Les gars du coin, Enquête sur une jeunesse rurale.



Les gars du coin,

Enquête sur une jeunesse rurale, Nicolas Renahy, La Découverte, 2005

Résumé

Nicolas Renahy veut nous montrer comment, à partir d’amis et d’apparenté, une génération issue du monde ouvrier peine à s’insérer dans une vie professionnelle et matrimoniale stable et quelles peuvent être les conséquences dramatiques de cette situation. Pour cela, il s’appuiera principalement sur des entretiens d’habitants de Foulange.

Il semble nécessaire, pour une meilleure compréhension, de faire un récapitulatif des évolutions du travail industriel dans ce village. L’entreprise Ribot ferme en 1972, elle est reprise par les FL qui ferment le site à leur tour en 1981. Suite à une occupation de l’usine durant 8 mois, la SMF et la CCF sont créés.

I. Grandir dans une campagne paupérisée (p32)

A. Enfance au village (p37)

Les jeunes de Foulange connaissent une socialisation précoce à travers l’expérience scolaire et le cadre familiale particulier.

Jusqu’à la fin des années 1970, l’usine était l’instance de socialisation professionnelle dominante des enfants élevés dans le village : la formation était faite « sur le tas », les jeunes étaient donc peu formés par l’école. Mais en 1972, suite à un rachat de l’entreprise familiale par un groupe industriel, il y eu une baisse des effectifs, ce qui a contribué à une baisse de la méfiance vis-à-vis de l’école. La fermeture de l’usine en 1981 provoqua une explosion du chômage dans le village, quelles en ont été les conséquences sur les enfants du village ?

L’école primaire, pour les enfants élevés dans les années 1980/1990 offre un cadre affectif stable autour de l’instituteur. Elle instaure aussi une distinction très forte entre filles et garçons qui sera prégnante tout au long de leur vie.

Les années 1980 ont vu la naissance du « collège pout tous » : l’objectif était de scolariser les élèves plus massivement et plus longtemps, ainsi l’école s’est ouverte aux plus démunis scolairement. Mais certains élèves sont laissés de côté. Les causes sont multiples : immaturité, influence des plus âgées, intensification de la sociabilité de bande... Cependant, malgré ces « mauvaises » influences, lorsque un jeune commet une bêtise trop grave, la moralité populaire se mobilise : l’espace social villageois renvoie au délinquant l’image de sa déviance.

Le choix d’orientation post-collège dépend de la configuration de l’espace des possibles, cet espace est plus ou moins bien perçu par le jeune, sa perception consciente découlant d’un mode de vie adolescent où se mêle relation de bande et quête de distanciation d’avec le modèle familial ; ainsi, l’internat permet une ouverture sociale et culturelle et une émancipation maternelle, ma mère occupant un rôle très important Cette émancipation est aussi permise par le passage en ville, synonyme d’ascension sociale grâce à un marché du travail plus dense. Cependant ce passage en ville ne permet pas une acculturation à un nouveau mode de vie, un affranchissement du milieu d’origine.

Pour une grande majorité des jeunes de Foulange, les parents restent la ressource ultime, pour faire face à l’insatisfaction donnée par la difficile insertion professionnelle, les réseaux hérités de l’enfance tiennent une place certaine.

B. Au football : « faire la différence » (p74)

Ces réseaux se retrouvent dans les clubs de football qui représentent une instance de socialisation d’une partie de la jeunesse masculine. Comment le collectif contribue-t-il à structurer l’individu ?

Le club sportif permet d’affirmer corporellement son appartenance au groupe, grâce à lui, la population ouvrière peut dépasser sa précarisation à travers un investissement associatif. On a donc une prolongation d’une sociabilité villageoise fortement instituée au-delà du paternalisme. En effet, grâce aux nombreux liens entre les générations de joueurs, la pratique institutionnalisée du football offre un cadre privilégié de socialisation au monde des adultes. Les vestiaires sont non seulement un lieu d’entre-soi mais aussi un lieu d’expression d’une sociabilité masculine et d’une convivialité à base professionnelle et géographique.

II. Usines, village : la lente dissociation (p105)

Les années 1985-1995 ont vu une démocratisation scolaire qui a contribué à la naissance d’un espoir d’une promotion sociale chez les jeunes scolarisés à cette époque, mais la réalité est plus. Pour monter ceci N. Renahy utilise la confrontation des jeunes ruraux au marché du travail industriel.

A. Entrer à l’usine ? (p111)

A la SMF, les jeunes travailleurs sont mus par une volonté de marquer sa différence, de ne pas accepter un héritage paternel perçu comme amputé de la fierté et de la dignité ouvrière. En effet ces jeunes aspirent à un statut plus valorisé que celui du père ouvrier, ainsi l’initiative et la curiosité sont mises en avant pour se différencier des personnes plus anciennes ce qui donne naissance à des conflits générationnels. La crise et l’expérience du licenciement collectif a en effet décrédibiliser des savoirs locaux de la génération des pères.

Cependant, pour la jeunesse rurale, la parenté est essentielle : à cause de leur faible niveau de qualification, ces jeunes intègrent le marché du travail des secteurs industriel grâce à des réseaux.

B. Une élite ouvrière qui s’éteint (p129)

Quelque soient les qualifications de l’individu, l’entrée à la SMF se fait à la base et l’apprentissage se fait « sur le tas ». Cela a plusieurs objectifs : faire connaissance avec l’atelier, être jugé sur ses capacités, mais aussi l‘apprentissage de la sociabilité ouvrière qui se fait sur une maitrise du temps et de l’organisation du travail ; organisation du travail qui se fait par les ouvriers et qui est le fondement de la force ouvrière.

Pourtant, ce groupe ouvrier connait des difficultés à exprimer ses revendications à cause de la peur du chômage et de la politique d’individualisation (heures supplémentaires et primes inégalement réparties)

A la SMF, les heures supplémentaires sont « récompensées » par une prime de 1000 francs. Cette prime est ambigüe : le salaire augmente mais le temps de repos diminue. De plus, ces heures doivent être justifiée par une augmentation de la quantité de travail à cause de la nette séparation entre le temps de travail et le temps à soi.

Les primes de rendement récompensent l’assiduité individuelle et la qualité du temps que l’ouvrier consacre à l’entreprise (à travers son équipe de travail), elles contribuent donc à la formation d’une conscience d’équipe mais elles individualisent le rapport ouvrier/entreprise.

Cette étude à la SMF nous montre aussi qu’il y a un difficile renouvellement de l’élite ouvrière : le renouvellement des machines et des ouvriers s’accompagne progressivement d’un déplacement de la légitimité du savoir de la compétence, le nouveau pôle de légitimité se constitue autour du maniement des machines numériques, pour autant, personne ne cherche à endosser cette nouvelle légitimité, les espoirs des jeunes de la SMF se portant plutôt sur le bureau d’étude (meilleurs salaires et conditions de travail).

C. Ouvrières précaires (p161)

Contrairement à la SMF, à la CCF, les relations hiérarchiques ne sont pas personnalisées. Le chef du personnel est pris entre plusieurs logiques et la personnalisation du travail hiérarchique lui permettrait de concilier les contradictions entre son éthique professionnelle (attachement pour le monde ouvrier, tentative d’aider « ses filles » lorsqu’elles sont confrontées à de gros problèmes financiers…) et ses décisions qu’il est contraint de prendre en tant que chef du personnel mais cette personnalisation échoue à cause d’un manque de sociabilité résidentielle. De plus, les hommes constituent la quasi-majorité des salariés de l’encadrement de la CCF, et cette population est pour la majorité urbaine. Les rapports hiérarchiques se font donc dans une logique de domination féminine.

En outre, la CCF essaye de se détacher des réseaux villageois et propose de plus en plus des contrats à des ouvrières habitants hors de Foulange. L’emploi se déterritorialise, il faut quitter le village pour trouver un emploi. Il ne reste donc plus qu’aux Foulangeoises le statut de mère de famille comme statut honorable alors que l’insécurité statuaire, morale et affective pousse les hommes à repousser l’engagement matrimonial, ce qui explique les nombreux divorces et séparations .

III. Des groupes primaires en crise (p186)

A. Trouver une compagne… et la garder (p189)

La jeunesse populaire française, dans sa généralité, repousse le moment du départ de chez les parents et diffère celui de l’installation en couple et de la procréation, ceci est particulièrement visible chez la jeunesse Foulangeoise, pour qui la formation de couples pose problème. Ceci engendre une forte dépendance à l’égard des parents (repassage, repas préparés par la mère,...), même lorsque les jeunes se mettent en « appart ». Ces « apparts » permettent cependant l’expression d’un entre-soi, de fixer le groupe. Ils deviennent un lieu de rassemblement de la bande qui y consomme souvent du cannabis. Cette consommation contribue à instaurer à entre-soi mais c’est aussi un moyen d’affirmer les différences internes.

La fragilité des insertions professionnelles des jeunes hommes de Foulange les poussent à s’accrocher aux relations viriles établies dans l’adolescence pour faire face aux difficultés rencontrées sur le marché matrimonial. Ces jeunes sont confrontés au chômage donc à l’isolement, avoir un réseau amical intense leur permet de retrouver une estime de soi à travers le regard des proches.

B. Une occupation d’usine et ses suites. Le bouleversement de la socialisation politique. (p223)

Il s’agit ici de retracer les différentes étapes historiques de formation et d’épuisement de la mobilisation ouvrière à travers le syndicalisme et les élections dans le contexte singulier de cette industrie rurale.

Du temps du paternalisme, l’implantation de la CGT était peu formalisée, l’affiliation y était une imitation des ainés syndiqués, elle permettait d’affirmer son appartenance au monde ouvrier. L’occupation de l’usine après l’annonce de la fermeture du site de juillet 1981 à mars 1982 est placée sous le signe d’une mobilisation massive et unitaire. Mais au fil des mois, l’occupation paraît de moins en moins légitime et la recherche d’emploi de plus en plus individualisée. La fin de l’occupation signe donc la disparition de la représentation syndicale dans l’industrie villageoise, ce qui empêche toute production d’une mémoire de l’occupation.

Au niveau des élections, N. Renahy enquête dans un café du village qui est le lieu où l’on peut dire des choses sérieuses sans en avoir l’air. Les jeunes pensent que le maire ne défend pas assez leurs intérêts car il appartient à un autre univers social alors que pour les plus anciens, l’élection du maire de Foulange aux élections cantonales est une question d’honneur dans une lutte symbolique entre les localités. La différence entre les générations tient au rapport au travail : aujourd’hui il y a une dissociation des sphères professionnelles et résidentielles, jusqu’en 1981, l’espace social légitime était une voie prépondérante d’accession à l’emploi ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui.

Critique interne

L’étude de Nicolas Renahy s’appuie systématiquement sur des données précises et une ethnographie rigoureuse, ce qui confirme son caractère sérieux. Néanmoins, quelques lacunes sont à noter.

Tout d’abord, cette analyse a pour objet principal des hommes et lorsque des femmes sont décrites, c’est en tant que mère ou en tant que petite amie. La génération des mères des personnes qui sont étudiées sont analysées de manière générale. Les femmes de la génération des informateurs, le sont, quant à elles, via des portraits singuliers comme celui de Sandrine Doret qui est définie comme « une autochtone sortie du rang » (p 168) ou comme celui de Suzanne, femme de Sylvain, qui devient mère à 15 ans et demi et qui se marie à 18 ans. Personnes singulières de par leurs parcours professionnels ou matrimoniaux ; mais alors une question se pose : quel est le sort de toutes les autres qui ne sortent du rang ni de par leurs parcours professionnels ni de par leurs situations matrimoniales ?

De même, pour expliquer les mécanismes avec lesquels les enquêtés sont aux prises, le sociologue analyse finement le destin social de leurs parents. Néanmoins, peu ou prou n’est dit sur les jeunes qui suivent la génération étudiée. L’enquêteur vieilli avec les enquêtés, il observe donc les pratiques festives de ses amis. Mais alors une question se pose : qu’en est-il de ces pratiques aujourd’hui ? Sont-elles toujours les mêmes ? De plus les jeunes « d’aujourd’hui » suivent-ils le même chemin social et professionnel que celui de la génération étudiée ? Connaissent-ils les mêmes difficultés à intégrer le marché du travail et matrimonial ?

Enfin, l’étude se concentre sur les jeunes ruraux issus du monde de l’usine ; mais qu’en est-il des autres ruraux ? La préface présuppose l’étude de tous les jeunes ruraux, or l’analyse de N. Renahy n’apporte aucune réponse quant au devenir des jeunes ruraux qui ne sont pas issus de ce monde.

Cette analyse apporte des réponses sur une certaine frange de la population rurale mais laisse de nombreuses questions sans réponses. Ces lacunes sont peut-être dues à la méthodologie de l’auteur. L’étude est faite de manière compréhensive. Il est indéniable que l’auteur se force à exercer un exercice de distanciation par rapport aux enquêtés qui deviennent ses amis : « j’ai fais le choix d’adopter une posture analytique et un type d’écriture nettement compréhensif, assumant ainsi mon statut d’enquêteur et d’ami. » (Annexe, p 282). Pourtant, malgré cet effort, aucun questionnement n’est fait à l’égard de l’influence que le sociologue a pu exercer sur les enquêtés, en effet, il les a côtoyés presque quotidiennement, a logé parfois chez eux (Sylvain)… Lui, qui a fait des études peut donc avoir une certaine influence, pour ne pas dire une influence certaine, sur ses amis. En effet, au fil des années, alors que ses amis connaissaient de grosses difficultés pour entrer sur le marché du travail, il est devenu, pour certain, un exemple de réussite social. De plus, comme nous le comprenons lorsque l’auteur fait une analyse sur le couple de Sylvain et Suzanne, il semble clair qu’il ait influencé leurs conceptions du couple et de la famille : « Lorsque je me rendis chez lui pour la première fois avec femme et enfants, la surprise de Sylvain de me voir endosser une tâche domestique pour lui strictement du domaine féminin » (p 209) ou encore « devant moi, qui personnalise un rééquilibrage relatif du travail domestique dans une certaine frange de la classe moyenne » (p 209).

Enfin, dans cet ouvrage, aucune comparaison n’est faite avec d’autres franges de la population, ce qui rend moins fiable la généralisation faite des expériences.

Critique externe

une continuité des pratiques ?

L’enquête Mobilités quotidiennes et socialisation des jeunes ruraux en Ile-de-France (2010) montre que les jeunes ruraux dits d’aujourd’hui ont encore les mêmes pratiques festives que celles de la génération étudiées par N. Renahy. En effet, une des critiques adressées à son œuvre était le manque de continuité dans son enquête par rapport aux jeunes ruraux des années 2000 ; montrons que ces jeunes ne différèrent guère de ceux étudiés par N. Renahy.

L’adolescence est, pour certains, synonyme d’acquisition d’un deux-roues motorisé qui devient le support de la réalisation des premières expériences juvéniles et de transgressions. C’est chez certains l’âge des premières consommations d’alcool et de cannabis réalisées en compagnie des copains du village. L’ «entre-soi » favorise ces expériences, qui sont motivées par une attirance pour les adolescents plus âgés. N. Renahy l’a montré et c’est toujours valable aujourd’hui, lorsque les transgressions deviennent trop importantes, l’espace local exerce de fortes pressions et renvoie au jeune une image de délinquant.

Cependant alors que la génération observée par N. Renahy connaissait une forte différenciation des genres, la jeunesse actuelle tend à la diminuer, notamment à l’entrée au lycée, le groupe de pairs se diversifie et inclus des jeunes des villages voisins, aussi bien filles que garçons. Néanmoins, ce passage correspond toujours à une intensification de la sociabilité de bande.

Les jeunes hommes continuent de jouer au football, mais contrairement aux jeunes de Foulange, les filles sont présentes au bord du terrain, le football n’est donc plus un lieu d’ « entre-soi » uniquement masculin. Mais ils continuent à se retrouver les fins de semaines et le week-end qui sont le moyen de s’investir dans les relations de groupe.

Ainsi, les adolescents ruraux actuels perpétuent les pratiques (pour la plupart) de leurs ainés.

Le travail à-côté

N. Renahy analyse les relations matrimoniales, les relations à l’usine, l’accès difficile au marché du travail mais il ne parle pas du « travail à-côté » qu’analyse Florence Weber. Selon cette dernière, pour les classes populaires, il ne faut pas parler de loisirs mais bien de « travail à-côté » car la notion de loisir est trop corrélée aux classes moyennes.

Ce travail paraît avoir une grande importance car il permet de réputations, des petites différences, fondant ainsi des groupes d'appartenance. Ceci semble avoir une très grande importance dans un village tel que Foulange où les relations interpersonnelles sont plus qu’importantes. Pour elle, le travail à-côté est un travail indépendant, perçu comme un moyen de voler à l'usine une part du temps et de la force de travail qu'elle exploite.

Ne rien avoir à-côté est perçu comme un manque et traduit soit la fainéantise ou la déchéance qui menace les habitués du café, soit la soumission à l'usine (acceptation inconsidérée des heures supplémentaires). Nous pouvons faire ici un parallèle avec l’explication de l’auto-gérance du travail ouvrier aux FL: le regard des autres empêche toute fainéantise.

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