LA PRESSE QUOTIDIENNE EN EUROPE - P R O F O R M A R



LA PRESSE QUOTIDIENNE EN EUROPE

L'Europe est le berceau de la presse. Il n'est donc pas surprenant qu'elle y prospère. Dans la seule Union européenne (UE), les quotidiens des 15 Etats membres ont diffusé ensemble, en 2000, quelque 80 millions d'exemplaires quotidiens, ce qui place l'UE devant le Japon (72 millions d'exemplaires) et les Etats-Unis (56 millions d'exemplaires). Toujours dans l'UE, les recettes publicitaires des quotidiens, en légère progression par rapport à 1999, ont atteint près de 21 milliards de dollars contre 7,3 milliards de dollars au Japon et 48,6 milliards de dollars aux Etats-Unis.

L'Allemagne, avec 382 titres et une diffusion totale de près de 24 millions d'exemplaires, et le Royaume-Uni, avec une bonne centaine de titres et 19 millions d'exemplaires vendus, font figure, en Europe, de géants. Bild Zeitung en Allemagne avec une diffusion de 4,4 millions d'exemplaires, The Sun (3,5 millions), The Daily Mail (2,4 millions) et The Mirror (2,2 millions) à Londres, figurent avec sept titres japonais dans le peloton des quinze plus grands tirages mondiaux. Ils sont loin cependant d'atteindre la diffusion des "géants" nippons, Yomiuri Shimbun et Asahi Shimbun qui vendent quotidiennement, le premier 14,4 millions d'exemplaires, le second 12,4 millions

La fringale japonaise de lecture des quotidiens n'a d'équivalent que dans les pays scandinaves. Pour 1 000 habitants de plus de 15 ans, il se vend 719 journaux en Norvège, 548 en Finlande, 536 en Suède. Le ratio est de 668 au Japon et de 190 seulement en France, qui se situe à cet égard au 28e rang mondial.

S'ils disposent encore de fortes positions, les éditeurs européens ont du souci à se faire. D'abord parce que le lectorat diminue. La baisse des ventes des quotidiens depuis 1995 est de 4 %, ce qui représente, au total, 3,3 millions d'acheteurs en moins. Les situations sont certes différentes d'un pays à l'autre : certains enregistrent une progression, comme l'Autriche, totalement atypique avec une progression de 20 %, l'Irlande (+7 %) et le Portugal (+ 12 %), ce dernier partant, il est vrai, de très bas.

Autre souci : partout, les quotidiens doivent défendre leurs recettes publicitaires contre la télévision et le hors média (marketing direct notamment) qui ne cessent de grignoter des parts de marché.

Le Sud et le Nord

Telles sont les tendances générales. Mais un examen du tableau ci-dessous fait apparaître un clivage entre les pays du nord et du sud de l'Europe.

Pays Population

+ 15 ans (en millions) Nombre de titre Diffusion (en millions d'exemplaires) Ratio diffusion (pour 1000 hab.)

Finlande 4,2 55 2,3 548

Suède 6,9 93 (1) 3,7 536

Royaume-Uni 46,8 104 19 406

Autriche 6,5 16 2,5 385

Luxembourg 0,352 5 0,124 352

Pays-Bas 12,8 35 4,44 346

Allemagne 69,2 382 23,9 345

Danemark 4,3 31 1,48 344

Irlande 2,9 6 0,800(2) 275 (3)

France(4) 46,3 81 (5) 8,8 190

Belgique 8,4 28 1,56 186

Espagne 33,2 136 4,3 129

Italie 49,6 88 6 121

Portugal 8,3 28 0,686 83

Grèce 8,8 32 0,681 77

1. Dont 89 en province.

2. Y compris la diffusion de 10 quotidiens britanniques pour 233 000 exemplaires.

3. Y compris la diffusion des quotidiens britanniques.

4. Chiffres de 1998.

5. Tous titres confondus, y compris les quotidiens hippiques.

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Source : World Press Trends 2001

Plus on monte vers le Nord, plus le taux de lecture est important. Le ratio de diffusion pour 1 000 habitants "adultes" - de plus de 15 ans - est, au Sud, voisin de 100 (Espagne, Italie) ou inférieur à 100 (Grèce, Portugal) alors qu'au Nord ce chiffre est voisin de 350 (Allemagne, Danemark, Pays-Bas, Luxembourg) et passe la barre des 500 en Suède et en Norvège.

La France et la Belgique se trouvent à la charnière des deux zones. L'Europe du Nord, de culture et de tradition protestante, lit beaucoup plus de quotidiens que celle du Sud, catholique et orthodoxe. Le cas de l'Irlande confirme cette analyse. Dans ce pays, géographiquement situé au Nord et profondément influencé par la culture britannique, la religion catholique est largement dominante. Il est normal que, tiraillée ainsi entre les deux univers, l'Irlande se trouve dans la zone intermédiaire.

Au-delà des chiffres, d'autres éléments de différenciation peuvent être identifiés :

L'existence dans les pays du Nord de quotidiens nationaux populaires bon marché et à grand tirage, flattant et entretenant les plus mauvais goûts du public, n'a pas d'équivalent dans les pays du Sud. Faut-il regretter l'absence en France, en Italie ou en Espagne de cette presse de caniveau même si elle fait chuter les statistiques ?

Les pays du Sud, en revanche, possèdent beaucoup plus de quotidiens spécialisés, notamment en sport et en économie, qui tendent à concurrencer les généralistes. Au Portugal, la diffusion du quotidien sportif Record talonne de très près celle du chef de file des quotidiens nationaux, le Jornal de Noticias. En Italie, la Gazetta dello sport vient en troisième position avec une vente moyenne de 456 000 exemplaires, une diffusion supérieure à celle de L'Equipe (389 000 ex.) en France. Après avoir tenu la tête du classement pendant de longues années en Espagne, le quotidien sportif Marca, est passé en deuxième position avec une diffusion de 397 000 exemplaires. En Italie, le quotidien économique Il Sole/24 Ore diffuse 391 000 exemplaires. Le Royaume-Uni peut cependant s'enorgueillir, à juste titre, de posséder l'un des quotidiens économiques les plus influents de la planète, The Financial Times (478 000 ex., dont 170 000 en Grande-Bretagne même). Il est édité par le groupe Pearson qui possède également en France Les Echos (123 000 ex.).

Les journaux du Nord sont meilleur marché que les journaux du Sud. Au Royaume-Uni, le prix de la plupart des quotidiens nationaux et régionaux tourne autour de 30 pence soit moins de 3 FF (0,46 €). Les journaux de qualité comme The Independent ou The Guardian sont un peu plus chers. Mais seul le Financial Times se situe au niveau des quotidiens nationaux français de qualité (près de 8 FF, 1,22 €). En Allemagne, Bild Zeitung vaut 0,36 € (2,36 FF). Mais les grands journaux de province comme la Süddeutsche Zeitung (Munich) ou la Frankfurter Allgemeine Zeitung (Francfort) se vendent 1 euro (6,56 FF), un prix nettement supérieur à celui des grands quotidiens régionaux français (4,50 FF, 0,69 €). Il est vrai qu'ils sont de grande tenue.

Les journaux du Sud se vendent surtout au numéro, dans les kiosques (plus de 90 % en Italie et en Espagne), alors que ceux du Nord, à l'exception des grands journaux populaires nationaux, sont essentiellement diffusés par portage. La France, là encore, se trouve en situation intermédiaire. Le portage est très développé dans le nord et dans l'est du pays, en Lorraine et en Alsace. Il progresse dans les autres régions, mais la moyenne générale est encore faible, de l'ordre de 40 %.

La part de la publicité dans les recettes des journaux est en général plus importante dans les pays anglo-saxons et nordiques que dans ceux du Sud. Elle approche ou dépasse les 60 % aux Pays-Bas, en Suède, en Allemagne et au Royaume-Uni. Elle approche ou dépasse les 50 % en Espagne, en Italie, en Grèce. Elle est en France de 41 %.

Les petits et les grands

Enfin, si l'on prend pour référence le nombre de titres pour 100 000 habitants, on constate un clivage entre grands pays et petits pays, le ratio étant beaucoup plus important pour ces derniers. C'est le cas de la Finlande - où le ratio est de 10,7 -, de la Suède, du Luxembourg, du Danemark et même de l'Irlande si l'on prend en compte la diffusion de la presse britannique qui s'ajoute à la presse irlandaise. Les grands pays, du Nord comme du Sud, à l'exception notable de l'Allemagne, comptent un nombre de titres pour 100 000 habitants beaucoup plus faible, la France arrivant en dernière position avec un ratio de 1,6.

Il est vrai qu'en France, alors que les concentrations se poursuivent, aucun nouveau quotidien n'a réussi à s'implanter depuis un demi-siècle, à l'exception de Libération créé dans la foulée de Mai 68. Les tentatives n'ont pas manqué et certains titres comme Le Matin de Paris ou Le Quotidien de Paris ont même vécu plusieurs années. Les espoirs mis en 1995 dans la création d'Info Matin ont été déçus et plus récemment Le Quotidien de la République lancé par Henri Emmanuelli n'a vécu que deux semaines. Dans tous les cas l'argent a fait défaut. Ces échecs contrastent avec les réussites qu'ont constituées, ces vingt dernières années, le lancement de La Repubblica en Italie, de The Independent au Royaume-Uni, d'El País en Espagne et plus récemment dans ce pays, d'El Mundo et de La Razon.

Daniel Junqua,

vice-président de Reporters sans frontières

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