXIM- BANK était partisan de l'injection massive de pouvoir d'achat à la population par l’ouverture de grands travaux publics. On [152] pensait surmonter ainsi la dépression, surestimant l'effet que produirait sur la situation l’augmentation de la consommation résultant de la m asse des salaires payés par la J. G. White.Cette entreprise se signala par son incompétence et le sens de l'exploitation qu'elle manifesta dans la réalisation contrat. Le crédit de l'EXIMBANK fut augmenté de 5 à 5,5 millions de dollars en septembre 1941?; la J.G. White, totalement couverte dans son administration par l'?tat ha?tien, gaspilla les fonds publics par la corruption en son propre sein, par les salaires de ses ??techniciens?? et la mauvaise exécution des travaux. 29% des fonds de l'emprunt furent absorbés par le matériel et la main d’?uvre de provenance américaine. De leur c?té, les techniciens ha?tiens avaient des salaires dérisoires et les ouvriers recevaient une maigre pitance.? Le Trésor ha?tien, le seul lésé en cette affaire, continuait de payer encore en 1951 les obligations de cette dette. L'administration de la J.G. White n’avait mené à bien en définitive, aucun travail durable constituant une ?uvre d’infrastructure capable de donner une impulsion à long terme au développement économique.b) La SHADA.Quelque temps après, en 1942, un second emprunt de 5 millions fut accordé par l'intermédiaire de la ??société Ha?tiano-Américaine de Développement Agricole??, ??SHADA??, spécialement constituée à cette fin sous l'impulsion de l'EXIMBANK. Cette société avait pour but l’exploitation et le développement des ressources agricoles du pays, la production des articles stratégiques nécessaires à l’économie de guerre, tels le sisal et le caoutchouc. Cette Société re?ut en concession, pour cinquante ans, le monopole d'achat et d'exportation de tout le caoutchouc cultivé en Ha?ti, ainsi qu'une superficie de 60 000 hectares de bois de construction? En échange de tous ces avantages de financement et de gestion, la SHADA émit en faveur de Ha?ti des actions pour un montant d'un million de dollars. Ces actions furent remises à l'EXIMBANK avec le droit de vote correspondant et l'engagement pris par l'?tat ha?tien de garantir inconditionnellement les obligations souscrites par la Société.L'importance concédée à ce programme était telle, qu'on le considéra comme ??un laboratoire d'essai pour toutes les Antilles??. Il échoua cependant totalement. La culture de la Cryptostegia, développée à des fins stratégiques par cette agence du Gouvernement américain, se traduisit par une perte de [153] 6.733.000 dollars à la fin du conflit mondial, ce qui réduisit pratiquement à néant les considérables investissements effectués. Au cours de la même année 1945, d'autres projets furent abandonnés, avec une balance négative de 2.000.000 de dollars. La Société se trouva dans l’impossibilité de faire face à ses obligations. L'amortissement de l’emprunt, dont le terme était fixé à 1956, fut prolongé Jusqu'en 1961. En fin de compte, elle demeure encore pendante de nos Jours. La Dette publique s'en trouva augmentée, bien que ??la responsabilité à la fois technique et morale de la faillite de l'exploitation incombait à l'EXIMBANK qui, porteur de la majorité des actions, nommait les directeurs et contr?lait l'entreprise???. ? cause de toute une série de faiblesses, imputables à la mauvaise gestion de l'entreprise, et surtout des conditions générales de l'économie nationale, la direction de la Société ne sut pas tirer profit des nombreux avantages découlant du contrat de concessions pour impulser un secteur agricole techniquement efficient.Ses nombreuses propriétés du Nord, de Saint-Marc, de la Forêt des Pins et du Sud, passèrent sous contr?le de l'institut de Crédit Agricole, selon un accord intervenu entre le Gouvernement ha?tien et son débiteur, l'EXIMBANK.La SHADA, société agricole capitaliste, avait démontré, une fois de plus, l'impossibilité de créer des noyaux de production et de technique capitalistes au sein de l'économie féodale traditionnelle. La dispersion des exploitations n'offrent point les avantages de la grande unité économique dédiée à la culture spécialisée et à la production à grande échelle. Cette expérience donna lieu à d'importantes expropriations paysannes, à la destruction de cultures déjà existantes pour le développement de la production du caoutchouc. De plus, elle surchargea le Trésor ha?tien d'une obligation totalement négative pour l'économie nationale. Tout ceci, lié à ??une planification défectueuse du programme Cryptostegia, laissa une impression amère en Ha?ti???.c) Péligre ODVA.L'emprunt ??Péligre fut le plus récent de cette trilogie de contrats, dont l'exécution par une société privée américaine permit des transactions scandaleuses et se solda par les échecs retentissants. Il fut réalisé dans le cadre du Plan quinquennal de Développement Economique, annoncé à grand bruit pour la période d'octobre 1951 - septembre 1956.Ce ??Plan de travaux publics?? devait être financé par les excédents budgétaires, dans les années d'euphorie internationale [154] des prix des produits primaires, qui co?ncida avec le conflit de Corée. Le Gouvernement fit appel aux services de diverses compagnies étrangères, telles la Compania de industrias Maritimas la Société des Grands Travaux de Marseille, Bohama (financée par la plantation Dauphin)?, le Caribbean Construction Supply Co.?; plusieurs travaux importants, quoique sans coordination aucune, furent mis sur pied en fonction de la nécessité politique d'entreprendre des travaux d'urbanisme spectaculaires. Il fallait distribuer des revenus sous forme de salaires et de prébendes afin d'augmenter la circulation monétaire, et donner ainsi l'apparence de la prospérité. Dans de telles conditions, fut construite la route de dix kilomètres de long de Port-au-Prince - Pétion-Ville, à un co?t par kilomètre de 400 mille dollars, considéré comme le plus élevé du monde?. La seule réalisation dans la région du Sud-Est, l'une des plus prospères et des plus peuplées du pays, fut la construction d’une prison à Jacmel.Cependant, la réalisation centrale de ce Plan fut le projet de construction d'un barrage et d'une centrale hydroélectrique sur le fleuve le plus important du pays, l'Artibonite. Ce projet visait à créer un important district d’irrigation (40.000 hectares) destiné à la culture du riz et à électrifier la région centrale. La société américaine ??Khappen Tippetts and Abbett Mac Arthur Engineers??, choisie par l'EXIMBANK comme concessionnaire, présenta une étude détaillée, dont le montant s'élevait à 6 millions de dollars. Le contrat signé le 6 Juillet 1949 entre le Gouvernement ha?tien et l'EXIMBANK disposait que cette dernière avancerait une somme de 4 millions pour le financement des travaux. Le restant devant être couvert par les bonis fiscaux réalisés au cours des années de prospérité.Le 28 avril 1951, le montant du crédit fut élevé à 14 millions de dollars, à un intérêt de 3,5% et payable en dix-huit ans, à partir de 1956. Les travaux commencèrent en février 1952, sous le contr?le technique et administratif de la ??Brown and Root Company??. Ils s'effectuèrent au milieu d'un gaspillage éhonté de la part des fonctionnaires de l'entreprise, en étroite liaison avec les autorités. Sous peu, les fonds prévus furent déclarés insuffisants. Sur la demande du Gouvernement, l'EXIMBANK accorda le 6 mai 1955 un crédit additionnel de 7 millions à 4,25% d'intérêt et amortissable à partir de 1959. Cette nouvelle apportation de capital éleva le crédit global à la somme de 21 millions, laquelle s'avéra également insuffisante. Pour cette raison, l'EXIMBANK ouvrit le 16 avril 1956 un nouveau crédit de 6 millions, afin de pouvoir terminer les travaux?. [155] Ainsi furent dépensés 27 millions provenant de l'extérieur et 13 autres millions des ressources internes, soit au total 40 millions. Le projet ne se réalisa que dans la proportion de 80% de la valeur globale estimée récemment par les techniciens américains comme nécessaire pour en achever la première phase, c'est-à-dire, la construction du lac et de dix canaux d'irrigation. Pour ce qui est de la centrale hydroélectrique prévue, d'une puissance de trois turbines de 18 000 chevaux chacune? le même calcul l'évalue à 25 millions de dollars.? La dette extérieure ha?tienne fut la seule à payer les frais de ce marché de dupes?; l'EXIMBANK se manifesta solidaire de la mauvaise foi de la ??Brown and Root Company?? et de la scandaleuse gestion des fonds de l'?tat. Les premiers 14 millions accordés par cette institution furent spécialement destinés à couvrir le matériel et la main-d'?uvre d'origine américaine?. Ceci est particulièrement éloquent surtout quand on considère les salaires princiers des techniciens étrangers, chargés de l’exécution des travaux, et les nombreux avantages dont bénéficièrent beaucoup de prétendus techniciens. Cette réalité, jointe au climat de ??prévarication officielle fit de ce projet un lamentable fiasco. Il laissa à la dette publique une obligation d'autant plus lourde que la rentabilité prévue à partir de la mise en fonctionnement de la centrale électrique et la promotion agricole projetée dans l'aire de la vallée de l'Artibonite s'en trouva sérieusement compromise.Une fois de plus, l'impact du capital étranger avait provoqué des effets nuisibles à l'économie nationale, au bénéfice des intérêts étrangers. Re?us par le truchement de l'EXIMBANK, organe d'un ??capitalisme de bon voisinage et institution en théorie moins animée par la recherche de bénéfices que les sociétés d’investissements privés, ces 27 millions manipulés par des entreprises concessionnaires choisies par l'EXIMBANK elle-même, ne se traduisirent pas pour la Nation par des avantages concrets. La fa?on d'agir de l'EXIMBANK, indiscutablement empreinte d'un esprit de lucre, ne se différencia pas de l'attitude maintenue par la National City Bank pendant l'occupation, ni de l'agiotisme des maisons fran?aises qui ont nourri la dette extérieure durant tout le siècle dernier.Il en résulta que l'économie ha?tienne, dans sa structure à prédominance rurale, souffrit une inflexion vers la crise comme conséquence de la chute des prix internationaux des produits [156] primaires. Toutes ces injections massives de dollars au cours des années 1952-55 ne purent retenir cette tendance ni conjurer la crise. Elles donnèrent lieu à des effets inflationnistes élevés, en stimulant la consommation de biens d’importation et surtout des produits de luxe à mi-degré jamais vu. La production n'augmenta pas pour autant. En définitive, ces investissements provoquèrent l’effet immédiat d'une drogue sur un organisme affaibli?; une dépression violente, laquelle dure Jusqu'à nos jours, succéda à cette vigorisation momentanée.Entre temps, la dette extérieure, par l’action conjuguée de tant de concessions et de contrats privés, atteignit son niveau le plus haut dans l'histoire économique ha?tienne, présentant le cadre suivant à date du 30 septembre 1957??:En dollarsSHADA 3.424.500,0Export Import Bank (ODVA) 24.000.000,00General Electric coventry Ltd.2.600.000,00Centrale Sucrière ha?tienne cubaine.100.000,00Société de Grands Travaux de Marseille.1.194.432,99War Assets. 40.000,00Lankton Ziegle Marhoefer (urbanisation).388.065,00Contrat Plantation Dauphin.1.235.070,00Marché de Fer importé et concession.469.936,60Total 33.452.082,30Les plus Importants de ces investissements s'avérèrent les moins productifs. En plus des rubriques SHADA et ODVA, introduites par l’EXIMBANK, d'autres méritent d'être relevées. Celle de la General Electric coventry, par exemple, une entreprise anglaise chargée d'installer un système téléphonique à Port-au-Prince. Après un nombre incalculable de projets, une exécution de plus de deux ans, et de nombreux scandales, cette entreprise chargea le Trésor d'obligations se montant à 2,6 millions de dollars et laissa Port-au-Prince sans service téléphonique.IV. CAPITAL ?TRANGERET STRUCTURE ?CONOMIQUERetour à la table des matièresCe long cheminement rétrospectif dans le champ de l'expérience nationale en matière d'investissements étrangers conduit à l'analyse de la valeur exacte du secteur ??capital étranger?? dans le développement économique d’Ha?ti, c'est-à-dire [157] son importance et ses limitations en rapport avec la structure économique et dans le cadre de la réalité actuelle.C'est pourquoi il est nécessaire, auparavant, de définir les variables déterminantes du financement extérieur et l'idéologie oui guide son choix de tel ou tel champ d'opérations. Surtout parce qu'en Ha?ti l'importance du point de vue ??du capitaliste qui investit, n'a pas été Justement appréciée?: plus d'importance a été accordée aux nombreux facteurs subjectifs qui jouent un r?le conditionnant mais jamais déterminant dans les placements de capital étranger dans une économie donnée.a) Le Profit, facteur primordial.Il est connu qu'au sein d'une économie nationale l'investissement en soi, en tant qu'??échange d’un bien présent pour un bien futur??, implique certains risques, dont l'acceptation doit être garantie par la perspective calculée d’un bénéfice. Sur le plan de l’économie internationale, l'exportation de capitaux d'un pays capitaliste développé à un autre sous-développé, à des fins d'investissements, qui est une caractéristique de l'impérialisme, suppose pour le placeur de fonds plus d'exigences encore?; celui-ci cherche donc à obtenir les plus grands bénéfices, afin de garantir son argent futur. Ce désir de profits maximal constitue le mobile principal qui le porte à compromettre son avoir liquide?; à refuser le taux d'intérêt que lui procurerait un solide placement de son argent dans une banque de dép?t.Une connaissance approfondie de l'importance que prend le stimulant du profit dans la conduite du placeur de fonds, permet de différencier les intérêts de celui-ci, des ??avantages?? qu'une économie nationale peut tirer de l'importation du capital. D'après les déclarations d'un représentant qualifié du monde des investissements?:??Lorsqu'un placeur de fonds se lance à des investissements à l'étranger il ne le fait nullement dans le but d'améliorer la balance internationale de paiements, ni d'endosser une responsabilité réelle ou imaginaire envers d'autres pays ou d'autres peuples. Dans la plupart des cas, le placeur de fonds est le représentant d'une grande Corporation, et les représentants qui prennent des décisions ont pleine conscience de leur responsabilité. Ce n'est pas leur argent qui est en jeu, mais bien les épargnes de milliers d'actionnaires (ou mieux, les millions d'une [158] poignée de monopoles?*). Ceux-ci sont les véritable ma?tres de la Corporation, et ils ne manqueraient pas d'exiger des comptes à quiconque de leurs représentants se montrerait infidèle à leur mandat.???La détermination des perspectives de profits de tel placement suppose donc la connaissance préalable du rapport existant entre l’investissement étranger et la capacité du pays importateur de capitaux à garantir davantage de bénéfices, et de dividendes, que la marge moyenne de profits assurés par des opérations similaires dans le pays d'origine. ??Cette capacité est calculée au moyen de la rentabilité prévue des investissements, laquelle dépend de nombreux facteurs technologiques, économiques et des conditions du marché dans lequel l'entreprise va travailler. La marge de profits escomptés dans le pays étranger doit être, en règle générale, supérieure aux marges courantes des grands pays industriels. Elle doit être suffisamment élevée, afin de compenser les frais nets que suppose le transfert des Intérêts et des dividendes?.??Ainsi, l’investissement étranger dans un pays donné, surtout sous-développé, dépend d'un jeu d'alternatives où le placeur de fonds choisit dans le sens de ses intérêts. L’investissement doit être de telle nature qu'il produise le plus grand profit. Ceci explique les études financières préliminaires à tout investissement que l'entreprise elle-même, ou les institutions spécialisées établissent dans chaque cas. Les facteurs indiqués par Kurihara? comme cause de variation affectant l'investissement dans son ensemble, indépendamment du taux d'intérêt ont encore une importance plus grande quand il s'agit d'investissements étrangers. D'une part, des facteurs endogènes tels?:a)le niveau de l'encaissement et la proportion du change?; b)le niveau de la demande du consommateur et sa tendance?; c)le capital existant?; le capital fixe en particulier?; d)les taux des salaires monétaires et autres prix.D'autre part, des facteurs exogènes tels?:[159]a)la croissance et la composition de la population?; b)les ressources naturelles?;c)la psychologie du consommateur?; d)la politique fiscale et monétaire du Gouvernement?;e)le climat politique f)les mouvements de la main-d'?uvre?; g)les institutions sociales légales?; h)le commerce extérieur.Ces facteurs doivent être, de plus, considérés en rapport Lee le ??marché Intérieur??. Selon les conjonctures qui prévalent dans tel ou tel endroit du monde sous-développé, un de ces facteurs peut prendre plus d'importance, sans que toutefois il puisse être considéré comme exclusif. En ce qui concerne les investissements dans des branches de la production destinées au marché extérieur, il ne fait aucun doute que les facteurs de ??garanties politiques?? jouent un r?le considérable. Cependant, dans les décisions du capitaliste intervient toute une gamme de facteurs causaux, depuis le rapport capital profit dans son propre pays jusqu'au degré de syndicalisation dans le pays où il désire réaliser l'investissement.b) Ha?ti peut-elle offrir des profits maxima??Une attitude émotionnelle, dictée par un inexplicable mépris des lois d'airain de l'investissement, suscite en Ha?ti une tendance généralisée à considérer le capital étranger comme une panacée qui, dans n'importe quelle circonstance et sous forme ??humanitaire?? viendra sortir l'économie de son croupissement. On pense qu’il suffit d'offrir des garanties, de multiplier les invitations officielles et d'assurer à l'entrepreneur toute la protection et le respect des Pouvoirs publics. On en arrive même à penser que la simple intervention ??calomnieuse?? d'un opposant à tel gouvernement est susceptible de décourager les capitalistes venant d'outre-mer. La réalité des dix-neuf années d'occupation américaine est on ne peut plus éloquente. Le volume des investissements est demeuré singulièrement bas, bien que les entreprises aient trouvé toutes les garanties désirables pour leur capital. Le ??climat?? favorable de l'intervention ne joua pas ce r?le déterminant et n'arriva pas à provoquer l’affluence de capitaux américains. Il est évident qu'au cours des dernières années, ce facteur ??climat?? a pris peu à peu une importance inusitée dans le Continent. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. De tous les pays de l'Amérique latine, Ha?ti a été le seul à souscrire le Programme de la Commission Randall de garanties aux Investissements américains, assurant une totale liberté pour le rapatriement du capital sans aucun contr?le de changes ou prohibitions, et protégeant en plus les placeurs contre toute [160] expropriation.? Cependant, c'est le pays où l'affluence de capital étranger a été la plus insignifiante dans la post-guerre. En 1955, après dix années de continuelle paix socio-politique et d’euphorie du commerce d'exportation, la valeur globale des investissements étrangers de caractère privé atteignait en Ha?ti un peu plus de 33 millions de dollars?.Une analyse des conditions du marché ha?tien permettra d'établir la corrélation existante entre investissements étrangers et structures économiques, ou mieux encore, entre capital extérieur et assurances de profits pour le placeur de fonds d’une part, et les intérêts de la nation de l'autre.Deux types d'investissements sont faits d'habitude dans les pays sous-développés possédant une main-d'?uvre non qualifiée et nombreuse, des matières premières en abondance, et où l’industrie de consommation courante est inexistante.Dans le premier, le capital s’oriente vers l'agriculture de plantation?? et son appendice naturel?: le commerce d'exportation des produits agricoles. En ce qui concerne Ha?ti, il a déjà été indiqué que sa structure agraire (la terre, qu'elle appartienne à l'?tat ou à un particulier, se trouve atomisée dans son exploitation) a été un obstacle à l'introduction ou au succès des entreprises agricoles capitalistes. Une grande plantation sucrière, cotonnière ou bananière, implique comme condition ??sine qua non?? des extensions de dizaines de milliers d'hectares. Installer de telles plantations en Ha?ti implique l'expropriation de milliers de familles paysannes, ce qui ne peut se produire sans résistance de celles-ci et sans créer des problèmes socio-politiques de grande envergure.D'autre part, les grandes entreprises agricoles ne peuvent être tributaires de producteurs individuels pour leur approvisionnement en direction du marché extérieur. L'expérience de la Standard Fruit and Steamship CO., est particulièrement significative?:???tant donné le système agraire d'Ha?ti, où la terre est possédée en petites parcelles par des propriétaires individuels, il s'est avéré particulièrement difficile d'acquérir les grandes extensions de terre indispensables à la culture de la figue-banane.????crit un spécialiste américain en la matière, en se référant à [161] la faillite des plantations bananières en Ha?ti. La Standard possédait 1500 hectares. Mais que représentaient-ils, en comparaison de ses domaines de Cuba et de l'Amérique Centrale?? La tentative de s'accorder à cette situation, en achetant aux producteurs individuels, n'eut qu'un faible et temporaire succès. En témoigne le sort même de cette Compagnie. Elle enregistra en 1947 une baisse tellement forte de ses opérations, qu'elle dut abandonner le marché. Les irrégularités du mode d’approvisionnement, les interférences de politiciens voulant louer le r?le d’intermédiaires entre la Compagnie et les producteurs, furent les manifestations extérieures de l'incompatibilité fondamentale entre l'établissement de plantations capitalistes et la nature d'une structure agraire dominée par la micro exploitation.En ce qui concerne le commerce d'exportation, l'apport du capital étranger ne rencontre pas de grandes perspectives étant donné le contr?le déjà exercé par les grandes maisons import-export, les conditions du marché mondial et la tendance à la stagnation de la production ha?tienne. La prudence du capitaliste l'amène, en général, à s'associer aux commer?ants déjà établis, leur servant de représentant auprès des marchands étrangers, ou bien simplement de fournisseurs.Le second type d'investissements tend à s’orienter vers les entreprises de consommation nécessitant une main-d'?uvre nombreuse et peu qualifiée et orientées vers le marché étranger ou national. Profitant des bas salaires et des facilités fiscales accordées aux nouvelles entreprises, celles-ci s'établissent dans des pays sous-développés. C’est le cas des industries de vêtements de la Jama?que ou de la Trinité. En Ha?ti, les lois de protection ou d'encouragement comme les exonérations douanières cachent souvent la douloureuse réalité des ??paiements de faveur à certaines autorités politiques dans le but de faciliter la signature de contrats. Ces pratiques découragent l’entrepreneur, étant donné que les avantages économiques offerts par le pays ne sont pas à même de compenser largement les pots de vin à verser à divers échelons. Et cela, d'autant plus que les bases structurelles capables de faciliter ces industries sont inexistantes.c) ?troitesse du marché local.Les investissements destinés à la production de biens et services pour le marché local doivent faire face aux problèmes qui découlent du manque de pouvoir d'achat de la population. Les caractéristiques de la structure agraire citées plus haut, le maigre développement des industries et le faible niveau d'emploi en résultant, la concentration en peu de mains des ressources [162] provenant du commerce extérieur et la dispersion d'une autre partie des revenus provenant du même secteur commercial, entre une infinité de petits producteurs travaillant à des marges de bénéfices infimes, voici autant de causes qui déterminent le rachitisme du marché local et freinent le développement des industries destinées à la consommation intérieure. Milkesell le souligne avec emphase?: ??Des populations réduites, avec des ressources limitées per capita, présentent des problèmes particuliers de développement économique, étant donné que leur marché intérieur est trop réduit pour assurer l'existence à une échelle économique d'un grand nombre d'industries. Les capitaux étrangers ne se sentent pas attirés par ces pays, sauf pour ce qui est des industries d'exportation. Il est fort probable que les entreprises nationales elles-mêmes ne puissent s'organiser même avec l'aide de subsides officiels ou de tarifs douaniers protectionnistes. ?tant donné l'extrême réduction du marché, il n'est pas possible dans tous les cas l’établissement de facilités de capital fixe, telles les centrales hydroélectriques?.??? propos de capital social fixe, on a déjà noté l'inexistence ou mieux la faiblesse des éléments d'infrastructure comme l'électrification, les facilités de transport, les travaux portuaires, les systèmes d'irrigation et de distribution d'eau potable, développement de l'enseignement et de la santé publique. En règle générale, les investissements dans des branches pareilles présentent peu d'intérêt pour les capitalistes étrangers, étant donné leur faible rentabilité immédiate et leur caractère de services publics. Cependant, ces branches constituent la base indispensable au développement ultérieur de tous autres types d'investissements et la condition essentielle pour attirer le capital étranger.Il est clair que l'insuffisante capacité du marché local et l’absence d'infrastructure, pourraient être surmontés ??au moyen d'investissements entrepris simultanément dans un certain nombre d'industries complémentaires???, ce qui servirait à augmenter la productivité dans un large champ d'actions. Mais là non plus, n'a existé aucune préoccupation de l’?tat pour suggérer ou prendre les mesures facilitant cette intégration industrielle, ne serait-ce que sur le plan régional. Et le capital étranger ne rencontre nullement les perspectives de profits de nature à compenser les risques d'une telle opération?; dans tous [163] les cas, ??le stimulant pour l'investissement est essentiellement limité par l'ampleur du marché?.La production de type industriel étant essentiellement une production massive, destinée à de larges secteurs de consommation, elle devient anti-économique lorsque la demande globale atteint un niveau infra marginal. De nombreux entrepreneurs étrangers, et même nationaux, ont eu l'optimisme de croire à une possible amplification du marché local dans le cas des structures et des institutions en vigueur. Ils ont enregistré des hauts et bas dans la marche de leurs entreprises, et souvent se sont vus dans l'obligation d'abandonner le marché. Les exemples ne manquent pas?: ??Les Industries Nationales Réunies??, occupées à la production d'objet s en matière plastique (brosse à dents, ustensiles domestiques) etc., arrivaient en quelques semaines de production à satisfaire la capacité d'absorption de la demande locale. L'entreprise dut ajuster sa production à des marges tellement faibles, qu'il s'avéra anti-économique de continuer la gestion dans ces conditions.Le ??Ciment d'Ha?ti??, centre producteur de ciment à investissement fran?ais, avec un capital social de 3 millions de dollars, est un exemple encore plus éloquent. Prévue pour une production journalière de 150 à 180 tonnes de ciment Portland, c'est-à-dire environ 55 mille tonnes par an, l'usine se trouva élevant un marché local dont la demande n'atteignit jamais le niveau de sa capacité de production. Et cela pendant les huit années de son existence. L'expérience a démontré que seulement à des époques extraordinaires de programmes de grands travaux publics comme ceux de la ODVA en 1954-55, ou la construction de la grande rue en 1961, la demande arrive à se rapprocher de la capacité installée et à produire aux entrepreneurs les niveaux de 'profits escomptés. En temps normal, le stockage de ??clinker?? et les fréquentes suspensions de la production sont les seuls moye ns d'ajuster l'offre à une demande qui a atteint pendant les années 1957-58-59 les chiffres 30.900, 35.200 et 38.700 tonnes?.Une situation identique se présente en ce qui concerne le moderne abattoir construit récemment par le Monopole Américain 1-IAMPCO et l'Usine de Beurre du Sud, lesquels se voient obligés de travailler en dessous de leur production marginale. Il n'existe ni suffisamment de bétail, ou de lait, ni suffisamment de consommateurs pour en assurer le fonctionnement à plein rendement de ces établissements. L'installation des [164] deux fabriques modernes de chaussures Mews et Martineau a vite fait de saturer le marché et d'obliger les usines Bata à adapter leur production à des niveaux plus bas. Ceci, dans un pays où plus de 80% de la population est déchaussée.En des circonstances analogues, le capitaliste étranger ne se sent pas attiré par l'invitation des cercles officiels, d'autant plus que pour toutes sortes d’investissements il faut, compter avec des prébendes substantielles à distribuer entre les fonctionnaires responsables. Au lieu de s'installer en Ha?ti, de nombreux entrepreneurs ont préféré le faire dans la République Dominicaine, où ils devaient également distribuer des prébendes encore plus élevées, mais avec l’assurance de pouvoir accumuler des dividendes dans une mesure franchement compensatoire. La post-guerre (1945-53), fut une période d'extraordinaire augmentation des investissements étrangers en Amérique latine. L'affluence de capital se maintint à un niveau d'environ 550 millions par an. Cependant, en Ha?ti, la somme des capitaux privés et publics atteignit seulement 12,7 millions en 1950, 15 millions en 1952 et 16 millions en 1953?; ce, gr?ce à la ??prospérité?? qu'enregistra l'économie avec la hausse des prix sur le marché mondial?. Pour les années 1960, 1961 et 1962, d'un montant global de 953.4 millions de dollars d’investissements directs placés en Amérique latine, Ha?ti re?ut seulement 1,8 million.d) Les vrais bénéficiaires.Sit?t passée cette brève période d'euphorie, ??les conditions existantes dans l'économie et les institutions, comme le remarqua la revue américaine ??The Reporter??, ont attiré ces derniers temps un certain nombre d'aventuriers qui?: ??Le sac sur le dos??, choisissent tous le même chemin?: ils arrivent à Port-au-Prince à la recherche de politiciens qui appuient tel ou tel projet, rarement bénéfique pour le peuple. Généralement, il s'agit d’hommes d'affaires véreux, à la recherche de placements rentables à l'étranger et qui cherchent à éluder le paiement des imp?ts aux ?tats-Unis.??? La gamme de ces investissements, profitables à quelques entreprises, mais totalement défavorables à l'économie nationale, est extrêmement variée. La Reynolds Mining Corporation, par exemple, possède un contrat de monopole souscrit en 1944 pour une durée de soixante ans?; elle extrait le minerai d'aluminium (Bauxite), employant peu de main-d’?uvre et un outillage très mécanisé. Les expropriations de paysans opérées [165] par la Reynolds afin de réunir les 150.000 hectares de sa zone d'opérations, ont créé des problèmes sociaux dramatiques parmi les paysans de Mirag?ane, Paillant, Berquin, Mussotte, Masson, etc.Il est difficile de préciser le montant exact de ses bénéfices, mais il n'y a pas de doute que le monopole reste toujours le grand profiteur de cette pénétration capitaliste, et l'économie nationale, sa victime. Avec un Investissement de 10 millions jusqu'à sa phase d'exploitation, la Reynolds a expédié les volumes suivants de minerai d'une teneur de 50 à 51% de A12 Co3 vers le marché étranger??:1957 318.275 Long dry Ton (1.016.06 kilos)1958 328.9551959 297.6431960 (*) 346.3971961 306.382Le traitement industriel se réalise à la Jama?que dans une raffinerie appartenant à ce trust. Le prix de la bauxite sur le marché international varie entre 8 et 11 dollars la tonne. Celui de l'aluminium entre 450 et 500 dollars la tonne.Le cas de la Caribbean Mills Co., pose des problèmes encore plus complexes. Mais il n'en reste pas moins vrai que, là non plus, les intérêts de la Nation n'ont pas été sauvegardés. Bénéficiant des exonérations douanières, la Caribbean Mills Co. fait venir son blé de l'étranger. Les droits d'importation per?us ordinairement sur la farine échappent ainsi à l'?tat, mais la production est grevée d’un imp?t compensatoire. Néanmoins, toute une catégorie de gens qui vivaient dans les ports des activités inhérentes à l’importation se sont vus affectés par l'installation de la minoterie. Il en a été de même pour les prix de fret du café vers l'extérieur. Le moderne équipement de l'entreprise économise la main-d’?uvre au maximum?; ceci, ajouté au bas niveau des salaires, détermine que l'influence de cet établissement sur le volume de l'emploi soit réellement minime. D’autre part, le prix de vente de la farine produite dans des conditions aussi avantageuses tend cependant?: à dépasser celui du produit importé, gr?ce à la position de monopole dont jouit l'entreprise. Le caractère totalement empirique des considérations gouvernementales dans la concession du contrat d'installation, a rejoint la croyance quasi superstitieuse selon laquelle le capital étranger constitue une panacée, quelles que soient les [166] conditions de son placement. Ont été rejetées au dernier plan toutes références à des facteurs de priorité et d'alternative, toute étude comparée capable de préciser dans quelle mesuré tel investissement peut s'avérer désavantageux ou non pour l'économie nationale.Nombreuses sont les entreprises d'importance variable dont l'influence sur l'ensemble de l'économie sur le volume de l'emploi, sur la composition de la balance de paiements est pratiquement nulle, mais qui saignent la Nation en exportant des dividendes considérables. Par une concurrence illégale, ces entreprises arrivent à déplacer la bourgeoisie ha?tienne des branches qui, dans n'importe quel pays possédant un minimum d'intégration économique, doivent appartenir à la bourgeoisie locale. Ne serait-ce que par le privilège d'une certaine priorité et d'un protectionnisme effectif lui assurant la possibilité d'accumuler des capitaux et d'augmenter sa participation dans le volume global de l'investissement. Ainsi, des entreprises diverses telles que, ateliers mécaniques, ou de petite industrie touristique, des établissements commerciaux, sont aux mains d'étrangers.D'une catégorie quelque peu différente est la HASCO, l’entreprise la plus importante du pays contr?lée par des capitaux américains. Opérant dans la production sucrière et, au travers de ses filiales, dans le négoce du sisal, elle participe également dans des opérations bancaires. Cependant, le manque d'intérêt pour réinvestir dans le pays, même une partie de ses bénéfices, est une manifestation supplémentaire du caractère impérialiste des entreprises de ce genre. Elles ne font aucun effort pour créer des industries nouvelles ou contribuer à des ?uvres d'infrastructure, à moins que ces dernières (portuaires ou routières) soient complémentaires de leur propre entreprise. Les conditions inhumaines dans lesquelles vivent les populations de Paulette, Phaéton ou Dérac sont bien connues?. Les travailleurs de ces entreprises subsidiaires de la HASCO vivent dans une misère sordide. Sans écoles, sans médecins, sans autres logements qu'un ajoupas. La compagnie, par contre, exporte annuellement à ses cent vingt-quatre détenteurs d'actions des dividendes s'élevant à 1.600.000 dollars??; valeur supérieure à la fraction du Budget national destinée à l'agriculture.Tout ce qui précède, montre clairement comment le capital étranger a réellement peu d'importance dans l'évaluation des sources de financement externe pouvant impulser le développement économique. Un fait, en outre, illustre cette vérité?: pendant [167] la période 1914-1950 la moyenne annuelle de l'augmentation des investissements directs américains en Ha?ti s'est maintenue seulement à un niveau de 0,2 millions de dollars. En comparaison à d'autres nations latino-américaines, cette augmentation est des plus insignifiantes. Pour les années 1951-1953, période particulièrement prospère pour Ha?ti, et pour les investissements étrangers dans le Continent, cette moyenne fut d'un million. Le volume total de capital direct américain atteignit 1% de tous les investissements directs des ?tats-Unis en Amérique latine?.En dernier lieu, on a considéré le tourisme, véhicule de devises, comme un créateur de prospérité, capable de développer l'économie. Le caractère erroné de cette croyance est manifeste. L'irrégularité, la discontinuité de l'afflux de devises provenant du tourisme montrent comment cette activité ne peut constituer qu'un complément à d'autres activités plus contr?lables de l'intérieur, moins soumises à des facteurs affectifs. Le mode d'appropriation des profits provenant de ??l'industrie sans cheminée??, concentre une Importante fraction de ceux-ci aux mains de quelques catégories sociales très peu nombreuses à l'échelle nationale. Les propriétaires d'h?tels et leurs employés, les chauffeurs et guides, les producteurs ou vendeurs d'articles artisanaux constituent, en effet, des noyaux minuscules dans la masse de la population ha?tienne. Une fraction considérable de ces bénéfices va aux mains des ??grands?? de l'industrie touristique, lesquels accaparent jusqu'aux pourboires laissés aux gar?ons de courses, aux gar?ons de café, etc., (un grave conflit a opposé pour ce motif le syndicat de cette branche aux h?teliers?. Ces derniers, en association avec des étrangers, placent leurs fonds dans l'industrie touristique elle-même ou dépensent leur avoir dans des articles de luxe et autres fins totalement improductives. Les perspectives de tourisme comme activité complémentaire sont sérieuses. Au cours des années 1953- 1954, le volume total des ressources provenant du tourisme atteignait environ 7 millions de dollars, soit 20 à 25% de la valeur des exportations totales?. Cependant, depuis 1956, l'industrie touristique conna?t la faillite?: de grands établissements récemment installés (H?tel Riviera) ont d? fermer leurs portes. La fragilité de l'activité touristique confère à celle-ci un r?le secondaire en tant que source de revenus susceptible de financer le développement économique.[168]V. LA R?ALIT? DEL’ASSISTANCE ?CONOMIQUE.Retour à la table des matièresEn ce qui concerne les investissements indirects provenant des Institutions semi-officielles comme l'EXIMBAK, des organismes officiels comme le BIRF et le BID, il convient d'analyser dans quelle mesure ils peuvent constituer des apports appréciables de capital, capables de stimuler l'économie dans la présente situation. a) Les garanties requises.En premier lieu, quelles sont les garanties requises par ses Institutions pour la concession de crédits?? Quelle est leur poli, tique formelle et déclarée en matière de prêts??Les facteurs suivants de politique créditrice sont communs à l'EXIMBANK et à la Banque Internationale de Reconstruction et de Développement (BIRD).?1.??Elles accordent des crédits à des projets spécifiques possédant une planification très détaillée, destinée à l'élévation directe de la capacité de production du pays prêteur et, de préférence, intégrés dans un programme parfaitement formulé de développement économique. 2.??Toutes deux poursuivent la politique de restreindre leurs prêts en fonction des indices de la capacité d'un pays à rembourser les prêts accordés???, car ??ces prêts ont une date d'échéance, et généralement un calendrier régulier d'amortissement??.Les structures et institutions existant en Ha?ti rendent pratiquement impossible l'intégration de divers projets spécifiques dans un plan parfaitement formulé de Développement??. Un plan de cette nature supposerait des modifications dans la structure agraire et des réformes substantielles dans la composition et l’orientation du commerce extérieur. Ces réformes, les classes bénéficiaires du ??statut quo?? et les institutions citées plus haut, qui sont en fait des instruments de l'impérialisme, n'ont pas intérêt à les promouvoir.Dans l'actualité, malgré l'intérêt manifesté par le gouvernement d'obtenir des emprunts de ces banques, il n'a été présenté aucun projet global de rentabilité suffisante pouvant assurer le remboursement et le paiement d'intérêts des crédits sollicités. Quant aux plans de moindre envergure, la prudence et la réserve des prêteurs ne sont surmontées que par les nécessités extra économiques d'aide aux régimes amis...La seconde exigence pose des problèmes encore plus insolubles. [169] La capacité à rembourser les crédits externes d'après un calendrier régulier d'amortissement, s'est vue sérieusement compromise par la crise aigu? et prolongée de ces dernières années. Ce n'est pas sans orgueil que les hommes d'?tat ha?tiens se réfèrent à l'éternelle bonne foi du pays de faire face aux obligations découlant de la dette extérieure. Compte tenu de l'impossibilité dans laquelle se trouve actuellement Ha?ti de répondre aux exigences des prêteurs, les organismes internationaux ont répondu aux demandes réitérées de crédit avec la prudence calculée du bailleur de fonds sollicité par ??des emprunteurs de bonne foi mais sans garanties??. Au 31 décembre 1958, le total de la Dette extérieure se montait à 37,4 millions?, desquels 24 millions correspondaient à l'EXIMBANK. Le service annuel de la Dette se distribuait comme suit?: en 1959-61?: 4 millions?; en 1962-64?: 3,3 millions?; en 1965-67?: 2,3 millions?; en 1968-70?: 1,7 million?. La situation difficile à l'extrême dans laquelle se trouve l'économie nationale n'a pas permis au Budget gouvernemental de payer les 4 millions prévus pour la période 1959-61, ni les 3,3 de la période actuelle. D'autant plus que pour équilibrer le budget ordinaire de personnel, on ait d? compter avec les subsides du Gouvernement américain. Les perspectives pour les années futures sont encore pires. En mai 1956, Ha?ti re?ut du BIRD un emprunt de 2.600.000 dollars pour un programme de réparation de 1160 kilomètres de routes. Jusqu'en 1959, le gouvernement n'avait pu commencer à payer le service de la dette? et il est peu probable qu'il ait pu le faire au cours de ces trois dernières années. De son coté, la Banque Interaméricaine de Développement accorda en 1961 un emprunt de 3,5 millions. Dans le cadre de l'Alliance pour le Progrès, un nouveau prêt de 2,5 millions a été consenti à la fin de 1962, pour la construction d'un aéroport moderne. L'avenir se voit compromis dans une plus grande mesure par des nouvelles obligations, qui situent la dette extérieure aux environs de 60 millions de dollars.Dans une telle situation, même les emprunts de caractère officiel s'avèrent absolument problématiques. Incapable de faire face à ses obligations contractuelles, Ha?ti ne peut espérer dans l'actualité résoudre le financement de son développement au moyen des emprunts internationaux. ??De plus, comme il manque ??des plus élémentaires facilités d'enseignement, d'hygiène et d'autres services sans lesquels l'augmentation de la productivité n'est pas possible?; [169] comme, d'autre part, les organismes international ne financent pas des projets susceptibles d'augmenter l’efficience des services dont la contribution à l'augmentation de la production et à la création de devises est peu directe et immédiate, la seule solution para?t être la donation de capital?.??En effet, l'Administration ha?tienne a re?u des ?tats-Unis sous forme de dons, des valeurs considérables pour équilibrer le budget, assurer l'??aide technique?? ou l’équipement militaire pour la ??défense nationale??. Les Nations-Unies ont également facilité une aide technique multiforme à Ha?ti depuis une douzaine d'années. Maigre le caractère spécifique de cette aide, elle constitue un type d’investissement dont la rentabilité ne peut être sous-estimée. Il est cependant nécessaire d'évaluer ses succès et limitations dans le cadre des structures en vigueur. b) Le bilan de l'aide de l’ONU Un document préparé par les Nations-Unies sur l'aide technique à Ha?ti comporte la conclusion suivante?: ??On doit tenir compte des obstacles considérables que rencontre l'assistance technique dans un pays comme Ha?ti et comprendre en premier lieu, qu'il n'est pas possible d'obtenir des résultats spectaculaires pour des raisons inhérentes à la nature des problèmes et du milieu. Mais précisément parce que les problèmes existent sous une forme peut-être plus aigu? qu'ailleurs, l'assistance technique est indispensable et elle ne peut impliquer en Ha?ti toutes les normes qui sont exigées ailleurs. Elle doit se poursuivre même si elle ne présente pas un caractère d'efficacité maximum. Cependant, un grand nombre de précautions et de contr?les qui n'avaient pas été établis jusqu’à maintenant doivent l'être dans l'avenir, et cela sans délai?.??Ces considérations ayant été faites après une longue expérience d'aide technique de 1'O.N.U., donnent une idée de la sous-utilisation, des erreurs et des estimations irréelles dont ont souffert les programmes établis par cette institution au [171] cours des dernières années.L'assistance technique des Nations-Unies et de ses organismes spécialisés a été multiforme au cours de ces dernières années. Tous ses programmes ou réalisations n'ont pas eu pour but immédiat le développement économique. Cependant, dans leur presque totalité, ils auraient d? contribuer, dans un certain champ d'action, à améliorer le potentiel humain et à mieux utiliser les ressources naturelles disponibles. Les formes sous lesquelles cette assistance technique s'est appliquée se présentent nombreuses et différentes. Il s'avère difficile de les évaluer en leur aspect monétaire, quand on considère les rapports du capital étranger avec la structure économique. Malgré tout, lorsqu'on réunit les divers concepts de cette aide sous des rubriques systématisées, leur contenu appara?t dans toute son ampleur?.1.L'assistance technique proprement dite?: de 1950 à 1960, Ha?ti a re?u la visite de quatre-vingt-dix experts qui ont fait des études spécifiques, donné des conseils et présenté des recommandations?; ils ont travaillé comme conseillers ou directeurs de projets variés dans l'agriculture, l'enseignement, le développement communautaire, les finances publiques, le développement économique, etc. En moyenne, ces experts sont restés de deux à trois ans dans le pays. 2.Le perfectionnement technique à l'étranger de professionnels ou techniciens?: bénéficiant de bourses d'études de l'O.N.U. ou de ses organismes, ils se sont spécialisés dans des disciplines diverses. Un total de 270 bourses a été accordé à ces fins. 3.La concession de matériel technique et d’instruments indispensables à la réalisation des projets, entrepris sous le patronage de l'O.N.U.Le montant global de l'aide accordée à divers titres et formant le ??Programme Elargi d'assistance Technique??, s'est chiffré aux environs de 1.660.000 dollars pour la période 1954-1960. Le ??Programme Régulier?? s'est traduit de son c?té par une dépense à peu près égale (1.600.000). A dépensé 1.300.000 dollars l'UNICEF de son c?té, pour son programme d’éradication de la malaria et pour la protection de l’Enfance. L'aide technique globale des Nations-Unies monte donc à un total de 4.500.000 dollars pour la période comprise. ?tant donné la nature et la haute qualité de cette aide elle aurait pu déterminer un meilleur usage dans l'utilisation des ressources nationales?; cela, dans la mesure où les conditions structurales et institutionnelles auraient été propices à son utilisation maximum. Au [172] contraire, les résultats du programme se sont vus compromis et l'assistance technique n'a pas atteint globalement ses objectifs. Le notable succès du pian de l'éradication du pian a l'UNICEF a été le seul important à l'actif de l'aide des Nations-Unies.c) L'assistance dite bilatérale.L'assistance technique américaine, elle, a débordé les frontières de l'aide technique, pour se convertir en un instrument très varié et indéfinissable au service de la ??solidarité panaméricaine?? et de la ??démocratie représentative?? ha?tienne. Elle se présente sous forme d'aides pour équilibre de budget d'?tat sous forme de donations d'aliments, de médicaments, de livrai son d’équipements militaires pour la ??défense nationale ou continentale??, etc. Malgré le caractère confidentiel de beaucoup des chapitres de cette assistance, on peut arriver à une évaluation minimum de son montant et, partant, de son efficacité, à travers les données suivantes?: L’United States Opérations Missions (U.S.O.M.) a été Jusqu'en 1963 l’organisme de coordination de cette aide, laquelle s'est manifestée dans les départements de l'agriculture, la santé, l'enseignement, les travaux publics, et l'intérieur gr?ce aux services d'une centaine de fonctionnaires et d'agents américains à divers échelons. On ne peut préciser le montant de l'aide au cours des dernières années. Les chiffres dont on dispose montrent que de 1950 à 1959, Ha?ti a re?u sous le couvert d'assistance un total de 31.569.000 dollars?, indépendamment des emprunts déjà étudiés. En 1959, la valeur de ces donations s'est chiffrée à 8.398.000 dollars, le montant assigné pour 1962 s'est élevé à 7.250.000 dollars. ?tablissant une moyenne pour les années 1960 et 1961 à partir des sommes allouées en 1959 et 1962, on peut estimer à 63 ou 65 millions le montant global de cette assistance bilatérale pour la période de 1950 à nos Jours?*. Cette somme, jointe à l'aide multilatérale des Nations-Unies élève à 70 millions environ le montant de l’aide extérieure (donations, subsides) pour la période considérée. La situation actuelle de l'économie ha?tienne le démontre clairement?: l'assistance technique ne peut avoir qu'une portée limitée lorsque les conditions générales d'une économie ne sont pas propices au progrès et à l'utilisation maximum de cette assistance. Distribuée dans un but précis de développement, sans être intégrée dans un plan économico-social, mais sous une [173] forme atomisée et d'après les sollicitudes désarticulées de gouvernements sans politique économique, cette assistance pouvait constituer seulement une maigre contribution au soutien de l'équilibre instable de la structure économique. En fin de compte, l'économie nationale n'a pas profité sensiblement de ces injonctions de capital?; non plus les institutions étrangères ont pu enregistrer l'utilisation de leur assistance au maximum de son efficacité. Et puis, on ne doit pas l'oublier, l'aide provenant du gouvernement américain constitue, en définitive, un instrument politique de pression et de domination. Elle essaie de donner un aspect de générosité à un ensemble de rapports économiques dans lesquels la Nation ha?tienne se trouve désavantagée. Et cela par les conditions même de concession des prêts, par les clauses des échanges, les exportations de dividendes. L'expérience a démontré comment elle sert à appuyer ou comment elle sert à appuyer ou combattre telle ou telle administration ha?tienne, selon qu'elle soit agréable ou non au Département d'?tat des ?tats-Unis. La multiplication au cours des dernières années des organismes de gestion de cette assistance a co?ncidé avec la période de crise générale dont souffre le pays. Malgré l'effort réalisé pour arriver à des résultats concrets, la situation n'a pas été et ne peut pas être surmontée. Agissant dans le cadre des traditions de gestion administrative ha?tienne et au service de la domination étrangère, cette aide s'est révélée incapable à résoudre les problèmes de base de l'économie et même à contribuer de fa?on efficace à les soulager. Les manifestations de paternalisme, de domination, qu’engendrent la concession et l'exécution de cette assistance, sa nature même des ??donations conditionnées??, font que l'on ne puisse considérer cette formule d'obtention de capital comme de nature à financer le développement économique.[174][175]L’économie ha?tienneet sa voie de développementChapitre VSecteur public etdéveloppement économique?... Il n'y avait aucune politique fiscale. Les imp?ts n'étaient considérés que comme des moyens de couvrir les dépenses et non comme un instrument par lequel le gouvernement pourrait espérer Influencer ou même contr?ler la situation économique en général. Comme il n'y avait ni politique fiscale ni politique monétaire, il ne pouvait y avoir de coordination fiscale monétaire.??Ernest O. Moore, 1951Retour à la table des matièresL'intervention de l’?tat dans la vie économique est intimement liée à la genèse de la Nation ha?tienne, à l'histoire même de son évolution. Depuis toujours, l'?tat ha?tien est intervenu dans l'activité économique et aussi dans tous les mécanismes de la vie nationale. Cela est devenu une tradition admise par tout le monde, principalement par les plus conservateurs. L'???tat providence??? n'est pas une abstraction. C'est déjà une réalité qui ??colle?? aux intérêts des classes dominantes. Reste à savoir à quel point cette intervention permanente s'est révélée compétente?; bien plus, si elle a répondu aux Intérêts des majorités et aux nécessités du développement éme on l'a vu, l'?tat ha?tien est le plus grand propriétaire terrien et possède environ un tiers du territoire national. Ce domaine est sous-utilisé et géré dans des conditions franchement anti-économiques. Mis à part ce r?le négatif de l’?tat en tant que propriétaire de biens immeubles, il convient d'analyser sa fonction centrale, du point de vue de l'orthodoxie juridico-économique, comme détenteur du privilège de créer de l’argent et de mener une politique monétaire, en fonction du pouvoir de coercition qu'il détient en matière de taxation, et d'administration de la ??chose publique??, avec toutes les facultés et obligations y découlant.Cela conduit, en premier lieu, à étudier du point de vue organique [176] et fonctionnel, le système monétaire ha?tien et la Banque Nationale de l’?tat Ha?tien (B.N.R.H.). Deuxièmement, à considérer de la fa?on la plus ample possible la politique fiscale traditionnellement adoptée en Ha?ti. Dans les deux cas, il convient de préciser les rapports existant entre le secteur public ainsi défini et le développement économique. Il n'est pas nécessaire de considérer l’aspect historique de ces rapports?: l'esquif, se préliminaire de l’évolution économique a déjà établi l’inconsistance de la politique économique, laquelle a fluctué entre les intérêts des puissants groupes au pouvoir et l'action des forces externes. Crises monétaires, agiotisme, dépréciation, inflation émission Incontr?lée, fausse monnaie, telles ont été les maladies endémiques de l'évolution financière Jusqu’à ce que la National City Bank de New York vint apporter dans le système monétaire et bancaire ha?tien un ??remède?? à ces maux encaissant de lourds honoraires et assurant depuis quarante ans une santé apparente à ce système. Pour leur part, les finances ont eu une projection parallèle, passant de l’??Ha?ti d'antan?? où le budget ??équilibré?? avec tant de soins, n'arrivait pas à payer les employés publics, à l'étape contemporaine, dont la caractéristique d'ensemble consiste en un ajustement plus ou moins réussi, quoique instable, des recettes et des dépenses gouvernementales.I. LE SYST?ME MON?TAIRERetour à la table des matièresLe système monétaire et bancaire en vigueur est ??essentiellement le même que celui qui fut adopté au début de l'occupation américaine d'Ha?ti, dans le but de créer une monnaie stable et les conditions nécessaires au redressement des finances nationales. Il avait été parfaitement adapté aux fins pour lesquelles il avait été con?u et a obtenu un succès Incontestable. Cependant, il n'a pas été bien adapté aux besoins d'un programme de développement économique, n'ayant pas constitué un véritable système national, mais de préférence un raccrochement de la gourde à la monnaie de l'occupant, sans laisser la moindre possibilité d'une politique monétaire indépendante???.A) La Banque Nationale de la République d'Ha?ti.La B.N.R.H. constitue l'institution de base de ce système monétaire. Par rapport à la banque créée par la National City Bank de New York, cette institution n'a pas changé en son essence, [177] ni en ampleur?; elle manifeste, cependant, une évolution fort sensible, surtout dans ses fonctions d'ordre financier. Il fout souligner qu'étant donné son faible développement, le régime bancaire ha?tien?:??Ne possède pas une Banque centrale, mais une Banque d'?tat. La B.N.R.H., néanmoins, remplit quatre fonctions caractéristiques d'une Banque centrale, en détenant le monopole d'émission des billets gourdes, en constituant la réserve nationale d'or et de dollars, en assurant la convertibilité des billets gourdes en dollars, et en servant d'agent fiscal du Gouvernement?.??Les clauses de l'emprunt accordé en 1922 par une filiale de la National City Bank prévoyaient que Jusqu'à la liquidation totale de cet emprunt, la gestion des finances ha?tiennes serait à la charge de fonctionnaires du gouvernement des ?tats-Unis. Au moment de l’achat de la B.N.R.H. en 1934 par l'?tat ha?tien, les termes du contrat stipulaient que quatre des six administrateurs de cette banque ??nationalisée?? seraient nommés par les porteurs de titres américains?; cela jusqu’à ce que la banque se libér?t de toutes ses obligations contractuelles. L'achat en 1947, des titres restants connus en Ha?ti sous le nom de Libération Financière, permit à la Banque Nationale d'amorcer une politique financière un peu plus large que celle d'excessive prudence exigée par les porteurs de titres de la N.C.B. A la faveur d'une augmentation démesurée de ses réserves, résultant de la prospérité de la post-guerre, la Banque Nationale enregistra un processus d'expansion de ses activités financières. Or, du point de vue monétaire, elle restait enfermée dans le cadre étroit d'un assujettissement total de la gourde ha?tienne au dollar et d'une législation bancaire aussi rigide que celle établie dans les années 1920. Cette institution ne manifesta aucun dynamisme lui permettant parallèlement de stimuler la tendance à l'expansion que l'économie nationale enregistra de 1946 à 1955. La Banque ha?tienne présente actuellement le schéma fonctionnel suivant?:a) En premier lieu, il s’agit d’un institut d'émission.Cependant, ses fonctions en matière d'émission se limitent à celle du billet gourde. Elle ne détient pas le privilège exclusif de l'émission?: l'?tat est le seul autorisé à frapper de la monnaie fractionnaire, c'est-à-dire de la monnaie en métal de 5, 10, 20 et 50 centimes. En cela, l'autorité politique a les mains libres [178] pour émettre. Elle se sert de la Banque d’émission comme exécutante de ses décisions, profitant de ses conseils, quota sans obligation aucune de solliciter la consultation de celle-ci?. La Banque dispose en principe d’une réserve spéciale de l'ordre de 50% des sommes métalliques émises, différent du Fonds de Réserve.Dans ses opérations d'émission, la Banque, à peu de chose près, est sujette aux règles de couverture adoptées en 1919. Une modification introduite en Juillet 90, dispose que toute émission doit être garantie par une couverture à 100%?; celle-ci doit être composée pour un tiers de monnaie légale des ?tats-Unis, le reste par des effets commerciaux à court terme (120 Jours au maximum avec deux signatures et, au demeurant avec une, couverte par la marchandise. Au cas d'une insuffisance d'effets de commerce en portefeuille, la Banque peut augmenter proportionnellement, en marchandises, la réserve d'argent, afin de maintenir d’une fa?on permanente la couverture de 100%. Récemment encore, la capacité d'émission atteignait un montant limité de 15 millions de gourdes d'obligations à long terme et de Bons du Trésor. Cette dernière disposition, introduite dans la législation bancaire lors de l'admission d'Ha?ti au Fonds Monétaire International en 1953, a donné à l'institution bancaire de plus amples possibilités pour créer de l'argent. Cependant, la rigidité de la clause de 100% de couverture, malgré la sécurité qu'elle offre à la stabilité de la gourde et au maintien de la parité de cinq gourdes pour un dollar, constitue un frein à l'expansion du système bancaire et au financement de tout effort de développement économique.??En fait, toute l’?uvre de création monétaire du système se réduit à l'élargissement d'une t?che administrative des plus simples?: adapter constamment les chiffres d'émission au montant variable des actifs en devises et en or de la Banque Nationale?.??Ce procédé se révèle d'une grande lenteur et parfois purement formel. L'intervention de l'autorité politique peut décider de n’importe quelle émission jugée par elle nécessaire. C'est ainsi que par décret du 19 ao?t 1963, le gouvernement a émis des obligations à terme pour une valeur de 25 millions de dollars afin d'unifier le régime des avances consenties antérieurement par la B.N. RH. Cette ??unification a permis de renvoyer à la période mai 1973 - novembre 1977 l'échéance de ces avances [179] re?ues par Gouvernement à des fins diverses?.Le manque d'élasticité du système monétaire a contribué à maintenir la ??nécessité?? de la libre circulation du dollar en Ha?ti. Cette monnaie étrangère n'est soumise à aucune limitation légale ou administrative. D'autre part, sa libre circulation a Efforcé le manque d'élasticité du système. Le libre cours du dollar?:??Est, en fait, ce qui permet d’éviter l'élargissement d’une crise monétaire, d’un arrêt complet du mécanisme de crédit, qui résulteraient éventuellement du manque d'élasticité de la masse monétaire dans une phase d'expansion de l'activité et de la circulation?.Ainsi, devant l'impossibilité d'enfler les disponibilités en gourdes jusqu'aux niveaux requis par le développement de l’économie nationale, la politique monétaire la plus facile pour la Banque a été de favoriser l'utilisation d'une monnaie étrangère, au détriment de la monnaie nationale.b) La Banque Nationale est une banque commerciale.Par le canal de ses onze succursales établies dans les principales villes, elle procure le crédit au secteur commercial, manipulant les dép?ts des épargnants et réalisant les opérations ordinaires. Etant donnée l’inexistence d'organisme de crédit dans le pays et le nombre d'opérations commerciales de la Banque Nationale, cette fonction appara?t comme la plus significative de son activité et de son évolution au sein de l'économie. Dans l'après-guerre, les opérations d'escompte et de prêts s’enflèrent à un rythme considérable, passant de 1.600.000 dollars en 1946 à 6 millions à la fin mars 1952. ? la fin de l'année 1953, la part du secteur privé dans l'actif de la Banque se montait à 8.210.000 dollars, atteignant l'année suivante la somme de 12.360.000 dollars. A partir de cette dernière année la chute du volume opérationnel du secteur privé est symptomatique du processus de crise. Une instabilité marquée a été enregistrée au cours des dernières sept années, sans que le montant de 1954 puisse être atteint à nouveau (1960?: 7.380.000 dollars)?Le peu de dynamisme dont a fait preuve la Banque pendant longtemps, et aujourd'hui encore dans la concession des prêts a conduit à la concentration de ses opérations à un petit nombre de grands commer?ants du ??bord de mer?? dans chaque [180] ville. Ceux-ci utilisent parfois le crédit bancaire comme capital d'opération. Jusqu'en 1952-53, la B.N.R.H. détenait le monopole de fait du marché. Des conditions limitatives garantissaient cette exclusivité. Le capital minimum obligatoire pour l'ouverture d'une autre institution bancaire de caractère privé. Excessivement prudente pour sortir des sentiers tracés par l'occupation, la Banque manifesta un pessimisme totalement incompréhensible de la part d'une institution commerciale?: elle n’entreprit aucun programme de publicité et d'éducation pour amener toute une catégorie sociale aisée (comme c'est le cas de certains gros propriétaires terriens ou notables, dans les villages d’importance réduite) à utiliser les services et les offres de la Banque pour thésauriser.La tendance à la hausse des dép?ts, en nombre et en valeur, a enregistré un rythme prometteur à partir des années 1947 comme conséquence essentielle de la hausse des prix des produits agricoles sur le marché mondial. Au cours des dernières années, cette tendance à la hausse s’est vue brutalement interrompue à conséquence de la crise qui commence en 1955.La valeur globale des dép?ts a atteint 10,560 millions de dollars en 1955?: 9,180 en 1956?: 6,6 en 1957?; 5,52 en 1958. ? partir de ce niveau minimum qui reflète la situation générale précaire de l’économie en cette année, un lent mouvement d’augmentation se manifeste?: 5,620 millions en 1959?; 5,72 en 1960?: 7,1 pour les six premiers mois de 1961?.En finan?ant essentiellement les mécanismes commerciaux, la Banque a pu amplifier le volume de ses opérations. Cependant, son action sur le développement économique s'en est trouvé réduite?: les réserves ainsi créées ont été utilisées en activités non rentables du point de vue national?: les bénéfices obtenus du commerce, de plus, sont orientés en général à des fins de consommation mais non à la capitalisation. D’autre part, la conservation à l'étranger sous la forme d'encaisse, d'une part considérable des réserves inactives de la Banque, comme couverture des dép?ts de sa clientèle, a exercé une influence limitative quant à la totale exploitation des ressources financières à des fins de développement.La prise de conscience ressentie par la Banque Nationale, quant à la possibilité d'utiliser d'une fa?on plus rationnelle son potentiel créditif, s’est traduit par un effort sensible pour élargir son champ d’action.c) La fonction de Trésorerie.Le budget d'?tat s'établit en parfaite corrélation de volume [181] et de temps avec le rythme de l'activité saisonnière de la vente du café, qui se réalise de septembre à Mars. Dans ces conditions, cette fonction de Trésorerie prend une importance de premier ordre dans le fonctionnement du secteur public. ? la ??morte saison??, les recettes fiscales atteignent leur niveau minimum. Elles ne peuvent soutenir les obligations de l’?tat. La Banque doit alors consentir au fisc certaines valeurs. Ceci alimente la dette flottante. L'?tat émet des bons du Trésor pour en couvrir le montant. Cette obligation diminue dans la mesure où les revenus budgétaires demeurent effectifs. Les titres en circulation et certains bons du Trésor émis à moyen terme, sont en principe limités par l'obligation de la Banque de ne pas dépasser la marge de garantie, c’est-à-dire de ne pas créer davantage d'argent que n’en exige la couverture à 100%. En fait, la pression gouvernementale agit en fonction des conjonctures et a déterminé en plus d'une occasion, que l'encaissement légal prévu comme garantie des titres d'?tat devienne inopérant. Au cours des dernières huit années, les limites légalement prévisibles à l'ouverture de crédits à l'?tat ont été largement dépassés. Pendant la décade 1952-62, la demande gouvernementale a plus que sextuplé?: l'actif net a diminué de trois fois et le montant global de l'actif s’est comprimé de 50%?. Ainsi pour la période comprise entre octobre 1962 et Juin 63, les dépenses fiscales couvertes par la Banque s'élevaient à 21.280.650. Le montant du budget pour la même époque était fixé à 23 millions?.d) Les activités de gestion d'organismeset d'entreprises publics.La Banque Nationale agit par le truchement de son Département fiscal, comme assesseur du Ministère des Finances chargé de percevoir les imp?ts. Elle a aussi à sa charge la gestion des Magasins de l'?tat, le service d'approvisionnement ou biens divers destinés à l'Administration publique, le contr?le de la Régie du tabac, la gestion du monopole d’?tat de distribution dans le marché national du sucre et du ciment.Peut être omise pour le moment la participation financière de la Banque Nationale à la Banque de Développement, question déjà abordée.Les entreprises et organismes publics ainsi constitués restent sans connexion entre eux et sans aucune forme d’intégration?; les rentrées obtenues à partir de l'une ou de [182] l'autre ne sont pas utilisées de fa?on concrète pour élargir le secteur d'?tat, et multiplier les initiatives dans le domaine de la production.Du point le vue de l’impulsion à l'économie, la B.N.R.H. ne s'est Jamais montrée capable de trouver les formules dynamiques d'action lui permettant d'élargir ses opérations à des activités créatrices plus profitables pour l'économie nationale Après trente ans de stabilité, cet organisme financier n’a pas su s'adapter aux nouvelles conditions économiques apparues dans la décade d'après guerre. Comme instrument et centre vital du secteur public, la Banque Nationale a souffert du manque d'intérêt de la puissance publique à mener une politique de développement économique. Elle s'est vue limitée par le cadre global de la structure et des instructions dans lequel elle évolue et par ses propres entraves internes.Le volume du crédit bancaire accordé par la Banque au cours de ces dernières années est très significatif?:CR?DIT BANCAIRE (EN MILLIONS DE GOURDES)?Exercice?tatOrganismes et Entreprises publicsPrivéTotal1er oct. 1954-30 sept. 5590.83.332.8126.91er oct. 1955-30 sept. 56101.95.235.5142.61er oct. 1956-30 sept. 57109.75.638.8154.11er oct. 1957-30 sept. 58110.05.840.0155.81er oct. 1958-31 ao?t 59119.65.937.6163.1La rapide augmentation du crédit accordé à l'?tat à des fins budgétaires est un sympt?me de la crise financière de ces dernières années et de ses projections sur le déséquilibre fiscal. Les dépenses de l’?tat étant essentiellement destinées au maintien de son appareil bureaucratique, à des frais improductifs et aux énormes filtrations dues à la malhonnêteté administrative, des disponibilités créditrices mises au service du gouvernement ont donc un caractère non rentable. Le système bancaire ha?tien se trouve encore à l'étape du crédit à la consommation.La Banque Colombo-Ha?tienne, installée depuis 1951 et la récente Banque Commerciale d’Ha?ti (1961) constituent des institutions de dép?ts. Cette dernière tend à élargir ses activités à celles d'une banque d'affaires. Son importance économique, financière et politique s'accentue chaque jour davantage. Le volume d’opérations de ces institutions privées marque une croissance notoire en contraste avec la B.N.R.H.[183]B — La Monnaie.Ha?ti, pays économiquement très faible, possède une monnaie solide, l'une des plus fortes du monde?: la gourde ??monnaie divisionnaire du dollar??.Cette étrange contradiction trouve ses origines dans les dispositions prises par l’occupation américaine vis-à-vis du système monétaire ha?tien. L'unité monétaire a été définie, non pas par son équivalence en or, mais par sa valeur en dollars. Le régime monétaire demeure?:??Un exemple parfait du mécanisme classique de l'étalon-or à la seule différence que le dollar des ?tats-Unis a pris largement, sinon de fa?on exclusive, la place de l'or??.?Une large discussion académique s'est établie autour de cette question?. Le dollar des ?tats-Unis, principale monnaie du système monétaire, dont l'évolution dans l’économie détermine les mouvements globaux du stock de numéraire, se trouve dans son développement exempté de tout contr?le ou limitation d'ordre légal ou administratif?; ceci a porté certains auteurs à déduire que le dollar constitue l'unité monétaire ha?tienne?; d'autres se référant à l'imprécision de la définition du statut de la gourde, en sont arrivés à la conclusion qu'Ha?ti ne possédait pas d'unité monétaire.a) la sujétion au dollar.La monnaie ha?tienne est absolument assujettie au dollar américain, de fait, comme de droit. Comme le remarque l'expert Ernest O. Moore, cette sujétion détermine que le système monétaire ha?tien ne soit pas un véritable système national. La valeur de la gourde dépend en tout moment de la valeur que veuille lui donner le gouvernement des ?tats-Unis ou des fluctuations du dollar américain. En outre, deux ??monnaies??, se présentent comme unités de comptes?: la gourde et le dollar?; étant, ce dernier, davantage utilisé dans le secteur commercial et bancaire comme expression de prix et d'obligations. Il est inutile d'insister sur le vice de forme et le paradoxe que constituent une telle situation, au sein d'une nation indépendante. Ces lignes d'Edouard Esteve, écrites en 1954, prennent une [184] force singulière?:??Un pas qui s'en remet totalement à un autre du soin de changer à son aise la valeur de sa propre monnaie c'est un pays qui a renoncé à l'un des attributs essentiels de 1 souveraineté.???Cet attribut essentiel, ajouté à tant d’autres, conduit à mettre l'accent, une fois de plus, sur le caractère semi-colonial de l'économie ha?tienne.Les mesures prises par les autorités monétaires en 1920 concédant au dollar un pouvoir libératoire illimité, avaient été dictées par le besoin d'éviter une raréfaction des moyens de paiement dans la période du papier-monnaie qui circulait dans le pays avant l’occupation.Dans le cadre de cette réforme monétaire, et au moyen d'une gymnastique spéculative de grande envergure, la Banque Nationale, filiale de la National City Bank, mit en circulation le dollar-or des ?tats-Unis. Elle introduisait ensuite le dollar-papier émis par des banques américaines. Finalement elle procéda au retrait du dollar-or, laissant en circulation les seuls billets greenbacks et la gourde, lesquels furent dévalués peu après à la moitié de leur parité or. Depuis lors, la parité ou plut?t la sujétion de la gourde au dollar a été totale, les deux monnaies ayant circulé librement.Le principe le plus élémentaire de la théorie monétaire veut que la circulation d'une monnaie possédant un pouvoir libératoire illimité dans un territoire donné soit une manifestation de l'existence même d'un système monétaire national. La coexistence de deux instruments monétaires, légalement admis dans un même territoire crée l'impossibilité d’établir des statistiques de la masse de numéraire en circulation et de mener une politique monétaire effective. Le public, pour sa part, a la faculté de discrimination entre deux monnaies selon sa préférence exclusive pour l'une ou l'autre monnaie. Cela peut créer un profond déséquilibre entre la masse de dollars et de gourdes en circulation et les réserves légales existantes en dollars, provoquant ainsi des effets inflationnistes ou déflationnistes préjudiciables à l'économie nationale.??En outre, cette double circulation est un luxe que ne peut se payer Ha?ti. Les dollars circulant dans le pays ont pour Ha?ti une valeur appréciable que l'on ne peut sous-estimer, car ils pourraient servir beaucoup plus comme [185] garantie de la circulation monétaire en gourde.???Ces devises, gardées dans les coffres de la Banque Nationale serviraient à élargir la liberté d'action et la capacité de paiement en matière de commerce international.La sujétion de la gourde vis-à-vis du dollar détermine que la première doive suivre automatiquement toute fluctuation dans la valeur du second. Dans sa valeur conceptuelle, la gourde n'a pas une valeur propre traduite en termes ??d’équivalence à un certain poids d'or??. Elle est définie en termes de dollars valant un cinquième de dollar, elle possède de fait une cinquième partie de l'équivalence en or du dollar, soit 177 grammes d'or. La gourde manque donc de cette autonomie légale qui est le propre de toute monnaie nationale. Sa sujétion au dollar enlève aux autorités monétaires la faculté d'initiative en ce qui concerne la politique monétaire.b) Manque de dynamisme.Dans de telles conditions, le système monétaire en vigueur s’est révélé, dès sa constitution, impropre à promouvoir le développement économique. Le manque de dynamisme de la Banque Nationale en matière de crédit, les limitations légales qui entravent l'expansion monétaire, le régime de l’unité monétaire ha?tienne liée au dollar, restent empreints de cette prudence routinière qui jusqu'en 1955 a été une garantie d'une certaine stabilité monétaire. Ils n'ont pas permis aux finances de s'adapter aux nouvelles nécessités créées par l'évolution économique et de constituer des facteurs agissants de l'économie nationale. Pour sa part, la tendance séculaire de l'économie étant freinée par les facteurs infrastructurels cités plus haut, la B.N.R.H. a été incapable de financer la production à des niveaux suffisamment élevés pour susciter l'épargne en quantité sensible. Le système monétaire n'a pas pu se développer sous l'impulsion d'une croissance économique globale. La tendance constante à la hausse du pouvoir d'achat de la monnaie a été déterminée par la stagnation de la production en comparaison de l'accroissement rapide de la population et surtout par la détérioration des termes d’échange?: elle a eu une influence défavorable qui, si elle n'a pu perturber le Jeu des mécanismes spontanés du système monétaire, a rendu en définitive illusoire la stabilité économique.Le volume total des moyens de paiement en circulation à Ha?ti a connu de fortes fluctuations?: de 14 millions de dollars en 1928, ce volume est descendu à près de 4 millions en 1932 [186] pour remonter à 10 millions en 1934?; revenant à un peu moins de 6 millions en 1938, elle a atteint 22 millions en 1946. ? la suite, une forte baisse?: en 1950?, 15 millions. En 1955, il s’élève à son maximum, soit 23,8 millions, pour redescendre à 21,1 millions en 1958?.c) Mouvement des réserves bancaires.Les réserves de la Banque ont enregistré de fortes variations, comme le montrent les chiffres suivants?:MOUVEMENT DES R?SERVES EN ORET EN DEVISES ?TRANG?RESAnnée fiscaleRéserves nettes(en millions de dollars)Changes1954+ 11.6— 51955+ 6.8— 4.81956+ 5.1— 1.71957— 0.5— 5.61958— 0.5—1959— 4.4— 3.9L'endossement croissant que le Fonds Monétaire International et le Loan Fund Development ont accordé à la Banque pour éponger le déficit permanent de la balance commerciale au cours des dernières dix années, lui a permis de faire face à la situation financière désastreuse résultant de l'actuelle crise économique. Sans cette aide, les mécanismes de base de la monnaie et de la banque auraient souffert un collapsus catastrophique. Le déficit quasi permanent de la balance commerciale aurait entra?né une dévaluation de la gourde. Le F.M.I. a insufflé au système monétaire un courant ininterrompu de devises. Dans la période comprise entre 1957 et 1960, cette aide s'est élevée à 6 millions de dollars. Ces disponibilités créditrices ont été offertes à la B.N.R.H. en vertu du ??Stand by Agreement?? pour lui permettre de faire face à ses déficits. L'équivalent de ces valeurs en monnaie nationale a été congelé au F.M.I. La position de la Banque s’en est trouvée affaiblie?; en plus des valeurs, retirées de son contingent au F.M.I., l’institution a d? avancer 6.800.000 dollars. L'assujettissement de l'économie nationale s’en est renforcée?.Récemment, la B.N.R.H. s'est vue Investie de la fonction de détentrice du Fonds Spécial de la Dette Publique, et de liquidatrice exclusive des obligations de l'?tat. L'augmentation démesurée [187] et inquiétante de la dette extérieure, quelque 60 millions de dollars, a en effet porté les pouvoirs publics à tenter un effort extraordinaire pour s'en décharger. Mais tout cela, par la création de nouvelles taxes qui retombent sur les classes productrices et le consommateur?:a) Taxe de 3 dollars par sac de café à l'exportation.b) Taxe de 0,75 par sac de sucre à la consommation?.En conclusion, la structure et le but du système monétaire ha?tien, tel qu'il existe depuis quarante ans, ont été orientés à la préservation d'une stricte stabilité monétaire et, plus récemment, à remplir le besoin immédiat de préserver la survivance je la monnaie et de la banque. L'insouciance montrée dans le passé pour sortir des sentiers battus, l'impérieuse obligation actuelle d'assurer la vie des institutions financières, tout cela a caché totalement les buts du développement économique, lesquels doivent être, en réalité, le phare de toute politique monétaire dans un pays sous-développé.II. LE SYST?ME FISCALRetour à la table des matièresPlus que toute autre partie de l'échafaudage de pratiques institutionnalisées dans le système administratif ha?tien, le secteur du fisc constitue un microcosme de toutes les déformations, insuffisances et sujétions inhérentes au parasitisme économique. Par son contenu purement fiscal, et ses projections politiques et bureaucratiques, ce secteur définit le r?le de l’?tat dans l'évolution générale du pas, la structure même de l’économie et le caractère de l'élite qui a eu dans ses mains les destins de la Nation.? la fin du siècle dernier, l'économiste Edmond Paul écrivait?:??Depuis près d'un siècle, c'est à peine sur la dixième partie de la population du pays que pèse inhumainement la charge du tiers ou de la moitié des dépenses publiques.???Pour sa part, Louis Joseph Janvier constatait?:??C'est le paysan qui fait vivre tout le monde en Ha?ti. Quand il ne travaille pas, quand il ne vend pas, quand il n'a pas d'argent, personne ne travaille, personne ne vend, n'achète, ne consomme, personne n'a de l'argent.??[188]Aujourd'hui, la situation est totalement similaire?: parasitisme, c'est le nom le plus générique qui puisse définir le système financier ha?tien. Quant au fisc, il constitue le grand bénéficiaire et le soutien de ce parasitisme. L’?tat se nourrit maintient son appareil de coercition, gr?ce essentiellement au travail créateur du paysan, mais il réalise peu concrètement dans le but d'impulser le développement du pays.A) Le Budget.Quand on considère le budget global de la nation, on est frappé par sa dimension réduite et sa dangereuse précarité. Le montant prévu pour l'année fiscale, octobre 1961 à septembre 1962, a été de 152.662.152 gourdes, c'est-à-dire 30.532.430 dollars?. Ce chiffre représentait une augmentation en comparaison des années précédentes, mais en rapport avec la population, donne un coefficient théorique de dollars par an et par tête d'habitant de dépenses budgétaires. Le montant prévu pour l’exercice septembre 1962 - octobre 1963, était inférieur de 1.732.430 dollars à celui de l'année antérieure, atteignant seulement 28.600.000 dollars, valeur réduite en cours d'exécution. Evidemment, ce budget correspond à une époque de crise. Même à l’époque de prospérité des années 1950, la valeur du budget n'avait atteint des niveaux supérieurs.a) Sa sensibilité cyclique et saisonnière.La nature spécifique de l'économie l'oblige à évoluer autour du commerce d'exportation du café et souffrir toutes les fluctuations saisonnières et cycliques du marché mondial des produits agricoles. Le budget s'alimentant essentiellement des taxes douanières, présente dans son volume une évolution parallèle au rythme de la vie économique. Lorsqu'on considère le budget de ces dernières dix années, le premier trait qui saute à la vue, c'est sa tendance évolutive anarchique, ses innombrables hauts et bas?: cela rend impossible une planification des dépenses gouvernementales en fonction des besoins du développement. Les disponibilités de l’?tat étant fluctuantes, ces dépenses forment un ensemble de dépenses sporadiques, désarticulées, Insaisissables, mais dépendant toujours des disponibilités qui se manifestent tout au long de l'exercice fiscal.??Les estimations budgétaires ne sont pas faites scientifiquement sur la base de calculs soignés se référant à chaque genre de recettes et après avoir établi la coordination [189] centrale des estimations départementales?.??Le budget est établi en janvier, c'est-à-dire neuf mois avant que ne commence l'exercice fiscal allant de septembre à octobre?; il en résulte que cet instrument de la politique fiscale s'écarte considérablement de son but conceptuel de registre estimatif des recettes et des dépenses de l'?tat. Ni les recettes ni les dépenses ne peuvent être prévues, étant donné la réalité économique actuelle?: de là, un usage exagéré et incohérent des ??crédits extraordinaires??, qui représentent parfois (1949-50) plus de 30% des valeurs prévues au moment du vote du budget.b) Le déséquilibre.Ainsi est appliquée une formule très particulière du principe du ??budget équilibré??. Le plus souvent, le montant des obligations et dépenses de l'?tat est de beaucoup supérieur à la capacité réelle du Trésor. C'est la règle depuis quelques années. Le déséquilibre budgétaire a présenté le panorama suivant??:ExerciceRecettes brutes (millions de dollars)Dépenses brutes (millions de dollars)Solde1954-5532.5037.80— 5.381955-5632.2038.08— 5.881956-5729.9832.66—2.681957-5828.0629.10—1.041958-5927.32 (*)30.48— 3.161959-6026.46 (*)27.32— 0.861960-6123.06 (*)27.70— 4.641961-6225.58 (*)28.20— 2.621962-6326.58 (*)27.20— 0.621963-6421.8023.80 1—2.00(*) Y compris 6 millions de dollars d’aide budgétaire des ?tats-Unis.En troisième lieu, la conception du budget, de son r?le et de ses buts est éloquente à l’extrême?: le budget a toujours été une simple énumération de salaires et de services payés à divers départements. Il n'existe aucun moyen effectif pour Juger de la nécessité ou de l'importance des diverses charges. Dans son idéologie et la philosophie qui préside à son élaboration se trouve synthétisé l'esprit même du r?le de l'?tat dans la vie économique. Dispensateur multiforme de revenus individuels, au moyen de son administration bureaucratique, l'?tat a trouvé [190] dans le budget la forme supérieure de soutenir la superstructure de favoritisme et de maintenir la structure féodale. L'image bien connue des politiciens traditionnels est par trop réelle en ce sens. Avant d'appuyer un candidat présidentiel, ils consultent le budget, ??déterminent?? le salaire de leurs appétits et supputent les possibilités d’atteindre leurs buts. Etant, en effet exclusivement de personnel, le budget n’a d'autres fins que celles de trouver les recettes capables de faire fonctionner la machine gouvernementale. L'insignifiance ou l’inexistence totale de dépenses de capital, l'étrange apportation au cours des dernières années dans la technique fiscale de comptes non fiscaux sont autant de manifestations de cette philosophie du budget de l'?tat ha?tien.La masse des dépenses publiques s'est trouvée presque toujours convertie, soit en réalisations de prestige, construction de monuments ou d'édifices publics, érection de cités ou de villes, dont l'apport au solde de la production nationale se révèle plut?t négatif?: soit en une distribution de pouvoir d'achat à une masse d'employés chaque jour plus nombreuse, soit enfin en des transfusions?:??Au secteur privé, national ou étranger?; entendant par ce terme, ??l'ensemble des bénéficiaires, grands ou petits, portés au festin des finances publiques?.??Une analyse exacte des dépenses et des recettes fiscales permettra de définir avec plus de précision les rapports entre la politique fiscale et le développement économique, dans la tradition des finances publiques nationales.B. — Les ressources de l'?tatLe système de l'imp?t ha?tien repose essentiellement sur les recettes douanières. Cette dépendance a diminué peu à peu au cours des dernières décades. Elle continue à se maintenir étroite, surtout en ce qui concerne les droits à l'importation, lesquels se situent à un niveau élevé dans les recettes de l'?tat, malgré les hauts et les bas provoqués par les fluctuantes situations de l'activité commerciale.Pour la période 1917-1922, les recettes douanières représentaient 94,3% des ressources de l’?tat, participant les droits à l'exportation dans la proportion de 44,4%?; les pourcentages pour les années 1927-32 successivement de 83,5 et 27,5 et de 79,5 et 14% pour la période 1937-47.[191]? partir de cette époque, s'est manifesté un effort marqué pour la diversification des bases impositives. Cet effort s'amplifia après 1947 par la création de l'imp?t sur le revenu et la réforme de l'imp?t locatif. Ainsi la participation des recettes Manières dans l'ensemble des ressources gouvernementales de pourcentage des droits d'exportation baissèrent dans une proportion sensible comme le démontrent les chiffres suivants?:AnnéesDroits d’exportationDroits d’importationTotal Droits de douaneTaxes internesDivers1947-5219.853.473.221.94.91952-5718.149.567.620.711.71957-5820.1651.8472%1958-5913.3444.7658%1959-60?*20%40%60%?Cette diminution a obéi à la compression des droits à l'exportation. Elle constitue une tentative de supprimer la suprématie absolue exercée par ces derniers dans le système fiscal et d'encourager en principe la production de biens d'exportation. Mais ce dernier aspect, tant de fois signalé par des hommes d’?tat a été, à la vérité, celui qui a retenu le moins d'attention des autorités comme le montrent les effets nuisibles de certaines pratiques fiscales en vigueur. On doit surtout mettre en relief que la chute verticale des droits douaniers et particulièrement des droits d'importation à partir de l'exercice de 1958- 59, se doit particulièrement au fait que la Caribbean Mills Co. commen?a ses opérations en cette année. Il en résulta une diminution de deux millions de dollars en moyenne, les droits d'importation, lesquels furent substitués par des taxes internes sur la consommation de la farine.L’exportation du café représente, dans les dernières années une moyenne de 67.5% du total des exportations?: elle couvre cependant 85 à 95% du total des droits douaniers. Le sisal, lui, a représenté 20 à 25% de ces droits, ce qui donne en valeur relative une charge dix-sept fois inférieure à celle du café?.On pourrait croire que ce tarif préférentiel a été con?u dans le but d'encourager la production de sisal. Pas du tout?; c'est plut?t un aspect du manque d’équilibre du système, qui na?t de l'identification d'intérêts du Pouvoir et des grands producteurs [192] de fibre ou de sa soumission à ces derniers. La plantation Dauphin par exemple, contr?le les 60% de la production et de la vente du sisal, le reste (40%), est partagé par moins de vingt entreprises importantes. Le café, lui, est cultivé par quelque 150.000 familles paysannes. Cette surcharge fait peser sur les cafetiers?? tout le poids de l'actuelle imposition. Elle contribue à réduire les ressources paysannes à un niveau inframarinal et produit un effet négatif indiscutable sur l’accroissement global.Pour chaque 60 kilos de café exporté en 1960, l’?tat accapare 12.50 dollars desquels plus de 7,175 dollars vont aux recettes fiscales. En 1963, sur chaque sac de café valant en moyenne 30 dollars, l'?tat per?oit 12 dollars. Il en résulte que le tiers du prix du café vendu à l'extérieur va à l'?tat?; les intermédiaires, de leur c?té empochent les deux cinquièmes. Déjà, pour la récolte du café de 1953-54, l'une des plus favorables enregistrée en Ha?ti (valeur à l'exportation 43.600.000 dollars), les producteurs ont re?u la somme de 29.400.000 dollars, tandis que l'?tat a per?u 6.900.000 dollars de droits douaniers, ce qui équivaut en fait à un imp?t sur la production de 23,5%?.Bien entendu, cet imp?t s'établit au niveau de l'exportateur, mais celui-ci décharge sur les épaules du paysan, par un phénomène de transfert accentué du fait des fluctuations des prix, tout le poids de la taxation avec l'accord préalable et formel du fisc, plus occupé à obtenir des recettes qu'à prévenir les effets du système sur le développement économique.Une des seules dispositions fiscales prises en fonction de considération de politique économique est celle de la surcharge provisoire exceptionnelle sur le café, de un dollar par sac, établie à partir de 1953-54 afin de financer l'institut de Crédit Agricole et Industriel. Les retentissants échecs de cet Institut, lesquels ont été déjà analysés, démontrent suffisamment que cette politique fiscale à projection économique est passée très loin des buts escomptés.b) Plus on importe, plus le fisc per?oit.Quant aux droits à l'importation, leur caractère purement fiscal, parfois anti-économique, saute à la vue. L'autorité fiscale se considère heureuse d'avoir le plus possible de revenus.Toutes les incohérences du commerce d'importation se trouvent légalisées par un système douanier et fiscal qui ne s'occupe ni de substitution d'importations, ni d'équilibre de la balance de paiements, ni de mesures protectionnistes d’aucun ordre. Ceci est plus difficile à comprendre, le service douanier étant assuré directement après la B.N.R.H., organe suprême de la politique fiscale et monétaire.[193]D'autre part, les importations étant constituées dans une certaine mesure par des produits de consommation de masses, les imp?ts pour ce chapitre retombent en considérable partie sur le paysan?; cela tend à restreindre les niveaux du revenu rural et, en partant, le développement de la Nation. Neuf classes de produits atteignaient récemment encore 90% des recettes d'importation. Les tissus de coton, la farine, l’essence, le kérosène, les produits alimentaires, les cigarettes, le savon, les produits pharmaceutiques, l'acier et ses dérivés?.L'introduction de certaines industries, comme celles du textile, du savon et de la farine n'a pas modifié sensiblement cette proportion. Et le paysan, malgré ses bas niveaux de vie, continue d'être le grand consommateur de beaucoup de ces produits, tels les tissus, le kérosène, la farine et la morue.En plus, la confusion des techniques, la faible efficience de la nombreuse bureaucratie douanière, limitent la possibilité de tirer le profit maximum des ressources douanières. Il est ainsi difficile à l'?tat d'augmenter ses disponibilités fiscales. Le nouveau code douanier, annoncé dans le message présidentiel au Congrès? à l'occasion de la présentation du Budget 1962-63, déclare qu’il a été con?u précisément dans le but d'augmenter les recettes douanières. Il faut espérer que ce code remplisse tout au moins un besoin d'une grande Importance?: mettre de l'ordre dans la terminologie douanière.Les recettes ??internes??, dont l'augmentation au cours des dernières décades a été le fruit d'un travail patient, sont celles où ces entraves au développement, citées plus haut, quoique très solides, se manifestent un peu moins. Qu'il s'agisse des droits d'assises sur la consommation de boissons alcooliques ou gazeuses, sur le tabac, etc. ou l'imp?t sur le revenu personnel, le fisc a déterminé théoriquement des bases convenables pour leur fixation. Leur application et leur efficience laissent à désirer. Sous l'effet de la nécessité, l'évasion fiscale a été combattue avec rigueur, par l'actuelle administration. Elle continue d'être Importante, surtout dans les sphères de revenu commercial et industriel liées au pouvoir. Les taxes de fermage des terres appartenant à l’?tat (170.000 à 200.000 dollars par an dans les dernières années), celles sur l'irrigation, les droits de place sur les marchés ruraux, posent de très durs sacrifices au producteur agricole. Une partie considérable de son maigre bénéfice est retenu à divers titres. On doit signaler à ce sujet, le cas de certains paysans qui paient des droits de ??place?? sur les marchés ruraux, équivalents au tiers ou à la moitié de leurs ventes de la journée. Au contraire, beaucoup de fermiers, politiquement [194] et économiquement influents, occupant de grande étendues de terres de l'?tat, ne payent pas bien souvent la taxe de 6% de la valeur approximative de la terre, fixée par la loi comme montant de la rente des biens domaniaux. Une entre- prise comme la SEDREN, destinée à l'exploitation minière, paye annuellement une rente d'un dollar par hectare pour les 25,000 hectares de son champ de concessions?.D'après ce qui précède, l'on peut prendre comme valable pour une définition du système impositif en vigueur cette observation de l'expert Moore en 1959?:??Les taxes internes et les droits douaniers n’ont d'autre but que de procurer des recettes à l’?tat et ne tendant m à la protection des produits ha?tiens contre la compétence étrangère, ni à des effets précis sur l’économie générale. Régressifs et insuffisamment flexibles, ils ne sont pas faits pour favoriser le développement économique ou la stabilité économique?.??Ainsi, il n'est pas surprenant que le montant global des recettes de l’?tat ait évolué depuis toujours d’une fa?on anarchique, selon les conjonctures naturelles ou économiques) selon les bons désirs des contribuables et le grade de prévision avec lequel l’?tat a entrevu ses embarras. Les contributions de solidarité et la campagne de libération économique?* à peine ont-elles aidé à atteindre le précaire équilibre durant les dernières années, le total des recettes a présenté l'évolution suivante??:Année(dollars)Année(dollars)1956-5729.978.279,361959-6027.796.605,161957-5828.067.877,431961-6229.000.446,001958-5921.111.242,831962-6324.695.518,25C. — Les Dépenses.Il reste à voir maintenant si l’utilisation des ressources publiques se fait d'une fa?on rationnelle?: si elle arrive à compenser les ponctions faites aux secteurs me cela a déjà été souligné dans les caractéristiques du budget, l'utilisation des revenus est loin d'être idéale. L'?tat sacrifie [195] des valeurs qui auraient impulsé le développement, dans je but essentiel de maintenir son appareil institutionnel, et de participer au plus haut grade, et à divers titres, au processus de consommation improductive et disproportionnée qui est le irait caractéristique des secteurs tertiaires des économies sous-développéesCe thème est de grand intérêt. Il nécessiterait une étude profonde et des plus illustratives, afin d'établir de fa?on marquante le caractère de l'?tat ha?tien, en tant que symbole et représentant du parasitisme intellectuel, urbain et commercial des classes non productrices.Pour rendre plus commode l'analyse, il suffit de synthétiser je contenu de ce parasitisme, en détaillant l'utilisation qui se fait des ressources d'?tat.a) Distribution départementale.Département1949195419601961Intérieur et Défense23,21927,920,6Obligation internationale4,79,811,89,0Santé Publique8,610.411,39,0?ducation10,39,710,58.3Affaires Extérieures4,43,84,53,5Justice2,62,22,62,2Dette Publique9,86,72,17,3Développement économique16,7"Commerce et Industrie2,8—1.41.1Finances15,710,510,36,7Agriculture3,54.66,75,1Travaux Publics—4,36.43.6Propagande—0,91.21.1Religion0,70,81.00,7Tourisme0,8—0,11,0Travail0,40,7—1.1De 1954 à 1960, la valeur globale des dépenses de l'?tat s'est maintenue entre un maximum de 37.8 millions de dollars et un minimum de 29.1 millions. La répartition de ces dépenses, ou mieux, des apparences de dépenses, présente pour les dernières années la comparaison suivante par rapport à 1949 (en pourcentages).?Beaucoup mieux que ces chiffres, la réalité de la distribution [196] des dépenses de l'?tat trahit l'ambigu?té de certaines distributions formelles, établies pour être présentables aux pouvoirs législatifs, au Jugement du grand public, aux assesseur internationaux. Derrière les rubriques ??Intérieur??, ??Défense Nationale??, ??Recettes non fiscales?? se cachent des entrées et sorties insaisissables. Les recettes non fiscales absorbent à elles seules 20% du budget de 1961.Il n'est pas exagéré d'évaluer à près de la moitié du budget des dépenses, les sommes destinées actuellement à la Défense Nationale?; Ha?ti étant un pays sous-développé, l'armée, en temps de paix, absorbe autant d’argent que les ministères d’Agriculture, d’?ducation, des Travaux Publics, de l’industrie et des Affaires Economiques tous ensemble, soit un total de 7.684.869 dollars pour l'exercice 1962-63, d'un budget total de 24.695.518 dollars, c'est-à-dire 30% du budget?.Une interprétation détaillée des grands chapitres du Trésor Public met en relief toute une série de pratiques, qui, du point de vue simplement fiscal, cadrent difficilement dans le concept de ??budget équilibré??.Les sommes considérables dépensées pour assurer les ??relations extérieures?? au travers des trente-deux missions diplomatiques ayant rang d'ambassades et de nombreux consulats, sont autant de preuves de ce manque de discernement dans l’usage des dépenses publiques. De nombreuses ambassades sont maintenues le plus souvent sans qu'il existe une raison d'ordre commercial, politique ou diplomatique justifiant une telle représentation. Bien plus, la République d'Ha?ti a un poste permanent d'inspection générale des missions en Europe.Certains pays sous-développés se décident, dans le sens d’alléger leurs obligations en cette matière, de créer des ??zones de représentation?? à la charge d'un même fonctionnaire. La République d'Ha?ti, au contraire, est orgueilleuse de compter avec des ambassades dans presque tous les pays avec une mission nombreuse et souvent dépassant les normes de la réciprocité diplomatique. Dans de telles conditions, les sommes dépensées pour assurer les représentations diplomatiques et consulaires ont atteint 955.822.00 en 1960 et 1.013.794 en 1961?.Ces gaspillages de prestige, ou mieux de vanité, fruits du favoritisme politique engendré par la structure en vigueur, ont une influence totalement négative sur le progrès national. On peut dire de même des 300 mille dollars dépensés par an pour subvenir aux besoins de l'armée de boursiers qui étudient à l'étranger, les disciplines les plus diverses, depuis la médecine Jusqu'à la danse. Au lieu d'aller au profit de quelques privilégiés [197] utilisant dans le sens d'augmenter la capacité des Facultés techniques et normales, ces sommes auraient permis de doubler dans l'immédiat le nombre des inscrits à l’Université.Un autre aspect de la politique des dépenses publiques, non Hé cette fois-ci à la distribution départementale, mérite d'être considéré, l'utilisation de ces dépenses dans le cadre de chaque département.b) Contenu réel.Le Budget ha?tien étant défini clairement comme un budget de ??fonctionnement??, il est inutile d'insister sur l'absence dans ce budget de capitaux destinés à l’investissement aux fins de travaux d'infrastructure. Essentiellement, les dépenses de l'?tat sont destinées aux divers échelons, à la consommation?: consommation du petit employé condamné au ch?mage s'il n'obtient pas un travail dans la machine bureaucratique?: consommation des classes moyennes noires ou mul?tres, de tous temps, nourries par l'emploi public et ne concevant la politique sans le support de base de la fonction publique?: consommation de luxe des hauts fonctionnaires et de leurs alliés les commer?ants, lesquels per?oivent des revenus considérables et extralégaux.Depuis toujours, l'?tat a dépensé au chapitre des salaires la plus grande partie de ces recettes. Le peu utilisé à d'autres fins a été affecté au maintien de certaines réalisations sporadiques?; ceci en période de prospérité fiscale et de prix avantageux sur le plan international. Au cours de ces dernières années, 80 à 90% des crédits publics ont été alloués à des dépenses de personnel et à des frais de fonctionnement. Même pour le Ministère de l'Agriculture ce pourcentage ne varie pas, ce qui est un contresens dans un pays essentiellement agricole, manquant de tracteurs, de fertilisants, de logements et d'écoles rurales.Autant de pratiques peu compatibles avec le développement économique. Lorsque de telles méthodes ont cours et, qu'en plus, le secteur commercial monopoliste accapare l'excédent créé par l'agriculture, il en résulte une situation profondément défavorable pour les grandes masses, la restriction de leur pouvoir d'achat, le rachitisme chaque jour plus accentué du marché local, peu de possibilités et d'encouragement pour les investissements, la stagnation économique, et des niveaux de vie chaque Jour plus critiques pour une population croissante.Au lieu de se consacrer à l'obscur et permanent labeur de jeter les bases de développement économique, les gouvernements qui ont bénéficié de conjonctures favorables se sont plut?t orientés vers la réalisation de travaux spectaculaires et de prestige. L'utilisation rationnelle des recettes fiscales demeure une parole vaine même quand on annonce, comme en 1951-55, [198] un budget destiné à des travaux publics. Plus que tout autre chose, ces dépenses spéciales contribuent à injecter un pouvoir de gaspillage plus élevé aux classes dirigeantes, et du pain à un cercle infime de la population. Le but annoncé par le budget de 1961-62 d'orienter un chapitre des dépenses publiques 600.000 dollars à la construction d'un aéroport international est loin d'exprimer une prise de conscience de la nécessité de faire un budget autre chose qu'une liste de salaires.Poussé par la nécessité de percevoir le maximum de revenus, afin de faire face à la difficile situation économique et financière, le gouvernement actuel a entrepris un effort notoire de réforme fiscale, dont le résultat le plus prometteur est d'avoir permis à l'Administration ha?tienne de faire face à la négative des ?tats-Unis d’accorder en 1962 l'aide qu'il avait concédée pendant les quatre années antérieures, pour équilibrer le budget.Malheureusement, ces réformes n'ont pas constitué un ensemble coordonné, mais des mesures sporadiques anarchiques prises selon les conjonctures. Le plus souvent, elles sont exécutées de fa?on arbitraire, sans avoir en vue les préoccupations du développement. L'utilisation des fonds ainsi recueillis a été marquée de bien des faiblesses.Paul Moral écrit non sans raison?:??Dans tous les cas, en Ha?ti, malgré ??l'équilibre théorique?? des chiffres ou de la richesse des mots, ??il est particulièrement difficile de trouver la réalité sous les apparences, de discerner la rentabilité des diverses dépenses. A ce qu'il para?t, il y aurait dans le budget ha?tien, trois catégories de dépenses?: celles de productivité, celles de fonctionnement ou d'administration, celles de luxe ou de gaspillage. Mais cela reste théorique, toutes les dépenses étaient affectées d'un ??coefficient de gaspillage?.??? ce tableau, il faut y ajouter un élément de grande importance dans l’actualité et un motif continuel de dépenses publiques en Ha?ti, le paiement de la dette extérieure, dette toujours contractée dans les conditions que l'on sait et dont les fonds ont des destinations tout autre que la promotion du développement. En 1959-61 par exemple, le service de la dette représentait 15 à 20% du budget — pourcentage qui a été baissé d'office à 10% en ao?t 1963. La dette publique, elle, a varié comme suit?:7.940.000 de dollars au 30 septembre 1952[199]22.380.000 de dollars au 30 septembre 195448.836.000 de dollars au 30 septembre 195661.000.000 de dollars au 30 septembre 1957En 1963, elle se situe aux environs de 100 millions de dollars.III. L’?TATCOMME SECTEUR ?CONOMIQUERetour à la table des matièresEn étudiant le rapport existant entre l'action du secteur public et le développement économique, il est impossible de passer sous silence la valeur du secteur public dans la structure occupationnelle et la répartition du revenu national?: ainsi que le degré ou les aspects spécifiques de l'esprit d'entreprise au sein de l'appareil administratif. Cette analyse en forme synthétique, permettra un meilleur entendement de certains mécanismes économiques nationaux, étant donné que l'?tat est le plus grand patron du pays.A. — Frais de personnel.Selon la Revue du Travail du 1er mai 1963, l'administration ha?tienne compte 15.066 employés publics. Si on tient compte des effectifs des forces armées régulières et irrégulières, ce chiffre atteint environ 35.000. Ainsi, une moyenne de 175.000 personnes (une famille = cinq membres) dépendent essentiellement pour leur subsistance et leur pouvoir d'achat, de l'administration civile ou militaire. Ce volume d'emploi est supérieur à celui du secteur industriel et commercial soit de la classe ouvrière urbaine tant par le nombre que par les hauts salaires au-dessus de 200 dollars lesquels sont plus fréquents dans le secteur public.Une analyse du budget met en relief la prédominance des recettes de personnel dans le total des dépenses annuelles. Au département des Finances et Affaires Economiques, les rubriques personnelles et pensions atteignent les deux tiers des sommes affectées. Au Ministère des Travaux Publics, le chapitre ??personnel?? absorbe à lui seul plus des trois cinquièmes.En considérant les divers titres budgétaires, il ressort qu'une bonne partie des disponibilités financières sont destinées en fait à des dépenses de personnel. Inutile de parler du Ministère de la Défense Nationale?; une fraction considérable de ses dépenses sert à maintenir sur pied l'immense armée gouvernementale. Dans tous les chapitres du Budget et les activités du Trésor, l'orientation reste unique?: distribuer des revenus, créer du pouvoir d'achat. Au département des Affaires Etrangères, la masse des salaires, supérieurs à 1.000 gourdes (200 dollars), représente 55% du budget total de ce département. Au Ministère [200] de l'intérieur ce pourcentage est de 23%.?.Dans ces conditions, l'insuffisance du marché du travail et le développement des classes moyennes à partir des années 1930 ont donné lieu à un phénomène chaque Jour plus important?: la course à la fonction publique, phénomène à allure dramatique à chaque campagne électorale.Il s'agit d'un fléau né de la propre structure économique et nourri par la composition de classe de la minorité dominante qu'il s’agisse de la bourgeoisie commerciale ou des seigneurs féodaux, ou bien de la collaboration à divers degrés des deux.Selon un calcul fait en 1962 par la commission conjointe (CEPAL-OEA-BIT)?, la participation de ce secteur d'?tat dans le produit national brut a varié durant la dernière décade de 18,34 millions de dollars en 1950 à 19,62 millions de dollars en 1960, avec un minimum de 17,64 millions en 1953 et un maximum de 23,58 millions en 1956. Ceci représente pour ces dix années une moyenne de participation de 17,98% du produit national. Cette fraction retombe pour l'essentiel sur la population urbaine et dépasse le montant global des secteurs mines, b?timent, électricité, transports et communications, banques, assurances et biens immeubles.B. — Administrateur d'entreprises.? coté de la fonction essentiellement consomptive jouée par l'?tat distributeur de revenus, il existe d'autres traits de l'?tat patron, lesquels se dessinent avec de plus en plus de clarté depuis quelques années. Le secteur de l'activité économique administré par l'?tat, au travers de diverses dépendances officielles, se résume par la liste suivante non limitative.a)La Banque Nationale (B.N.R.H.), dans ses fonctions commerciales et de trésorerie.b)La Régie du Tabac et des Allumettes, chargée de l’achat, la manufacture et la vente du tabac.c)Les Magasins de l'?tat, comme offices d'achat et de distribution interne du sucre et du ciment.d)La Banque de Développement, dans ses fonctions hypothécaires et fiduciaires.e)La Centrale Sucrière des Cayes et la Shada.f)L'organisme de Développement de la Vallée de l'Artibonite.g)La loterie de l'?tat ha?tien.h)L’office de gestion du Casino international.i)Le Bureau d'inspection des véhicules.j)La Compagnie Nationale des Chemins de Fer.[201]k)Les services de communications, transports aériens et de l'éclairage public, etc.Toutes ces dépendances à divers titres participent dans la production, ou distribuent des services à la population. Elles se caractérisent essentiellement par leur faible ou nulle participation dans ce qui pourrait être un effort tendant à promouvoir le développement économique national. ??L’esprit d'entreprise n'est pas absent de leurs activités. Cependant, dans de nombreux cas, cet esprit se réduit à une réalité à peine perceptible du point de vue des bilans de gestion. Voire sur le plan national. Le cas des chemins de fer nationaux et de certaines entreprises municipales d'électricité est proverbial. Leur activité, empreinte de déficiences, se traduit par des déficits permanents. La Centrale Sucrière des Cayes piétine depuis près de dix ans, et son bilan traduit un vrai désastre, alors que la HASCO réalise d'excellentes affaires. L'usine à pite de Montrouis, gérée durant longtemps par la Shada, a fait faillite et est passée aux mains de la Banque Commerciale d'Ha?ti, c'est-à-dire de financiers américains, La scierie de la Foret des Pins contr?lait quelque 2 mille carreaux dans la région de Marouge et 3 mille carreaux à Seguin, Savane Bourrique. Ces exploitations ont changé de ma?tres, au profit de quelques grands dignitaires politiques?.Quant aux entreprises dont le bilan positif présente théoriquement des bénéfices pour l'?tat?*, comme la Régie du Tabac, le Casino, la Loterie Nationale, etc., ce sont des institutions typiques de la philosophie politique régnante. En plus, d'entretenir un personnel disproportionné par rapport à leur efficience, elles servent de sources idéales pour nourrir le favoritisme et le mal usage des fonds, aux échelons les plus hauts de l’échelle administrative. La curieuse technique financière des comptes non fiscaux constitue la couverture juridico-administrative qui légalise l'irrationalité de ces pratiques.En résumé, par sa composition, sa philosophie et ses méthodes de gestion, ou mieux, étant la manifestation structurale d'un substratum global anachronique et anti-économique, le secteur public s'est révélé incapable d’impulser le progrès économique de la communauté ha?tienne. Bien plus, se trouvant dans la décade postérieure à la seconde guerre mondiale dans une situation exceptionnelle, gr?ce à la prospérité relative créée par la hausse des prix des produits d'exportation, le secteur public a montré son impuissance à profiter de cette situation au bénéfice de l'ensemble de l'économie. Précisément, par sa ??politique économique ambitieuse et mal coordonnée se changéant [202] à la fin en une véritable frénésie de dépenses??, il a engendré à partir de 1955 une crise financière devenue le catalyseur de la crise générale qui depuis lors ébranle les bases mêmes de la société ha?tienne.[203]L’économie ha?tienneet sa voie de développementChapitre VILa crise généralede l’économieRetour à la table des matièresL’?conomie ha?tienne, définie dans l'analyse antérieure, se caractérise fondamentalement par un secteur agraire de subsistance, incapable de générer un processus continu de développement. L’excédent économique qui en émerge au lieu d’être capitalisé à des fins productrices est accaparé par un secteur foncier, commercial et public, insignifiant numériquement, lequel l'utilise au financement d'activités de consommation et au soutien de l'appareil bureaucratique et social.La nature semi-féodale du mode et des relations de production impérant dans la branche essentielle de l’économie constitue un obstacle insurmontable à toute croissance endogène de ces forces productives. De même à toute impulsion exogène de ces forces à partir du capital étranger. A peine permet-elle, de maintenir un équilibre instable, lequel demeure conditionné, à la vérité, par les fluctuations du commerce international des prix des produits agricolesLa contexture organique d'une économie aussi débile l'expose en tout premier lieu à des crises de structures. Celles-ci sont chroniques et se manifestent par la tendance séculaire de la production?; par les déformations existantes dans la distribution du revenu national entre les branches d'activités agricoles, commerciales, publiques, sociales et politiques. Elle l'expose aussi à un degré extrême aux crises de conjoncture déterminée, soit par des variations temporelles de l'offre ou la demande globale sur le marché extérieur, soit par des fluctuations de prix, soit par d'autres facteurs politiques, climatiques, etc.La crise économique dont est secoué Ha?ti depuis 1955 est essentiellement de nature structurale. Elle s'est accentuée sous l'action de certains facteurs conjoncturels. Ces deux aspects sont si étroitement liés qu'on pourrait aisément les confondre. Cependant, la prédominance du facteur structure est indiscutable. Il conditionne l'influence des éléments conjoncturels.Ayant été de tout temps, subjacent aux fluctuations circonstancielles, le facteur structural a été relégué au second plan, et même méconnu. L’élément accidentel, au contraire, a été surestimé. Une attitude mentale imprégnée de conformisme quant au r?le de fournisseur de produits alimentaires, rempli [204] de tout temps par Ha?ti, conduit beaucoup à considérer chacune des innombrables crises économiques ha?tiennes corn manifestation de la baisse des prix des produits agricole… Voici pourquoi les déformations fondamentales presque jamais n'ont été mises en cause.Pourtant elles sont au centre de la détresse nationale et répercutent sur tous les plans de la vie sociale, politique et culturelle. La persistance des relations féodales, la domination étrangère opérant à travers le commerce extérieur et les placements de capitaux, telles sont les causes premières de la crise générale de l'Ha?ti contemporaine. Pour avoir miné la capacité productrice, et empêché le pays d'avancer dans la voie du développement capitaliste, ils ont déterminé le retard incroyable que manifeste la société ha?tienne vis-à-vis d'autres communautés Les cercles dirigeants ont épuisé leur science dans un trompeur et vain effort de dépasser la situation. Celle-ci a atteint les limites où elle devait mettre en évidence l'incapacité des uns, le désespoir des autres, le mécontentement à peine contenu des masses populaires.I. CRISE DE STRUCTURERetour à la table des matièresArthur Lewis, dans son livre ??The Theory of the Economic Growth??? signale comment la révolution ha?tienne (1789-1804)1, en balayant les structures de la société esclavagiste et en érigeant de nouvelles fit passer Ha?ti de l'abondance à la misère. Nulle ne peut nier qu'en cette courte période historique la société ha?tienne enregistra un changement radical de structure. Cependant, pour parler d'abondance, au sein de l'esclavage, il faut choisir un critère bien particulier, celui des propriétaires d'esclaves. Il faut méconna?tre le bien-être comme contenu du développement équilibré.La société surgie de la révolution de Saint-Domingue représentait un progrès considérable par rapport à l'esclavagiste et coloniale. Le régime féodal assurait à la totalité de la population une vie meilleure. L'esclave était devenu un serf ou un producteur libre. Un marché local pour la première fois apparaissait créant les prémices au développement de l'artisanat, du commerce et de l’industrie. La production se maintenait malgré la baisse des exportations découlant en grande partie de l'augmentation explosive de la consommation.La structure féodale vint constituer un obstacle au progrès quand commencèrent à se manifester les contradictions entre le mode de production et les relations sociales y découlant?; entre le monopole de la propriété terrienne par quelques grands fonciers [205] et les aspirations des masses à la terre?; entre les aspirations de la bourgeoisie marchande à l'accumulation et les obstacles s'y opposant?: soient la nature des institutions féodales et la pénétration étrangère. ? partir de ce moment commen?a à m?rir la crise de la société précapitaliste, processus qui continue encore de nos jours.La structure précapitaliste de l'économie s'est conservée, en effet, presque intacte comme l'a montré toute l'analyse antérieure. Le faible dynamisme et la débilité fondamentale du secteur capitaliste en sont la preuve. Les forces productrices sont restées sous-utilisées.L'accumulation de capital se réalise avec une extrême lenteur. Le marché de consommation locale demeure désespérément restreint. L'agriculture se révèle incapable d'impulser le développement économique et social. Le secteur commercial dédié exclusivement à la vente des produits agricoles et à l’achat de biens manufacturés ne se préoccupe nullement de transférer ses capitaux à des sphères productrices, industrielles ou agricoles. L'?tat, représentant de cette structure économique, se confine à la protection du statu quo. La dépendance vis-à-vis de l'étranger demeure étroite, de type semi-colonial.Des bases aussi fragiles, un cadre institutionnel impropre au progrès ne pouvaient permettre d'atteindre la stabilité économique. Il devait donner lieu à cette situation de crise permanente, qui s'est manifestée tout au cours de l'histoire ha?tienne, à peine soulagée et de fa?on sporadique, par les conjonctures commerciales favorables.Une fois établie la primauté absolue de cette cause fondamentale, on peut souligner pour faciliter l'analyse une interdépendance de causes secondaires. Ces derniers sont autant d'effets découlant du caractère féodal de l’économie?; dans le cadre analytique de la théorie économique traditionnelle et en fonction des facteurs structuraux, cette interrelation se présente comme suit??:[206]Il faut ajouter, en dehors du champ de l'économie pure, une variété d’autres relations sociales, politiques, culturelles. Elles dépendent toutes de la structure précapitaliste de l'économie (analphabétisme, mortalité, sous-alimentation, superstition) Elles peuvent dispara?tre seulement à la suppression de la cause qui leur a donné naissance. Les divers secteurs participant au système économique présentent une structure vraiment difforme. Il en résulte un ensemble déséquilibré, incapable de provoquer les effets impulseurs de nature à tirer l'économie de son retard. De plus, les bas niveaux de développement s'accompagnent de grandes inégalités économiques et sociales. La distribution inéquitative du revenu national, l'accaparement de la part d'une minorité des fruits du travail des classes travailleuses, surtout des paysans attachés à la culture des produits d'exportation?; autant d'obstacles au progrès qui accentuent le caractère négatif de la structure globale.? première vue, on aurait tendance à parler de causalité circulaire??, comme le fait Gunnar Myrdall. Mais l'analyse a montré suffisamment l'existence d'une cause fondamentale. Le point débile permettant de rompre le prétendu cercle du sous-développement, réside dans le mode de production agraire précapitaliste. Celui-ci, renforcé par les liens de la pénétration impérialiste au sein de l'économie nationale.Déséquilibre fondamental né de cette cause profonde qui a déterminé le mal séculaire de l'économie nationale et a constitué la racine des crises qui ont marqué de fa?on permanente l'évolution historique d'Ha?ti. Ce déséquilibre a constitué un obstacle pour le développement dynamique de l'agriculture et de l'industrie. Il a exposé l'économie aux influences variables des prix internationaux et aux fluctuations de l'économie des puissances variables.Cette fragilité ne date pas d'aujourd’hui. L’absence d'intégration nationale, la précarité de l'économie sont des thèmes qui abondent dans les écrits des hommes d’?tat du passé?: de tous les observateurs lucides de la vie nationale ha?tienne. Seules, les époques de hausse des produits agricoles ont pu assurer des soulagements passagers. Victor Sch?lcher se référait en 1843 à la situation économique et sociale en ces termes?:??Saint-Domingue a disparu et Ha?ti n'est pas encore???En 1883, Louis Joseph Janvier définissait le mode de propriété de la terre?:??La structure agraire, le renforcement du latifundisme condamnent Ha?ti à avoir le sort de l'Irlande. Etre une [207] 8998585-25273020700207gueuse avec des paysans exploités???Quarante ans après, Ha?ti se trouve sous les bottes des farines Corps et les dollars des capitalistes américains. Cette expérience est caractérisée en ??fact as a unique laboratory for social, economic, political and administrative paternalism??. Cependant, le propre conseiller financier reconna?t que les masses se rencontrent tout près du niveau primitif?. La commission Rosenberg des Nations-Unies, en 1949, souligne aussi les défaillances de l'économie nationale?:?... une industrie insignifiante, une structure agraire très limitée devant satisfaire les nécessités d'une population croissante, à revenu limité, pouvant à peine couvrir ses besoins en matière d'aliments, de vêtements et de logement, et dont le niveau de vie est tellement bas qu'on ne peut le réduire davantage?.??.Les mêmes facteurs structuraux et leurs manifestations, se retrouvent dans l'actualité. Paul Moral écrit, en 1959?:??L'absence d'investissements destinés à l'équipement national n'est qu'une des résultantes de l'insuffisance des moyens de production qui caractérise d'abord le sous-développement économique?.??Mieux que les jugements antérieurement signalés, les données suivantes sont autant de manifestations de l'importance du facteur structural dans la définition de la crise.Ce sont des indicateurs conventionnels du degré de développement économique d'une communauté. Ils permettent d'établir les résultats de l'évolution générale d'Ha?ti sur la base des structures en vigueur??:Population rurale?:92,3% du total.Taux d'analphabétisme?:89,3% du total.Exportations annuelles per capita?:entre 9 et 12 dollars.Energie électrique disponible per capita0,0045 kw/h.Valeur calorifique de l'alimentation?:1.500 calories.Nombre de médecins?:1 pour 15.000 habitants.Espérance de vie?:32,4.[208]Le caractère permanent de ces indices témoigne du déséquilibre organique de l'économie, du degré de détresse de la population, lesquels se sont stabilisés avec le temps. Cette situation ne peut être dépassée à bref délai, même au cas de conjonctures très favorables. La structure économique dominée par les modes précapitalistes de production et la pénétration impérialiste a entravé de fa?on irrémédiable le progrès technique et humain de la communauté ha?tienne.II. LE POIDS DE LA CONJONCTURERetour à la table des matièresL'étape historique actuelle a vu s'effriter les bases de l'économie. Le problème de la subsistance de la population s'est donc posé avec d'autant plus de rigueur que l'expansion démographique s'accompagne d'une prise de conscience des masses populaires. Précisément à ce moment crucial la convergence de toute une série de facteurs et circonstances adverses vint précipiter un affaissement brutal.L'abondance provoquée dans l'économie capitaliste mondiale par la post-guerre et le conflit coréen eut ses effets en Ha?ti?: augmentation de la valeur des exportations et, par suite, des revenus de l'?tat?; accélération des activités commerciales et bancaires?; enflement de la demande au niveau de certains secteurs de producteurs ruraux?; sensible augmentation du pouvoir d'achat de certaines couches et du volume des importations. Cette situation se renon?a à partir de 1950 par les successifs emprunts contractés à l'extérieur. Les réalisations de vanité se multiplièrent. Le ??fè wè?? gouvernemental battit son plein. La célébration des fêtes du bicentenaire de Port-au-Prince fut suivie de l'édification de la cité Saint-Martin et du boulevard de Delmas et des fastueuses cérémonies du tri cinquantenaire de l'indépendance. Une fraction sensible de la population urbaine vit son pouvoir d’achat se multiplier?; surtout la fameuse bourgeoisie noire qui naquit de cette danse de millions. La dette de la Vallée de l'Artibonite fut déviée en grande partie de ses fins productives. Elle servit à alimenter le parasitisme des cercles gouvernementaux et étrangers. Autant de facteurs qui provoquèrent une activité monétaire et économique de type nerveux non énergétique.L'inflation à fins de consommation et de gaspillage atteignit ainsi des proportions énormes.Dès 1953, une succession d'impacts conjoncturels, de types national et international, économique, politique, vint dissiper ce mirage de prospérité qui servait à cacher la réalité de la structure?: baisse catastrophique des prix de la pite, destruction d'une bonne partie de la récolte de café par le cyclone ??Hazel??, [209] fermeture des crédits extérieurs lesquels avaient gonflé la circulation monétaire, fortes saignées du Trésor public par une administration agonisante?; crise politique de deux ans, durant lesquels l'économie va à la dérive?; nouvelle chute des revenus café par la récolte désastreuse de 1959 et les bas prix mondiaux?; climat politique et économique saturé d'agitations politiques et de crises sociales latentes?; blocage en 1963 de l'aide américaine qui permettait dans ces dernières années le maintien de l'équilibre budgétaire. Nouveau désastre météorologique en 1963, qui atteint profondément la production agricole et l'économie nationale.Point n'est besoin d'analyser tous ces facteurs et d'en valoriser l'influence sur la crise. Le poids de chacun d’eux est évident. Ce n'est point étonnant qu'on arrive à concéder à l'un ou à l'autre une responsabilité déterminante.? la vérité, ces diverses conjonctures mettent en évidence la vulnérabilité de l'économie nationale. On peut les ranger dans les catégories suivantes?:A. — Facteurs liés à la valeur des exportations.Cette valeur dépend, on l'a vu, essentiellement des prix internationaux. L'actualité et le futur de ces prix est un paramètre exogène indépendant de la volonté des pays sous-développés. Ce ne sont pas les hauts prix tant convoités pour le café qui peuvent influencer sensiblement cette situation de conjoncture. Non plus une augmentation explosive de la production des denrées d'exportation. Déjà, pour l'année 1958, la récolte mondiale du café dépassait largement les demandes. Ceci, malgré les 670 mille tonnes stockées par les producteurs latino-américains pour éviter la chute brutale des prix?. La Conférence Internationale du Café (ao?t 1962) ne parvint pas à prendre des mesures effectives qui auraient pu laisser prévoir les possibilités d'une solution convenable et définitive du problème mondial de l'excès de l’offre et de la demande. Les perspectives du sucre et du sisal restent assez prometteuses. Hélas?! leur production est contr?lée en forme presque exclusive par un monopole étranger...Quant aux facteurs quantitatifs, ils restent soumis aux conditions de la structure agraire déjà étudiée, abstraction faite de l'inclémence et de la fréquence des perturbations atmosphériques.[210]B. — Facteurs liés à l'actualité politique.En étroite liaison avec la crise de structure et les éléments conjoncturels, se place l'instabilité politique. Deux composantes de cette variable sont à relever. En premier lieu, l'impuissance du cadre administratif en vigueur à résoudre les problèmes majeurs de la nation. Ce n'est pas seulement le sens et le contenu d’un siècle et demi d’évolution politique qui se trouve mis en cause. Ce sont surtout les cinquante dernières années de domination, contr?le, leadership, assistance, aide technique américaine. Il faut voir la faillite du système économique et politique instauré depuis l’occupation américaine.En second lieu, l'effort irrésistible des masses pour se libérer de la faim, de l'ignorance, du mépris, en un mot?: de la déshumanisation. Cette impulsion secoue les communautés pauvres et dominées. Elle les porte à chercher et à trouver un nouvel équilibre politique, socio-économique, capable de satisfaire leurs aspirations au bien-être.En fonction de cette réalité, la stabilité, les conditions optima, en faveur desquelles la conjoncture politique pourrait s'améliorer sont des perspectives du futur. Elles peuvent na?tre seulement d’une longue et brutale gestation. En attendant, le déséquilibre sera permanent, même s'il est camouflé, en périodes plus ou moins longues, par des tentatives désespérées de ??maintenir l'ordre.?? Le climat reste saturé d'inquiétude politique, d'aspirations insatisfaites, de crises sociales latentes.III. D?TRESSE DELA COMMUNAUT? HA?TIENNE.Retour à la table des matièresLe bilan de l'effort national après plus d'un siècle et demi reste incroyablement bas. Des réalisations positives?: Ha?ti peut en offrir plus d'une. La plus remarquable demeure celle d'avoir pu, première nation nègre du monde, conserver pour le moins durant un siècle, son indépendance formelle, quand le partage du monde par les puissances colonialistes battait son plein. Alors, les peuples d'Asie et d'Afrique gémissaient sous le joug. La République d’Ha?ti, calomniée, ha?e, convoitée, poursuivait son expérience d'?tat souverain dans la dignité.Mais ce n'est point là un motif de gloire, de nature à alimenter éternellement la démagogie de nos élites. Il n'y a pas lieu de se gargariser d'un passé, construit par d'autres générations. Surtout quand le présent offre un tableau aussi négatif. Ceci non seulement sous le seul angle de la situation interne?; mais aussi et surtout sous une perspective beaucoup plus ample. En fonction des critères, nécessités et exigences du monde contemporain.De toute l'Amérique latine, Ha?ti est le pays où la valeur calorifique [208] de l'alimentation se trouve au niveau le plus bas?: on l'a vu, 1500 calories par jour et par personne. Pour les nations développées d'Europe et d’Amérique du Nord, la moyenne est de 3.500.La sous-alimentation est chronique quantitativement et par le manque de protéines animales et de minéraux. L'irrégularité des conditions atmosphériques met en danger la subsistance même de vastes secteurs de la population. Seule, la généreuse p?ture tropicale, en offrant en abondance fruits et légumes, a évité bien des catastrophes. La ration de lait par personne a été évaluée à une moyenne de cinq litres annuels?. En fait, 80 à 90% de la population ne consomment jamais de lait, ni de viande, jamais d'?ufs et très rarement du riz, du poisson. Même les disponibilités en eau potable sont réduites. Dans certaines zones rurales, on doit parcourir des dizaines de kilomètres pour s'alimenter dans des rivières ou torrents. Pour les populations citadines, on a évalué à 6,1% la proportion de familles disposant de services hydrauliques, soit un total de 26 mille?.Les maladies de carence et celles déterminées par les défectueuses conditions hygiéniques ont débilité en forme sensible le potentiel humain. La fragmentation et la rareté des données empêchent d'établir la dimension des désastres causés par ces primitives conditions hygiéniques. On peut signaler que la tuberculose intervient de 20 à 25% environ dans les décès enregistrés dans les h?pitaux. Le taux de paludisme de la population est de 40 à 50%?. La vitaminose a marqué profondément la vie d'une proportion incroyable de la population. Les maladies intestinales, le tétanos font des dég?ts épouvantables.Une campagne d'éradication du pian, entreprise en 1950 par l’O.M.S. avec l'assistance du gouvernement, a fait pratiquement dispara?tre cette maladie hier encore si répandue dans les mornes.??The annual Epidemological and Vital Statistics??? signale Ha?ti comme le pays du continent américain qui souffre le plus du manque de médecins et de l'insuffisance d'installations sanitaires. En 1955, on comptait environ trois cents médecins travaillant dans le pays. Ce chiffre 302 se maintient encore après dix ans. Pour 25 internes environ dipl?més chaque année, presque autant de praticiens abandonnent annuellement le [212] pays. Ha?ti dispose donc d'un médecin pour 15?000 habitants Le total des h?pitaux s'élève à 23, celui des cliniques et dispensaires publics à 170, en règle générale pauvrement équipés leur répartition géographique est très peu équilibrée.La population disposait en 1963 d'un total de 2511 lits d'h?pital, soit un indice de 1 pour 1750 habitants. En République Dominicaine, cet indice était de 2,55 déjà en 1955. L’espérance de vie à la naissance est au niveau le plus bas en Amérique latine?.Le sous-développement économique et le standard de vie combien misérable de la population contrastent avec la situation des communautés considérées déjà comme les ??parents pauvres?? du continent. Ces estimations suivantes de la B.I.R.D. l’illustrent assez??:PaysPopulation 1958Revenu nationalExportations 1958(en millions de $)Guatemala3.546.000566107.4Domlnicainie2.797.000661136.6Salvador2.434.000505116.0Ha?ti3.424.00033839.4Le même document de la B.I.R.D. classifie Ha?ti comme le pays ayant le plus faible niveau culturel du continent. Cette classification est établie à partir des indices sur le nombre de livres édités, de postes de radio, d'appareils téléphoniques, etc. Elle concorde en ceci avec un rapport encore plus récent de l'Union Panaméricaine, préparé par le Rév. Roger Vekenous sous le titre de Tentative of the Typology of the American Republic??. Sous la base de toute une série d’indices, généralement admis comme indicateurs de développement économique?*, le document met en relief le drame du retard de la société ha?tienne.Quel que soit le point de vue choisi, qu'il s'agisse des conditions dans lesquelles évolue la personne humaine, ou d'une comparaison entre le standard de vie des Ha?tiens et celui d'autres peuples, la détresse de notre communauté crève les eux. Après cent soixante ans d'indépendance, Ha?ti reste en retard par rapport à plusieurs nations récemment libérées [213] d'Afrique et d'Asie. Son économie piétine. Le progrès social s'opère avec une lenteur désespérante. Par contre, certains de ces pays, dans l’après-guerre, sont rentrés rapidement dans un processus de développement.Ce marasme profond, prolongé, et ses manifestations sociopolitiques, sont devenus célèbres en ce monde dynamique de la deuxième moitié du XXe siècle. Ils se sont convertis en un drame humain pénible pour l'élément national et vraiment déconcertant pour l'étranger.Paul Moral, en conclusion de son livre sur l'économie ha?tienne, s'exprime en ces termes?:??La détresse financière d’aujourd'hui semble pousser et fondre les perspectives économiques dans un avenir flou et inquiétant. Nous n'avons pas essayé de minimiser beaucoup le drame actuel d’Ha?ti. Le temps n'est plus aux euphémismes ni aux faux semblants. Il n'est plus possible de ??jouer?? avec le destin de près de 4 millions d'individus. C'est l'heure du choix?.??De son coté, le Président de la République, dans un pathétique appel lancé à Jacmel le 21 juillet 1960, confessait?:??La Nation est crucifiée par la misère économique et son cortège de maux... et menacée d’être condamnée à un destin d'abjection et de misère???.Un rapport des Nations-Unies, daté de mal 1961 brosse un tableau frappant de la situation?: ??Les conditions de vie en Ha?ti paraissent avoir amélioré bien peu durant la dernière décade. Qui plus est, il est évident que la vie politique, économique et sociale, en des rapports variés, a été marquée d’une régression?: malgré les efforts encore plus grands réalisés par des programmes d'assistance bilatérale et internationale pour freiner cette tendance. En particulier, durant les dernières années, la situation du pays est devenue chaque Jour plus désespérée et en ce moment Ha?ti se trouve dans un état de choses qui ne peut durer longtemps. Le pays est arrivé très près du point où les mécanismes basiques qui assurent la vie de la nation peuvent se rompre et la survivance minima de la population se trouver en danger imminent.?Ce tableau est devenu aujourd'hui moins sombre que la réalité. Des événements politiques ont agité Ha?ti Depuis. Le [214] mouvement des affaires se trouve en agonie. L’administration pour se maintenir, a d? renforcer à outrance son système de taxation. Le cyclone Flora a anéanti environ 60% de la production caféière. Toutes les prévisions fiscales pour l’exercice 1963-64, ont été renversées. La détresse s’annonce plus ferrée.Il n'est point superflu de citer les opinions de la presse étrangère. L'année 1963 a représenté un moment critique de la propre crise de la nation ha?tienne. Dans l'abondance des articles et chroniques de la presse internationale, on peut difficilement découvrir des données objectives pour valoriser cette conjoncture. On peut se référer notamment à la revue ??Yale (quartely)?? de janvier 1962?. Dans un article intitulé ??Is Ha?ti Next??, Ernest O. Moore, expert financier et ex-consultant des Nations-Unies en Ha?ti, analyse l’impasse à laquelle a abouti un siècle et demi de gestion nationale. Il conclut à la possibilité de ce que le désespoir de la population peut déboucher sur un état de choses similaires à celui de Cuba. La revue londonienne ??New Stateman???, sous le titre ??L'agonie d'Ha?ti??, dépeint la crise nationale sous des couleurs d’un rare réalisme. Graham Green se réfère à la ??République du Cauchemar???.Cette réalité a même donné lieu à des interprétations malveillantes. Dans la revue ??The Manking Quaterly??, Mr. Henry E. Garett a été jusqu'à tomber dans le racisme pseudo-scientifique... La cause du retard économique ha?tien n'est pas, selon lui, dans la nature semi-coloniale de l'économie et les survivances féodales au niveau de la production fondamentale. Elle réside dans la prétendue incapacité de la race noire à se diriger. ??Ha?ti est, selon Mr. Garett, un lamentable exemple de ce que le nègre peut faire quand on le laisse se gouverner lui-même?.??Ne vaut-il pas la peine de rapprocher cette théorie des pratiques déjà Instituées en Ha?ti par certains compatriotes de Mr. Garett, en particulier les Marines Corps et leur Boss?? Dans un esprit analogue, deux millionnaires américains ont proposé au Gouvernement en juin 1963 de lui acheter Ha?ti. Ils pourraient ainsi effectuer des investissements extraordinaires et s’assurer des bénéfices illimités.La nature à la fois insolite et insolente de cette proposition montre un autre aspect de la douloureuse réalité de la crise ha?tienne.Des manifestations encore plus tragiques peuvent encore [215] être relevées. En est une, l'exode massif, chaque jour accentué de jeunes professionnels, médecins, ingénieurs, ouvriers spécialisés, enseignants. Ne pouvant rencontrer dans leur pays ce minimum de bien-être correspondant à leurs légitimes aspirations humaines, ils s’en vont vers d'autres deux, en quête d'un avenir moins incertain et d'un présent mieux valorisé. Cinq cents ont émigré vers l'Afrique en moins de deux ans. Le Congo compte deux cents professeurs ha?tiens, le Canada plus de trois cents médecins. Exportation de techniciens?! Un pays qui a tellement besoin de compétences. Rien ne saurait être plus éloquent.Le concept de Nation est intimement lié à celui d'équilibre économique et social au sein d'une communauté. La Nation ne se mesure pas seulement en terme ??d'avoir fait de grandes choses dans le passé?? ni en fonction de la grandiloquence des tribuns. Elle suppose, l'intégration d'une communauté à un milieu historique et économique où les nécessités humaines essentielles, telles le droit au travail et à la dignité, au bien-être matériel et culturel sont réalisées ou en voie de l’être.IV. CRISE DELA POLITIQUE ?CONOMIQUE.Retour à la table des matièresCombien de lois, de dispositions constitutionnelles, combien de mesures d'exception, combien de déclarations et de discours ont été con?us dans le cadre de la longue ??politique de développement?? des gouvernements ha?tiens. Ceci, aussi bien durant l'occupation américaine que pendant les trente dernières années. En fait, rien n'a changé, en forme sensible. On a usé et épuisé tous les instruments de l’orthodoxie de l’enseignement universitaire européen?: favoriser l’agriculture, encourager les exportations, agrandir l'assiette de l'imposition et équilibrer le budget, voter des crédits extraordinaires, entourer de sollicitude les placeurs de fonds étrangers, contracter des emprunts extérieurs, donner les garanties légales et extra-légales aux puissances capables d'offrir l'aide technique. Surveiller la couverture bancaire et l'émission de monnaie. Encourager le tourisme, etc. Toutes ces formules se sont révélées souverainement inefficientes. Elles n'ont pu neutraliser les effets conjoncturels ni même les soulager. A plus forte raison elles n'ont pas réussi à influencer le déséquilibre foncier. Plus que jamais on peut parler d'une crise de la politique économique.Y a-t-il jamais eu une politique économique en Ha?ti, se demandera-t-on?? L'emploi de ce terme se réfère ici uniquement à l’ensemble des usages, pratiques, idées, opinions en cours dans l’administration et qui ont commandé l'attitude de l'?tat en matière économique et financière. Ils ne constituent en aucun cas [216] un tout structuré, à partir de critères bien définis, vers des finalités concrètes?: mais plut?t un processus inarticulé, circonscrit à des fins superficielles, sporadiques et à court terme, destinées à faire face aux difficultés momentanées pouvant se présenter à un gouvernement. Inexistence absolue de planification et de finalité globale, absence de continuité administrative, gaspillage institutionnalisé des biens publics, culte à la routine tels sont les traits permanents de la politique économique ha?tienne.La première de ces caractéristiques est partagée par la majorité des pays sous-développés et même des grandes puissances qui n’ont jamais eu une politique définie, orientée vers l’obtention de buts prédéterminés. Cependant, compte tenu de l’acuité de la situation ha?tienne, on s'étonne que jamais aucune planification n'ait été mise en branle, même vers des fins partielles, comme la promotion du commerce d'exportation ou l'impulsion des investissements de l'?tat en des activités rentables, de nature à aider la promotion économique.Le fameux plan quinquennal des années 1951-56 figure comme le premier essai nominal dans ce sens. En réalité, loin d'être un projet de planification, il a constitué une énumération de dépenses publiques. Gr?ce au gonflement des recettes douanières, résultant de la prospérité de l'époque, le Gouvernement entreprit par une multiplication de projets sans lien organique entre eux. Même les études et évaluations, indispensables à tout programme de développement ne furent pas exécutées avec sérieux. Le Plan Quinquennal se convertit en un Cheval de Troie au sein duquel se camouflaient aisément la prévarication, les business louches, l'incapacité administrative. Tel a été d'ailleurs le sort de tous les plans ou programmes similaires promis par les candidats à la présidence ou annoncés par les gouvernements au pouvoir. Presque toujours, ces projets ont eu pour but unique d'assurer la survivance d'une administration.Le manque de continuité administrative est une conséquence logique et un reflet de toute la superstructure politique. S'il n’existe pas d'objectif concret de développement de la part des gouvernements, il ne peut y avoir de continuité entre l'?uvre de l'un et celle de l'autre. Il est de règle qu’à la chute d’un Gouvernement, ??l’heureux élu?? modifie du tout au tout ce qui a été entrepris par son prédécesseur. Même les projets en cours d'exécution sont, en règle générale, laissés en abandon. Ces pratiques se vérifient parfois à l'accession d'un nouveau cabinet ou d'un haut fonctionnaire. Les organismes internationaux d'aide technique peuvent en dire long. Nombreux ont été les experts, consultants, conseillers, commissionnés par les Nations-Unies et ses organismes spécialisés. Ils ont vu leur science, effort ou [217] enthousiasme demeurer sans effet à cause du manque d'esprit je suite des milieux dirigeants.Le manque de continuité se reflète à tous les niveaux de l’échelle administrative. L'inexistence d'un régime de service civil garantissant le statut des employés et fonctionnaires publics rend instable au possible la fonction publique. Ceci se complique du fait des traditions de bureaucratisme, de ??patatisme??, etc.Le troisième trait, le gaspillage des biens publics, est une plaie commune à de nombreux pays sous-développés... La structure économique, l'absence d'activités industrielles rémunératrices, les conditions de la pénétration impérialiste, l'importance de la fonction publique comme source de revenus et moyen de subsistance de l'intellectualité, tous ces facteurs ont favorisé la corruption et l'inefficacité dans la gestion publique.La politique en règle générale, est une activité des plus lucratives. En l'espace d’un ministère ou d'un mandat présidentiel, des richesses s'accumulent, des villas se construisent... Les moins chanceux peuvent s'assurer le vivre durant quelque temps. De là, cette course effrénée des intellectuels, petits bourgeois, de la classe moyenne, vers les ??djobs d'?tat??. De là, la lutte à mort entre ceux qui participent et ceux qui sont au dehors du pouvoir. D'autant plus que la crise générale de l’économie rend les lendemains de plus en plus incertains... Ainsi l'appareil administratif, loin de constituer le cadre de la politique économique dans les domaines agricole, commercial et industriel représente la manifestation permanente et institutionnalisée du parasitisme économique.?Le culte à la tradition remplit un r?le décisif dans la conception et la mise en vigueur de la politique économique.Dans la tradition, en effet, les hommes d'?tat, économistes et administrateurs tirent leur bréviaire et formulaire... L'orthodoxie économique et financière ha?tienne demeure statique. Si l'on compare, par exemple, la terminologie des finances publiques d'aujourd'hui à leur contenu d'il y a quarante ans, il est impossible de noter une évolution patente. L'assiette de l'imposition s'est considérablement élargie, surtout durant ces six dernières années. Cette promotion fiscale ne s'est point accompagnée de modifications. Elle a renforcé, au contraire, les déformations de la structure impositive.L'?tat se nourrit en forme exclusive des droits à l'import- export. L'équilibre budgétaire demeure son unique souci, le commerce d'exportation avec de bonnes récoltes et des prix élevés est toujours considéré comme une panacée. La seule rubrique [218] nouvelle dans le ??livre des recettes?? des hommes d'?tat constitue ??l’investissement étranger??. Cette dernière est une création de l’occupation américaine et une obsession de la post-guerre. Même le tourisme, activité de fantaisie si incertaine dans les volcaniques Cara?bes, a été promu au r?le de pierre angulaire du progrès.Dans le cadre des instruments de la politique économique jouent un r?le de choix les ??réalisations de prestige?? con?ues dans le prétendu but d’attirer les touristes ou de combattre la misère. La construction d’édifices, de cités ouvrières, de résidences luxueuses jouit de priorité absolue dans les investissements de l’?tat, au détriment d’?uvres moins spectaculaires, mais de nature à fortifier l’infrastructure.Ces théories et pratiques de gestion financière, les autorités les diffusent, le grand public applaudit. Le fétichisme imprègne littéralement tous les aspects de la science économique telle qu’elle est con?ue et appliquée en Ha?ti. De là, l’inefficacité, le caractère statique et anarchique de la gestion financière et économique. La plupart des lois et décrets pris en la matière constituent des mesures expéditives tendant à procurer à l’?tat de nouvelles sources de revenus. Cette préoccupation pour la survivance est devenue exclusive au fur et à mesure de l’aggravation de la crise.On peut se demander quelles sont les causes profondes de la faillite de l’action gouvernementale dans le domaine économique. Surtout si on se rappelle que depuis le début du siècle, les théoriciens et protagonistes de la politique économique ont été des personnalités dipl?mées des meilleures facultés de France ou des ?tats-Unis, des professionnels parfois parmi les mieux préparés. Ils manient avec la plus grande habileté la terminologie et l’instrumental de l’Ecole Classique, de la doctrine marxiste, des théories keynésiennes. Les cours de Finances et d’?conomie donnés du haut des chaires universitaires, témoignent le plus souvent d’une brillante formation académique... On peut en dire autant de certains écrits publiés dans le passé, ou à date récente, par des économistes de la trempe de Frédéric Marcelin, Edouard Esteve, etc.Ce n’est donc point le manque de connaissance théorique qui a empêché aux hommes d’?tat ou professionnels ha?tiens de capter la réalité des problèmes économiques nationaux, et de trouver les solutions adéquates. Non plus on peut trop mettre en cause la ??mauvaise foi?? des gouvernants?: le simple désir de bien faire ne suffit pas. La vraie cause de la faillite permanente de la politique économique est essentiellement de type objectif?: Les classes dirigeantes d’extraction féodale et militariste n’ont pas été intéressées à acheminer l’économie vers le progrès. Le pouvoir a servi seulement les intérêts de leurs castes. C’eut été [219] contraire à leur propre progrès que d’introduire des réformes de structure permettant le développement des forces productrices.Les ??mieux intentionnés??, en accédant à un poste dirigeant ont considéré plus sage, plus réaliste, de ne pas résister aux intérêts créés. Sinon de les servir, de se subordonner aux Intérêts des fonciers, du haut commerce, des forces étrangères.Une seconde cause subjective, cette fois, réside dans le contenu de la théorie économique, héritée de France surtout. Nul ne peut mettre en doute la haute valeur de l’économie politique fran?aise. Cependant, les vastes structures de concepts et de généralisations que les études en France ou les livres de texte fran?ais ont transmis à la pensée économique ha?tienne, se sont révélées tout à fait éloignées de la réalité nationale. On peut en dire autant de l’enseignement donné aux ?tats-Unis, en Angleterre, en Allemagne pays qui ont re?u dans le passé un nombre sans cesse croissant d’étudiants, de professionnels en sciences sociales, de cadres administratifs. Le stade de développement de ces sociétés a porté leurs centres universitaires à concevoir des instruments spécifiques d’analyse théorique et I d’action pratique adaptés à leurs exigences actuelles de pays capitalistes hautement développés. Dans le cadre de ces exigences se trouve la nécessité de faire prospérer un pays déjà développé, ou administrer un empire colonial, ou maintenir une zone d’influence?; les moyens théoriques offerts ne sont pas toujours ceux qui permettent à une communauté pauvre de sortir de la misère. Dans l’un et l’autre cas, on peut difficilement adapter avec efficience le matériel académique à une économie semi-coloniale et aussi retardée que celle d’Ha?ti.Pour évaluer les différences, réfuter certains axiomes et choisir les lignes justes du développement économique, cela requiert un effort d’analyse que seul peut réaliser une conscience d’extraordinaire lucidité. En général, cet héritage de la pensée économique traditionnelle vient se souder aux conceptions impérantes dans le milieu. Economistes, sociologues, administrateurs sont ainsi condamnés à perdre leur boussole en face de ce qu’ils appellent ??les Irrationalités de la réalité nationale??... Gunnar Myrdall fait remarquer avec raison?:??? la vérité, ces théories conservatrices non seulement échouent, en signalant de nouveaux horizons, elles tendent même à empêcher l’observation de ces horizons qui sont ouverts par d’autres forces sociales, y compris par l’investigation des faits???.On ne saurait attribuer une importance exagérée à ce facteur. [220] Il doit être cependant considéré à sa Juste valeur étant donné ses Conséquences nocives dans l'élaboration et la conception même de la politique économique.L’impuissance manifeste du cadre administratif d'assurer le progrès de la communauté a suscité le plus desséchant pessimisme sur la capacité de sortir Ha?ti de l'ornière où elle se débat.V. L'IMPR?CISION DES PERSPECTIVESRetour à la table des matièresLa prise de conscience de cette réalité a suggéré aux secteurs de la population les plus soucieux du futur national, diverses solutions présumées au problème ha?tien. Ces préoccupations ont dépassé le niveau de l’économiste ou du politicien. Elles ont atteint de très larges couches.Dans les pays sous-développés, la coutume n'existe pas de réaliser des investigations de type Gallup pour définir les courants d’opinion. En Ha?ti, de telles recherches paraissent inconcevables. Cependant, il serait de grand intérêt de computer la variation et l'amplitude des voies et moyens considérés par l’opinion publique comme susceptibles d'apporter le salut économique. ? défaut de cela on peut, au moins, tenir compte des crédos professés par les intellectuels, les secteurs bourgeois ou bureaucratiques, les étudiants et ouvriers éclairés.Le premier courant d'opinion se situe dans le prolongement du traditionalisme signalé avant... Il procède de groupes ayant leur privilège de classe bien lié au statu quo, mais qui se sont rendu compte de l'incapacité de maintenir l'ordre des choses par les seules méthodes coutumières. Ils désirent certaines réformes, capables d'assurer au pays quelque avancement et d'améliorer leur propre situation. Dans ce courant se rangent certains secteurs dont les intérêts ne sont pas en Jeu. Ils sont sous l'influence Idéologique des premières et manifestent parfois une bonne foi très voisine de la crédulité.Pour tirer Ha?ti de la crise, il faut renforcer les Instruments habituels de la politique économique, c’est-à-dire impulser la production des denrées exportables, rendre plus efficient et honnête l'appareil administratif et fiscal, favoriser l'installation des entreprises étrangères. Le tout, sous la supervision, la tutelle des services techniques étrangers... Amplifiant cette conception, certains arrivent à souhaiter la conversion d’Ha?ti en un second ???tat Libre Associé??. Des investissements étrangers, le tourisme, l'abolition des barrières douanières créeraient des conditions optima de développement capitaliste, capables d’assurer le bonheur.Cette solution est le fruit des héritages du colonialisme dans les esprits. Elle a conduit plus d'un à penser qu'Ha?ti a eu [221] trop t?t son Indépendance. Le professeur Paul Moral, en conclusion de sa brillante étude sur la vie rurale ha?tienne, se fait l’écho ou le porte-parole de ces tendances...??Un siècle et demi après son indépendance si chèrement acquise, la nation ha?tienne reste encore à édifier. Le ??leadership?? des grandes puissances doit Jouer là un r?le décisif et généreux.?... Le développement énergique de la production des denrées marchandes va au rebours de l’évolution historique, en Imposant encore le système de la grande plantation et le leadership étranger... C'est là que réside le drame de la production agricole ha?tienne, de la paysannerie et peut-être tout le drame actuel d'Ha?ti?: une indépendance trop précoce qui a entra?né des modifications décisives dans la structure agraire et la décadence rapide de l'économie commerciale?.??L’exemple de la Jama?que vient souvent argumenter cette thèse. On se pla?t à montrer du doigt le degré de progrès atteint par cette ?le qui, hier encore, demeurait une colonie britannique.La voie la plus s?re serait sinon le statut colonial, mais l'acceptation, non sans fierté, du ??contr?le généreux?? de la tutelle des ?tats-Unis.Avec un degré de confiance plus ou moins entière, ces secteurs pensent qu'à défaut d'une tutelle totale, l’unique remède à la crise nationale peut venir d'un programme du type ??l'Alliance pour le Progrès?? qui conduirait à un développement économique s?r, sans contretemps ni remue-ménage. Cela éviterait le réveil de la conscience du peuple...Une seconde tendance se définit de plus en plus dans le milieu ha?tien. Elle na?t des inquiétudes et frustrations des intellectuels, de la jeunesse, des masses ouvrières, de la petite bourgeoisie radicale...Elle rejette en absolu les méthodes traditionnelles et l'aide même massive de l'extérieur comme moyens de rompre le cercle infernal du sous-développement national. Elle veut finir totalement avec le passé et le présent pour construire l’avenir. Seul un arrachement violent révolutionnaire peut permettre d'y parvenir. Cette solution radicale, suggérée essentiellement par la profondeur de la crise et le degré de détresse de la population, a pris force sous l'influence de la révolution cubaine. L'unique chemin parait donc une révolution socialiste du style cubain. Cuba, en nationalisant la terre, les industries, les banques, en [222] effa?ant d’un coup les pratiques du passé, ne s'est-elle pas transformée en une nation socialiste offrant à son peuple les conditions de vie plus dignes??Une troisième tendance mérite d'être signalée, bien que n’étant pas de finalité solutionnelle. Elle constitue la manifestation la plus significative du degré de maturité de la crise ha?tienne et traduit le pessimisme de certains secteurs, l'impuissance des cercles académiques.??On s’explique difficilement la précarité économique du pays et son incapacité à promouvoir de nouvelles structures, de nouvelles formes de relations humaines... Le marasme économique d'Ha?ti pose un véritable défi à l'analyse?.??Telle est la confession d’un professeur de sociologie dans un effort de compréhension de l’étape actuelle de la vie nationale. Si l'analyse se révèle si difficile, que dire des solutions?? A moins que ce soient des perspectives vagues ou des formules creuses, de celles dont abondent les journaux en période électorale.Cette incapacité des ??techniciens?? à définir sur le plan théorique et pratique la vole du développement économique, se répercute à tous les niveaux. Ne faut-il pas y trouver l'origine de l'expression ??Ha?ti foutu?? si communément usée??La solution au problème ha?tien se pose en termes différents. Entrevoir le devenir national à travers des considérations d'ordre général?; considérer la situation économique comme un défi à l'analyse ou tomber dans l’abstraction fataliste d'un avenir de misère institutionnalisée, sont des attitudes anti-scientifiques. Il n'existe pas de situations sociologiques insolubles. Attendre le salut de l'extérieur, cela revient à ignorer l'enseignement de l'histoire. Dix-neuf ans d'occupation américaine l’ont prouvé en forme irréfutable?: l’intervention étrangère n'a pas apporté au peuple le bonheur, ni même ces réalisations spectaculaires qui auraient recouvert la misère ha?tienne du lustre doré de Porto Rico. Autant peut-on dire des trente années postérieures à l'occupation, lesquelles ont été marquées de l'assistance technique et du contr?le politique américains.Les cent millions de dollars re?us à titre d'emprunts et de dons dans la dernière décade, à peine s’ils ont permis d'éviter l’affaissement total du système.En dernier lieu, une révolution économique du type cubain. Ceux qui y pensent ne tiennent pas compte de l'énorme différence existant entre la structure économique de Cuba en 1958 [223] et celle d’Ha?ti. ? Cuba, avant la révolution, 71% du fonds agraire étaient intégrés à de grandes exploitations, appartenant à 2873 terriens, locaux ou étrangers?. Le total des investissements étrangers dépassait un milliard de dollars. Le secteur capitaliste de l’économie sous le flux des capitaux externes avait atteint une croissance notoire. La classe ouvrière, industrielle et agricole, groupait environ trois quarts de million d'individus. L'économie cubaine, globale, était en passe de franchir l’étape féodale. Elle avait connu un développement capitaliste — il est vrai tributaire de l'impérialisme — des plus avancés de l’Amérique latine.La révolution cubaine a pu donc être à la fois antiféodale, anti-impérialiste et socialiste. La seule nationalisation des entreprises étrangères a ouvert à l’?tat des sources de revenus considérables. Ces derniers lui ont permis non seulement de subsister à la pression externe, mais aussi à promouvoir en même temps un programme accéléré de développement économique.En Ha?ti, le degré inférieur de développement des forces productrices, le faible montant du capital étranger installé, voici des facteurs objectifs impossibles à ignorer. Ils rendent totalement illogiques tout essai d'imprimer aux transformations structurelles à entreprendre le contenu et le caractère d'une révolution socialiste.Les enseignements de l’histoire économique, appliqués aux conditions objectives de la structure ha?tienne, le montrent lumineusement?: pour rompre le ??cercle vicieux, du sous-développement et lancer l'économie nationale dans un processus d'avancement, il est indispensable d'adopter une attitude révolutionnaire. Il faut réviser les postulats de la théorie économique con?ue par les grands pays capitalistes, ainsi que les pratiques séculaires de la gestion administrative et économique. Il faut puiser dans les théories nouvelles du développement social, des instruments d'analyse applicables au réel ha?tien, en profitant au maximum de l’expérience des nations hier encore dépendantes et retardées qui se sont libérées des entraves féodales et de la domination étrangère pour entrer avec vigueur dans la voie du progrès. Seulement ainsi il est possible de définir une théorie du développement ha?tien et de tracer les lignes ma?tresses d'une politique économique permettant d'utiliser avec l’efficience maximum toutes les ressources naturelles et humaines disponibles de la Nation.[224][225]L’économie ha?tienneet sa voie de développementChapitre VIIUne stratégiedu développement??Un plan de Gouvernement ferme, un plan dont les parties et les liens ne se mesurent pas à la durée éphémère d'un cabinet ou d'un règne, mais embrassent tout un ordre d'idées, tout un ensemble de réformes à réaliser, les uns attirant les autres et se complétant...??Edmond Paul (1891).Retour à la table des matièresDéfinir une stratégie du développement, en fonction de la réalité antérieurement étudiée, conduit à élaborer une théorie guide de cette stratégie.Immédiatement s'offrent les théories et idées sur la matière, préconisées dans les pays capitalistes avancés et transmises aux pays sous-développés. Dans quelle mesure ces théories et idées se révèlent d'application avantageuse pour Ha?ti?? Ne serait-il pas possible de rencontrer un point de partie théorique plus adapté aux nécessités du développement ha?tien??I. UNE SOLUTION N?O-COLONIALISTE??Retour à la table des matièresDe nouvelles conditions apparurent dans l'économie et la politique internationale de la post-guerre. La remarquable croissance du monde socialiste rendit possible la ??découverte?? de l’ab?me existant entre les richesses de l'Occident et la détresse des communautés vivant dans les zones dominées par l'Occident. Surgit la nécessité d'éviter l’explosion d'un nationalisme brutal et de retarder le mouvement de libération des peuples opprimés. De là un effort subit des pays coloniaux et capitalistes en vue de formuler des théories et plans de développement, de nature à arrondir les aspérités de leurs relations avec le Tiers Monde naissant.La Conférence de Bretton Woods en juillet 1944 promulgua la charte de ce programme embryonnaire. Celui-ci s'enfla avec la fondation du Fonds Monétaire International. Il prit forme définitive en janvier 1949 avec le Point IV, programme d’aide américaine aux pays sous-développés. Peu après, naquit la formule des programmes multilatéraux d'assistance technique, patronnés par les Nations-Unies. Dans le cadre de cette politique, [226] le plan Colombo de Développement ?conomique de l'Asie du Sud et du Sud-Est fut con?u par la Grande-Bretagne en 1955. Et, en 1960, au lendemain du triomphe de la révolution cubaine, surgit l'Alliance pour le Progrès du Président KennedyDe cet ensemble de programmes officiels se dégage un corps de doctrine bien défini, imprégné des idées et faits, en honneur dans les pays capitalistes. On y retrouve les théories élaborées dans les cercles académiques, les attitudes et pratiques du monde des affaires internationales. Ce corps de doctrine peut être synthétisé par les postulats suivants??:a)L'aide des nations riches est indispensable aux pays pauvres qui aspirent au progrès.b)Cette assistance là, constitue les apports de capital privé qui viennent promouvoir l'agriculture de plantation et exploiter les ressources naturelles.c)La promotion industrielle doit se limiter à des industries de transformation de produits agricoles, et, dans certains cas, à la production d'articles de consommation courante.d)Les pays bénéficiaires de ces investissements se compromettent à leur assurer le maximum de garanties politiques et Juridiques.e)Le développement économique ne peut se concevoir sans le respect du principe de ??l'interdépendance mutuelle dans le champ du commerce international et la division internationale déjà établie par les ??super pays capitalistes???: vendre des matières premières et acheter des biens manufacturés.f)Le financement des projets sans intérêt pour l'initiative privée, ou des plans de développement régional pourra être assuré par les organismes, tels la B.I.R.D. ou la EXIMBANK. L'?tat représenté par un gouvernement stable, de nature à exciter la confiance des ??bienfaiteurs?? aura un r?le d'assistant administratif, s’efforcera de promouvoir un plan national de développement assez vague d’ailleurs. Le recours aux services techniques des Nations-Unies et l'aide dite bilatérale des grands pays aideront ce processus de croissance.Le développement communautaire, la création de projets régionaux et d'un secteur moderne au sein de l'économie, impulseront les structures et permettront une évolution à ??petites doses.??Ces théories et pratiques recommandées aux pays sous-développés comme sésame du progrès, sont partie Intégrante de la doctrine du néocolonialisme. Dans leur substance, elles ont été à l'honneur en Ha?ti et d'une fa?on générale en Amérique latine [227] bien avant que le concept de néocolonialisme figur?t dans la terminologie des Sciences Sociales.Le vernis académique appliqué à ces formules de développement économique, ces dernières années, ne les a pas rendues plus salutaires. L'Homo Economicus, dans son désir de bénéfices maximum n'a pas su assurer le progrès global. Ainsi la perspective d'un changement sous l'optique individuelle? s'est révélée non seulement Inopérante, mais encore ennemie du développement économique ha?tien.Les concepts keynésiens “fonction-épargne". Investissement autonome en face de l'investissement induit, “productivité du capital” demeurent de pures abstractions. Pas question, en effet, d'appliquer la théorie de ??développement équilibré?? ou même sa variante de la ??grande impulsion???, à un cadre global où les éléments qui servent de pilier aux dites théories n’existent pas. Ce serait appliquer au sous-développement une thérapeutique con?ue pour des économies capitalistes m?res, une stratégie élaborée à partir de l'analyse keynésienne de la dépression.Lancer en même temps un grand nombre de projets moyens, de développement agricole et d'entreprises industrielles, de telle sorte que le tout arrive à s'embo?ter avec harmonie?; que la demande d'un secteur arrive à satisfaire l’offre d’un autre, en matières premières, en produits finis, en pouvoir d'achat, impulsant ainsi l'esprit d'entreprise et l'expansion du marché interne... voilà vraiment un idéal hors d’atteinte d'une société où prévaut la force d'inertie du sous-développement et la domination étrangère. Keynes écrivait?:??Je soutiendrai que les postulats de la théorie classique sont applicables seulement à un cas spécial et non au cas général. Les caractéristiques du cas spécial supposé par la théorie classique ne sont pas ceux de la société dans laquelle nous vivons, de là que ses enseignements trompent et deviennent désastreux si nous essayons de les appliquer aux faits de l'expérience?.??Entre le capitalisme monopoliste d'?tat, sous l'empire duquel a surgi la théorie keynésienne et la société dans laquelle a pris corps la doctrine classique, la distance est notoire. Mais, c'est tout un monde de contradictions qui sépare les grands pays capitalistes modernes de la réalité des pays sous-développés. L'attitude vis-à-vis des théories académiques doit donc dépasser [228] le doute cartésien quand il s'agit d’aborder la réalité du sous-développement. ??L'économiste doit avoir l'énergie suffi, santé pour mettre de c?té les grandes structures, à la fois vides et sans importance, les doctrines inadéquates, les points de vues théoriques grandiloquents?.?? ? partir de cette rébellion, i] est plus facile de trouver une stratégie du développement applicable à une réalité comme' celle définie par la présente étude.II. UNE TH?ORIE DU D?VELOPPEMENTRetour à la table des matièresCette théorie enseigne comment briser le cercle vicieux du sous-développement et, à partir de ce point de rupture, impulser un processus de croissance continue. Elle n'est point d'économie pure?; car les maux à guérir ne sont pas de nature exclusivement économique. Elle puise ses racines dans l'expérience du mouvement ouvrier et révolutionnaire mondial. Le contenu, l'orientation et les méthodes de la lutte de libération des peuples dépendants, l'ont enrichie considérablement. Elle se présente comme un guide s?r pour la Révolution ha?tienne. Le seul à partir duquel il est possible de tracer la perspective du développement national.De nombreux pays, traditionnellement en retard sur le plan économique, se sont engagés ces dernières années sur la voie du progrès. Parfois, la conquête de l'indépendance politique a constitué le point de départ. En d’autres cas, on s'est trouvé en face de mouvements nationalistes à objectifs économiques plus définis dirigés par la bourgeoisie locale, ou de tendances nettement populaires et socialistes.Malgré la diversité des nuances, ils présentent un dénominateur commun. Ils témoignent d'une révolte contre une réalité socio-économique Incompatible avec le progrès humain?; contre le statut d’enfant mineur misérable et exploité qu'on leur a trop longtemps imposé.Les expériences de Mexico, de l'Egypte, de la Guinée, de l'Algérie, du Viêt Nam, de Chine, de Cuba, demeurent à cet égard très édifiantes et enrichissantes. Tous ces pays, en totalité ou dans une certaine mesure, et chacun à sa manière, ont compris la nécessité de faire éclater les vieilles structures, créant ainsi les conditions institutionnelles du développement économiqueIls ont affirmé aussi un nationalisme économique et politique mobilisateur d'énergie et d'enthousiasme.Naturellement, libérer les forces productrices et lancer une communauté dans le chemin du progrès, cela exige un prix. Toutes les nations aujourd'hui économiquement avancées ont payé ce tribut, ou l'ont fait payer par d'autres, par les peuples [229] colonisés. PAUL Baran le souligne avec réalisme?:??Le développement économique implique le fait cru mais crucial qui a été négligé souvent si ce n'est toujours. Le développement économique signifie une transformation de grande portée dans la structure économique, sociale et politique, dans ^organisation de la production, de la distribution et de la consommation. Le développement économique a été impulsé par des classes et des groupes intéressés à un nouvel ordre économique et social, lesquels se sont heurtés toujours à l'opposition et aux obstacles de ceux qui préfèrent préserver le statu quo, qui s'attachent obstinément aux conventionnalismes sociaux existants et tirent des bénéfices innombrables, des modes de pensée, des traditions et des institutions en honneur. Il a toujours été marqué de conflits plus ou moins violents, il a procédé convulsivement, a souffert du recul et gagné de nouveaux terrains. Le développement économique n'a jamais été un processus suave et harmonieux qui se déroule placidement dans le temps et l'espace?.??Ainsi, la bataille du développement ha?tien dépasse le champ de la discipline stricte de l'économiste. Elle s'insère dans le cadre des mouvements socio-économiques et politiques, contre la faim et l'exploitation. Au sein de chaque communauté, ces mouvements prennent une tonalité propre, selon les conditions spécifiques, le degré d'antagonisme entre les classes et l'intensité des aspirations au bien-être des secteurs populaires.Ces conditions, en définitive, déterminent la nature de changements structurels, la nécessité d'accorder la priorité à telle ou telle réforme fondamentale, le degré de radicalisation des masses, le rythme et l'orientation de la révolution.L'économiste doit s'efforcer de découvrir les lignes globales et nécessaires de l'évolution socio-économique et comme être social s'identifier aux aspirations au mieux-être des grandes majorités.III. Le cadre institutionnelRetour à la table des matièresLes bénéficiaires de la présente structure économique ne sont pas indiqués pour être les protagonistes du développement ha?tien.Essentiellement, les plus intéressés sont les paysans pauvres et moyens qui intègrent les classes productrices les plus nombreuses du pays?; les ouvriers, anxieux d'améliorer leur condition de vie et d'être libérés du spectre du ch?mage?; c'est le secteur national de la bourgeoisie locale, désireux de voir agrandir le marché local et de rencontrer les conditions de [230] bénéfices maximum permettant l'accumulation du capital?; ce sont la petite bourgeoisie et l'intellectualité radicalisées, les milliers de jeunes et de vieux qui n'ont jamais eu un salaire considèrent l'emploi comme leur revendication principale.Ayant en main le contr?le de l'?tat, ces secteurs forment le cadre directeur et constitutif de la politique de croissance économique. Une nouvelle philosophie du pouvoir se dégage automatiquement du changement de mains de l'appareil d'?tat. La corruption administrative, le favoritisme, le parasitisme rencontrent les prémisses indispensables à leur disparition. Edmond Paul écrivait il y a trois quarts de siècle?: ??Une administration ha?tienne qui aura la valeur de relever aux yeux du peuple l'autel renversé de la moralité publique sera assez fort pour triompher de tous les obstacles?.??Autre condition essentielle?: celle d'en finir avec ce formalisme inutile et trompeur qui toujours a présidé au fonctionnement de la ??démocratie représentative?? ha?tienne. Ha?ti a connu presque autant de constitutions que de gouvernements. Les unes et les autres ont stipulé des principes les plus libéraux et avances du point de vue formel. Mais toutes ont eu ce trait commun de ??ne porter la marque d'aucune des conditions dans lesquelles nous vivons et desquelles on devrait tenir compte?.??. Elles ont toujours servi à masquer la réalité, le contenu et les méthodes de la domination des classes dirigeantes. La ??démocratie représentative?? ha?tienne s’en est trouvée dépourvue de son contenu réel, et réduite à une fa?ade effritée.Une politique authentique de développement économique ne se peut concevoir sans faire table rase de ces néfastes conceptions?; sans déraciner aussi le centralisme abusif qui depuis toujours concentre aux mains d'un homme tous les pouvoirs de l'?tat. La nécessité de cette décentralisation ne s'arrête pas au simple point de vue technico-bureaucratique. Elle implique l'élargissement de bases de recrutement de la machine administrative et l'intégration à celle-ci de la paysannerie et de la classe ouvrière.Cette intégration est une gageure impossible à atteindre?: ceci, si on l'envisage au sein des structures actuelles. Elle est à la portée d'un régime révolutionnaire au sein duquel les organisations politiques, et économiques de masse?: syndicats, coopératives mutuelles, filiales de partis, constituent les bases de la structuration du monde rural. L'expérience d'organisation politique de la Guinée? ou de Cuba demeure de toute utilité. Elle [231] montre comment les populations rurales, même analphabètes, peuvent participer constructivement et avec conscience à la machine politique, une fois leur éducation entreprise.Depuis toujours, la paysannerie a été considérée comme UI1e base amorphe incapable de tout sinon de se laisser exploiter. Cependant, sa participation à la gestion nationale, et les bénéfices qui en découleront sont de nature à susciter un enthousiasme sans borne. Or, on sait l’importance de ce facteur comme levier du développement économique...La mobilisation des populations paysannes dans la bataille du développement demeure ainsi le gage le plus s?r d’une transformation rapide de la physionomie du monde rural et de l’acheminement de l’économie globale vers le progrès ment arriver à cette mobilisation??Le cadre institutionnel actuel et traditionnel ne peut convenir à une telle entreprise. L’agent de police rurale, en ces offices de tortionnaires, le magistrat ou le capitaine d’arrondissement suscitent plut?t la peur, ils ne peuvent en aucun cas faciliter cette mobilisation. Les promoteurs les plus indiqués de cette campagne sont les cadres politiques du Parti de la Révolution, les plus proches de la vie rurale, par leur occupation ou leur origine?; c’est-à-dire les propres leaders paysans et des militants urbains mus par leur conscience de classe, le volontariat, l’esprit d’abnégation. Doit être recherchée, la collaboration des agronomes et agents agricoles, des instituteurs ruraux et de la fraction progressiste du clergé, surtout s’ils acceptent de participer dans un esprit nouveau à cette t?che. La multiplication des coopératives de production et d’entraide dans le cadre de la réforme agraire, la fondation d'agglomérations rurales communautaires correspondant à un plan logique et fonctionnel de regroupement des populations fournissent les bases économiques et humaines de cette structuration systématique et de la mobilisation de la paysannerie. Les populations urbaines à travers leurs éléments les plus dévoués au progrès national, les plus dynamiques et les mieux éduqués politiquement viennent grossir le front de la Nation entière dans la bataille pour la production.??Intéresser toute cette grande majorité de nos populations aux idées d’un ordre social meilleur, aux véritables conditions d’une vie prospère et paisible, faire revivre en elle avec le sentiment jaloux de la dignité nationale celui de la solidarité civique et fraternelle, c'est les porter d'enthousiasme à la défense des institutions bienfaisantes et du Gouvernement qui les garantit?.??.[232]IV. La planification du développementRetour à la table des matièresTout d'abord, il convient de déterminer les objectifs de cette planification?: le développement économique étant un concept tellement vaste, il convient de mesurer la portée exacte et l’ampleur des objectifs à atteindre, selon un ordre de priorité à établir en fonction du degré de développement déjà existant, des moyens dont on dispose et de la propre philosophie qui guide l'effort de développement.Ha?ti est un pays terriblement pauvre, avec une population vivant dans son écrasante majorité, dans la plus grande misère physique et intellectuelle. Tout programme de développement répondant aux besoins réels doit avoir pour objectif une révolution radicale dans les conditions de vie de l'homme ha?tien, le transformant d'individu sous-développé qu'il est dans l'actualité en un homme à la hauteur des nécessites, exigences et possibilités du monde actuel. L’augmentation rapide et constante de la production des biens matériels, base de cette transformation, implique une utilisation pleine et chaque jour plus effective des ressources matérielles et humaines de la Nation. Ceci suppose un effort tendant à l’abolition de toute forme de gaspillage des richesses nationales et à l'éradication de l’exploitation de l'homme par l'homme. A l'heure actuelle, la carence des données statistiques et l’inexistence de l’investigation scientifique rendent impossible l’établissement d’un bilan approximatif des ressources pouvant être mobilisées dans la bataille de développement économique. Cependant, comme base de programme, on peut détacher les insuffisances ou limitations suivantes dont on doit tenir compte, ainsi que les ressources effectives et potentielles dont l'utilisation sera d’un grand apport.D’une part?: a)Le manque de capital et le niveau insignifiant des investissements.b)La faible productivité du travail et le retard technique.c)Le caractère limitatif du facteur terre comme conséquence de la faible superficie de sol durable et de l’action nocive de l’érosion.d)Le manque de connaissances précises quant aux ressources du sous-sol immédiatement exploitables.e)La déviation, vers des fins non productives, d’une fraction importante des richesses produites, leur accaparement des fins personnelles par des minorités nationales ou étrangèresD'autre part, les facteurs positifs?:a)Un capital humain considérable, constitue par la nombreuse force de travail désoccupée ou sous-occupée comme [233] signalé antérieurement. (120 millions de journées de travail par an, 50% de la population de moins de vingt ans.)b)Des ressources de capital mal utilisées, détournées de la production, lesquelles peuvent être mobilisées par une politique économique adéquate.c)Des ressources agricoles non utilisées, constituées par des terres cultivables mais non cultivées, des propriétés exploitées au-dessous de leur capacité productrice, des produits agricoles industriellement traitables.d)Des ressources du sous-sol non utilisées (comme le lignite du plateau central dont la prospection s'est révélée positive)?.e)Des ressources en houille blanche évaluées à 139?986 kw, soit un potentiel capable de couvrir les besoins nationaux en électricité à un premier stade de développement?.f)Des ressources marines très faiblement exploitées, malgré les 1450 km de c?tes d'Ha?pte tenu de cette situation, dans la première étape du développement, la ligne ma?tresse de la planification doit donc s'affirmer à consolider et développer au maximum les facteurs positifs tout en s'effor?ant d'affaiblir les insuffisances et limitations découlant de l'ordre des choses passées. Cette politique initiale permet la mise en branle de l'économie en attendant ainsi d'arriver à un bilan précis des ressources nationales. Elle procure des bases d'évaluation concrète pour la consolidation d'un plan ferme. La réalisation de cette première t?che de la planification, se fait à travers les différents secteurs économiques dont les efforts seront coordonnés le plus étroitement possible par une Junte centrale de planification. L'action flexible de cet organisme s'exerce en étroite liaison avec les offices de réforme agraire, de contr?le du commerce extérieur, de promotion industrielle et autres. Elle impulse et contr?le l'évolution et l'action des secteurs suivants?:a)Le secteur d'entreprises d’?tat, créé à partir des terres appartenant à l'?tat féodal. Ces entreprises, exploitées selon une technique adéquate, servent de moteur à l'économie agricole dans son ensemble et constitueront la base d'une industrialisation agricole.b)Le secteur d'économie coopérative, constitué dans l'agriculture à partir de la réforme agraire, dans l'artisanat et la petite industrie, gr?ce à une politique systématique et intelligente de coopérativisme.c)Le secteur d'économie privée, constitué par les entreprises [234] petites et moyennes agricoles déjà existantes et aussi par les entreprises commerciales et industrielles capitalistes convenant aux intérêts nationaux.d)Un secteur d'économie mixte, résultant de la collaboration entre l'?tat, d'une part, et le secteur privé ou coopératif de l'autre.Ces divers éléments du front de combat commencent à se définir à partir de la réforme agraire. Celle-ci est, en définitive, la deuxième grande bataille à gagner dans le cadre de la stratégie du développement économique ha?tien, la première étant le contr?le du pouvoir politique par les secteurs de la population vitalement intéressés à la réforme agraire et au développement économique.V. LA R?FORME AGRAIRE INT?GRALERetour à la table des matièresLa réforme agraire est un impératif urgent sans lequel la Nation continuera pour longtemps encore à mener une existence misérable. Sans une réforme agraire sérieuse, profonde et bien adaptée aux réalités économiques et sociologiques ha?tiennes, le progrès sera seulement un mirage.Cette urgence de la réforme agraire découle en toute logique de la nature des problèmes de l'économie rurale de la nécessité de mettre un terme à l’anarchie de la possession de la terre, et d'organiser sur des bases modernes la production agricole. Tout ceci en créant des formes d'exploitation adéquates... en systématisant la vie rurale et le peuplement en fonction des exigences du progrès humain.Il vaut la peine de signaler le peu d'attention prêtée aux problèmes agraires par l'élite intellectuelle et les hommes d'?tat. Louis Joseph Janvier, en 1889-90, préconisait vaguement une réforme dans l'appropriation des terres et signalait la convenance d'appliquer en Ha?ti la ??grande culture collective?? partant de concessions, de la part de l’?tat, d'Habitations entières à des associations de paysans???. Cependant, très rares sont ceux qui ont posé la question agraire avec réalisme et en connaissance de cause. Quand le silence le plus absolu n'a pas entouré cet important problème, la fable selon laquelle ??chaque paysan a son lopin de terre?? a alimenté l'agrarisme, digne d'Ovide, de certains intellectuels?; a camouflé en tout temps le latifundisme expansif de grands fonctionnaires. L'administration actuelle, sur le plan législatif et formel, a tenté d'aborder la question. En témoignent le nouveau code rural, ou la réforme agraire annoncée en 1959. L'impossibilité de les appliquer montre suffisamment que pour réaliser une t?che d'une telle envergure, [235] il faut des objectifs autres que la ??raison politique du moment??. Un gouvernement appuyé par les grands planteurs, la classe moyenne ou le haut commerce, ne peut absolument réaliser la réforme agraire ou codifier la vie rurale à l'avantage réel des paysans.Une tendance assez bien dessinée des cercles administratifs tout en reconnaissant l'importance de la question agraire, a voulu la centrer, sur le plan agronomique et de l'assistance technique. Il convient d'insister là-dessus?: la question agraire ha?tienne n'est pas de nature essentiellement agronomique?; sa solution dépend en premier lieu des modifications dans le mode de production agricole et de possession de la terre.De même, il arrive à certains d'exagérer l'incidence du cadastre, en subordonnant tout effort de transformation de l'économie rurale à son relevé antérieur. ? la vérité, la plus urgente nécessité sur le plan agricole n'est point de dresser le cadastre?; cette entreprise technico-bureaucratique difficile peut durer des années. Le principal est de mettre en branle la réforme avec les moyens d'information réduits dont on dispose. De fa?on parallèle à cette réforme et gr?ce à elle, le matériel cadastral s'enrichira jusqu'à constituer un relevé global de la nouvelle structure issue de la réforme.Une attitude différente conduit à voir dans les programmes de Développement de la Communauté préconisés par les Nations-Unies ou l’Office National de Développement Communautaire (O.N.E.C.), la solution du problème rural. Un plan global de développement des communautés rurales, financé par l'aide étrangère, encouragé par les pouvoirs publics pourrait sauver la situation. Là encore, l'erreur fondamentale est de croire aux solutions partielles, superficielles qui changeraient les lignes sans modifier la base et construiraient à partir de fondations vermoulues un complexe bien constitué et solide.Analysant la question agraire, on a vu sa complexité, la force des intérêts créés, la profondeur des traditions économiques et sociales. De ces données se dégagent la voie à suivre, les moyens à adopter pour résoudre ce problème fondamental. Ces voies et moyens sont présents comme un ensemble organique, bien articulé, dont les diverses parties sont Inséparables. Mais en aucun cas ils ne peuvent être considérés comme rigides. Ce sont seulement des lignes approximatives, permettant de définir le sens, le contenu de la réforme. En définitive, la priorité à accorder à telle ou telle mesure dépend du rapport des forces de classes, des nécessités et urgences pouvant surgir en cours d'exécution.L’organisme chargé de la planification et de l'exécution de cette entreprise doit se distinguer par sa discipline, sa compétence, l'esprit créateur et le dévouement militant de son personnel [236] à tous les degrés. L’étendue de ses moyens administratifs, techniques et financiers doit correspondre à la multiplicité des fonctions à sa charge1)La réalisation d’investigations rigoureuses, permettant d'établir dans un délai relativement court, le relevé des terres de l'?tat et des grandes propriétés particulières. Le registre des affermages et les archives existant au service des Contributions, les pièces légales des transactions foncières des notariats et bureaux d'arpentage, l'épluchement intelligent des données du recensement de 1950 et la réalisation d'enquêtes régionale ou locales appropriées, fourniront suffisamment de matériel à cette fin.2)L'élaboration de plan type d'exploitation agricole moderne, à partir des caractéristiques économiques, géographiques et agricoles des diverses propriétés touchées par la réforme agraire. Ces plans permettent de déterminer s'il convient de développer l'économie coopérative dans telles exploitations ou promouvoir les formes directement gérées par l'?tat. Ils prévoient la nécessité et les modalités d'opérer certaines modifications dans la nature du peuplement régional. Leur conception et leur exécution sont à charge de techniciens agricoles, d'éducateurs, de propagandistes et de coopérativistes.3)La promotion coopérativiste à large échelle, y compris la préparation des cadres, dans l'économie agricole proprement dite et ses champs d'application dans l'artisanat, la pêche, l'industrie, la production d'électricité, la consommation, etc.4)L'étude des questions de financement, de coordination des disponibilités de crédit, d'acquisition de matériel technique nécessaires à la modernisation de l'agriculture.Une fois mis en marche cet important complexe administratif, l’initiation de la réforme agraire peut être effective. Il est nécessaire d’adopter un plan d'exécution qui tient compte des insuffisances des données statistiques et du nombre restreint des cadres dont on dispose. Un tel plan permettra de contrecarrer efficacement les tendances à la précipitation, les effets adverses de la propagande des forces liées au statu quo. La séquence suivante appara?t comme la plus logique, sous réserve des modifications pouvant être imposées au départ par des facteurs politiques imprévisibles et des nécessités concrètes de type économique.Première étape, l’?tat ha?tien propriétaire de plus du tiers du territoire applique la réforme agraire sur ses propres terres, en les remettant à ceux qui les travaillent. Les dizaines de milliers de fermiers, métayers, gérants, sous métayers qui les exploitent selon des modes de production féodale, re?oivent en [237] usufruit les terres qu'ils occupent. Ils sont libérés de l’obligation de payer la rente foncière. L'?tat ne se contente pas de donner la terre, il applique la réforme agraire intégrale, c'est-à-dire impulse l'organisation des coopératives de production, fournit l'assistance technique, le crédit, les facilités de vente des produits de la terre. La création de véritables hameaux coopératifs, de ??lacous?? modernes permet d'associer les objectifs économiques de la réforme agraire, aux fins sociaux et culturels, tels la lutte contre l'analphabétisme et la maladie.Parallèlement au développement de ce secteur coopératif, l'?tat met en exploitation sur un certain nombre de ses terres, de grandes entreprises modernes dont l'organisation rapide et efficiente sert de base expérimentale à la promotion agricole. Ce type d'exploitation établit la propriété sociale des moyens de production. Il constitue avec l'économie coopérative les formes idéales de moderniser le monde rural ha?tien?; de diversifier la production agricole et l’élevage et d'augmenter les revenus agricoles, créant ainsi un marché interne pour le développement industriel. La colonisation des terres des ?les adjacentes, la mise en culture de toutes les superficies cultivables appartenant à l'?tat et demeurées vacantes augmentent considérablement la superficie des terres exploitées et étendant à une fraction considérable de la population rurale, les bénéfices de la réforme introduite dans l'économie et les fermes de peuplement de l'espace rural ha?tien.La révolution agraire ha?tienne dans sa première étape stratégique d'exécution permet ainsi?:1)De commencer l'extirpation des formes semi-féodales et archa?ques de production agricole. D'améliorer les conditions de vie des paysans par l'abolition de la rente foncière et l'augmentation des revenus réels.2)De mobiliser un ample secteur de la population agricole en mettant à nu, du même coup les contradictions existant au sein de l'économie latifundiste privée entre les propriétaires rentistes et les travailleurs de la terre.3)De fortifier la confiance de la paysannerie dans le succès de la réforme, de lui donner une conscience claire de l'identification de ses intérêts avec ceux du pouvoir politique, de sa participation réelle au pouvoir.4)De montrer aux plus hésitants petits propriétaires un exemple concret de ce qui peut être réalisé quand le paysan participe comme coopérativiste ou travailleur d’une ferme d’?tat à l’organisation de l'économie rurale. C'est là un facteur psychologique de premier ordre dans le succès total de la réforme.5)D'aider à l’utilisation rationnelle de l'enthousiasme paysan et de l'immense force de travail inutilisée dans la paysannerie, [238] à des fins diverses, les plus urgentes, les plus profitables à brève échéance à l'économie nationale.6)D'augmenter sensiblement la production agraire et l'élevage. Cette augmentation des biens exportables et de ceux destinés à l’économie interne vient augmenter les revenus du secteur considéré et impulser l'économie agricole en son ensemble.Cette première étape prépare le passage à la phase suivante. Elle ne peut être considérée comme un processus isolé et indépendant de cette deuxième. Elle est moins une phase chronologique qu'une étape logique de la réforme agraire dans un pays comme Ha?ti où l'?tat est propriétaire terrien et où les données sur la propriété foncière sont extrêmement incomplètes. Cependant, on doit tenir compte du fait que beaucoup de terres de l'?tat ne sont pas cultivables, qu'une bonne partie des propriétés semi-féodales privées constitue les meilleures terres du pays. De plus, beaucoup de propriétés d'?tat ont été accaparées par des fonctionnaires qui les ont converti de fait comme de droit en leur propriété privée. Il est donc nécessaire de considérer en fonction des conjonctures politiques financières et économiques dans lesquelles se réalise la réforme, la possibilité de combiner du même coup la lutte contre le latifundisme privé et le latifundisme d'?tat, en réalisant simultanément dans ces deux secteurs la conversion de l'économie semi-féodale en économie de type social. D'ailleurs, du point de vue politique, économique, cette tactique offre de sérieux avantages. Elle dépend, en définitive, de l'ordre de bataille des forces sociales.Une question se pose quant à cette première étape?: puisque les actuels occupants des terres de l'?tat disposent de portions variables, en remettant à chacun la terre qu'il détient, n'existe-t-il pas le danger de créer une inégalité démoralisatrice pour le détenteur de petites superficies?? Ne convient-il pas de déterminer une certaine limite dans les dotations?? Ces questions pourront être étudiées et résolues sur la base de données précises par l'institut de Réforme Agraire. Il serait sage de fixer une marge de variation en tenant compte des différences dans la qualité des terres, de la nécessité de faire bénéficier les paysans sans terre des avantages de cette première étape et de l'obligation de ne point fractionner une fois de plus un régime d'exploitation agricole déjà pulvérisé dans une large mesure. Ce dernier aspect revêt une importance capitale. L'un des moyens les plus effectifs d’une réforme agraire intégrale, pour augmenter la productivité de la terre et du travail, est de Constituer des exploitations dimensionnellement économiques. Elles permettent de bénéficier des avantages techniques et d'organisation de la grande propriété. C'est pourquoi, tout en fixant un maximum [239] de 5 carreaux, par exemple, soit 6 ha 5, les parcelles des propriétés d'?tat à distribuer à un même exploitant, un effort systématique s'impose en vue de constituer des fermes expérimentales d'?tat et de grandes coopératives de production agricole?; des dispositions légales sont prises, par ailleurs, pour que les parcelles individuelles restées en dehors de l'intégration, en grande unité demeurent inaliénables et insaisissables.La deuxième phase de la réforme agraire vise essentiellement à détruire les survivances féodales liées en Ha?ti à l'accaparement par un petit nombre de propriétaires d'une fraction importante des terres cultivables. Elle vise aussi à déraciner le monopole étranger exercé sur d'importants secteurs de la production agricole. Au moyen de cette forme de propriété, la présence impérialiste se maintient, sa pénétration s’accentue, des bénéfices considérables se réalisent, qui s'en vont à l'étranger comme dividendes. Aussi, qu'il s'agisse de la grande propriété exploitée par l'intermédiaire des entrepreneurs et gérants, ou non mise en culture par son propriétaire, de la moyenne exploitée à travers les gérants, ou de la petite propriété submarginale occupée par les deux moitiés, ce mode de production semi-féodale est une entrave à l'impulsion de l'économie agricole et doit dispara?tre.Dans son essence et ses méthodes, cette phase ne diffère nullement de la première. Elle abolit la grande propriété foncière, la rente féodale, détruit l'absentéisme, met en valeur les terres non cultivées. Les rapports de production de type archa?que sont substitués par de nouveaux plus rationnels, tendant à faire dispara?tre l'exploitation du paysan. Les entreprises coopératives et d'?tat font augmenter considérablement la production. En plus des anciens exploitants de ce secteur, un important contingent de paysan sans terre, de salariés ruraux, et de ch?meurs est intégré à la production sociale comme coopérativistes.Les méthodes à utiliser pour atteindre ces objectifs doivent se baser sur l'éducation révolutionnaire des masses paysannes, gr?ce à un travail systématique et patient de diffusion des avantages et de la nécessité du changement. ? cet égard, les succès atteints dès le début de l'application de la réforme jouent un r?le d'exemple sur lequel on n'insistera jamais trop. La coercition légale n'arrive jamais à substituer l'éducation et la propagande, sinon à compléter leur effectivité dans le cas seulement des groupes qui ont des intérêts personnels à défendre et s'opposent totalement aux rénovations progressistes.L'organisme chargé de la réforme, sur la base des investigations effectuées et des données recueillies sur le nombre, la position, l'étendue et les conditions de culture des grandes propriétés privées existant en Ha?ti peut ainsi établir des données [240] précises servant à déterminer la superficie optimum, les formes d'expropriation et d’indemnisation des propriétés expropriées Au sujet du concept de superficie optimum, il vaut la peine de rappeler qu'en se référant à la grande propriété en Ha?ti, il faut tenir compte non de la superficie absolue de telle ou telle propriété, mais de son extension en relation avec la moyenne généralement possédée. Antérieurement, il a été défini comme grande propriété toute expansion d'un seul tenant à partir d'une quinzaine d'hectares. L’article 17 du projet de loi de réforme agraire de 1959, considérant la superficie maximum autorisée à un propriétaire, prévoyait 20 carreaux d'un seul tenant, 40 en diverses zones, et 60 s'il s'agit de terres propres à l'élevage?. Donc, seul l'organisme de la réforme agraire peut, sur la base d’études spécifiques, décider des dimensions optima autorisées. Etant donné la diversité des formes de l'économie semi-féodale (gérance, fermage, métayage, sous métayage), la pulvérisation des exploitations rurales en certains cas, l'application d'une réforme profonde exige une laborieuse besogne. Celle-ci est possible. La mobilisation de la paysannerie, la décision, la compétence des dirigeants, la vigueur politico-sociale de la révolution, autant de facteurs permettant de surmonter tous les obstacles internes, externes qui peuvent se dresser à l'instauration de cette réforme en profondeur.L'accomplissement de la troisième étape demande un temps plus long. Son objectif définitif est de permettre la transformation en établissements économiques et rentables des petites et moyennes parcelles de subsistance travaillées directement par leur propriétaire et les membres de leur famille. Le remembrement partant de l'économie coopérative est le seul capable de modifier radicalement les conditions d'exploitation du petit propriétaire individuel. Celui-ci n’emploie pas d'engrais ni de semences sélectionnés et n'a pas de revenus suffisants pour améliorer son fonds d'exploitation par des investissements périodiques. La réforme agraire, pour compléter sa t?che, doit tendre à la réalisation du remembrement. Plus que partout ailleurs, il faut agir sans précipitation, avec prudence et utilisant toutes les ressources de persuasion et d'éducation. Seulement ainsi on peut arriver à faire comprendre au petit paysan propriétaire, parfois fortement individualiste, les avantages qu'il tirera de la coopération. Encore une fois, une entreprise de cette nature ne peut être l'?uvre d'un jour.Encore serait-il illusoire de penser à faire dispara?tre de cette fa?on toute la petite économie agricole. Il peut subsister durant longtemps encore des moyennes propriétés individuelles, se suffisant à elles-mêmes, économiquement rentables, assurant [241] à leurs possesseurs des revenus élevés. Cela est parfaitement compatible avec une économie agricole organisée. Il rentre dans le cadre des desseins de l'organisme de la réforme agraire de leur proportionner une assistance technique.? cette hauteur, la réforme agraire aura accompli une partie importante de sa mission en donnant la terre aux paysans qui la travaillent, en modernisant l'organisation de la production agricole introduisant des modes de production plus rentables et équitatives, en fournissant le crédit et l'assistance technique aux cultivateurs, en facilitant les mécanismes de marché et la commercialisation de la production. Mais sa finalité ne s'arrête pas là, elle doit transformer du tout au tout la vie rurale ha?tienne et être le puissant moteur du développement économique.VI. ORGANISATION RURALEET COOP?RATIVE.Retour à la table des matièresL'esprit et le mouvement coopératifs, largement compris et appliqués sont appelés à fournir les cadres méthodologiques, économiques et humains d'une organisation du monde rural.??Il existe en Ha?ti, dans le secteur agricole surtout, un climat extrêmement favorable à la pénétration et à l'extension des idéaux et la pratique de la coopération. Comme on le sait, l'économie du pays repose essentiellement sur l'agriculture et celle-ci se trouve dans un état presque complet d'inorganisation. Aussi la coopération. Si elle est bien appliquée, peut largement contribuer à l'éducation générale et à l'avancement technique et culturel d'un grand nombre de paysans. En même temps, elle permettra de relever le niveau de vie de l'ensemble des populations rurales et automatiquement de donner un réel essor à l'économie tout entière?.??L'expérience du mouvement coopératif, dans ces dernières années, montre, sans l'ombre d'un doute, que ce mouvement répond à un besoin organique des masses rurales appauvries. Ce besoin se manifeste presque spontanément en un élan populaire vers cette forme d'organisation économique et sociale. Cependant, le dévouement de quelques promoteurs coopératifs n'a pas été suffisant. Le faible intérêt des pouvoirs publics a seulement porté le mouvement coopératif à entrer dans un processus [242] lent de croissance.Dans le cadre de la stratégie du développement, le mouvement coopératif, beaucoup plus qu'un élan spontané et timide et un effort désarticulé, constitue un système d'organisation et de vie sociale.Il est inspiré par un esprit de coopération qui viendra imprégner les classes productrices les plus conscientes.Ce système s'appliquera en premier lieu dans le champ de la production agricole et de l'organisation de la vie rurale.Nombre de ceux qui se sont intéressés au problème agraire ha?tien reconnaissent que les formes du peuplement liées, celles-ci à la topographie et à l'économie, tendent à freiner le développement agricole...En fonction des programmes éducatifs et de la nécessité d'améliorer les conditions de vie paysanne, on devra donc regrouper la population rurale selon des plans bien définis.On construira de nouvelles communautés rurales, dans le voisinage des coopérations agricoles, en tenant compte, bien entendu, dans chaque cas, des facilités de communication et autres facteurs de géographie économique?.De telles communautés aideront à tirer en un temps relativement bref, les masses de leur existence moyen?geuse, rompront leur isolement au moyen de l'électricité, de l'alphabet?; leur apporteront l'eau potable, l'attention médicale, le progrès?; en un mot, tout ce qui constitue l'apanage minimum d’un homme du XXe siècle.Verra le jour, dans chaque coopérative, un ensemble de coopération ou de fermes d'?tat, un village de cinquante à cent familles, doté de maisons hygiéniques, écoles, dispensaires, pharmacies, centres récréatifs et culturels, marché moderne, etc.Ici, l'expérience collective directe s'allie à l'aide créditrice et technique de l'?tat, sous la supervision et gr?ce à la promotion de cadres politiques dévoués et polyvalents?: ainsi, tout en respectant et en vivifiant la vieille tradition nationale du “lacou”, l'adapte aux exigences du développement humain.Cette conjonction de la réforme agraire et du coopérativisme dans une formule d'organisation du peuplement a été ébauché il y a douze ans par l'anthropologue Rémy Bastien. ??On devra étudier les meilleures méthodes pour réaliser une redistribution des terres et leur exploitation en forme coopérative, en créant des “lakus” artificiels et ordonnés... Ce système constitué de lakus artificiels permettra, avec plus de facilité, l'introduction de semences sélectionnées, l'usage d'engrais, la rotation de culture [243] et une attention rationnelle des caféiers. De plus, ces “lakus” pourraient être le point de départ de centres expérimentaux, pour la nouvelle orientation qui doit être donnée à l'agriculture?.??Bien que montrant seulement un aspect réduit de l'organisation possible de ces lacous et de ses avantages, l'opinion de l'anthropologue ne manque nullement de réalisme et de rigueur économiques?: la voie d'une organisation économique efficiente, socialement et culturellement profitable aux masses rurales, passe par une modernisation de type collectif du peuplement, laquelle doit s'intégrer dans le contexte d'une révolution agraire.Il convient maintenant de montrer l'amplitude du champ d'application du coopérativisme, en tenant compte des caractéristiques, nécessités et ressorts de l'économie, de l'opinion de certains spécialistes et du bilan de l'expérience ha?tienne en la matière.L'importance exagérée des petites exploitations agricoles semble condamner Ha?ti à trouver son salut économique dans la promotion systématique des coopératives de production agricole. Un précédent, la coopérative agricole de Fermathe, premier effort de ce genre entrepris dans le pays. Elle a été réalisée dans une ambiance générale peu propice et de nature à lui imprimer a priori un caractère purement expérimental. Elle groupait sur 50 km2 environ quelques dizaines de familles paysannes dédiées à la culture de produits mara?chers. Elle s'est révélée ??le témoignage frappant des résultats qu'on peut obtenir gr?ce à la forme coopérative?.??.Dans le cadre d'une transformation structurelle du monde rural, cette expérience corrigée, multipliée à l’échelle nationale, transformera des dizaines de milliers de petites exploitations submarginales en unités économiques rentables.??L'agriculture d'abord, avec une absolue priorité, l'artisanat ensuite, offrent au mouvement coopératif des champs d'action tellement vastes et tellement fertiles que c'est là seulement (surtout?*) qu'il faut concentrer tous les efforts, tant humains que matériels, dont le pays dispose?.??Gr?ce à ces communautés, l'écoulement des produits cultivés dans les coopératives de production est assuré. Ceci, de [244] concert avec les services spécialisés de l'institut de Réforme Agraire qui peut aider à organiser la vente à tous les échelons depuis la mise en place des silos jusqu'à la livraison des biens de consommation.La standardisation des poids et mesures, l'usage des balances, l'élimination des intermédiaires, le stockage systématisé, l'achat par l'institut de tous les produits qui ne sont pas objet d'une demande immédiate, autant de mesures de nature à stimuler la production et à augmenter le pouvoir d'achat des paysans, le marché de consommation interne, s'en ressent favorablement.A ce dernier égard, il est important d'accorder une attention soutenue aux rythmes d'évolution simultanée et de l'offre et de la demande des produits agricoles et de l'élevage. Un effort sérieux doit être entrepris pour ajuster dans la mesure du possible la courbe de l'évolution de l'offre à celle de la demande. La solvabilité des grandes masses, sensiblement multipliées par l'abolition de la rente foncière, par l'augmentation de la productivité et de la production, peut devenir, en effet, brusquement supérieure à l'offre des produits de consommation courante?: d'où des risques de restrictions ou de hausse exagérée des prix.L'expérience montre les dangers de restrictions catastrophiques pouvant na?tre de l'augmentation explosive de la demande de consommation, quand l'augmentation de la production n'est pas parallèle?. Dans un pays comme Ha?ti, par manque de revenus suffisants, la paysannerie a toujours été sous- alimentée à un point inhumain. La réforme agraire et l'organisation coopérative multiplient les revenus stimulant la consommation de nature à provoquer la phase de gestation de la nouvelle société des déséquilibres pouvant retarder le développement économique.Pour ce qui se réfère aux autres formes d'application du co-opérativisme, des possibilités concrètes s'offrent.En premier lieu et dans le prolongement de l’activité purement agricole, la création d'entreprises artisanales et industrielles dérivées de l'agriculture. Elles permettent d'utiliser toute une gamme de richesses généralement gaspillées et sous-utilisées, d'élargir l'emploi au niveau rural, d'augmenter l'offre sur le marché d'exportation des produits de la petite industrie, d'économiser des devises.L'expert des Nations-Unies, Luther Ray, signalait cette possibilité il y a dix ans, suggérant aussi des petites industries à installer dans les voisinages des villes?.[245]La constitution des coopératives artisanales permet de grouper les artisans ruraux, vanniers, tisserands, couteliers, etc. dans des ateliers rentables et efficients. Des entreprises plus importantes sont aussi réalisables?: des fermes d'élevage, des laiteries, des beurreries n'exigent pas des investissements élevés et sont aisément exploitables collectivement. Il en est de même des distilleries. Chez nous fonctionnent quelque 637 distilleries, selon des techniques guère différentes de celles de l'époque coloniale. Dans la seule zone des Cayes, elles sont au nombre de 50 environ?; il y en a près de 230 dans le Nord?. La conversion ou la fusion de ces installations régionalement groupées en coopératives de production aide à moderniser la technique, à standardiser les produits et à augmenter la production à fins d'exportation.L'organisation rationnelle de la pêche par voie coopérative se présente à la portée d'un travail systématique. Il s'agit d’éliminer l'importation de près de 1.5 million de dollars annuels de poissons et conserves et de constituer le point de départ d'une industrie de la pêche.Le coopérativisme aidera aussi, dans une certaine mesure, à l'?uvre d'électrification de certaines régions du pays où des rivières se prêtent à la construction de petites centrales électriques et où la population est en mesure de coopérer à l'acquisition des dynamos?.Dans les villes, les champs d’application sont tout aussi nombreux. Un nombre considérable d’entreprises artisanales archa?ques souffrent de la concurrence des industries étrangères et de l'inexistence d'une législation fiscale tant soit peu protectionniste. Tailleurs, cordonniers, ébénistes, forgerons, etc., autant de constituants possibles des coopératives de production, dans le cadre d'une politique d'impulsion Coopérative. Même des moyens, grands producteurs travaillant à l'échelle de l'industrie peuvent profiter des conditions appropriées, créés pour se grouper en sociétés coopératives, ou participer avec l’?tat dans certaines entreprises mixtes. Une telle expansion du coopérativisme suppose l'intérêt, l'impulsion planifiée des pouvoirs publics et une ambiance générale favorable aux idées et aux pratiques coopératives. En plus, elle exige une intense campagne de diffusion et d'éducation. Par tous les moyens possibles, il s’avère indispensable de préparer les cadres, d'éduquer aux idéaux et techniques coopératifs, la jeunesse, les étudiants des lycées et universités, des écoles professionnelles.Par ce moyen, bien au delà des objectifs purement économiques, [246] le coopérativisme le plus large permet de satisfaire certaines urgences nationales qui dépassent par leur amplitude les moyens d'un gouvernement, pour se situer à la portée de l'instinct de conservation et de progrès d'un peuple. L'alphabétisation se réalise en un court terme, l’éducation donne au peuple la conscience de son r?le historique. Les mornes rongés par l’érosion sont plantés de pousses jeunes, les terres incultes s'offrent au labour de l'homme, les routes sillonnent le pays... Ainsi, à la faveur de la grande coumbite des travailleurs de la terre, de la coopération des gouverneurs de la rosée, Ha?ti peut sortir de sa léthargie...VII. CONTR?LEDU COMMERCE EXT?RIEUR.Retour à la table des matièresL'étude des transactions d'Ha?ti avec l'étranger a montré combien démesurée se trouve l’importance du commerce d'exportation dans l'ensemble des mécanismes économiques nationaux. La nature du déséquilibre qui en résulte, sa profondeur, ses conséquences sur les perspectives de développement ont été analysés dans leurs divers aspects. Le commerce extérieur n'est soumis à aucune politique cohérente, à aucune règle orientée tant soit peu vers l'avancement économique de la Nation. M. Jourdan faisait de la prose sans le savoir... de même, Ha?ti, en matière de commerce international, pratique depuis presque toujours le libéralisme, le laissez-faire le plus insouciant, lequel correspond d'ailleurs aux intérêts des classes ou strictement personnel des détenteurs du pouvoir et de leurs alliés.Dans la ligne d’un développement rapide et planifié, de l'économie nationale s'avère indispensable une réforme dans la structure, l'orientation et le contr?le du commerce extérieur. Cette urgence na?t de la nécessité de mobiliser toutes les ressources du pays vers des activités rentables, de nature à créer de nouvelles sources d'emploi et à s'intégrer dans l'effort de planification. Elle découle de l'exigence d'orienter vers la production l'excédent économique national, traditionnellement accaparé par un petit nombre de commer?ants dédiés aux transactions avec l'étranger. Elle répond de plus au besoin de chercher sur le marché international, les produits les plus avantageux, les débouchés correspondant le mieux aux intérêts du pays.Il a déjà été signalé la concentration du commerce d'exportation d'Ha?ti aux mains de quelques maisons de la place. En attendant qu'une étude approfondie vienne déterminer dans l'actualité le degré de cette concentration pour l'ensemble des transactions import-export, il est utile de rappeler que 62% de la récolte du café s'exporte par cinq grandes entreprises d'exportation, [247] du total de vingt-six existant en 1955. Une modification sensible de cette proportion dans l'actualité est réellement peu probable, si ce n'est, au contraire, dans le sens d'une accentuation de la concentration?; il doit en être de même pour ce qui se réfère à la valeur globale des exportations.Dans la sphère d'importation, la concentration, pour être moins accentuée, n'en est pas moins symptomatique. Elle témoigne de la contradiction existant entre les exigences du développement économique et la réalité de la mainmise exercée sur cet important secteur économique par quelques agents distributeurs exclusifs dont les profits sont considérables.Une des conséquences de la réforme agraire, en un pays où la sub-utilisation des ressources terre-homme constitue un phénomène chronique, est d'augmenter la production agricole en un terme plus ou moins court. D'une part, l'exportation s'en ressent?: et l'augmentation des entrées en devises, ce qui agrandit le pouvoir d'achat. D'autre part, l'importation a tendance à s'enfler par l'augmentation du pouvoir d’achat des masses productrices (augmentation due à l'élimination des redevances foncières et aussi aux revenus excédentaires créés sur le marché interne à partir de l'accroissement des exportations) et par les achats d'outillage, de machines agricoles et industrielles.Le secteur du commerce import-export se trouve ainsi le mieux placé pour bénéficier de l’augmentation de la production.Il revient donc à l'?tat d'opérer dans le contr?le du commerce extérieur les réformes que l'intérêt public requiert. Jacques Vilgrain, dans son étude sur le commerce extérieur et ses incidences sur l'économie nationale, a conclu à la nécessité pour l'?tat d'exercer le contr?le de ce secteur?.Dans une stratégie juste et pratique du développement économique ha?tien, le contr?le par l'?tat du commerce extérieur occupe une place de premier choix. Il permet à la nation d'utiliser à des fins de développement les profits créés à l'export-import et offre a priori une source de financement pour l’impulsion de la réforme agraire. En même temps, l'augmentation des richesses provoquée par l’effort général n'est plus accaparée par une minorité de grands revendeurs et courtiers.Gr?ce à cette position de contr?le, l'?tat applique une politique du commerce international concordant avec les dictats de la planification économique. Une attention soutenue est accordée à l'évolution de la balance commerciale?; des mesures fiscales appropriées protègent l'industrie et l'artisanat, et tendent en même temps à éliminer l'importation des produits agricoles et à substituer les articles de luxe et de consommation par des [248] biens d'équipement. La politique commerciale est ainsi orientée vers la recherche de nouveaux marchés, l'établissement de relations commerciales avec tous les pays.Dans le domaine des exportations, ce contr?le aide à réduire dans une certaine mesure, les fluctuations des prix de certains produits agricoles soumis aux variations anarchiques du marché international. Ceci par une politique de stockage et de subsides menée conjointement par la Banque du Commerce et la section spécialisée de l'organisme de réforme agraire.La Banque du Commerce Extérieur, créée à cette fin, centralise toutes les fonctions économiques, administratives, inhérentes au dit contr?le?; et se préoccupe en même temps de la préparation des cadres. Elle étend son action au fur et à mesure, jusqu’à monopoliser le commerce extérieur. Parallèlement au développement du champ de ses activités, la Banque du Commerce Extérieur, aidée en cela par des mesures fiscales appropriées, s'efforce d'orienter les importateurs et exportateurs déplacés de leurs activités spéculatives et commerciales, dans le sens du placement de leur capital et du transfert de leur dynamisme à la sphère industrielle. Le financement de l'industrialisation peut ainsi commencer par la collaboration du capital d’?tat créé, entre autres, gr?ce à la nationalisation du secteur haut commerce et des capitaux privés déplacés de ce même secteur.Les relations de cette Banque du Commerce Extérieur et de la Banque Nationale de la République ne manquent pas d'être étroites. L'action de ces deux organismes facilite la régularisation des mouvements de devises et l'équilibre de la balance des paiements. L'élaboration d'une politique bancaire, monétaire et fiscale cohérente, facilite l’exécution et l'efficience de la réforme commerciale.VIII. UNE POLITIQUE FISCALEET MON?TAIRE COH?RENTERetour à la table des matièresFaire des finances publiques un puissant levier de l'expansion économique nationale et non un simple instrument de soutien de l'appareil bureaucratique et de la routine administrative, ceci implique une refonte totale des lois pratiques et conceptions financières à tous les degrés, du ministère des Finances et l’administration de la banque, jusqu'au niveau du percepteur des contributions des marchés ruraux. Une politique fiscale et monétaire cohérente doit trancher avec les us et coutumes en la matière et Introduire le dynamisme et la vision d'avenir dans la gestion financière.Sur le plan fiscal, cette politique se guide des principes et nécessités suivantes.[249]a)Le principe de l'équité fiscale, selon laquelle les divers secteurs imposables doivent être frappés proportionnellement à leurs revenus et capacités économiques. Il exige en premier lieu la suppression du système de taxation à outrance établi en particulier durant ces dernières années. Une stricte application de cette règle en Ha?ti délivrera le paysan d'une masse d'imp?ts à la production ou à la consommation, lesquels pèsent lourd sur ses maigres revenus. (Notamment les taxes sur les marchés ruraux et sur les biens de consommation populaire.)b)La nécessité de mobiliser le capital national, d'encourager l'initiative privée productrice, en protégeant les entreprises artisanales et industrielles nationales de la concurrence des grandes industries étrangères. Cela suppose l'érection des barrières douanières adéquates, l’interdiction de l'importation des biens produits dans le pays et l'octroi de l'exonération fiscale à certaines entreprises. c)La nécessité de grever fortement les activités spéculatrices et improductives, telles la construction de maisons de louage, ou de résidence dont le co?t dépasse un certain montant?; les opérations des compagnies d’assurances. Des mesures de la sorte aident à orienter l’épargne nationale vers la production.d)L'utilisation la plus rationnelle possible des ressources fiscales. Il s'impose de supprimer l'aspect strictement fonctionnel parasitaire et ??salarial?? du budget. Celui-ci doit s'élargir dans le sens de l'investissement, dans la construction d'oeuvres d'infrastructure et d'entreprises industrielles et agricoles rentables.La prise en charge du commerce extérieur a déjà, par ailleurs, ouvert la voie à cette politique fiscale. La réforme du commerce extérieur, en transférant à l’?tat une fraction importante des bénéfices traditionnellement réalisés dans ce secteur, rient modifier de fa?on sensible l'assiette de la taxation. Elle offre ainsi une plus grande liberté de mouvement à la politique fiscale. L'élaboration du budget n'est donc plus soumise à cette alternance de hausse et de baisse des prix du café. Son volume dépasse de loin le montant rachitique de 38 à 23 millions de dollars où il oscille depuis dix ans. Sa stabilisation à un niveau désiré et contr?lable fait de cet instrument financier un élément actif de la croissance continue. Il devient un agent de mobilisation du capital national.La politique monétaire, pour sa part, est imprégnée de compétence technique, d'audace et de flexibilité pratique. Elle doit tendre à devenir une auxiliaire précieuse de la politique économique. Sa première préoccupation est de renflouer le déficit actuel qui met le système bancaire et monétaire aux bords du [250] chaos. La dette publique s'est enflée à un niveau incroyable par une politique forcée d'émission de monnaie et de bons à termes. Il est impossible du dehors de soupeser l'hypothèque dont a été grevé l'avenir. Elle appara?t démesurément lourde. Aussi, pour résoudre les problèmes inhérents à cet état de fait, il est indispensable, en mesurant l’étendue des dég?ts, d'appliquer une thérapeutique radicale.La nécessité d'une réforme du système bancaire et monétaire a été soulignée comme urgente il y a huit ans par un spécialiste de la Fédéral Reserve Bank des ?tats-Unis, Mr. Ernest Moore, chargé par les N. U. d'étudier les problèmes monétaires d'Ha?ti. Cet expert a démontré comment la subordination de la gourde au dollar américain, tout en lui assurant une certaine stabilité, constitue une entrave à l'expansion de l'économie. Il a conclu à la nécessité de détacher la gourde du dollar?. C'est aussi l'opinion de l'économiste ha?tien Fernand Alix Roy. Une telle mesure ne saurait être oubliée dans la stratégie du développement ha?tien.La subordination de la gourde au dollar rend, en effet, illusoire tout effort de développement économique. Elle offre un point débile où peuvent être exercées des pressions dangereuses. Le statut de mineur de l'unité monétaire ha?tienne pose entre autres handicaps la limitation du plafond d'émission à toute cette tentative d'aider au financement du développement économique à l'aide d'une politique dynamique et planifiée d'émission. Les engagements contractés dans ces dernières années avec le Fonds Monétaire International dans le cadre de l'assistance à la B.N.R.H. sont venus rendre plus solide cette subordination.Vu la profondeur de la crise actuelle, ce statut de dépendance a sauvé l'administration financière d'une banqueroute comparable aux chaos enregistrés durant certaines époques d'Ha?ti Thomas.Cependant, dans le contexte d'une mobilisation de l'économie entière et d'une étape du progrès continu, cette tutelle ne saurait subsister. Une politique consciente et flexible, d’inflation monétaire au service d'investissements productifs opérés dans le cadré d'une économie ascendante et planifiée est une arme reconnue efficace pour le cas des pays jeunes en voie de développement?.Naturellement, il ne faut pas brusquer les choses. Le détachement de la gourde du dollar pour être exécuté sans faux pas douloureux doit attendre la mise en branle de l'économie?; c'est- à-dire que la réforme agraire et celle du commerce extérieur [251] soient à un stade avancé où le démarrage se fasse déjà sentir. En attendant, il est possible d'arriver à l'amplification des activités créditrices de la banque, leur orientation systématique vers l'initiative productrice, l’adoption en un mot d'une politique bancaire tournée vers le progrès économique. La B.N.R.H. peut ainsi dépasser les offices de bailleur de fonds des commer?ants et de gardien de trésors qui le caractérise depuis toujours, et s'élever à la hauteur d'une vraie banque centrale, s’effor?ant de mener une politique monétaire en conformité avec l'effort national.IX. LE FINANCEMENTD’ORIGINE EXTERNERetour à la table des matièresAucune illusion ne doit être nourrie sur la participation et le r?le du capital étranger dans l'impulsion de l'économie ha?tienne. Surtout à la phase de démarrage de ce processus. En premier lieu, le pays n’offre pas sur le plan strictement économique ces attraits si essentiels au capitaliste en quête de profits maxima?: les conclusions de l'analyse entreprise au chapitre I restent pleinement valables.En deuxième lieu, les rénovations économiques et politiques liées à l'effort de construction ne sauraient manquer de troubler le climat de l'investissement. ? l'incompréhension des uns vient s'ajouter toute une orchestration systématique... Le petit nombre des ??victimes?? et mécontents du changement s'allie automatiquement à cette fin aux conservateurs de toutes espèces.Il est des nécessités pourtant qu'on ne saurait méconna?tre, à moins d'être directement Intéressé au maintien des vieilles coutumes de pots de vin et de marchandage des intérêts nationaux. Les relations avec le capital étranger réclament de sérieuses réformes?: limitation des exportations de dividendes et leur réinvestissement en Ha?ti, stricte observance des lois et préservation des ressources non renouvelables, etc.Autant de revendications légitimes d'une communauté aspirant au progrès. Si elles se heurtent à l'opposition ou l'incompréhension des forces externes, il ne reste qu'un chemin?: la radicalisation des positions dans le sens de la nationalisation des entreprises étrangères.En fonction de cette réalité, le pays doit compter sur ses ressources propres pour le lancement de son programme de développement. ? moins que certains pays ou institutions, tenant compte de la légitime aspiration au progrès d'une communauté aussi pauvre qu'Ha?ti, acceptent d'aider au financement du développement sans aucun ricochet au nationalisme économique. Il convient d'être réaliste et tenir compte de l’expérience du [252] passé. Les emprunts extérieurs, en aucun cas, ne doivent inclure des clauses politiques ou en faveur des compagnies ou institutions étrangères. Leur gestion revient à des institutions, telles la Banque nationale, l’Organisme de Réforme Agraire. La création d’une Institution de Promotion Industrielle du style de la Nacional Flnanciera de Mexico permet de capter l'épargne nationale vers l'industrialisation et d'assurer la gestion des fonds de toutes provenances.Les énormes possibilités d’Ha?ti en main-d'?uvre non occupée ont été antérieurement signalées. Aussi convient-il d'adopter en matière d'exécution d'?uvres d'infrastructure (routes, aéroports, irrigation) qui ne rendent pas indispensable l'usage d'un matériel technique spécialisé?; une politique d'investissement dans laquelle le capital humain est considéré à sa juste valeur. La priorité, en certains cas, est accordée au co?t économique plut?t qu'au co?t comptable, autrement dit, on s'efforce dans tous les cas possibles d'utiliser la main-d'?uvre non spécialisée disponible au lieu des machines importées et ceci même dans les occasions où l'usage de la machine diminuerait dans une certaine mesure le prix de revient comptable?.Comme on le sait, la livraison en masse de machines et engins mécaniques fait partie obligatoire de tous emprunts extérieurs concédés par les sociétés de financement. Le montant des devises nominalement concédées, en est en fait diminué. Est sacrifié aussi une fraction de l'emploi qui pourrait être offert à des dizaines de milliers de bras ha?tiens?; un volume considérable de salaires qui aurait pu avoir un effet multiplicateur et stimulant sur l'économie est ainsi détourné de la sphère de la circulation.L'importation de capital sous forme de machinerie pour l'industrie est, par contre, hautement désirable. Aucune initiative ne doit être négligée dans la recherche des crédits destinés à cette fin. Chez les fournisseurs habituels et sur un marché comme celui du Japon où les prix sont avantageux, un effort systématique s'impose. L'Union Soviétique et les pays socialistes, à cet égard, offrent des facilités considérables. Ont su en bénéficier beaucoup des pays d'Afrique et d'Asie de tendance politique diverses comme l'Egypte, le Soudan, le Mali. l'Inde, l’Indonésie, etc., et des nations latino-américaines comme le Brésil. Cuba et l'Argentine. Ha?ti a tout intérêt à analyser de près les conditions de tels financements et d’en user dans l'intérêt du développement industriel.[253]X. LA CR?ATIOND’UNE INDUSTRIE NATIONALE.Retour à la table des matièresUn préjugé très répandu en Ha?ti veut condamner le pays à une vocation agricole. Comme si l'industrialisation était au delà de l'effort national.Cette manière de voir est une manifestation typique de l'influence plus que centenaire de la pénétration étrangère. Elle a conduit à ériger comme phénomène naturel et même désirable l'importation de la part d'une nation pauvre de tous les biens manufacturés dont elle a besoin, y compris?: clous, chaussures, allumettes.La réalité est autrement nuancée. En est une preuve le sens de l'avancement de toutes les communautés développées?: produire le plus d'articles industriels afin d'être de moins en moins tributaire de l'étranger.??L'industrialisation doit se considérer comme un chapitre de la reconstruction agraire et l'impulsion de la production agraire comme un chapitre de l'industrialisation. L'important est de se rappeler qu'elles sont parties entrelacées d'un seul problème?.??Le progrès économique d'Ha?ti est indiscutablement lié à la création d'une industrie nationale. Aucune prospection systématique du sous-sol n'ayant jamais été opérée, il est impossible de définir les possibilités d'une industrie locale. Cependant nulle limitation ne se pose a priori?: on peut prévoir même la création à long terme d'une industrie lourde.En attendant, dans le cadre des possibilités immédiates, les grandes lignes d'un programme d'industrialisation peuvent être ébauchées.En absolue priorité, l'industrie électrique. Ha?ti dispose d'un potentiel d'énergie hydroélectrique suffisant à une première impulsion de l'électrification. La collaboration entre capitalistes nationaux et l'?tat est tout indiquée pour en assurer le financement. L'érection de la centrale thermique de Péligre présente un caractère d'urgence. Son co?t, 25 millions, peut être couvert dans une large proportion ou en totalité par un programme systématique de mobilisation du capital national. On fera appel, en cas extrême, et si possible, au financement externe. L'utilisation progressive et maxima du potentiel en houille blanche en quelques années est un objectif concret à l'atteinte de l'effort d'une économie en marche rapide. L'électrification, non seulement ouvre la voie à l'éclosion d'un nombre considérable de moyennes et petites industries?; elle représente aussi un auxiliaire précieux de l'éducation populaire. Elle peut aider d'une [254] fa?on décisive à faire dispara?tre les mythes, les superstitions les pratiques du vaudou, lesquelles constituent une charge de plomb au progrès des masses.En deuxième lieu, l'industrie de construction. Celle du ciment étant une branche fondamentale mérite une attention particulière. Ha?ti possède d'immenses mines de calcaire et d'argile, de nature à alimenter une industrie de ciment de dimensions énormes. Ces disponibilités en matières premières rendent particulièrement recommandable l'expansion de la production du ciment. Surtout que tout est à construire... Dans une première étape, l'usine de Fond-Monbin peut doubler aisément sa capacité productrice. La branche des constructions mécaniques devant fournir les matériaux et outils métalliques réclame aussi une impulsion sérieuse.La recherche d’un combustible industriel pouvant remplacer le charbon de bois et supprimer par là une des causes de l'érosion se présente comme une absolue exigence. Les résultats de certaines prospections pétrolifères effectuées en diverses époques n'ont jamais été transmis au gouvernement ha?tien. Aussi est-il difficile de savoir quelles sont les richesses du pays en pétrole ou gaz naturel. Le fait, par les compagnies étrangères, de n'avoir pas initié à la suite de ces prospections, aucune exploitation, ne prouve nullement l'inexistence de gisements importants. Dans les conditions de l'industrie minière impulsée dans les zones sous développées par le capital étranger, la non exploitation d'une ressource découverte répond parfois chez le capitaliste à des nécessités de type ??stratégiques??. Notamment celle de s'assurer des prix de revient minimum. Si les conditions d'exploitation ou les caractéristiques de gisement sont moins avantageux que dans d'autres pays, la réalisation du profit maximum n'est pas garantie. L'investissement perd alors tout intérêt pour les placeurs de fonds.C'est le cas, par exemple, du lignite de Ma?ssade?: le gisement n'offre point les conditions les plus avantageuses d'exploitation pour le capitaliste étranger, mais dans le cadre d'une économie nationale en expansion, il peut, sous réserve d'études techniques appropriées, constituer une source énergétique dont l'exploitation, facilitée par la nombreuse main-d'?uvre disponible, serait de tout intérêt.En plus de ces branches d'industrie de base abordables à court ou à moyen terme, d'autres peuvent sortir de prospections postérieures. On peut signaler la nécessité d'une industrie d'engrais et de fertilisants?; d'une industrie de construction navale pouvant assurer l'équipement du service de cabotage et de la naissante industrie de la pêche.L'orientation à donner au développement industriel doit tendre à la diminution de l'importation des biens courants destinés [255] au marché local et en même temps à l'augmentation des produits industriels dérivés de l'agriculture, tels le sucre, les huiles essentielles, les conserves de fruits et de légumes, etc. Il est de vitale importance d'accorder la priorité aux industries dont la composition organique du capital est faible. Celles-ci réclament peu d'investissements en capital constant et une main-d'?uvre nombreuse. De toute fa?on, la création d'un marché de consommation interne à partir des transformations opérées dans l'économie rurale ouvrira à l'industrie de larges perspectives. Par l'action de l'?tat, par les avantages offerts aux capitalistes nationaux, le secteur industriel devient ainsi en mesure d'assurer du travail aux ch?meurs et d'augmenter la production globale.La création dudit secteur, son orientation, son financement, ne sauraient être livrés au libre Jeu des facteurs du marché, mais plut?t orientés par l'institut de promotion industrielle dont les fonctions se présentent comme suit?:a)L'élaboration des ordres de priorité en fonction des nécessités, ressources et objectifs.b)L'étude technique et financière des projets industriels et de leur incidence sur l'économie globale.c)La mobilisation de l'épargne nationale par l'émission de bons à des taux attrayants, par la vente d'actions aux capitalistes locaux.d)La recherche de crédits externes à fins d'équipement et leur gestion.e)L'assistance technique aux petites industries, la participation au financement d'industries nouvelles. Par sa structure et sa finalité, cet institut est appelé à réunir les fonctions d'institut technique et de Banque de développement industriel. Son capital peut provenir d'un apport gouvernemental et de la participation de l'industrie privée. Ceci en fonction d'une politique d'intégration de la bourgeoisie à l'?uvre de développement économique et gr?ce à une campagne intelligente en faveur de la participation de l'épargne individuelle à l’impulsion industrielle.XI. CONTINUIT? DANS L’EFFORTET IMMAGINATION CR?ATRICERetour à la table des matièresLe succès dans l’exécution de la stratégie esquissée précédemment reste subordonné aux principes de sa continuité dans le temps et de la flexibilité lui permettant de s'adapter aux nouvelles conditions à surgir au cours de l'évolution historique. Vaincre la force d'inertie d'une atrophie centenaire des fonctions vitales, causée par le germe de l'exploitation féodale et [256] étrangère, transformer le corps social en un organisme sain jouissant de la plénitude de ses capacités, cela requiert une bonne thérapeutique. La théorie révolutionnaire en offre de très efficiente pour cautériser un corps social malade. Mais, il est indispensable aussi, un processus d'entra?nement et de vivification lequel ne peut fructifier en quelques mois ou années, sinon doit être l'?uvre d'une génération.Edmond PAUL, il y a soixante-dix ans, soulignait cette exigence avec précision?:??Dans ces circonstances, un devoir grand entre tous s'impose à l'administration?: avoir un plan de gouvernement ferme, un plan dont les parties et les liens ne se mesurent pas à la durée d'un cabinet ou d'un règne, mais embrasse tout un ordre d’idées, tout un ensemble de réformes à réaliser, les unes attirant les autres et se complétant, pour porter avec le temps et sans secousse notre ?tat à la hauteur que lui avait présagé ses étonnantes origines?.??.Cet enseignement co?ncide avec les principes récemment préconisés en matière de développement économique et répond aux besoins actuels. L'effort à entreprendre, en effet, se présente comme une attaque globale et simultanée à tous les points névralgiques de l'ordre social occupés par l'archa?que et l'anarchique. La réforme agraire et la refonte du système fiscal sont des t?ches fondamentales. La multiplication des h?pitaux ou une orientation de l'enseignement universitaire accordant la priorité aux disciplines techniques sont aussi urgentes, vue leur Incidence économique immédiate ou médiate. Un ordre de priorité s'impose, bien entendu. Il ne faut pas sacrifier la vision globale. Il faut tenir compte à tout moment des inter-relations et inter-actions entre les divers éléments du sous-développement et de la lutte contre ces derniers.La vigueur de l'impulsion initiale est fondamentale pour assurer le démarrage. La profondeur de la misère Nationale rend indispensable des taux d'accroissement du profit national brut supérieurs à 10 pour cent par an et un pourcentage encore plus élevé de croissance du taux d'accumulation de capital. Seulement ainsi on peut avoir raison de la force d'inertie. C'est là un objectif à se fixer dès les premières années de la révolution, surtout si on tient compte de la véritable explosion démographique qui fera suite à l'amélioration des conditions de vie et à la diminution de la mortalité infantile, etc. De plus, pour stimuler l'enthousiasme de la population, il est indispensable de rendre palpable au plus t?t les premiers fruits de la révolution.[257]Un effort conscient et rationnel, une grande imagination créatrice de la part des promoteurs et des cadres à tous les niveaux peuvent permettre de tirer le profit maximum de toutes les potentialités maxima naturelles et humaines dont Ha?ti dispose. Que de richesses naturelles sont de tout temps gaspillées à cause de l'insouciance, de la routine des administrateurs et du faible encouragement offert à l’initiative individuelle.Une politique économique réaliste et orientée de fa?on fondamentale vers le progrès suppose un rationnel emploi de toutes les opportunités d'aide internationale, ceci — il faut le répéter — dans la mesure où cette assistance n'est pas subordonnée à une dépendance politique. L'assistance des organismes internationaux des pays capitalistes avancés et celle des nations socialistes est de nature à contribuer à la formation des cadres, l'équipement de l'économie nationale.L'intérêt d'un rapprochement avec les nations latino-américaines a été trop longtemps négligé. Des pays comme le Mexique, le Brésil, Cuba, le Chili, etc., ont réalisé des expériences économiques que précieuses. Ils sont arrivés à solutionner certains problèmes de sous-développement, en matière de réforme agraire, de finances publiques, de promotion industrielle, etc. Il est tout profit de resserrer les liens économiques, de multiplier les contacts avec eux. Du point de vue commercial, ces nations peuvent constituer des fournisseurs avantageux. Certains de leurs produits manufacturés, bénéficiant des bas prix de la main-d'oeuvre, sont sensiblement meilleur marché que les articles équivalents en provenance des ?tats-Unis, de la France ou de l'Allemagne.La possibilité d'une intégration d'Ha?ti dans une association économique multinationale présente beaucoup d'importance. Comme on le sait, une des tendances de l'économie mondiale contemporaine, va dans le sens de la formation de grands ensembles économiques où le développement industriel rencontre des conditions idéales de marché, de division internationale de travail spécialisé. Avec sa faible superficie et sa population réduite, Ha?ti peut, dans le chemin de son développement, jouir de sérieux avantages en s'intégrant à une organisation économique internationale. Des études appropriées viendront faire le point sur l'intérêt d’une possible participation du Mercomun Latino-Américain ou à toute autre association de ce genre qui na?trait dans les Antilles. Le seul danger— et pas des moindres — serait que le stade d'avancement des voisins, rende difficile une coopération avec avantage réciproque. De toute manière, l'éventualité d’une coopération économique avec la République Dominicaine appara?t comme la perspective la plus possible et la plus désirable, si on s'en tient au facteur géographique. Sa réalisation suppose toutefois une orientation parallèle de l’évolution [258] politico-économique des deux Républiques.Au fur et à mesure que la Révolution économique renversera les vieux moules, de larges horizons s'ouvriront au travail créateur du peuple. Alors seulement ce que les sceptiques, les pusillanimes ou les tenants du statu quo peuvent considérer comme des rêves utopiques se révélera une réalité concrète?: celle d'une communauté entière, solidairement unie, conjuguant son effort productif vers l'épanouissement de la personnalité de l’homme ha?tien.[259]L’économie ha?tienneet sa voie de développementCONCLUSIONRetour à la table des matièresL'avenir de la Nation dépend de l'effort créateur de ses hommes. Il s'intègre dans la ligne de l'évolution nécessaire de la société ha?tienne. Les étapes de ce développement historique ont été bien définies jusqu'ici?: à la commune primitive indienne, a fait suite l'esclavage colonial qui lui-même a donné naissance à l’??ancienne Ha?ti?? féodale.La crise des années 1908-1915 marquait la non concordance entre le mode de production existant depuis un siècle et les impératifs du progrès?; entre la domination économico-politique des fonciers, des généraux ??anciens Ha?tiens??, d'une part... et les aspirations au bien-être de notre peuple. L'exacerbation des antagonismes au sein des classes dirigeantes, entre ces derniers et les masses, traduisait le pourrissement du régime féodal. Au c?ur des mêlées politiques, de l'agitation populaire, des manifestations paysannes, se développait un processus de lutte dans laquelle la société ha?tienne cherchait à résoudre la contradiction principale de son régime économique, voulait trouver un nouvel équilibre dans le rapport des forces de classe.L'occupation américaine vint perturber ce processus. Sur les bases vermoulues du régime féodal, elle voulut imposer un capitalisme?? de type spécial, nourri essentiellement de facteurs externes. De la bourgeoisie marchande, elle fit une servante docile, la détournant définitivement du chemin de l'accumulation industrielle autonome. L'économie ha?tienne se transforma en un appendice du marché capitaliste américainCet accouplement de l'impérialisme et des structures et institutions féodales donna le jour au système économique qui régit la vie nationale depuis un demi siècle. Un système b?tard, semi féodal, où le secteur capitaliste conna?t une croissance pénible, malgré de remarquables injections de capitaux. Un régime déformé par des pressions externes de toutes sortes, exercées notamment à travers le commerce international.Ce régime économique s'entoura de toutes les exclusivités monopolistiques, du renforcement de tous les mécanismes de protection (fiscale, légale, policière) qui devaient lui assurer un développement vigoureux. Il fut suralimenté par le ??boum?? des années de guerre et d'après-guerre qui presque partout en Amérique latine Impulsa l'accroissement du secteur capitaliste, aidant certains paysans à s’engager sur la voie du développement capitaliste non indépendant, il est vrai, comme c'est le cas du Brésil, du Venezuela et d'autres pays latino-américains.[260]Rien à faire. Les survivances du passé et leurs résultantes socio-politiques se sont révélées d'une inertie invincible. Le capitalisme ha?tien en fut réduit au rachitisme qui le caractérise. ??Ayant passé par toutes les douleurs et frustrations de l'enfance, jamais il ne connut la vigueur et l'exubérance de la Jeunesse et commen?a à montrer de fa?on prématurée les marques pénibles de la sénilité et de la décadence.??La crise profonde dont souffre l'économie et la société ha?tiennes depuis 1955 est précisément celle du système économique implanté à partir de 1915. Une économie agricole archa?que, exsangue, ou le secteur capitaliste déjà débile s'est vu affaiblir par la crise mondiale du capitalisme. Une société où les antagonismes de classes se manifestent sur le plan politique avec une violence inconnue depuis un demi siècle. Une crise qui atteint tous les domaines de la vie économique sociale, politique et culturelle.Quel en sera le dénouement?? N'est-ce pas la crise terminale du système??Il existe de bonnes et objectives raisons pour croire que l'étape historique actuelle annonce une période de transition vers une autre forme d'organisation économico-sociale, plus en accord avec le progrès et le bien-être de l'homme ha?tien. La nécessité de ce changement structural s'exprime entre autres par la misère matérielle de la population, par la désagrégation des institutions.Le sens de cette transformation ne peut en aucun cas s'opposer aux lois objectives du devenir social. Le développement économique d'Ha?ti implique la rupture du mode de production féodale. L'expérience a prouvé que le capitalisme local a été incapable d'opérer les transformations structurelles de nature à libérer les forces productrices. Elle a démontré aussi l'impuissance du capital d'origine externe à briser les vieux moules. L'inefficacité des méthodes prussiennes de développement s'est vérifiée par le bilan des vingt années d'occupation américaine. Durant les trois décades postérieures, des gouvernements forts, identifiés aux classes dominantes, se sont aussi appliqués à faire du secteur capitaliste le moteur du progrès économique. Les résultats ne sont que trop patents.Il faut donc trouver autre chose et répudier délibérément la formule capitaliste. La voie non capitaliste de développement s'impose par la logique des faits. Et cette nécessité n'est pas apparue aujourd'hui. Tout simplement, elle s'est dessinée avec plus de netteté et surtout s'est révélée inéluctableDéjà aux approches de la crise de la société féodale du début du siècle, Frédéric Marcelin, un homme d'?tat lié à la pratique Journalière des faits, problèmes financiers et économiques d'Ha?ti, traduisait avec lucidité et esprit créateur le sens obligé [261] du développement économique national. Il partait de la réalité concrète et ouvrait une perspective totalement différente de celle dont l'expérience, après un demi siècle, se révèle encore stérile et génératrice de misère?:??On juge une politique à ses résultats, soulignait Marcelin, or, les résultats de celle que nous suivons depuis notre indépendance sont affreux. Ils nous ont amenés au plus misérable état que l'on puisse imaginer. Nous avons réalisé sur cette belle terre des Antilles, où la vie pourrait être si bonne et si douce, une République unique par le sort épouvantable qu'elle inflige à ses citoyens, gr?ce aux passions et aux vices qui les rongent et à l'exploitation facile qu'elle permet à notre dépend, aux aventuriers exotiques.????Il faut changer le cours des idées qui dominent notre société et inaugurer une politique basée sur des vues absolument opposées à celles qui nous ont régis Jusqu'à présent...????Tout en prêchant des réformes, il faut faire en sorte qu'elles soient réalisables. Or, elles ne peuvent l'être, elles ne le seront jamais en Ha?ti, que lorsqu'on appliquera au gouvernement des affaires, le socialisme d'?tat. Il faut que l’?tat crée des moyens de travail, mette en branle, en rapport, le domaine national... C'est là seulement, par le socialisme d'?tat sagement et énergiquement appliqué, que le pays retrouvera paix, prospérité et moralité?.??Est-il juste de voir, comme Marcelin, la solution des problèmes nationaux dans l'instauration du socialisme d'?tat ou du socialisme ha?tien, comme on se pla?t à le dire depuis quelque temps?? ou bien du socialisme tout court?? Nullement. Le sens le plus marquant de ce message du passé doit rester clair. Puisque la voie capitaliste de développement qu'Ha?ti a prétendu suivre depuis son indépendance a conduit à la faillite, il faut s'engager dans une voie non capitaliste. De là, le terme un peu confus de socialisme d’?tat qui traduit pourtant une compréhension théorique assez nette pour l'époque des nécessités nationales.Socialisme de type ha?tien tout comme socialisme africain ou arabe?? La question du devenir historique immédiat ne se pose pas non plus en ces termes. Les théories et conceptions sur les Socialismes spéciaux présentent tant de versions et de nuances, qu'elles peuvent aisément couvrir la démagogie et induire à erreur dans la confusion. Le socialisme est, par définition, une forme d'organisation économique et sociale où les hommes, affranchis de toute exploitation, possèdent en commun des moyens de production modernes. Ce régime social est [262] possible seulement sur la base de la grande production industrielle et agricole. Elle implique une technologie avancée assurant une haute productivité du travail et, par suite, la satisfaction maximum des besoins de tous les membres de la société. Ha?ti, pays semi-féodal, à économie arriérée, même en répudiant la voie capitaliste de développement ne peut en aucun cas entrer de plain-pied au socialisme. Dire que la seule stratégie permettant de combler en des délais historiquement brefs le retard séculaire de notre économie est de choisir la voie non capitaliste de développement, cela ne signifie nullement qu'il faut instaurer immédiatement le socialisme. La voie non capitaliste de développement est, par essence, différente de celle tracée par les grands pays capitalistes, tels la France, les ?tats-Unis, l'Angleterre. Elle n'est point similaire à celle des nations socialistes, tels que l'U.R.S.S., la Tchécoslovaquie. Elle suppose un régime social au sein duquel n'ont pas encore disparu l'exploitation et l'inégalité économique, mais où se livre un combat systématique pour que les forces productrices soient libérées de tous obstacles à leur épanouissement. Le secteur capitaliste de l'économie subsiste et se développe dans le cadre de certaines réformes. Le moteur de l'expansion est intégré de deux secteurs fondamentaux?: l'un d'entreprises d'état et l'autre de type collectiviste. Le secteur d'initiative privée apporte aussi sa collaboration. La croissance harmonieuse de l'économie en fonction d'une planification rigoureuse assure l’augmentation de la production agricole, l'industrialisation rapide, la diversification du commerce extérieur. Le tout s'opère dans le cadre d'un ?tat de démocratie nationale, c'est-à-dire effectivement autonome sur le plan des relations internationales, et contr?lé par les classes les plus progressistes sur le plan local, lesquelles assurent l'organisation et la coordination du développement économique. Ainsi, le terrain économico-social peut être déblayé des ruines du féodalisme, et l'essor révolutionnaire de transformation structurelle mis en branle. L'?tat de démocratie nationale, s'engageant dans la voie non capitaliste de développement, atteindra, à des étapes ultérieures, les formes d'organisation sans cesse plus évoluées selon les lois mêmes du devenir historique, selon les nécessités du progrès social, selon la fin ultime d'épanouissement de la personnalité humaine. Telles sont les lignes de l'évolution appelées à conduire Ha?ti vers le progrès. La permanence plus que centenaire du phénomène de la détresse nationale, la phase de crise aigu? dans laquelle est rentrée notre société durant la décade actuelle, l'impossibilité manifeste des classes dirigeantes et des méthodes traditionnelles de faire sortir le pays de son impasse, impliquent pour le moins une le?on?: la le?on des faits, à laquelle il est impossible aux hommes de se dérober.[263]L’économie ha?tienneet sa voie de développementBIBLIOGRAPHIERetour à la table des matièresAlexis Jacques Stéphen?: ??Pour une mobilisation du Capital National?? ??La section rurale miroir national??, in Ha?ti Miroir, 1er et 7 septembre 1957.Ardouin Beaubrun?: ?tudes sur l’Histoire d’Ha?ti. Port-au-Prince. Editions Chéraquit 1924, 10 vol.Antoine Charles?: Quelques considérations sur le milieu rural ha?tien. Port-au-Prince Imp de l’état. 1959Arnault Jacques?: Cuba et le marxisme. Paris. Editions Sociales. 1962.Balgooyen?: ??Experience of U.S. Private Business in America??. 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La structure économique [52]Première Partie : L’activité agricole [52]L’agriculture dans la vie nationale [52]A.Secteur agricole et sous-développement [52]B.Importance du secteur agricole [53]C.Pisciculture et élevage [55]D.Débilité fondamentale [57]Les facteurs physiques et humains [59]A)Le milieu physique [59]a)Caractéristiques topographiques [59]b)Qualité des sols et conditions climatiques [60]c)Le déboisement et l'érosion [61]B)Les ressources humaines [63]a)Richesse potentielle [63]b)Le coefficient Terre-Homme [63]c)Surpopulation par rapport à la structure économique [65]La tenure de la terre [67]A.Traits généraux [68]B.La paysannerie sans terre [70]C.Le minifundisme [71]D.Le latifundisme [75]a)Le latifundisme d’?tat [76]b)Le latifundisme privé [78]E.Plantations de type capitaliste [80]Politique Agraire de l’?tat [82]A.Le cadre institutionnel [82]B.L’assistance technique [84]C.Le Crédit Agricole [86]D.Les travaux d’infrastructure [89]E.Les expériences de développement régional [90]a)Les colonies agricoles [90]b)La S.H.A.D.A. [91]c)Le projet de Marbial [92]d)L’expérience bilatérale [93]La production agricole [95]A.Production de subsistance [96]B.Production pour l’exportation [99]C.Relation Exportation/Population [100]Deuxième Partie : Le secteur industriel [102]A.Extraction minière [102]B.L’industrie manufacturière [103]C.L'industrie agricole d’exportation [104]D.Les industries destinées au marché local [105]a)L'industrie électrique [105]b)Industrie du ciment [106]c)Biens de consommation [106]E.Participation du secteur manufacturier au produit national brut (en millions de dollars) : [108]F.La classe ouvrière : [108]Conclusion [109]Chapitre III.Le commerce de l’exportation Axe de l’économie [112]Les exportations comme déterminant du revenu national [112]Exportations, Importations et dépenses publiques [115]De quoi dépend la valeur globale des exportations ? [117]Les Mécanismes de l’exportation [121]A.La monoculture [121]B.Le phénomène des intermédiaires [122]C.Les grandes maisons import-export [124]Les importations et leur signification Economique [126]Commerce extérieur et Développement [131]Chapitre IV.L’Impact du capital étranger [138]La perpétuelle dette extérieure [138]a)La dette de l’indépendance [138]b)Emprunts Domingue [139]c)La dette à la veille de l’occupation [140]Occupations et capital Nord-américains [142]a)l’emprunt de 1922 [143]b)Les investissements directs [145]c)Bilan des résultats [147]La formule des contrats de concession [151]a)Contrat J.G. White [151]b)La SHADA [152]c)Péligre ODVA [153]Capital étranger et structure économique [156]a)Le Profit, facteur primordial [157]b)Ha?ti peut-elle offrir des profits maxima ? [159]c)?troitesse du marché local [161]d)Les vrais bénéficiaires [164]La réalité de l’assistance économique [167]a)Le bilan de l’aide de l’ONU [170]b)L'assistance dite bilatérale [172]Chapitre V.Secteur public et développement économique [176]Le système monétaire [176]A)La Banque Nationale de la République d’Ha?ti [176]a)En premier lieu, il s’agit d’un institut d'émission [177]b)La Banque Nationale est une banque commerciale [179]c)La fonction de Trésorerie [180]d)Les activités de gestion d'organismes et d'entreprises publics [181]B)La Monnaie [183]a)la sujétion au dollar [183]b)Manque de dynamisme [186]Le système fiscal [188]A) Le Budget [189]a)Sa sensibilité cyclique et saisonnière [189]b)Le déséquilibre [190]B.Les ressources de l’?tat [191]a) Plus on importe, plus le fisc per?oit [193]C.Les Dépenses [195]a)Distribution départementale [196]b)Contenu réel [198]L’état comme secteur économique [200]A.Frais de personnel [200]B.Administrateur d’entreprises [201]Chapitre VI.La crise générale de l’économie [204]Crise de structure [204]Le poids de la conjoncture [208]A.Facteurs liés à la valeur des exportations [209]B.Facteurs liés à l'actualité politique [210]Détresse de la communauté ha?tienne [210]Crise de la politique économique [215]L’imprécision des perspectives [220]Chapitre VII.Une stratégie du développement [225]Une solution néo-colonialiste?? [225]Une théorie du développement [228]Le cadre institutionnel [229]La planification du développement [232]La réforme agraire intégrale [234]Organisation rurale et coopérative [241]Contr?le du commerce extérieur [246]Une politique fiscale et monétaire cohérente [248]Le financement d’origine externe [251]La création d’une industrie nationale [253]Continuité dans l’effort et imagination créatrice [255]Conclusion [259]Bibliographie [263]Fin du texte ................
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